Les oreilles bouchés, recroquevillé dans la position du foetus, aveugle, j'avais fermé ma conscience pour me protéger de l'extérieur, toutes ces émotions, toutes ces sensations, le rappel aux souvenirs explosifs, le choc, tout me ramenait à mon vécu, ce moment où j'avais perdu la mémoire, où j'avais tout perdu. Mais aujourd'hui, ce n'était plus la même donne. Il y avait Freyr.

Tu étais là, tu m'as sauvegardé. Je suis sans doute plus couard qu'autrefois, mais nous sommes désormais deux à protéger pour un corps, l'un est plus fort que l'autre sur bien des points, et l'autre se laisse dévorer par cette force écrasante, cette différence entre deux statuts qui ne se côtoient normalement pas. Mais aujourd'hui, nous nous entraidons. Tu es novice dans ce monde, je suis tes yeux, je suis ton corps, use-moi comme un esclave, respecte-moi comme un frère, nous sommes un. Car tel est notre souhait. Même nos sentiments se mélangent.

Brusqué, tu te remets debout, sans avoir le temps de souffler, mais la voix qui te secoues t'est familière, elle te rassure, tu n'es plus seul ici, il y a une personne que tu connais, en qui tu commences à avoir confiance. Takehiro est là, tu ne t'y attendais pas. Toi non, en tout cas, moi, je sais. Je sais qu'il est là et pas pour nous sauver. Des paroles ont été dites, et je devrais les éclaircir. Mais pas tout de suite. Il a raison, il faut rentrer.

Mais tu ne peux t'empêcher de regarder en arrière, alors qu'il te tire, pour t'assurer que Freya est là, ou pas, tu ne sais pas trop, tu aurais voulu la savoir saine et sauve. Le lien qui vous unit ne t'assure pas que c'est le cas, mais il n'a jamais été certain. Si l'un de vous mourrait, est-ce que l'autre le saurait ? Est-ce que Freya l'a su lorsque tu as perdu ton corps ? Mais elle avait déjà du mal à te voir à travers moi. Ce lien est peut-être tout simplement légendaire...

Le silence perdure jusqu'à retrouver notre nid douillet. Tu entres, limite, tu te prends les pieds dans le tapis de l'entrée, manquant de te rétamer la tête par terre, mais tu te retournes rapidement en sentant la menace dans la voix du scientifique. Tu te redresses, face à lui, il est plus grand que toi, mais tu ne cilles pas, pas un sourire, juste un visage impassible, juste le regard fatigué. Tu prends le temps de répondre, prends ton souffle et te lances, d'un air dépité, passant la main derrière la nuque.



Tous les évènements de la journée m'avaient mis à bout, j'avais les nerfs à fleur de peau, alors être témoin de cette scène, devoir fournir de telles explications... Limite que tu doives t'excuser... Je ne pouvais le tolérer, j'en sortis de mes gonds, et ce fut moi qui passais devant fusillant Takehiro du regard en l'affrontant, un pas en avant vers lui :



Des flammes brûlaient au fond de mes pupilles dorées. Je le détestais soudainement, pour tout ce qu'il s'était passé, là-bas au laboratoire, parce qu'il savait ce qu'il s'y déroulait, que mes... "frères" étaient en danger de mort. Il était au courant de tout et il ne nous avait rien dit ! Je hurlais désormais :



Pourquoi devais-je m'attacher à lui de la sorte ? Pourquoi appelais-je "traitre" un homme en qui je ne devais pas avoir confiance à la base ? Il n'était pas un ami, pas de la famille, mais je souffre, j'ai mal au coeur... Je m'attends à recevoir un retour physique, ou des paroles venimeuses, je suis prêt, je veux juste des explications à tout cela, sortir de l'ombre, de la peur. Mon corps tremble encore.

Evidemment que tu ne pouvais pas répondre Freyr, à part avec un de tes sourires mystérieux signifiant que tu ne pouvais rien dire sur le sujet. Nous étions coupables tous les deux de communiquer avec des "inconnus" mais nous avions tant appris sur nous grâce à eux. Et je pressentais qu'on pouvait en apprendre encore. En tout cas, la preuve avait été là, le sms avait été envoyé, sur place c'était la réalité, mais nous n'avions pas été assez prudents. On était coupable.

