Des images floues, une paire de mains déposant un boîtier avec une espèce d’horloge tout contre une paroi. Tu ne sais pas de quoi il s’agit, tu ne sais pas où tu es, mais cette scène te paraît étrangement familière. Tu entends des cris, tu aimerais te retourner, mais ton regard se tourne vers une main qui se pose sur l’épaule. Tu aperçois un sourire, mais ce visage est flou aussi, les voix sont lointaines, méconnaissables. Et tu te retournes en te levant, sentant ton coeur s’emballer violemment, tandis que tu entends vaguement une mise en garde. C’est étrange, tu ne sais pas pourquoi, mais tu dois fuir, fuir loin d’ici.

Et tu cours… Tu cours sans t’arrêter… Et tu tombes… C’est le noir, le néant…




Une autre voix, celle-ci m’est familière, sans que je ne sache qui en est le propriétaire, mais elle me rassure, masculine et douce à la fois. L’image d’un homme aux cheveux d’or, à semi-vêtu, ne se protégeant l’appareil que d’un drap, m’apparut, dévoilant des muscles saillants sur tout son corps, une aura brillante et une prestance royale, non, que dis-je, divine, alors que mes yeux étaient encore clos. Ma conscience revenait lentement, oubliant toutes ces chimères qui hantaient chacune de mes nuits, pour finalement les abandonner aux songes, revenant lentement à la réalité qui était comme un autre monde. Je baillais paresseusement et ouvris un oeil pour jeter un oeil sur le radio-réveil qui affichait une heure pas trop tardive, 08:06.

Mon visage replonge dans l’oreiller dans lequel je suis affalé, sentant une soudaine envie de me rendormir. mais la nécessité de ne pas faire de grasse matinée me rappelle et me fait rouvrir les yeux lentement, décollant les paupières avec difficulté pour jeter un oeil au store entrouvert qui laissait pénétrer les rayons du soleil par les petites interstices, créant des pointillé lumineux sur mes draps. Je me retourne sur le dos et m’étire. Seul souci, j’étais au bord du lit et ce geste n’eut pour effet que de m’entraîner dans une chute inévitable dans un bruit fracassant contre le sol, suivi d’un “Aïe !” distinctif qui prouvait que je m’étais cogné les coudes, la tête et le dos contre le plancher. La matinée démarrait bien…

Descendant les escaliers , tout nébuleux, marche par marche, lourdement, je me grattais le nombril en baillant, tandis que je me présentais dans la cuisine encore somnolant, comme si j’étais arrivé ici à l’aide d’un radar. Mes paupières refusaient encore de s’ouvrir face à la luminosité du jour qui éclairait tout l’appartement, à cet étage, mais mon regard passait néanmoins par moment à travers une courte ouverture pour me repérer, notamment pour éviter de me prendre les pieds dans les meubles, parce que comme d’habitude, je me trimballais pieds nus… En fait, j’étais toujours vêtu du plus petit apparat, torse nu, avec un simple pantalon de pyjama, parfois un jogging quand il faisait froid, mais je ne supportais pas de dormir avec un haut. Il n’y avait que quand il faisait froid, en hiver, et encore, l’appartement était bien chauffé quand même, où j’enfilais une veste polaire pour me tenir chaud.

Ma tête brinquebalait contre mon torse lentement et j’ouvrais enfin les yeux, un oeil en tout cas pour regarder mon colocataire et, d’une voix pataude, j’articulais entre des tons parfois aigus, parfois graves, la voix enrouée, un bon vieux :



Qui ne voulait rien dire. Mais mon cerveau n’était pas encore en route, et c’était bien difficile de devoir faire sans. Mais que voulez-vous…

J’attrapais une tasse et me servis du thé dedans, pour l’accompagner avec les tartines de pain rassis de la veille sur lesquelles j’avais appliqué une bonne couche de beurre et de confiture de fraises. Ce n’était pas trop sec, et ça passait encore mieux trempé dans le liquide chaud, bien que j’avais une tendance à m’en mettre partout sur le menton mal rasé, barbe naissante oblige. Tant pis, les serviettes étaient là pour ça. Ainsi, je prenais le temps de me réveiller, appréciant le silence de mon compagnon jusqu’à ce que j’engage la conversation d’une voix moins endormie :



Que me réservait mon Doc’ préféré aujourd’hui ? Une tournée au labo pour voir s’il y avait des progrès ? Des progrès de quoi ? Je n’en savais rien, peut-être pour retrouver la mémoire, mais j’avais plutôt le sentiment que ça ne s’arrangeait pas avec le temps, comme j’avais tendance à avoir des absences depuis le début des expériences… Et puis… Je me demandais ce qu’était cette voix, mais si je lui en parlais, il me prendrait sans doute pour un fou.

