Aller voir un psychologue… Sobek avait accepté, bien qu’il ne sache pas ce qu’était un psychologue. Mais c’était cela où la prison : sa liste de petits méfaits, son absence de remords et son incompréhension des lois d’aujourd’hui avaient fait croire au juge devant lequel il était passé que le crocodile avait un souci psychologique. Tordre les oreilles des vendeurs pour faire baisser les prix, poursuivre les gens dans un lac sous forme d’un crocodile, voler toutes les peluches en forme de reptiles d’un magasin pour ensuite dire que c’était ses enfants… et prétendre être un dieu. Il n’y avait aucun doute que le délinquant souffrait de quelques mots mentaux et ce serait à un psychologue de confirmer tout cela – et de trouver comment le soigner. Et si Sobek n’était en fait pas malade, c’est qu’il avait menti devant la cour – un parjure qui suffirait pour le faire de nouveau passer devant la main de la justice, et pour le faire enfermer.

Ce que ne voulait pas Sobek, qui avait alors accepté d’aller voir un psychologue. C’était une assistante sociale, chargée de son dossier, qui avait fait toutes les démarches. Tout ce que le crocodile avait à faire, c’était se présenter devant un bâtiment à dix heures du matin. D’y sonner, d’y entrer, de se présenter et de demander le docteur Bohan. Le docteur… était-il malade ? Y avait-il quelque chose qu’on ne lui avait pas dit ? Ce simple mot avait fait passer une nuit épouvantable à Sobek. Est-ce que c’était un docteur qui tuait les gens, comme les vétérinaires tuent les animaux ? Est-ce qu’il avait fait tant de bêtises qu’à présent, on l’envoyait à la mort ? Sobek avait lui-même, par le passé, condamné des gens à être tués pour leurs actes qui lui avaient déplut. Donc, dans son esprit, ce n’était aucunement impossible. Mais il fallait quand-même y aller ! Et, au pire, il était assez fort pour s’enfuir. Ou mettre à terre ceux qui tenteraient de s’en prendre à lui. Qu’il était affreux de vivre dans un monde dont on ne sait quasiment rien ! Bien que cela faisait quelques années qu’il s’était réveillé, le dieu du fleuve ne se faisait toujours pas à beaucoup de choses.

Il s’habilla simplement, d’un haut à longues manches noir et d’un pantalon épais de la même couleur. Il enfila de plus un pull (noir) et de lourdes chaussures en cuir (noir), pour parer au froid de la cité nordique. Rien de joyeux… mais  sa chevelure, tressée, mettait suffisamment de couleur autour de Sobek pour qu’il n’ait pas l’air d’aller à un enterrement. Il avait des cernes et les traits tirés – il ne savait vraiment pas à quoi s’attendre… et ne s’attendait, d’ailleurs, pas à un château.

C’était quoi ça ? S’était-il trompé d’endroit ? Le voilà arrivé devant une haute bâtisse en pierre, avec de grandes portes, de grandes fenêtres… de grands tout. Est-ce que les personnes habitant là étaient aussi grandes ? Sobek était habitué à dépasser tout le monde d’au moins une demi-tête, cela lui ferait bien bizarre de croiser quelqu’un de plus haut que lui… Le dieu souffla, relit l’adresse qu’on lui avait donnée sur un bout de papier pour voir si cela correspondait bien à cette grande bâtisse, qui n’avait (presque) rien à envier aux pyramides que Sobek avait connu avant son long sommeil. C’était bien là… et il fallait y aller. Le crocodile tapa à la lourde porte qui se présentait devant lui (faute de trouver la sonnette) et attendit là, malgré sa forte envie de partir en courant. Il avait chaud, tout à coup.