C'était de l'orgueil, je ne pouvais pas tolérer, je n'arrivais pas à digérer qu'on nous accable encore de reproches alors qu'on avait assez payé nos erreurs aujourd'hui. Trop d'émotions, de peur d'un coup, j'avais dû affronter mes phobies directement pour foncer là-dedans. La menace de nous enfermer était de trop pour moi, maintenant que j'y associais à cette prison de verre en présence de cet inconnu sombre et l'autre aveugle menaçant. J'avais été écrasé par leurs puissance, alors face à Takehiro, c'était une toute autre affaire, et je pouvais déchaîner tous ces sentiments négatifs sur lui.

Mais sa contre-attaque ne tarde pas, il réfléchit et réagit plus vite que moi, il est plus intelligent, prévoyant, même si j'avais dû au moins le surprendre en débarquant soudainement, il me connaissait sur le bout des doigts. Je perds mes moyens, mon corps se met à trembler plus violemment, nerveusement, je me recroqueville, comme s'il me plantait des flèches dans le ventre, sans vergogne. J'essaie de résister, tenir son regard, mais je suis faible. Je recule encore, jusqu'à rencontrer le tabouret de l'entrée, celui où on s'assoit pour mettre les chaussures, bute dedans et je me sens obligé de plier, de m'asseoir.

Me voilà coincé, à encaisser les coups psychologiques qu'il m'assène. La vérité blesse, me rappelant la place que j'avais, celle du chien qui obéit sans rien dire. Dans mon passé, j'avais été contre ce statut, j'avais aboyé, et je m'en étais mordu la langue. Je ne devais pas reproduire la même erreur, mais, je n'arrivais pas à m'y faire. Pourtant, tout le monde y arrivait, pourquoi n'arrivais-je pas à m'y conformer ?

Tête basse, mes pupilles perdent leur éclat haineux, s'éteignent, le dos courbe, ma main se plaque sur le visage, je tremble, je retiens tout ce qui veut sortir, Freyr m'y aide, me calme en profondeur. Je sens les sanglots venir, mais je ne les laisserais pas franchir le pas. Pas une nouvelle fois, je n'en avais pas le droit, je devais juste... une fois...

Je déglutis et articule avec difficulté :



Pas d'explications à fournir pour mon comportement, mise à part cette excuse. Je fermais les yeux avec force en priant que cela n'aille pas plus loin. Je n'avais de toute façon pas la force d'aller à son encontre, j'avais juste profiter quelques secondes de l'initiative que j'avais pour l'accabler de tous les maux.

Mais il le méritait pas.

Alors je recommençais, me calmant lentement, prenant sur moi pour arrêter ce cercle de haine et lui raconter.



Mais en y repensant, je replonge dans l'obscurité. La peur, le desespoir, c'était encore trop récent, trop présent pour y balayer par la simple force de l'esprit. Ma deuxième main se joigit à l'autre et mon corps trembla de plus belle, alors que les larmes débordaient cette fois, sans que je ne puisse les retenir. Je ne voulais pas qu'il voit, j'aurais voulu monter dans ma chambre, m'y enfermer, mais en même temps, je ne voulais pas rester seul là-haut. J'avais peur encore. J'étais faible, si faible. Putain, quel con...

Et je continue de me justifier, faiblement, avec cette voix fébrile qui trahissait mes sentiments.



C'était perceptible, je reniflais discrètement. J'essayais d'essuyer ça, c'était pitoyable. J'en ai marre, vraiment, de craquer pour rien.

Le ton baisse, ce n'est plus une flamme ardente qui échauffe nos corps, mais un vent glacial qui nous sépare. Je reprends mon souffle à plusieurs reprises, pour me calmer. Les larmes continuent à glisser en traitre sur mes joues, je les efface prestement, en fronçant les sourcils, en colère contre ma faiblesse. Oui, je voulais me calmer, mais mon corps me faisait défaut.

Il me demande, je relève le visage vers lui, sourit nerveusement avant de la retomber, dans un soupir. je devais sans doute lui avouer, un jour ou l'autre il l'aurait su de toute façon. J'étais juste étonné que Freyr ne lui ait rien dit encore. Mais peut-être que ce n'était pas le sujet du moment. Par où commencer, que devais-je répondre ? Je gratte nerveusement mes ongles, en arrachant les bouts blancs, et lui racontant ce qu'il s'était passé d'un ton grave.