Je jetais vaguement un oeil sur les gros titres du journal qui me masquait en partie la vue de mon colocataire, reprenant une gorgée de la boisson chaude, alors que j’interrogeais sur le programme de la journée, en attente d’une éventuelle réponse.  Et la réponse tomba rapidement, me décrochant de ces titres que je lisais sans faire attention, la lui offrant toute entière en levant le regard sur lui. J’aurai donc droit à une séance de questionnaires informatiques, passionnant. Je ne comprenais pas l’intérêt d’un tel exercice, mais bon… Il parait que c’était ainsi qu’on arrivait à déterminer un profil. Bon, ça restait sur le même thème concernant mon sujet, mais je ne connaissais en général pas les résultats… Ou alors ça restait vague, et de mon côté, je ne voyais pas vraiment d’amélioration quant à mon état, ce qui commençait à me lasser. Mais une chose m’agaçait de plus en plus et ce matin, je me décidais à ne pas laisser passer...



Ingurgitant une nouvelle gorgée, je faisais une mine boudeuse m’attendant à une explication quand à son comportement distant vis-à-vis de moi. Mais il ne devait pas comprendre ce sentiment que je ressentais : Sans mémoire, je me retrouvais seul dans ce monde, cobaye d’expériences dont je ne comprenais pas vraiment la finalité, avec interdiction, pour l’instant, de rechercher toute trace de mon passé, comme il disait, dans le but que je cherche de moi-même au fond de mon âme les éclats de mon passé éparpillés. Mais qu’est ce qui était le plus sain, finalement ? Que je reste dans l’ignorance de ce que j’étais, dans le doute d’un passé douloureux, criminel, avec peut-être une famille, une femme, des enfants, qui m’attendaient peut-être dans un chaleureux foyer ? Je n’arrivais à imaginer aucune des ces versions de ma possible vie précédente.

Laissant de côté le reste de mon petit-déjeuner, comme j’étais un peu vexé par son entêtement à conserver cette perpétuelle distance qui me mettait mal à l’aise, je ne lui accordais pas de regard et répondais à sa question avec ce ton boudeur :



Mon ton avait baissé, et mon regard un peu assombri, comme attristé, perdant espoir de retrouver cette mémoire qui me faisait défaut. En fait le doute me faisait marmonner ce genre de questions qui, j’avais l’impression, restait dans un éternel tourbillon de rêve inaccessible…



Et plus j’avançais sur ce chemin, plus je me demandais si j’avais envie de la retrouver. Au début, ça m’avait paru évident. Mais ne sachant pas ce qui m’avait fait oublié, je commençais à douter : Et si c’était voulu ? Et si on avait intentionnellement voulu me faire oublier ? Ou me faire taire ? Etais-je victime d’un complot ? Et puis cette voix ? Peut-être que j’étais un fou sorti d’un asile ? Mais pour penser ainsi, c’est que je ne devais pas tant l’être. Je commençais déjà à me torturer dès le matin… Je crois que je fais une dépression.

Évidemment, c’était prévisible comme réponse, ne pas s’attacher à son cobaye… Dans le doute où l’expérience foirerait. Cela coulait de source, et pourtant, j’avais comme mal au coeur en entendant sa réponse, comme si on venait de me transpercer avec une aiguille, lentement, enfonçant les mots pour être sûr que ça rentre bien. D’où la raison de mon agacement à ce moment, lui tournant consciemment la tête pour faire mine de l’ignorer. Cela faisait combien de fois que je lui avais demandé de me tutoyer ? A force je connaissais la mélodie, mais je ne perdais pas espoir, ce vouvoiement me gênait. Je me sentais seul et isolé, et ce n’était pas arrangé avec mon confinement. Car entre le temps que je me rétablisse, les différents tests de réhabilitation ou la rééducation, et mon refus à faire mon entrée en société directement, à cause d’une peur dont je ne connaissais pas vraiment la provenance, peut-être était-ce du regard des gens, je n’avais pas encore véritablement fait le premier pas parmi la population, ne côtoyant finalement que les scientifiques qui travaillaient sur mon sujet, principalement Takehiro.

