Il n’y a pas de problème,

il n’y a que des professeurs.

Quand tu vois le gosse débarquer flanqué de ses deux parents ça te fait un peu mal au cœur. C’était un bon gamin, un peu trop con sur les bords, mais une bonne personne. C’est vrai qu’il était trop imprudent, tu as beau lui avoir répété cela n’a pas payé. Cela ne s’est pas ancré dans sa tête ou pas assez. Le fait qu’Amon t’amène son fils comme ça, t’amène son petit soleil en guise de poupée de chiffon, ça te fait un peu mal au cœur pour l’homme. Ce n’est surement pas le meilleur des pères, pas le meilleur des hommes. Rien de la façon dont vous vous êtes connu tous les deux au travers de Love, tu sais qu’Amon n’a jamais été une bonne personne. Mais il aime son fils à sa manière. Et tu respectes cet homme pour ça, pour sa famille qu’il protège, pour les lois auxquelles il obéit.


Tu pousses un léger soupir. Des heures et des heures de travail en perspective. Des jours même. On ne se remet pas d’un truc comme ça, pas vraiment. Surtout un rêveur comme Sohan, un rêveur qui croyait qu’il pourrait passer sa vie à s’amuser à danser parmi les rêves. C’est dur de ne plus pouvoir croire, tu en sais quelque chose Griffin.

Tu regardes Amon droit dans les yeux, sans prêter plus d’attention à la personne dans le fauteuil.

« Ne t’inquiète pas pour ton fils. Je le guiderai comme ton dieu a guidé tes pas jusqu’ici. Tu peux me le confier, je prendrai soin de lui pendant un temps. Va, Amon et laisse-moi agir en toute quiétude. Il est entre des mains expertes. »

Ce n’est pas ton ego qui parle tandis que tu congédies le deux parents et le reconduis à la porte. Le regard du jeune ne t’a pas lâché. Tu n’es pas encore perdu. S’il y a une once de combativité qui existe encore tu vas en faire une explosion infinie. Un soleil. Au moins ça. Ce n’est pas ton ego qui parle simplement l’expérience, si tout n’es pas perdu, s’il reste une chance alors tu la saisiras et en sortira tout ce qu’il est humainement possible d’en retirer.

Tu reviens vers le gosse. Il va falloir lui annoncer clairement ce que tu attends de lui. Ce ne sera pas une partie de plaisir, il va te détester. Mais tu prendras soin de lui et le ramènera à la raison. T’es le mec du dernier espoir, tu es celui qu’on appelle quand on a tout essayé ailleurs, quand on ne sait plus où aller.

« Bon toi et moi on va passer un sale moment tous les deux. T’as joué au con et ça s’est retourné contre toi je suppose soit. Mais ce n’est pas pour ça qu’il faut en vouloir à la terre entière ou abandonner. T’es toujours vivant et regarde n’importe quelle tombe de cimetière, tout le monde ne peut pas en dire autant. Alors tu vas faire ce que je dis. On va t’entrainer à utiliser tes pouvoirs pour que tu ne t’abîmes pas plus »

Tu te relèves, tes genoux craquent tu n’es plus de première jeunesse. Tu es calme et composé comme toujours. À peine humain. Tu t’empêche d’être humain, tu te contrôles. Tu dois être plus, pas messie ou une connerie du genre, juste tu dois être capable d’aider, de sauver. Et pour ça tu ne dois pas être humain. Tu dois être sauveur.
C’est ce que tu es, un sauveur, pas un père, pas un ami, pas un frère. Un sauveur, un maître.

Tu apprends aux autres à être heureux. Cela ne veut pas dire que tu l’es. Tu as encore beaucoup de travail. Beaucoup, beaucoup de travail.


   

Il n’y a pas de problème,

il n’y a que des professeurs.

Le monde s’enflamme assidument sans prévenir. La première réaction de Sohan - à savoir un léger agacement vite remplacé par cette contemplation rêveuse et larvaire - t’a fait un peu désespéré. C’était un feu de paille, un rond dans l’eau. Le genre d’effet qu’on a après s’être pris un joli coup sec derrière la nuque ; un peu vaseux, un peu déboussolé. Tu plisses les lèvres. Si ce n’était pas plaqué sur ton visage taillé à coup de serpe vigoureux on aurait pu dire un gosse faisant la moue, un magicien déçu de son effet.