Sur ces mots, je relevais la tête, pour essayer de trouver réponse à mes questions précédentes. Peut-être que ce sale type bluffait pour me faire taire, ce qui avait plutôt bien marché, mais il ne devait pas exister trente-six Takehiro dans le monde non plus... Alors où était la vérité ? Est-ce que mon scientifique était réellement au courant ? Est-ce qu'il connaissait mon agresseur ?

Je continuais alors mon récit.



Oui, c'était tout, finalement, pas de quoi fouetter un chat. Il n'y avait pas eu mort d'homme, nous étions ressorti vivant. Mais le fait d'être enfermé, perdre le contact avec une part de moi, ne pas savoir où son nos proches, parce que lentement, c'est comme si je commençais à considérer Freya comme ma propre soeur.

Je n'avais pas pensé que Takehiro viendrait nous chercher - peut-être plus Freyr que moi - qu'il se mettrait en danger - vite fait, puisqu'il travaillait pour cette société - pour nous. Mais quand je l'avais vu, j'avais été soulagé, même si je m'inquiétais toujours pour les autres. Mais demain, nous serons ce qu'il en est. Vu les dégâts qu'il y avait eu, les autorités seraient sur place...

Un court silence nous laissait le temps de réfléchir à tout cela, et finalement, je me lançais à lui avouer ce que j'aurais dû déjà depuis longtemps. Ce qui s'ensuivra sera certainement mieux pour nous, de toute façon. Parce que même si je me calme, on s'empoisonne la vie.



Mes doigts se tordent entre eux, je ferme les yeux encore avec force, attendant une parole cinglante en guise de châtiments.

Rien, la communication n'allait que dans un sens, il ne répondait pas à mes attentes, alors que les doutes planaient autour de lui, mais même si je lui posais directement la question, il ne répondrait pas, ou trouverait une parade. Mais je n'avais pas la tête à aller contre lui. Je poussais juste un profond soupir de déception et continuais mon récit, docile.

J'attendais qu'il envoie ses sms, ses mails et tout, après tout, je m'en moquais pas mal, maintenant. Je n'étais pas sûr que j'avais bien fait, mais cela nous amènera certainement sur un nouveau chemin. J'avais besoin de changement, de voir de nouveaux horizons, et en même temps, j'avais peur. Je portais beaucoup de choses sur mes épaules et ça se voyait à ce moment-là.



Retiendrais-je la leçon ? Quoiqu'il en soit me sortir un truc du genre " je te l'avais bien dit " maintenant était un peu tard. Je n'étais juste pas fait pour obéir, il faut croire, et Freyr n'était pas particulièrement mieux. Sur l'instant, le sens de nos priorités était allé dans notre sens, il fallait agir vite et il n'était pas là au moment où j'aurais pu avoir besoin de lui. Je sais que je ne suis pas un intellectuel, je ne réfléchis pas avant d'agir, et après je m'en mords les doigts, ma vie l'a démontré après tout, ce n'est pas nouveau, et il le savait.

Mais comme il avait tendance à insister, d'une voix rauque et faible, je stoppais la conversation. Je crois que j'en avais assez eu pour mon compte.



En attendant, le sms avait été clair, il me semble, les divinités étaient en danger, en général. Et vu ce qu'ils ont pu faire sur Freyr, pourquoi ne pas le répéter sur Freya ? Et je croyais que Takehiro ne connaissait pas tous les dossiers ? Comment pouvait-il savoir sur Freya avec une telle certitude ? Peut-être qu'à un moment ou un autre, elle entrera dans ce "programme" ? Comment pouvais-je en être certain ?

En qui puis-je avoir confiance ?!

Je me pris la tête entre les mains, un mal e crâne m'assaillant, ça devenait vraiment lourd, j'avais besoin de m'allonger un moment, mais il ne semblait pas apte à m'aider en ce sens, profitant sans doute de ma faiblesse pour m'asséner de questions. Pourtant, je restais pacifiste, sentant la nervosité revenir.



Oui, il m'arrive parfois de rester conciliant, je n'avais pas refuser de répondre, bien que pour l'instant, je reportais la réponse que je ne possédais pas. Juste que c'état logique à mes yeux de ne pas lui avoir dit. Certainement pas avant. Parce que je n'en avais pas envie, et notre entente ne permettait pas la communication.

