Je me garais dans l'allée de l'immeuble avec un soupir de soulagement. Au final, cette sortie qui devait s'annoncer sans problème et parfaitement sûre s'était révélée plus mouvementée que prévue,et j'avais hâte de retrouver un semblant de chez moi où je pourrai me poser et réfléchir tranquillement. Même si...j'allais avoir droit à la présence de Freyr, que j'imaginais moins discret et moins timide que F347. Comme quoi, je ne me rendais pas compte de sa valeur. Mais malheureusement c'était sa discrétion, sa tendance au secret qui l'avait poussé à agir inconsidérément et à en faire en sorte que nous nous retrouvions dans cette situation...De toute façon je n'avais pas tellement le choix...Je devais faire avec.

La divinité m'en demandait trop, falsifier des faits et des preuves, ce n'était ni dans l'intêret de Ludwig, nous dans celui de la communauté scientifique que je servais. Le dieu râla au sujet de ma punition d'une semaine qu'il trouvait trop sévère. Pas étonnant,que je sache, il n'avait jamais eu à élever qui que ce soit et il ne connaissait pas les valeurs éducatives de la punition. Lui, n'avait jamais eu de limites, pourquoi les évaluerait-il à leur juste valeur ? Il était réputé pour son envie de s'amuser, pas pour son sens du sérieux et du travail bien fait.

Cependant il soulevait un point intéressant. Si F347 n'avait pas défié mon autorité, Freyr n'aurait certainement pas refait surface. Mais pouvait-on vraiment considérer cela comme " un mal pour un bien" ? C'était du pur hasard ! Ludwig aurait très bien pu se faire renverser par une voiture et mourir ou rencontrer un destin encore plus funeste...

Il aurait pu mourir aussi. C'est juste une question de point de vue.

Mais je gardais ces pensées pour moi, cela ne servait à rien de les partager, Freyr parviendrait toujours à me narguer avec ses arguments fallacieux.  De toute façon j'avais des choses bien plus importants à faire. F347 - ou plutôt Freyr, j'avais du mal à trouver le bon terme pour distinguer l'un de l'autre....Est-ce que F347 devrait désormais désigner le corps, peu importe qui le en avait le contrôle où bien le sujet avec lequel j'avais démarré l'expérience.... Mais soit je prendrai une décision à propos de cette problématique de sémantique plus tard.

Je suivais donc docilement la divinité qui s'empressa de monter les escaliers vers l'appartemment, jusqu'à ce que mon regard rencontre une chemise verte familière - que je ramassais, puis une deuxième et je comprenais avec horreur ce qu'il était en train de faire.




Je me dépêchais de le rattraper et ce fut en arrivant au palier que je constatais l'ampleur des dégâts. F 347, en slip sur le palier, une vision désormais imprimée sur ma rétine, une vision que je n'aurai jamais voulu avoir.  Et si quelqu'un le voyait ?!  J'ai senti mon visage changer de couleur sous l'effet de la honte, décidemment, ce mec n'avait aucune pudeur

Et moi qui me plaignait de Ludwig quand il traînait en torse nu...



Je lui rendais ses vêtements de façon assez brutale avant d'ouvrir la porte d'entrée comme si ma vie en dépendait et de le pousser dedans sans lui donner de leçon sur l'utilité tellement évidente de couvrir son corps de tissu.




Je suis sûr que F347...ou Ludwig peu importe n'aurait pas apprécié de se retrouver en caleçon dans le couloir de l'entrée à la vue de n'importe quel(le) inconnu(e). J'en étais sûr. Je passais une main dans mes cheveux, moi qui croyait que la divinité serait plus dégourdie, je me trompais lourdement...Bon sang...

déclarais-je sèchement, évitant tout contact visuel avec lui.

En ce qui me concernait, je trouvais refuge dans le canapé du living-room, mon ordinateur portable sur les genoux, commençant prudemment à remplir un rapport complet de la situation.

Comment était il possible de discuter avec ....avec un dieu ? Depuis combien de temps nous observait-il, caché derrière le visage de F347 ? Et pourtant, il ne comprenait pas les bases de la société humaine ? Soit il était particulièrement idiot, soit particulièrement contrariant. J'aurai penché plutôt pour la deuxième option vu son sourire goguenard quand j'avais du le précipiter à l'intérieur pour éviter que tout le voisinage puisse se rincer l'oeil. Et le pire là-dedans c'est qu'il avait un peu raison dans le fond. Si nous recouvrions nos corps de vêtements, c'était d'abord pour éviter de prendre froid, certes ....Mais depuis le temps et avec le changement de moeurs, il était devenu impératif de couvrir son corps, que ce soit en la présence du sexe opposé ou pas. Comment était-je censé lui explique qu'on ne vivait plus comme il y a  3000 ans ?