Tu t’attendais à plus flamboyant venant de ton ancien élève, un sacré loustic, attendrissant certes mais un sacré loustic.
Tu songes qu’il doit vraiment être au bord du gouffre. Mais la suite te détrompe, il est rare que tu te fourvoies deux fois d’affilées.
Parce que si la première réaction te déçoit il n’y a pas à chier, la seconde.

Il t’en aura fait des crasses le destin. Pourtant celle-là tu te la prends en pleine face, sans bouclier défenses abaissées. La vie est une pute qui sait mener son show pour casser la baraque. Même avec toute la mauvaise foi du monde tu ne pourrais pas revenir là-dessus. Pour un peu tu en serais admiratif. Tu tires chapeau bas face à la surprise tandis qu’une excitation confinant au fanatisme prend possession de tes facultés. Tu sens bien que le gosse est paumé. Un si gros sac de caillou pour une si petite personne, ça doit bien attendre la tonne.
Tu observes qu’il peut se lever sous cette forme. Tu te demandes pourquoi. Mais franchement ce n’est pas la question qui te semble la plus importante sur le moment.
Tu peines à te contenir et à ne pas lui infliger un interrogatoire en règle alors qu’il a déjà les larmes aux yeux.

Un nouveau pouvoir !

Il le tient obligatoirement d’un dieu, c’est une affaire sérieuse - une qui te concerne tu dois savoir. Besoin viscéral de retrouver ce qui te manque. Lentement avec précaution, comme si ses jambes allaient de nouveau se briser, tu poses tes mains sur ses joues en une caresse maladroite. Tu en lèves une et lui caresse le front doucement alors que tu réfrènes difficilement le tremblement de pure extase qui agite tes muscles perturbés.

« Okay okay calme-toi. On va arranger ça bonhomme. J’ai besoin de savoir comment tu en es arrivé là. Qu’est-ce que tu as fait ? Une rencontre particulière ? »

Tu ne cherches plus à attiser des braises quasi-éteintes. Tu as pris ta voix douce, la voix qui pardonne et qui réchauffe. Tu tiens cette voix de ton propre sauveur, cette voix que l’adulte qu’il était employait pour rassurer l’enfant de la misère. Cette voix capable de créer des miracles pour peu qu’on y croit et tu tentes de la retrouver.
Dans ta bouche, elle se teinte de nostalgie.
C’est amusant de voir que face à un presqu’adulte tu ne prends pas de gants mais face à un enfant qui retiens ses larmes tu n’es plus le même. Ce spectacle te remue toujours quelque chose ; comme si ton souffle se repliait entre tes côtes.
Tu as conscience de le bousculer un peu avec tes questions.

« On va faire par étape. D’abord tu me racontes, dis-moi ce que je ne sais pas, je suis là pour t’écouter aussi. Ensuite on avise tous les deux pour que tu reprennes confiance et que tu te contrôles petit à petit »

Tu tentes un sourire rassurant qui a malheureusement plus l’air d’une grimace.

« Ça te va ? »

Tu recherches l’assentiment, un « oui » dans ses yeux mouillés d’enfant.

Il n’y a pas de problème,

il n’y a que des professeurs.

