C'était dans les mêmes vêtements froissés que ce matin que je prenais la route, Freyr à mes côtés, toujours bien éveillé.  Tout s'était passé très vite en une journée. Ca avait commencé avec ce rêve étrange à propos de Liam, ce rêve qui lui m'avait froissé l'esprit.  Ludwig devenait incontrôlable et Liam me cassait les... pour avoir une interview avec la divinité. Tout cela n'avait rien de très professionnel, je m'en doutais, mais il était mon supérieur, et un vampire et je ne pouvais plus lui dire non très longtemps. Les choses évoluaient rapidement, trop rapidement, et pas forcément dans la bonne direction. Dans ce genre de situation, il faut prendre des décisions rapidement et prier pour que ce soit les bonnes. Et j'avais un doute qui me serrait la poitrine en conduisant Freyr vers le laboratoire.

Le silence glacial qui s'était installé n'aidait pas. Au moins je n'avais pas à me justifier sur quoi que ce soit, mais j'avais l'impression d'avoir manqué une opportunité de faire de Freyr mon allié. J'ignorais totalement ce qu'il voulait de moi et commencer à poser la question de la fiabilité avait été une grosse erreur de sa part, il n'avait sans doute pas pu supporter la critique  qu'il savait vraie. L'ambiance pesante n'était pas très rassurante, surtout lorsque je me rendais vers l'inconnu. De quoi Liam voulait-il parler ? Etait-ce bien sûr de laisser Freyr s'aventurer dans la gueule du loup dans la moindre connaissance de ce qui l'attendait. Les yeux rivés sur la route et les lumières qui se succédaient, je me posais la question de la loyauté.

Je poussais un soupir et mon regard glissa sur Freyr dont les paupières tombaient dangereusement. Sérieusement, arrêtez de le divertir 10 minutes et voilà qu'il pionce !! Tsss. Aucune résistance. Moi aussi j'étais fatigué, mais le stress et la tension m'empêchaient de fermer les yeux.  Je poussais légèrement mon poing contre son épaule, histoire de le secouer un peu.



Le silence reprit de plus belle. Et le dilemme recommença. Est-ce que je devais le prévenir un peu ? Ou pas. Les kilomètres et les minutes qui nous séparaient de l'instant fatidique s'amenuisaient. Freyr me reprochait de ne pas le croire. De ne pas lui faire confiance. Mais entre Freyr et Liam,  est-ce que je devais vraiment faire un choix ? Probablement pas. Et d'une certaine façon... je pouvais éprouver de l'empathie pour ces deux personnages. Le dieu de la vie - inutile et arrogant mais bienveillant la plupart du temps et perdu. De l'autre côté, Liam, ce tueur de sang-froid qui pouvait de toute évidence éprouver des sentiments positifs envers quelqu'un d'autre. Il avait quelqu'un à protéger. Et son humanité me rapprochait de lui contrairement à Freyr...


Quoi qu'il en soit... Je ne risquerais plus grand chose à dévoiler des informations à Freyr, non ? Même après notre désaccord, il était là. Prêt à rencontrer un inconnu. Il n'avait pas tellement le choix mais contrairement à Ludwig il n'avait pas opposé de grande résistance.... Ca voulait bien dire quelque chose non ?


Ah... Tant pis...je peux lui accorder un peu de crédit quand même


Nous étions assez proches du laboratoire quand je lui avouais :



Je poussais un soupir en me remémorant quelques passages peu glorieux alors que je me garais dans le parking souterrain du laboratoire.



J'ôtais ma ceinture et sans davantage d'explications, je sortais de la voiture, guidant mon colocataire à travers les couloirs, utilisant ma carte pour passer la sécurité. Nous arrivions bien assez tôt devant cette porte familière, l'antre du dragon. Je frappais sur la porte attendant le signal pour entrer et fermer la porte derrière moi.

J'étais un peu rassuré par le ton sérieux de Freyr. Au moins il ne prenait pas ça à la légère et il ne m'enterrait pas sous une tonnes de questions auxquelles je ne pouvais pas répondre. Qui sait, peut-être avait-il été touché par le saint esprit ? Je n'en ai aucune idée, mais s'il pouvait être comme ça un peu plus souvent, ça me rendrait la vie plus facile. Je n'avais aucune idée de ce que Liam lui voulait réellement, ni de comment il comptait aborder le sujet. Chaque pas qui me rapprochait du bureau de Liam faisait monter en moi une appréhension et une anxiété grandissante. Néanmoins je devais paraître calme, quand j'ouvrais la porte du bureau pour  y entrer et retrouver le personnage qui avait hanté mes rêves cette nuit même.

J'étais presque soulagé de constater que ce Liam là n'avait rien en commun avec celui que j'avais vu dans mon rêve. D'abord il s'adressait à moi par mon prénom - ce qu'il n'avait pas encore fait à ma souvenance et appela mon compagnon "Seigneur Freyr". Et ben dis donc, qui aurait pu croire que Liam était un tel lèche-botte ? Mince, il aurait presque l'air digne. Mais tout ça faisait sans aucun doute partie de son cinéma. Non, rien à voir avec le Liam que j'avais vu dans mon rêve. Lui me fixait intensément, pas avec malice, il me regardait comme on regardait une autre personne. Puis il y avait une sorte de mélancolie, de regret dissimulé dans son regard.... Rien à voir.