Mais depuis tout ce temps, sans communication, car même s’il n’était pas particulièrement désagréable, je sentais que mon colocataire ne me disait pas tout, ou avait franchement des problèmes de communication. Je ne connaissais pas la finalité véritable de ces expériences, pas vraiment les résultats, à part qu’on me traitait comme si j’étais un gamin. J’avais pourtant des résultats relativement positifs, au début ça m’amusait, j’en étais fier, mais aujourd’hui je me décourageais de n’avoir aucune véritable amélioration, maintenant que j’étais revenu à une potentielle stabilité psychologique.

Et puis ces paroles, c’était celle qu’on donnait sans vraiment prêter attention à l’appel qu’il y avait derrière, l’appel au secours, la peur, l’obscurité, l’ignorance. Avoir la foi… C’était pour ceux qui ignoraient justement, il fallait croire en quelque chose dont rien nous prouvait que ça marche, c’est merveilleux. Comment déposer sa confiance en quelque chose de si peu stable… Super. J’esquissais un sourire ironique et évita soigneusement de lancer une pique sur le sujet, pour ne pas envenimer les choses. J’avais beau être naïf, il ne fallait pas non plus me prendre pour un con…

Je détournais simplement le regard, abandonnant mes tartines et le reste de mon thé sur la table, posant ma main sur la bouche d’un air pensif et opinant simplement :



Finalement, ça m’énervait et je me levais en prenant ma tasse, versant le reste au fond du l’évier, la déposant dans le bac sous réserve de nettoyage, et, concernant les tartines, je les rangeais dans le frigo, au cas où une fringale me prenait dans la journée, j’aurais de quoi grignoter. Cependant, il m’annonça que nous sortirons cet après-midi. Surpris, l’assiette me glissa des mains pour se fracasser lamentablement au sol, les tartines tombant côté de la confiture, évidemment, me laissant sans voix pendant quelques secondes, réagissant limite trop brusquement à ma maladresse en me confondant en excuses, tremblant un peu à cause de la perspective soudaine de me retrouver au milieu de gens inconnus, pour peut-être franchir un pas dans les retrouvailles avec ma mémoire.



Précipitamment, je ramassais les morceaux de porcelaine qui s’était répandu, jetant la nourriture à la poubelle en passant, mais d’un geste malhabile, un bout vint ouvrir mon épiderme, laissant passer quelques gouttes de sang dans une exclamation douloureuse, tandis que je rétractais mon bras pour attirer mon doigt blessé à ma bouche, dans l’espoir que ça le soignerait, ou tout du moins pour soulager la douleur. Je me sentais tout con, et pourtant, j’étais perdu dans mes réflexions sur cette nouvelle qui me perturbait plus qu’autre chose. je n’était pas contre, juste que je n’étais peut-être pas encore prêt à affronter la société, ou bien il fallait m’y obliger ?

Les doutes m’assaillaient : Et si des “amis” me reconnaissaient alors que moi je n’avais aucun souvenir d’eux, comment devrais-je réagir ? Quelle sera ma réaction dehors ? Et si j’étais un misanthrope ? Et si je devenais incontrôlable ? La panique commençait à s’insurger en moi et je déglutis avec difficulté, perdant mes moyens. Pourtant, je devais franchir le pas… Il n’avait pas tort mais… J’avais peur de ce que je risquais de découvrir.



Plaquant ma main sur la bouche, surpris par cette exclamation soudaine, avec une voix autrement différente de ma normale, c’était sorti tout seul, sans que je ne le veuille. Enfin je ne savais plus trop, c’est comme si j’avais eu un blanc et mon cerveau aurait pris le contrôle pour m’imposer cette “promenade”. Je pâlis légèrement, et pourtant, je ne me défilais pas, me détournant, honteux de cette suite incompréhensive d’actions. Mais je comptais bien me rattraper avec ma voix normale, cette fois, surpris d’avoir pu avoir, l’espace d’un instant, articuler d’un autre ton, plus enjoué, plus confiante :



Je ne comprenais pas trop ce qu’il se passait, mais tant pis, peut-être que ça me ferait du bien ? Oui, sans doute. Je relativisais, souriant maladroitement, avant de me diriger vers la salle de séjour, dans laquelle aurait lieu les tests, d’un pas lents en lui demandant :