C'est d'une tristesse la vie quand tu y penses. C'est ce que tu dis mentalement quand la mère accourent. Tu vois la relation, le lien entre le fils et la mère tendu comme un arc, comme une femme  en train d'accoucher, prêt  à se rompre à la parole de trop. Au premiers cri déplacé, pleurs insupportables.
Tu ne lui en veux pas à cette femme de t'engueuler. Tu viens de laisser son bébé, son bébé se débrouiller tout seul pour quelque chose qui le dépasse. C'est naturel pour elle de le protéger et de l'aimer plus qu'elle même. Tu songes que c'est une bonne mère, le genre aimante mais trop effacée. C'est dommage.
Parce qu'elle n'avait pas à accourir pas à l'aider, pas maintenant. Quand il ira mieux, il faudra l'aider oui, le soutenir mais aps maintenant. Là il était en train de se relever et même s'il en chiait il se relevait seul en serrant les deux et c'était important. Il parlait et les mots l'écorchaient mais c'est ce genre de mots, de mots douloureux lancés à mi-voix, incertains qui permettent de faire la paix avec soi-même.
C'est dommage.
Tout est dommage dans cette famille, le père plongé dans des affaires pas assez claires, la mère qui ne sait plus comment ne pas étouffer ce qu'elle aime et le gosse qui a oublié d'avoir un pied dans la dure et crue réalité et toi Griffin à qui confier un enfant est quand même débile.
En quoi tu sais prendre en charge une personne ? Je veux dire, prodiguer des conseils et ce genre de conneries tu sais très bien faire, vu que tu n'es pas impliqué il t'est facile de juger puis tu as de l'expérience en situations délicates.
C'est surement pour ça qu'ils ont fait appel à toi en fait, pas parce que tu t'y connais en jeune adulte, en enfant non ce n'est pas vrai ça. Mais les situations délicates tu en as fait toute ta vie. Que ce soit du côté clair ou obscur de la force, toute ton existence est tournée à résoudre les problèmes de l'humanité, à l'aider, à lui apporter la foi et l'espoir d'un monde meilleur à l'avenir.
Un peu d'espoir ça ne mange pas de pain surtout avec le contexte actuel et les événements surement à venir. À venir, avenir.
Ils voulaient juste un peu d'espoir, que tu leurs dise « je vais tout régler ». T'as bien l'intention de leur rendre comme neuf leur fils. Et même s'il réagit violemment il vaut mieux ça que pas de réaction du tout. Même si ça brise sa famille. Ou peut-être pas, c'est son père qui te paye après tout.
Ça te gène qu'elle soit venue, même si c'est une bonne mère, même si tout et n'importe quoi. Il se relevait tout seul et ça voulait dire beaucoup, il se relevait seul et c'était important d'essayer et qu'il réussisse, seul. Parce qu'il est grand maintenant même s'il redevient petit parfois. Même si. Tu refait le monde au conditionnel, rien n'est certain.

Tu attends que la mère soit repartie et que ses pas se soient éloignés avant de prendre la parole.
Tes traits de visage sont légèrement crispés au niveau des yeux comme si tu cherchais à démêler une énigme particulièrement compliquée.
Tu t'accroupis, tu te mets à sa hauteur, c'est ridicule mais tu as besoin de voir son regard, de comprendre.
La critique te passe au-dessus de la tête, tu as pris bien pire à la tronche.

« Je ne sourirais plus si c'est ce que tu souhaites »

Ton visage est déjà redevenu de marbre.

« Je vais te sembler très démagogue en disant ça mais je pense réellement que c'était une déesse. Et je ne sais pas pourquoi elle t'a offert ce don de rajeunir, de rester enfant car peut-être tu lui as paru avoir une âme d'enfant »

Tu sembles réfléchir.  Comment bien choisir les mots, car ce sont des mots incertains qui vont sortir de ta bouche, des mots lancés à mi-voix mais qui permettent de retrouver un peu de paix dans ce monde malade.

« Je ne te dirai pas que les voix des dieux sont impénétrables mais qu'elle a eu raison car les dieux sont infaillibles. Je te mentirai, les dieux se trompent, ils ont perdu leur toute puissance parce que l'homme a cessé de croire. Mais ils ont bien des pouvoirs si on veut bien croire en eux »

Tu te relèves, t'élances, fais les cents pas. Il faut bien cents pas pour que tu puisses ajouter ce que ta voix à toi, ta voix d'homme n'ose pas cracher. Au final tu appelles un moucheron, une toute petite créature dont on n'entend à peine le bourdonnement, comme tes mots elle reste en majeure partie silencieuse.

« Il faut voire les dieux comme des insectes, en soi ils sont devenus minuscules, insignifiants. Pourtant il ne faut pas oublier qu'ils gardent la force de géants. S'ils venaient à reprendre leur taille normale ils pourraient tous nous sauver. »

Tu continues de jouer avec la petite bêbête comme si elle étaient devenue la chose la plus intéressante de la terre.

« Ce sont les choses les plus simples qui sont souvent les plus utiles. Se relever seul alors qu'on est blessé peut sembler stupide ou inutile mais ça veut dire beaucoup. Tant que tu voudras te relever je pourrais t'apprendre et tu pourras devenir fort. Si tu veux savoir, demande, je n'ai pas de tabou. »

Sur ce, tu congédies le moucheron qui se taille vers d'autres horizons, qui part vivre sa petite vie de moucheron, sa grande aventure à lui.


HRP : J'ai juste honte (surtout de la fin et des fautes)

Il n’y a pas de problème,

il n’y a que des professeurs.