J'aurai aimé le contredire. Mais si ce n'était pas une question de honte, alors qu'est ce que cela pouvait bien être. Je l'admettais, cela me gênait  d'avoir aperçu le corps de F347 en si petite tenue. J'avais honte à sa place. Etre nu en face des autres, c'est être vulnérable, c'est s'exposer tel qu'on est aux yeux des autres. C'est effrayant. Et  humiliant. Et pourtant d'un autre point de vue, il n'avait pas de quoi rougir. Il était...correctement formé pour ainsi dire. Pas monstrueux, juste humain. Mais tout de même se retrouver à poil dans le couloir....

Néanmoins, Freyr ne faisait pas preuve de mauvaise foi et exprima son intention de respecter cette règle, aussi saugrenue qu'elle pouvait lui paraître... pour des raisons....et bien.. au moins je pouvais dire qu'il avait des raisons.

déclarais-je sobrement

De toute façon, s'il comptait jouer les exhibitionniste, cela ne ferait qu'attirer des ennuis à Ludwig, et j'imagine que vu l'ardeur quasi religieuse avec lequel il le défendait, cela ne faisait pas partie de ses plans. F347 se rendit donc sagement dans la salle de bain, pendant que je trouvais le réconfort du canapé et que je tapais mon rapport à une vitesse folle. J'y notais tout depuis le début, mes observations ainsi qu'un résumé des dires de la divinité.

Ce rapport, je l'attachais à un mail à l'intention du directeur des opérations. Je poussais un soupir, sentant mon estomac se crisper sous l'effet de l'anxiété. J'avai s dit à F347 que les sanctions seraient pour lui mais...j'avais parlé trop vite. Je n'étais pas le seul à décider de son sort. En fait, je n'étais que le pion du comité. Et en relisant tout ça ... je me rendais compte que s'il devait y avoir des sanctions, elles seraient partagées entre F347 et moi. C'était ma faute après tout si je n'avais pas pu le surveiller correctement....une négligence de m part qui aurait pu coûter cher. Et si ce que Freyr disait était vrai, cette réaction aurait pu facilement être évitée si....si quoi ? Si j'avais agi plus amicalement, plus humainement ? Si je l'avais écouté davantage et si j'avais cédé à ses caprices ?

Mes mains étaient liées.

C'est à ce moment-là que F347 déboula dans la pièce, accompagné d'une odeur de savon et de shampooing. Il se plaignait de la qualité de des vêtements de Ludwig, mais au moins, mes rétines étaient soulagées de constater qu'il s'était bien vêtu. Mon regard quitta l'écran un instant.




Et je reprenais la relecture de mon documents, cherchant les éventuelles erreurs  ou une meilleure formulation quand l'individu se laissa tomber jusqu'à côté de moi ( mais vraiment juste à côté ) et son odeur de fraîcheur marine vint me chatouiller les narines pendant qu'il se penchait vers moi, sans le moindre scrupule. Réflexe stupide je fis mine de reculer et de tourner mon écran de sorte qu'il ne puisse pas lire ce que j'écrivais.


m'exclamais-je en lui lançant un regard assassin

Soupçonnant qu'il allait tenter une connerie comme...je ne sais pas, essayer de lire ou bien de le modifier, je finissais par me résigner à l'envoyer le plus vite possible. Et aussitôt que ce fut fait, j'avais l'impression qu'une pierre me tombait dans la poitrine. Demain nous étions censés aller au laboratoire pour des tests physiques et médicaux. Connaissant le directeur, il parviendrait à établir une réunion pour demain matin et discuter de cette situation de crise...Je me demandais bien à quel sauce j'allais être mangé. Je fermais ma session et le clapet de mon ordinateur, retenant un soupir.



Je me levais et je rangeais l'ordinateur sur le bureau, pour le recharger. Je consulterai mes mails sur mon téléphone. Je fouillais dans les poches de mon pantalon pour en sortir mon paquet de cigarette et mon briquet, et j'en mis une en bouche, déclarant :


Avant de rejoindre le petit balcon de la cuisine pour allumer ma cancerette, et la fumer en toute tranquillité.