Et aujourd'hui, où en étions-nous ?

Je me lève, claudique jusqu'au salon pour m'affaler sur le canapé, tête contre le dossier, les yeux clos, le teint pâle. J'avais beau essayé de fuir la réalité en cherchant le sommeil, les images défilaient sans cesse, chassant Morphée sans forcer. J'avais soif aussi, la gorge sèche, mais j'avais le flemme de me relever pour aller chercher un verre d'eau.

Puis je rouvrais les paupières, l'observais pour finalement articuler nerveusement, faiblement :



Un appel de désespoir jeté à la mer.

Je n'avais pas espéré tant. Mon regard vide se levait vers lui, d'un air surpris, comme si je ne m'attendais pas à ce qu'il me réponde - non, je ne m'y attendais pas du tout, en fait, vu sa première réaction - et je restais sans voix, les lèvres closes. Il insistait sur la confiance que je devais lui porter, instinctivement, je lui faisais confiance, je ne savais pas pourquoi, car en même temps, j'étais méfiant. Quel était son but ?

Mais ce soir, je n'avais plus la tête à me poser des questions, seules les images s'amusaient à défiler encore et encore dans mon crâne, faisant réagir nerveusement mon corps. Ma respiration est instable, mon coeur se met à taper plus fort, je me sens mal, la tête me tourne. J'ai besoin d'un rafraîchissement. Ou je ne sais pas.

Takehiro est parti prendre une douche, grand bien lui fasse. Mon corps est si raplapla que je peine à marcher jusqu'à la cuisine. Peut-être que ça m'aurait fait du bien de me laver, de retirer toute la sueur de la journée, effacer les images par l'eau chaude, détendre mes muscles avec le jet de massage. Mais peut-être que je me complaisais aussi là-dedans ? N'avais-je donc pas risqué de mourir, là-bas ? Je m'étais fait du souci pour rien ? Mais qu'attendaient-ils de nous à nous enfermer ainsi ? C'était inutile, puisque j'obéissais relativement bien à Takehiro, tout de même...

L'eau s'écoule dans ma gorge, froide, mais elle ne m'hydrate pas, tout reste sec, j'ai juste un frisson glacial qui me traverse l'échine. Je désespère. Et une idée me vient à l'esprit. Une idée que je refuse d'abord, avec fermeté, mais elle m'obsède l'esprit, comme pour essayer d'évacuer les images négatives. Je reste là, planté dans la cuisine, mais mon regard est tourné vers l'entrée, là où est pendu la veste de mon colocataire. Sans doute qu'elles sont là. Il n'a pas fumé de la soirée. C'est d'ailleurs étonnant.

En tapinois, j'avance jusque là, pour effectuer mon forfait. Ce n'était pas la première, mais j'avais espéré que ma dernière le resterait. Pourtant, c'était un cas exceptionnel, ce soir, non ? C'est justifié ? Je n'ai pas à me sentir coupable ? Ca me ronge déjà. Mais mes mains agissent seules, elles tombent sur le paquet dans la poche droite et directement, je file sur le balcon. Tremblant, l'une vient se glisser entre mes lèvres, tandis que la flamme fébrile vient enflammer le bout. Ca y est, j'ai franchi le pas interdit, je ferme les yeux, soulagé.

J'ignore les reproches de Freyr, je m'en fous, je fais le vide dans ma tête, j'oublie. Je suis seul, sur ce balcon, dehors, alors que les températures frôlent le négatif ces derniers jours annonçant l'hiver proche. Il fait froid, et même sans la nicotine, je fais de la buée avec mon souffle. Quelques coups de klaxon marquent l'activité de la ville en bas, les lumières polluent notre ciel, on ne voit plus les étoiles. Je ferme les yeux et profite de ce moment de répit...

Il réussit à me faire sursauter, pris sur le fait, à tel point que j'avais failli lâcher le petit bâtonnet que je rattrapais avec l'autre main, ne manquant pas de me bruler, mais je l'avais rattrapé, étouffé le juron, et répondais en grommelant :



Je n'étais évidemment pas satisfait d'être pris la main dans le sac alors que j'étais le premier à lui reprocher ce faux pas. Mais ce soir était exceptionnel, cela ne se reproduira pas de sitôt, il pouvait bien m'accorder un instant de répit. Je pris une bouffée d'un air nerveux en détournant le regard, contrarié par sa remarque.