Tu aimerais abandonner le masque de plénitude de Griffin et parfois redevenir féroce et invincible comme l'as pu l'être Love. Tu as perdu ce sentiment d'éternité comme si rien de mal ne pouvait t'arriver, cette foi indicible. Tes mots ont plus de sens mais ils ont oublié la conviction quasi-enfantine, magique qu'ils portaient auparavant. Néanmoins, tu dis toujours ce que tu penses du fond du cœur...

« Nous sauver de nous-mêmes. L'Homme a besoin de croire en quelque chose qui puisse le sauver tout comme petits nous avions besoin de croire que nos parents nous sauverait des monstres sous le lit ».

C'était Charles qui t'a sauvé des monstres dans les ombres, de la noirceur de la nuit et de ses bruits amplifiés et horrifiants. C'était lui avec sa tendresse impossible, ses yeux d'encres tendres qui t'ont appris à ne plus avoir peur, que tu pouvais faire ce que tu voulais. Que toutes les possibilités étaient toujours là, juste devant les yeux des hommes mais que la plupart d'entre eux avaient simplement trop peur pour voir. Tu n'as jamais vraiment cessé de garder les tiens grands ouverts depuis.

« Combien de Dieux as-tu déjà pu voir ?  Il n'y a pas d'immenses possibilités pour avoir un nouveau pouvoir. Soit augmenter de grade, soit repassé dans les mains du savant soit qu'un Dieu nous en fasse don »

Temps de réflexion, silence. Griffin, tu penses, songeur, un peu comme si tu prenais la place qui revient à ton élève. Ton esprit se perd un peu au sein des probables que tu imagines. Tu ne calcules pas, ton domaine est celui du cœur, de l'instinct pur et animal.

Tu prends le temps de l'écouter. Ton fanatisme est retombé, ta tête revient sur Terre, parmi nous. Il n'y a pas de mauvais souvenirs, de flash-back à deux balles avec une voix d'outre-tombe qui te reviennent. Mais sûrement pour la première fois depuis la mort de Charles tu as comme une envie de lui faire part de tes règles. Tu ne l'as jamais fait à personne, c'est comme un secret, une vieille boite à musique que l'on cache par nostalgie. Tu aimerais lui dire à Sohan que ta règle la plus importante c'est d'être libre, de choisir son chemin. Tu ne sais pas vraiment pourquoi c'est une pulsion qui met une étoile dans tes yeux. Une comète qui s'éteint tandis que tu reprends ton calme. Le prêtre n'a pas à sourire, le prêtre n'a pas ressentir, tu es là pour aider. D'une certaine manière tu cherches à lutter contre ton humanité.

« Tu as une grande chance. Tire enseignement de chacune de tes rencontres avec eux, réfléchis et critiques tout ce que tu vois même moi, ne te laisse pas aveugler par tes sentiments. Prends-les en compte, une intuition n'est pas mauvaise mais méfie-toi en »

Tu n'as pas annoncé ça de manière sentencieuse ou moralisatrice. Tu sais que tu es mal placé pour donner des leçons, que tu es un criminel se cachant derrière une robe de bure.

« Quand au reste, devenir fort et marcher seul est un bien joli rêve mais que comptes-tu faire pour y arriver ? »

Tu ne vas pas lui mâcher la solution et la lui donner toute cuite dans le bec. Il ne faut pas rêver, il a du potentiel comme toi tu en avais, tu ne veux pas qu'il le gâche dans de vaines « issues ». Il doit trouver, il doit faire les possibilités, ce qui peut s'offrir à lui, ce qu'il peut, pourra faire. Il faut qu'il garde les yeux grands ouverts, ses yeux d'enfants, d'humains qu'aucun sang, qu'aucune ombre ne peut salir. Les faire pleurer, les faire hurler mais pas les salir ni les éteindre.
Une fois qu'on a plus de lumière par soi-même, le noir devient à nouveau source de frayeur.
« Si tu veux t’entraîner, il y a deux manières. Si tu veux la plus difficile, on ne pourra pas faire ça ici ».

Tu as dit ça en baissant la voix, bien conscient qu'on vous écoute peut-être, bien conscient que vous n'êtes pas seuls ici et que mêmes les murmures peuvent finir en rumeurs publiques.
C'est son choix. Il fait ce qu'il veut, petit tu ne l'as toujours pas fait parce que les enfants sont ce qu'ils sont. Mais à son âge il est temps qu'il choisisse de lui-même la personne qu'il veut être.