Je prenais la peine de rappeler à F347 son programme du lendemain matin, même si je prévoyais qu'il serait déjà chamboulé par les évènements d'aujourd'hui. Et aussitôt il se mit à s'inquiéter, ce qui me rassura un peu. Au moins, il savait prendre ce genre de choses au sérieux - ce dont j'avais sincèrement douté - et enfin, ça l'empêchait de continuer à m'embêter pendant que je travaillais. Sans un sourire, mais avec une certaine fierté je lui rappelais :




Quand je lui proposais d'acheter des vêtements qui correspondrait davantage à ses goûts, son stupide visage se mit à rayonner ( métaphoriquement). Comment pouvait-on être une divinité et s'attacher à ce point à des choses matérielles ? Ca me dépassait. Et il était censé représenter une forme de sagesse et de puissance millénaire ? Plus je le côtoyais, plus j'avais des doutes. En plus je me demandais bien à quoi pouvait correspondre ses goûts. Dans ma tête j'imaginais un costume en motif léopard avec une chemise rose criarde ou pire, un costume zébré avec une chemise et des chaussures jaune fluo.

N'empêche... ça aurait aller avec la façon si étrange dont il parlait. En revanche, j'ignorais encore comment je pourrais justifier cela à Ludwig si ou quand il reviendrait parmi nous. Il s'était déjà passé pas mal de choses en son absence... Devrais-je lui avouer la vérité ou du moins une partie ? OU devais-je lui mentir, plaider la schizophrénie, faire semblant que je n'en savais rien et que je l'avais juste trouvé bizarre et changé ? Je ne savais pas encore. Avec un peu de chance, je pourrais éclaircir ce point avec la direction demain.

Quoi qu'il en soit, je décidais de faire une pause, loin de mon colocataire. Déjà avec Ludwig nous étions constamment l'un sur l'autre. Nous trouvions des petits moments de répits par ci par là, chacun de notre côté. Mais la différence avec Ludwig, c'est que Freyr était comment dire...plus indigeste.  Avec Ludwig, je pouvais me permettre de partir dans ma chambre, ou de ne pas dire un mot sans être dérangé. Je sentais que ce ne serait pas le cas avec  le nouvel habitant de F347.  Je m'en allais donc, cigarette en bouche pour rejoindre le balcon. Je m'apprêtais à l'allumer quand je remarquais que j'avais été suivi et que Freyr me rabâcha le même discours moralisateur et plein de bon sentiment que Ludwig me lançait par moment, en utilisant des grands mots.


commençais-je avant d'être interrompu.

J'allais probablement dire un truc du style " je suis grand et je sais ce que je fais" ou encore " respirer tue aussi, mais on ne m'empêche pas de le faire " ou encore plus simplement " je m'en fous". Mais toutes ces possibilités furent écartées quand une dague sortit de nulle part et prolongea le bras de F347 vers ma direction et plus précisément celle de mon visage.

Pendant un instant j'ai cru qu'il allait me couper la gorge ou me défigurer. Alors j'ai ouvert des yeux ronds et terrifiés, incapable de faire le moindre geste, fixant cette pointe de bronze dirigée vers moi et qui s'arrêta en se plantant habilement dans le bâton de tabac. Elle n'alla pas plus loin.

Bordel de merde !

Mon coeur battait vite et je me sentais mal sous l'effet de l'adrénaline.  Je n'ai même pas tourner la tête pour regarder où il la jetait. Je reculais et mes doigts se serrèrent sur le balcon en guise d'appui. Pendant un instant j'avais eu l'impression que mes jambes ne pourraient plus me porter, tellement j'avais eu peur.




Il peut faire ça...?!

Est-ce qu'il avait la moindre intention de me faire du mal ? Il aurait pu me transpercer facilement avec ça...Et son sourire innocent. Sur le balcon, j'ai soudain eu le vertige. Je venais de comprendre un truc important. Cette personne n'était pas aussi docile, pas aussi inoffensive que Ludwig. Il s'agissait de Freyr, une divinité, et bien qu'il ne soit pas renommé pour sa façon de combattre, il en avait sûrement fait des choses... A ce moment-là, j'ai réalisé que s'il le voulait, il pouvait mettre fin à mes jours à n'importe quel moment...

Mais ce qui me terrifiait le plus, c'est qu'il venait tout juste de me menacer avec une arme et maintenant l'air de rien, il regardait le paysage en souriant, en me posant des question, comme si de rien n'était. Moi de mon côté, je commençais  à peine à me reprendre, à rassembler mes esprits. Je passais mon index entre mon col et ma cravate pour la desserrer un peu et faire passer la boule que j'avais dans la gorge.




Je toussais un peu.