Pourquoi à chaque fois que j’essayais de faire un pas en avant dans la sympathie, il reculait de trois pour me refroidir un peu plus ? Je fis une moue blasée et lui répondis du tac-au-tac :



Mais bon, c’était plutôt une réflexion personnelle et je n’en attendais aucun commentaire. J’étais un peu déçu de ce genre de réaction, et le sentiment de solitude ne faisait que se renforcer, alors que j’aurais juste voulu avoir un brin de conversation pour me motiver à subir un énième questionnaire dont finalement je n’obtiendrais pas de résultats. Par moment, j’avais envie d’utiliser la technique du pifomètre, mais bon, il parait que c’est très sérieux, donc… Mais là, aujourd’hui, la journée avait mal commencé.

Le regard vide, je laissais l’ordinateur se faire déposer devant moi, alors que je m’installais au bureau, et je poussais un profond soupir en voyant l’intitulé qui ne m’aidait franchement pas à me motiver. En fait… J’avais le sentiment de l’avoir déjà fait et refait, mais j’imagine que c’était pour évaluer s’il y avait une évolution dans le temps. Je poussais un profond soupir et la tête posée sur une main, je commençais à cliquer vaguement sur les réponses, et à taper une à une les lettres avec mon index dans un geste de lassitude. Parfois, il y avait des vidéos, devant lesquelles je m’égarais, comme un élève qui en avait marre d’écouter son prof en train de déblatérer son cours, préférant s’évader dans ses rêves. Mes réponses seront peut-être faussées, mais peu m’importe… En fait, ça lui donnera peut-être une raison de communiquer un peu plus ?

Deux heures passèrent, j’avais les yeux rougis par l’effort visuel dès le matin, la fatigue morale qui n’aidait pas pour le coup, vu que j’avais une baisse de tension sur ce sujet, et en plus, je me triturais les méninges sur le fait de devoir sortir. Je me les frottais nerveusement et me levais en marmonnant :



Je le rejoignais sur le balcon, sur lequel je le surpris en train de fumer. Le réflexe fut direct, quitte à me prendre une claque, je lui sifflais le bâtonnet d’entre les lèvres pour l’écraser sans vergogne dans le cendrier, en le réprimandant :



Quoi, j’étais de mauvaise humeur ?! Non, mais j’avais mon mot à dire quand même. Sans en dire davantage, je rentrais dans l’appartement, avec le cendrier pour le vider dans la poubelle, la sortir pour la mettre à l’entrée, en prévision de la descendre lorsque nous sortirions. Je m’en fiche pas mal qu’il dise quoi que ce soit sur la cigarette, sa désinvolture à ce sujet, alors qu’il ne manquait pas une occasion pour m’engueuler dès que je faisais une connerie, m’exaspérait. De toute façon, avec tout ça, il n’y avait rien pour me mettre de bonne humeur. Aussi, me servant un verre de lait dans le frigo, je m’installais dans le canapé sans plus de cérémonie, plongé dans mes pensées, la mine boudeuse.

Toujours le même ton, cette distance qui me fait froid dans le dos… Je commençais à le connaître, mais il me semblait qu’il y avait toujours cette barrière infranchissable, un fossé que je voulais franchir, mais qui s’élargissait pour m’empêcher de sauter. Et pourtant, ma curiosité me poussait à franchir le pas. Qu’est ce qu’il y avait chez lui qui l’empêchait d’agir naturellement ? Jamais il ne flanchait, il était un exemple de travailleur, à toujours être concentré, mais je me demandais si un jour il n’allait pas craquer à cause de la pression. Il avait beau agir comme un robot, sans sentiment, il restait humain, avec ses faiblesses. Et même s’il essayait de les masquer, je pouvais percevoir que parfois, mon comportement l’agaçait, bien qu’il soit plutôt ravi de mes résultats aux examens. Les idées avaient commencé à germer en ce sens…