Il n’y a pas de problème,

il n’y a que des professeurs.

Tu décides de ne pas prêter attention au fait que tu vas certainement être congédié dans les cinq minutes et t'assieds par terre en tailleur. Tu vas devoir être concis et clair. Tu vas devoir commencer ce par quoi tu aurais du commencer il y a dix ans. Mais à l'époque tu n'avais pas le courage car ce que tu vas lui enseigner c'est ce qu'on t'a appris. Il y a dix ans faire appel et ces enseignements-là, aux apprentissages de Charles se révélaient trop douloureux, trop proches de toi et du sang qui coulait et ne voulait plus s'arrêter peu importe la force de tes prières.
Maintenant cela ne va pas mieux, même dix ans plus tard et même dans cinquante ans sur ton lit de mort ça n'ira pas mieux. Pas pour toi, le temps n'a l'effet que d'un sel cicatrisant mais à la souffrance lancinante, toujours là, ne te quittant jamais, pas une seconde.
Maintenant cela ne va pas mieux mais tu es prêt. Tu es de nouveau prêt à mettre du sel sur tes plaies poisseuses de remords parce que d'autres plaies peuvent être soignées définitivement avec ce même sel.

« Pour devenir fort il faut oublier les règles des hommes »

Ce n'est pas aussi facile que cela y paraît. Il faut oublier la jalousie, les pulsions, les envies subites, les lois du marché, les règles de la séduction et de l'amitié et toutes ces fausses lois, ces règles dont on n'a pas conscience de l'existence parce qu'elles sont ancrées dans la nôtre d'existence.

« Et ensuite une fois que tu es libre, libre des autres, une fois que tu es seul avec toi-même, face à toi-même et à tes faiblesses »

Quel moment ignoble et atroce de celui-là où on prend conscience de sa solitude, de sa vacuité, de ses manques et de sa laideur. Quel moment ignoble et atroce que celui de la vérité, du miroir au reflet qui oublie le mensonge.

« Tu choisis tes propres lois. Plus d'une et moins que cinq. Elles ne doivent pas se contredire, elles doivent pallier à tes faiblesses, à tes penchants »

Toi qui étais si craintif, toi qui vivais sous toutes les règles des rues, sous toutes les règles de la mendicité, de la survie, de ne jamais lever les yeux, cela a été difficile d'être libre. Et une fois que tu l'as été cela a été plus difficile encore. Obéir à ses propres lois n'engage que soi, c'est une promesse faite au vent, on pourrait la balayer, elle ne tient qu'à nous après tout. Mais au final en oubliant ses lois, c'est nous-mêmes que nous trahissons et cette blessure ne guérit jamais car elle déchire tout, la psyché, l'orgueil, l'estime de soi, l'ambition. C'est une blessure de tout ce que nous sommes car c'est avec tout notre être dans sa solitude que nous avions fait cette promesse.

« Par exemple si tu es gourmand une de tes lois peut être d'être un ascète »

Tu as cessé de regarder Sohan en parlant, tes yeux se perdent vers des jours bien plus jeunes que tes mots.

« Ne laisse personne, pas même un Dieu et surtout pas un Roi te dicter autre chose. Je serai là pour t'aider, pour te protéger si besoin »

C'est ce que tu es. Un protecteur qui se salit les mains, un criminel pour le bien de tous, pour le bien des gens qui veulent être libres, pour qu'ils puissent le rester. Et tu ne cesseras jamais d'avoir foi en cela peu importe que le monde devienne une dictature et que le destin perde tout sens. Il y a cet enfant éternel en toi, cet enfant pour qui le mot « sauveur » est devenu sa seule ligne de conduite. Au diable les lois, au diable la légalité, au diable la courtoisie et l'amabilité. Tu les suivras si tu le veux, tu les suivras si cela te chante tu ne seras pas obligé par elles.

Mais déjà alors que tu ouvres la bouche pour ajouter quelque chose de plus concret la porte s'ouvre et Amon apparaît, te faisant signe.

Tu te relèves, ajoute presque précipitamment :

« Tu sais où me trouver si besoin. L’église de Marina ne ferme jamais sa porte »

Puis tu lui tournes le dos et suit Amon sans un regard en arrière mais tout le long sur ton visage il y a une impression marquée. Une détermination froide et tendre.