Il comptait longtemps me pourrir comme ça ? Pour une fois que je suis à peu près sage, que je ne lui casse pas les pieds avec mon mécontentement, que je réponds à ses questions, il pourrait me foutre la paix, sérieusement.

Cependant, à le voir ainsi, en peignoir, j'en avais des frissons, j'avais froid pour lui, déjà qu'avec mon tee-shirt à manches longues, je n'avais pas particulièrement chaud... Je me serrais les épaules et grelottais, mais tant que je n'avais pas fini la cigarette, hors de question de rentrer. Et puis, il était là, ça devenait un peu plus... "chaleureux" ? J'esquissais un sourire crispé et répondais sur le même ton :



J'ignorais quelles avaient été ses aventures, en dehors du fait qu'il était parti à ma recherche, peut-être qu'au moment où je suis sorti, il venait d'arriver ? Tant de questions que je n'osais pas poser, alors je le regardais d'un air absent en grognant en guise de soupir, avant de reporter mon regard sur la foule en bas. Enfin, la foule... Les dernières personnes qui trainaient dans les rues pour rentrer, ou pour sortir en boîte.

Puis une idée me vint à l'esprit, germa, avant de faire son chemin jusqu'à mes lèvres, tandis que mes pupilles tournaient vers mon interlocuteur, avec un éclat mystérieux.



Ca peut détendre l'atmosphère de changer de sujet, revenir à notre quotidien, ces chamailleries qui m'avait semblé si loin, m'avaient manqué en réalité pendant que j'étais enfermé... Mon regard se perd de nouveau vers l'horizon, appuyé contre la rambarde, je sens le vent soufflé doucement, j'emplis mes poumons de cet air glacial et murmure, un peu plus éteint, un pointe de nostalgie dans la voix :

Ah évidemment, c'était convenu qu'il réagirait de la sorte, prévisible. Je souris avec mélancolie et soupire. Takehiro, fidèle à lui-même, je ne le changerais pas, même si au fond, j'aurais voulu que tout se déroule tellement autrement. Je regarde les étoiles, et je pense à tout ce que nous avons passé ensemble, toutes les épreuves que j'avais affronté et il était là pour m'épauler, toutes les conneries que j'ai faites, avec Freyr, toutes les découvertes. Il était là comme le père que je n'avais pas eu, en quelque sorte. C'était sans doute ça qui avait cloché, instinctivement, j'avais conçu ce lien de la sorte, il était donc normal que j'agisse ainsi, puisque je n'avais connu que cela...

Mais est-ce vraiment l'explication ? Si je lui disais, il me rigolerait surement au nez. C'est vrai, je suis un gamin, un peu con. J'ai arrêté de fumer, la cigarette se consume seule, lentement, la fumée s'échappant en un filet. Je n'aime pas cette sensation, ce goût, finalement, ça ne m'a rien apporté, peut-être que c'était juste l'envie de faire une dernière connerie, comme un gosse qui a besoin de se faire remarquer. Pff, c'est ridicule, mon comportement m'exaspère parfois, je ne réfléchis pas, j'agis, et je fais des erreurs.



Peut-être un eu de déception, c'était un murmure à peine audible, ce n'était même pas utile qu'il l'entende, ça n'avait aucun intérêt. Mais je réponds tout aussi vaguement à sa question :



Parfois on y peut rien. J'écrase le mégot, à peine fini dans le cendrier, et m'apprête à rentrer, alors qu'il enfonce un peu plus le couteau dans la plaie. Je me retourne, l'observe et souris, avec un soupir :



Il avait la réponse à sa question. Mon orgueil ne m'aurait pas laissé dire cela en temps normal, mais à quoi bon ? Le jour où on déménagera, ce sera la dernière fois, ça ne saurait tarder de toute évidence, mais peut-être que j'avais trop manqué les occasions de lui dire ce que je ressentais au fond. Ou bien était-ce Freyr qui me l'inspirait ? Il avait essayé de faire des trucs bizarres, Takehiro les évitait, mais s'il ne les évitait pas, que se serait-il passé ? Je voulais rester aveugle face à ça, mais j'étais tiraillé entre tout ça.