Je sirotais mon petit verre, me recroquevillant, genoux contre mon torse, tandis que mon bras libre les enlaça, d’un air pensif, j’écoutais vaguement ses remarques, haussant les épaules. Mais finalement, je me remémorais ce qu’il m’avait dit avant, et j’avais envie de rire, nerveusement. Ca commençait sérieusement à m’énerver, que je joue les petits toutous dociles, sans aucun retour, moi je ne suis pas une machine et mon moral est instable. Savait-il deux secondes ce que ça faisait de ne rien savoir sur soi ? Je ne savais même pas qui étaient mes parents. Avais-je des amis, quand j’étais petit ? Quel genre de bêtises je faisais ? Est-ce que j’avais de bonnes notes ? Et ai-je toujours eu ces cheveux blancs ? Des petites questions stupides, sans doute, mais on ne me dit rien. J’avais ma date de naissance, mon lieu aussi, mais c’était tout et cela n’était que des chiffres, il n’y avait aucun souvenir en lien, comme une fête avec des copains, des gâteaux ou des cadeaux… Quel genre de gamin j’avais pu être ? C’était comme si j’étais mort en fait… Et que je renaissais grand, sans passer par la case départ.

Le problème c’était que je savais qu’il y avait eu quelque chose avant et je n’arrivais pas à avancer sans savoir ce qu’il y avait derrière moi. c’était une recherche de mes origines, c’était comme inscrit dans les gênes humains que de connaître son passé. Nous avions cette capacité qu’était la mémoire, et moi, j’en étais privé, comme handicapé, dénudé d’une histoire. Comment s’intégrer dans une société sans être “normal” ? Je n’étais aujourd’hui qu’un cobaye…



Cette fois, j’étais franchement énervé, en fait, de me rendre compte que je n’étais qu’un vulgaire cobaye, c’était mon âme humaine qui en prenait un coup. J’étais déjà affaibli par la perte de mémoire, mais en plus je ne représentais qu’un cobaye, moins qu’un homme, pour la seule personne avec qui je communique à peu près normalement, avec qui je me sentais un minimum à l’aise, même s’il paraissait froid, il s’était montré… très professionnel à essayer de trouver des solutions pour m’aider. Mais qui aidait le plus l’autre finalement ? Je ne sais plus, je me sens…

Me levant brusquement du canapé, déposant le verre vide sur la table du salon, je dégageais de sa vue, le fusillant un coup du regard, pour aller me laver, me débarbouiller docilement, bien que je voulais lui montrer combien ses paroles pouvaient être blessantes, à essayer de se venger, alors que… je voulais juste penser un peu à la nocivité de la cigarette, pour lui, comme pour moi. Je montais les marches pour rejoindre ma chambre, sortir du linge qui me permettrait de me changer, une fois lavé, et je m’enfermais une bonne demi-heure dans la salle de bain, commençat par un bon rasage pour continuer sur une simple douche qui nettoya aussi bien mon corps que mon esprit pour quelques temps, en passant la tête sous l’eau. Mes msucles se détendirent sous l’effet du jet d’eau chaude dégoulinant sur ma peau blanche, tandis que mes cheveux serpentaient sur mes épaules, que je regardais d’un air mélancolique, me demandant si j’avais possédé avant une autre couleur de cheveux. Je m’étais demandé s’il n’existait pas une photo de moi, quelque part d’avant mon accident, mais ça semblait ridicule, car c’était comme si j’avais disparu des archives, comme mort, si j’en croyais les scientifiques. Aucune trace de ma vie précédente…

Je pris une profonde inspiration et sortit de la douche pour m’essuyer, abandonnant la serviette sur mes cheveux pendant que je revêtais une chemise d’un vert pastel, une paire de chaussettes noires, un caleçon blanc, et agrémenter avec un pantalon gris. Me regardant dans le miroir, alors que je séchais lentement mes cheveux devenus trop longs par peur de rencontrer un coiffeur, je souriais de nouveau et soupirais. Ca ne m’allait pas si mal, mais… les questions demeuraient. Qui suis-je ? la réponse n’était pas simplement Ludwig Frey Eberhart. D’où venait ce nom, ces prénoms ? Qui en était à l’origine ? j’avais beau cherché, il n’y avait rien.  Je finissais même à parler tout seul :



Mon regard baissa. Et finalement, je me retournais, contrarié de rester sans réponses, pour sortir de la salle de bain et redescendre au salon pour savoir ce qu’il en était des résultats des tests. Je continuais machinalement à me sécher les cheveux, mais je voulais voir ce que ça donnait des résultats faussés, savoir s’il réagirait. Sait-on jamais. A moins qu’instinctivement je donnais les bonnes réponses ? Je le saurais bien assez vite. Quoi qu’il en soit, ma nervosité était retombée et je m’approchais pour regarder l’écran au-dessus de son épaule en lui demandant :