Il continuait toujours de pleuvoir un peu alors je rentrais à l'intérieur et je me servais un verre d'eau, me concentrant sur la tâche pour ne pas trembler.J'avalais quelques gorgées et je tentais de reprendre mon air sévère et détaché, bien que j'étais toujours un peu secoué par l'incident.

Je commençais à peine à découvrir les deux faces de F347. D'un côté nous avions Ludwig, qui remontait lentement dans mon estime par comparaison à son alter ego. Le doux Ludwig, le perdu, l'amnésique, le terroriste hippie,  le discret, le docile...Celui qui posait un tas de questions ennuyantes, et qui prenait des décisions irréfléchies et inconsidérées. Et de l'autre côté nous avions Freyr, le dieu tout-puissant qui exprimait toujours son opinion à voix haute, dans un vocabulaire relativement archaïque, Freyr le dangereux dieu au couteau, mais aussi, comme je m'apprêtais à le découvrir, Freyr le pervers sexuel.

Pas étonnant que personne n'ait voulu de ce boulot

Je me remettait à peine de la menace de la lame qui s'était trouvé dans ma direction et sous mon nez qu'il se justifia, sans le moindre scrupule. Je n'en croyais pas mes oreilles, il pensait vraiment ce qu'il disait ? Il en avait la maîtrise parfaite...encore heureux. Quand il me poignardera au moins je saurai qu'il ne l'a pas fait exprès ! Et soudainement l'idée me frappa. Et si Ludwig était capable d'utiliser les mêmes capacités que lui ? Si jamais un jour, la lame apparaissait dans sa main, comme par magie ? En aurait-il la maîtrise parfaite ? Peu importe dans quel angle je tournais la situation, ça finirait probablement en catastrophe.




Fut tout ce que je pouvais trouver comme répartie dans mon état. Oui, c'était faible, comme remarque cynique, mais je me remettais à peine de mes émotions, je n'avais pas très envie de faire le malin. Avec du recul, peut-être n'était-ce que justice ? Si je pouvais maîtriser et dominer une face, n'était-il pas naturel que l'autre fasse de même, en contrepartie ? En tout cas je n'aimais pas ça, ce sentiment de faiblesse et de peur.

Il s'approcha soudainement de moi et je reculais aussitôt. Non. Je n'avais pas confiance. Il pouvait faire sortir son arme à tout moment. Il pouvait m'ouvrir la gorge et partir. Et pourtant ce fut sur un ton vaguement attristé qu'il m'accorda un dernier petit sermon que j'écoutais une fois de plus, surpris par la vacuité de son contenu.
Corriger mes erreurs ? C'était impossible. Je ne serai jamais pardonné. Pas par Chiyo, pas par sa famille, ni par la mienne, ni même par moi. Par personne. Je l'avais humiliée. Je l'avais trompée. Je  lui ai fait perdre confiance en elle, en moi, en la race humaine. Et ce genre de blessure ça ne se répare pas. Peut-être que dans 10 ans, quand elle sera installée avec l'homme de ses rêves elle se dira que ce n'était pas une mauvaise chose, que sans ça, elle ne l'aurait pas trouvé. Mais moi je suis presque sûr que lorsqu'elle pensera à moi, ce sera avec douleur, haine, et dégoût.

Quant à mes convictions ...Je n'en ai jamais vraiment eu. J'ai toujours suivi ce qu'on attendait de moi dans la plupart des cas. Comment peut-on garder ses convictions intactes dans un monde comme le nôtre ? Je ne suis pas inflexible, je ne suis pas un croyant, pas comme Ludwig qui était prêt à assassiner des millier d'innocents pour sa cause. Et quand à ma force, je me demandais bien de quoi il pouvait parler, car là tout de suite, je n'en menais pas large.

J'abandonnais l'idée de lui répondre. Je n'avais rien en stock. Je lui aurai bien dit de la fermer, mais je devais garder mon sang-froid et mon apparence détachée. Et si je voulais le contredire, je devais lui donner des informations personnelles, et il pouvait toujours courir pour les avoir.

Je poussais un simple soupir de lassitude, avec un peu de chance, il comprendrait ce que je voulais dire.

Je pouvais toujours rêver. Poussé par une impulsion soudaine, il m'attrapa par les épaules et me traîna vers la porte. De toute évidence il voulait absolument faire un tour au strip-club du coin de la rue, ce n'était qu'un prétexte pour y aller. Et moi bien sûr, j'étais obligé de le suivre, cela faisait partie de mon contrat. J"aurai pu lui dire que c'était une mauvaise idée vu ce qui nous attendait demain, mais il ne m'aurait pas écouté. J'ai juste eu le temps de prendre ma veste et mes clés, que nous étions déjà partis.