Je secoue la tête. Je suis vraiment un crétin fini. Je ne veux plus y penser, c'est stupide, alors je sors la bouilloire, la remplis d'eau et propose, tout simplement :



Des soirées comme ça, ça faisait longtemps qu'on en avait pas eu. Et ce serait les dernières maintenant avant que je me retrouve seul comme un connard le soir, dans un appartement ailleurs. Je dois vraiment arrêté de penser à tout ça.

Jamais il n'ira dans mon sens. J'aurais été un chien, j'aurais baissé les oreilles et la queue de déception, encore une fois, de n'avoir pas su deviner les sentiments du maître. Ce n'était que le regard qui se baissait, mais le sentiment perdurait dans mon coeur, de souffrir de ce fossé qui nous séparait. N'avais-je jamais eu le souvenir de vouloir me lier avec une quelconque personne auparavant, un ami, une fille ? Oui, une fille, il y avait eu, mais elle avait fait les pas qu'il fallait pour m'approcher, elle avait fait le nécessaire pour pénétrer mes défenses d'asocial, briser la coquille.

Aujourd'hui, c'était différent. Avant, je détestais les gens. Les tuer, ce n'était rien, je ne m'en rendais pas vraiment compte ? Si, je le savais qu'ils avaient des êtres aimés qui attendaient leur retour le soir, après le travail, et ils ne rentreraient pas une fois que nous avions accompli la mission. Mais n'était-ce pas pour une bonne cause ? Je le croyais. Ou je m'aveuglais dans des idéaux erronés pour fuir mon propre désespoir. Ma propre revanche envers ce monde cruel, c'était si égoïste. J'aurais pu redevenir ainsi, en me rappelant tout ça.

Mais il y avait Freyr. Freyr, l'insouciant, mais si soucieux de la vie. Il jouait avec, mais il ne tuait pas, alors qu'il en avait le pouvoir. Il aimait. Il souriait si facilement, s'ouvrait aux gens et n'attendait rien en retour. Je le trouvais stupide, incontrôlable, têtu. Mais il était un reflet de mes propres désirs, n'est-ce-pas ? Il a obtenu tout ce que je désirais. Il avait cette force en lui et reposait désormais en moi comme un espoir. Ce fut une charge lourde pour mes frêles épaules humaines. Et petit à petit je l'ai accepté... Ce fut laborieux, mais n'est-ce pas nos sentiments qui se mélangent lentement ? Je me sens transporté.

Je ne dis mot, me sers simplement mon thé, m'asseyant face à mon mug pour noyer mon regard dans la fusion qui s'opérait, au milieu de la vapeur. Puis mon visage se releva pour observer ses gestes, le liquide transparent qui se déversait dans le verre, je devinais que ce n'étais pas qu'un simple verre d'eau, c'était noté sur la bouteille. Je n'ai pas eu le temps de lire, mais ce n'était pas qu'une simple bouteille de Contrex.

Takehiro reprend la parole, je baisse les yeux, je ne sais pas quoi répondre, seules mes lèvres esquissent la gêne, l'hésitation, en se mordant entre elles. Elles se serrent, s'étirent, miment des lettres, mais pas de voix les traversent. Puis mon interlocuteur abandonne, il ne veut pas savoir. Je penche la tête sur le côté, surpris, puis je souris, finalement en remuant machinalement la cuillère dans la tasse :



Je garde mon sourire, mon regard devient tendre, trop tendre, mais j'ai le sentiment de m'effacer, de m'endormir, mon cerveau s'anesthésie tout seul.

Freyr ?!

Je sursaute, comme si je sortais d'un rêve, mais mon visage devient pourpre, comme si je devinais la portée de mes paroles. Ces paroles que je n'avais pas contrôlé, mais qui avaient bien été articulé avec ma voix. La panique monte, les questions se posent : Que m'arrive t'il ? Sans doute la fatigue, mais je me sens mal. Il faut changer de sujets, oublier ce que je venais de dire, il n'y fera sans doute pas attention, il ne le relèvera pas de toute façon.



Je m'enfonce, je ne comprends pas ce qu'il se passe, et je sens la chaleur me monter de plus en plus au visage, la panique aussi. Mais pourquoi ?