J’avais l’impression de l’avoir surpris en train de se toucher devant un film porno, tant il réagit vite à cacher les preuves de son éventuel forfait. D’ailleurs, il n’hésita pas à me faire des remontrances, comme s’il avait quelque chose à cacher. Mais sincèrement, je ne comprenais pas cet engouement à vouloir me cacher les résultats de mes tests, en attendant la fin de l’expérience. Quand celle-ci aura t’elle lieu? Cela voulait dire qu’il n’y avait aucun résultat, c’était ça ? Que j’étais une expérience ratée ? Et si c’était vrai, que deviendrais-je ?

D’une mine boudeuse, je me retournais en haussant les épaules tout en lui signifiant d’un ton nonchalant, alors que je m’affalais de nouveau sur le canapé :



Je ne pouvais vraiment rien faire finalement. je me demandais si mon ancien moi aspirait tant à être curieux de la sorte, mais j’imagine que malgré la perte de ma mémoire, mon être était entièrement là, mon caractère ne pouvait pas avoir changé, il restait graver dans ma peau.

Quoiqu’il en soit, il se refermait aussi rapidement qu’une huître lorsqu’on l’immergait sous trop de pression, et ça ne me plaisait pas qu’il m’ignore ou me méprise à ce point. Ne représentais-je donc pas un être humain à ses yeux ? C’était avilissant… Au début, cela me semblait très clair, de toute évidence, je n’avais pas le choix, mais j’étais entièrement concentré sur l’espoir de recouvrer la mémoire. Aujourd’hui ce n’était plus le cas, l’espoir se perdait et la crainte prenait sa place. Etait-ce lié à ces rêves dont je ne gardais pas de souvenirs ? Et il y avait cette voix que j’entendais aussi… Etait-ce un signe ? Mais c’était un peu le dernier de mes soucis, finalement..

Levant l’oreille sans le regarder, trop occupé à me ronger les ongles nerveusement, allez savoir d’où vient cette sale manie, je l’écoutais me demander de recommencer le test. Et lentement je tournais la tête pour le regarder, mais nos regards ne se croisèrent pas, comme s’il… culpabilisait ? Je ne savais pas trop. Mais peut-être que cela venait du fait qu’il ait fermé l’ordinateur sans sauvegarder, du coup les données auraient été perdu. Super, deux heures de perdues pour rien. Je soupirais en me levant dans un effort et me gratta la tête d’un air désabusé en opinant du chef.



Pour ce que j’avais répondu… Si ça se trouve c’était peut-être en rapport avec ça, mais il ne voulait rien dire. Pas la peine d’espérer une réponse, de toute façon. Aussi, je m’installais à sa place, de nouveau devant la série de questionnaire que je venais de faire. Mais avant de commencer, je pivotais sur la chaise et lui demandais innocemment :



Quitte à jouer sur les mots… Non, mais la journée avait mal démarré, je n’étais pas particulièrement enclin à coopérer. Et puis, ce n’était qu’une réponse à son ton distant. Je ne digérais plus, le “cobaye” reprenait peu à peu de son humanité. D’ailleurs, en attendant sa réponse, je tournais sur la chaise comme un gamin en train de s’amuser, peut-être à l’énerver, mais ça m’ennuyait. Et de cette désinvolture, je demandais, comme une question à moi-même, mais à haute-voix, espérant obtenir une réponse de n’importe qui que ce soit :



Je commençais sincèrement à me poser des questions. Mais bon, c’était surtout pour savoir si j’étais plus évolué qu’un rat de laboratoire. Sinon, moi je veux bien courir dans un labyrinthe pour retrouver le fromage, c’est équivalent. Pour l’instant, je me cogne aux murs, peut-être qu’il pense qu’à force, je trouverais le chemin ? Je ne sais pas si je dois l’en remercier.

Porté par mon imagination, je glissais lentement sur un nuage, le regard dans le vide, continuant à tourner, en attendant d’avoir mon questionnaire, et lorsque je pus enfin y accéder, je répondais pas plus sérieusement qu’il y a une heure. Je voulais voir quelle serait sa réaction. De toute façon… Je ne connaissais pas les résultats, et je ne comprenais pas où ça menait. j’en avais assez de rester dans l’ignorance.

Bien sûr, physiquement j’étais un humain, mais est-ce que la considération ressentie correspondait à cette soi-disante équité ? Pourquoi je me posais la question finalement ? Cette absence de mémoire, cette situation… me semblait trop lointaine de ce à quoi il me semblait aspirer. J’étais enfermé ici, dans une cage dorée, tenu en laisse et éduqué par un homme qui avait tous les pouvoirs sur moi. Je ne me sentais pas inhumain dans le sens de l’extraterrestre ou créature imaginaire, mais plutôt un sous-homme, un chien, un rat ou un cobaye, c’était tout du même genre. J’esquissais une grimace et ignora sa réponse qui ne m’avait enlevé aucun doute.



Ça restait vague, je déblatérais sans doute des paroles qu’il ne comprenait pas, ou il s’en foutait, ce n’était pas des questions existentielles pour lui, après tout, un rat de laboratoire n’avait que faire de se poser des questions telles, il subissait les expériences sans se plaindre et puis c’est tout. Je devais me réduire à ça, au “silence”. Allez, Ludwig, réponds à tes questionnaires et sois sage. Ouais, voilà, un gamin…

Malheureusement pour ce cher scientifique, je suis un humain, et j’ai bien envie de renvoyer la balle. Pourquoi ne ferais-je pas ma propre petite expérience? D’une certaine façon, cela pourrait même s’avérer intéressant pour lui de constater des changements dans mon comportement, si coopératif jusqu’à maintenant. Le facteur “humain” n’était pas qu’une simple algorithme, lui prouver que peut-être ses foutus questionnaires ne menaient à rien pourrait le faire réfléchir à ses objectifs. Et puis après tout… Avec lui, qu’est ce qui ne ferait pas foirer son expérience ? A force… j’avais juste envie de tenter le coup. Tout bouleverser pour faire bouger les choses. Ouais…

Pendant que je répondais aux questions, mon cerveau cogitait sur ce plan, cette idée saugrenue que de perturber les résultats pour obtenir des réponses, ou au moins une réaction. Car la coopération n’allait que dans un sens jusqu’à maintenant, j’étais trop timide et candide pour réclamer, mais il me semblait que ça allait trop loin et rien que sa réponse à une stupide demande de tutoiement m’avait motivé à ne plus jouer à ce petit jeu en solitaire. A mon tour de tirer les cartes. Qui sait, peut-être arriverais-je à faire un échec et mat ? Je me contenterais d’un échec pour l’instant, on verra bien.

Une bonne heure passa, je ne sais plus trop. Quoi qu’il en soit, je m’étirais longuement sur ma chaise, après avoir cliqué pour envoyer les résultats sur la session de mon colocataire, et je me levais pour le retrouver dans la cuisine et lui signaler que j’avais fini la série, avec un sourire satisfait, qui ne signifiait pas forcément ce qu’espérait Takehiro. Tant pis. C’est là qu’il me proposa de manger. Surpris, je hochais la tête, hésitant un instant, mais j’étais de bien meilleure humeur, et avec tant d’envie de changement, que je me sentais capable de déplacer des montagnes.



Il me l’avait montré il y a quelques temps déjà, et on en refaisait régulièrement, comme ça paraissait simple à faire, et puis… J’avoue que j’adorais ce style de plat. C’est sûr que je ne me souviens pas en avoir déjà mangé auparavant, mais il n’y avait aucune nostalgie, par rapport à certaines choses qu’il m’arrivait de faire, comme une sensation de déjà-vu. Comme la fois, il avait fait de la viande, ou du poisson, le sentiment d’écoeurement qui m’habitait lorsque je voyais les tranches frémir dans la graisse de la poêle, dégageant tout de même une odeur alléchante, mais de savoir d’où venait la nourriture, j’avais carrément des nausées. On en avait déduit que j’étais végétarien, mais j’arrivais à manger des oeufs et du lait.

Me servant dans le frigo, je pris six oeufs et deux tomates. je mis à cuire le riz avec du dashi pour parfumer, et je battis les oeufs après les avoir cassé maladroitement et récupéré les coquilles qui étaient tombées dedans, ajoutant un peu de sel, du poivre et de la ciboulette. J’avais beau avoir perdu la mémoire, l’avantage c’est que je mémorisais plutôt bien ce que je voyais, et puis à force de me l’avoir répété, j’étais capable de le faire tout seul, maintenant. Enfin, il fallait que je le prouve… Je commençais à mettre à cuire l’omelette, et pendant ce temps, je coupais les tomates en petits morceaux que je mélangeais au riz une fois cuit. J’ajoutais à cela quelques cubes de tofu, pour éviter de mettre du poulet, il m’avait expliqué que le traditionnel omurice se faisait avec de la viande, mais bon… il fallait s’adapter au goût de chacun. Le mélange fut versé sur l’omelette et celle-ci plié en deux pour laisser mijoter quelques minutes. Il me semblait que c’était tout bon. Je ne sais pas s’il m’avait observé tout du long, et s’il approuvait ma manière de faire, mais je m’essuyais le front avec la manche d’un nouvel air satisfait, pensant que j’avais réussi pour la première fois à cuisiner quelque chose.

Installant les assiettes sur la table, avec les couverts, le pain (vive la France ! ) et l’eau, je divisais la recette en deux, en espérant que c’était équitable, et l’interpella :

Le mot se répétait dans ma tête, inlassablement, comme un douce mélodie…

Omuraisu…

Un petit plat tout simple correspondant à mes besoins, si l’on retirait l’un des ingrédients qui me déplaisait. Pour ma part, je n’avais pas souvenir d’avoir goûté la viande depuis mon réveil, la simple vue m’écoeurait. Auparavant, je devais être végétarien, ou alors avoir un vécu particulier vis-à-vis de la viande, je ne savais pas trop.

Quoiqu’il en soit, je goûtais avec appréhension ce que j’avais préparé, après avoir souhaité le “bon appétit” traditionnel, parce que même si je l’avais cuisiné avec confiance, j’étais moins sûr du résultat. L’aspect restait à peu près potable, bien que j’étais loin de la réussité de Takehiro, mais pour une première, il ne fallait pas être trop exigeant. J’avais préféré mettre le point sur le goût, mais, par politesse, je n’avais pu y goûter avant d’avoir fini, d’avoir servi même. Et j’attendis le verdict de mon vis-à-vis, alors que je dégustais la saveur à mon tour. Il avait beau employé un ton neutre, je baissais le regard et rougis irrémédiablement, fier d’avoir pu réussir un premier pas vers l’indépendance. Je préférais nettement faire ce genre de choses plutôt que ces foutus questionnaires qui ne me donnait aucun résultat.

Profitant de la présence du ketchup sur la table, j’en ajoutai à mon tour sur ma part, pour agrémenter un peu, rehaussé le goût un peu fade d’un tel plat, puisque j’étais resté sur du basique sans ajouter d’épices. Je n’étais pas assez à l’aise encore avec tout ça, mais ça viendra peut-être avec le temps. J’achevais mon plat en essuyant mon assiette à l’aide d’un bout de pain, tandis que mon colocataire se levait en m’indiquant que nous partirons une fois que je serais prêt. Ouais, mais… il faut tout ranger encore… On ne va pas laisser ça comme ça. A moins que je n’essayais de retarder notre départ, la nervosité me prenant à la gorge. Je n’étais pas prêt, alors pourquoi ces mots étaient sortis de ma bouche ? Je ne comprenais toujours pas...



Je sursautais. Oui après tout… Qu’est-ce qui pourrait m’arriver ? Je souriais nerveusement et hochais la tête en rangeant les couverts dans le lave-vaisselle. je rangeais le pain, le ketchup et le reste pour laisser une cuisine en état. Mes mains tremblaient tout de même, mais je devais arrêter de fuir, de toute façon je n’avais plus le choix.

Remontant vite fait dans ma chambre pour chercher ma veste, mes pensées étaient toutes tournées vers les différentes possibilité que cette sortie foire. Je ne savais pas pourquoi, il n’y avait pas de raison, mais, j’avais comme un pressentiment. Et puis cette voix tournait et se retournait dans ma tête, au point que je trouvais cela normal, comme si c’était mes propres propos.



Elle me rassurait.

Je redescendais d’un air penaud, tirailler entre la crainte et l’effort de prendre sur moi pour tenter. Je mis mes chaussures et lança enfin un regard un peu perdu à Takehiro :



Un lieu calme, je vous en supplie.