Il invita Freyr à prendre place, le traitant comme un roi. Moi je restais derrière les bras croisés, essayant de me fondre avec le papier peint. Leur conversation ne me concernait pas, je restais présent pour éviter que Liam ne soit tenter de planter ses crocs dans la chaire blanche de mon protégé.  Liam mentionna la nécessité pour lui de trouver un nexus, histoire qu'on puisse le passer le plus facilement de corps en corps. Honnêtement, je me demandais comment un être vivant à notre époque pouvait être assez stupide pour croire aux dieux et les vénérer. Il fallait vraiment être naïf. Mais c'était plus ou moins le protocole oui. Seulement je ne souhaitais pas remplir la tête de Freyr et de Ludwig avec ça, surtout quand on éprouvait tant de difficultés à ajuster nos personnalités et à vivre ensemble. Quoique si trouver un nexus pour Freyr lui permettait de garder l'avantage... nous n'aurions plus à nous préoccuper de l'instabilité de Ludwig. Toutefois... je ne comptais pas l'évincer non plus comme un simple pion.  Lui aussi avait le droit de vivre.

Finalement Liam en venait au fait, jouant avec une de ses pommes qu'il gardait toujours. Son côté théâtral frappait encore alors qu'il me lançait un regard perçant pour me signifier que les choses devaient aller dans son sens. Sans la moindre crainte, je lui retournais un regard indifférent avant de regarder ailleurs. S'il comptait sur moi pour forcer Freyr à faire des révélations sur l'immortalité, il pouvait toujours courir. Je préférais mourir plutôt que de contribuer à cette hérésie qu'est l'immortalité, surtout parmi un peuple sanguinaire comme les vampires. Parfois dans la vie, il fallait penser à grande échelle et si au moins le sacrifice de mon existence pouvait avoir quelque chose de bénéfique.... Je pouvais toujours chercher un remède pour une personne et détruire mes notes. Mais le pouvoir du dieu de la vie... je ne pouvais pas l'en empêcher.

Je regardais Freyr. J'espérais sincèrement qu'il n'allait pas contribuer à cette folie et qu'il allait rembarrer Liam dans sa folle entreprise.

Je faisais de mon mieux pour ne pas interférer dans leur conversation. Cela ne regardait qu'eux deux, moi je faisais plutôt partie du paysage.  J'avais perçu le regard de Liam et j'avais détourné le regard. S'il croyais que j'avais une quelconque autorité sur Freyr, il se trompait lourdement. Je pouvais certainement pas le forcer à faire quoi que ce soit, j'arrive à peine à l'empêcher de faire des conneries...


J'ai pu être témoin de la dégradation de leur conversation. D'abord ils étaient tous le deux hypocritement sympathique et prêts à négocier ( ce qui m'avait sincèrement inquiété). J'espérais que Freyr n'avait pas l'intention de dévoiler le secret de l'immortalité - si du moins il le connaissait. Un tel secret ne pouvait pas être révélé. L'humanité  risquait de l'utiliser à mauvais escient. Il y a un équilibre dans le monde, un cycle de vie et de mort...pour une bonne raison. L'immortalité des humains viendrait à bout de la planète.Et honnêtement, à part un mégalomane, qui souhaiterait devenir immortel ?


Heureusement Freyr n'était pas prêt le dévoiler si facilement. Il voulait son corps en échange. Son corps ? Si nous l'avions je pense que je serais au courant, non ? En d'autres termes, Liam n'avait rien pour négocier, ce qui facilitait grandement les choses. Liam tenait à trouver un autre point pour négocier alors que Freyr mettait en évidence tous ses points faibles. Et évidemment, la conversation se dégrada, Liam perdu peu à peu ce sourire convenu pour se transformer en la bête frustrée qu'il était -prêt à tout pour obtenir ce qu'il désirait. Il montrait son vrai visage et proférait désormais des menaces.


Je fronçais les sourcils et je décidais de placer des limites. La présence de Freyr était une faveur que je lui rendais. Et il pouvait me brutaliser et me menacer autant qu'il le voulait - mais pas mon cobaye, hors de question qu'il pose un doigt sur lui. Les ordres de Mad outrepassaient largement les siens, ainsi que la découverte scientifique.Je relevais les yeux et j'esquissais un pas en avant avant de siffler d'un ton froid et hostile :





Entre autre, protéger Freyr faisait partie de mes priorités, je lui rappelais donc vivement, anticipant sa réaction. Je savais que ça devait le faire rire quelque part. Qu'est ce qu'un stupide humain comme moi pouvait faire pris entre une divinité et un vampire ? Pas grand chose sans doute. Mais si je devais utiliser mon cadavre pour le ralentir, je le ferai.



J'étais parfaitement sérieux. Et en colère aussi à cause de Ludwig et du reste. Je n'avais pas encore d'idées précises quant à une future revanche, mais cela viendrait. Je n'étais pas complètement démuni d'atouts. Alors maintenant couché Liam.. Il devrait être plus malin, la méthode violente et directe ne risquait pas de lui apporter ce qu'il désirait. Je le sentais désespéré d'obtenir ce secret, ça se voyait dans ses paroles. Quant à Freyr... j'ignorais comment il allait réagir face à tout cela.

Je savais que je ne faisais pas le poids face à Liam. Mais au bout d'un moment il fallait dire stop et arrêter les conneries. Hors de question qu'il touche à mon cobaye, hors de question qu'il se permette de le menacer ! Il le savait très bien alors à quoi il jouait ? C'était ça sa méthode ? Sa négociation ? Il pensait que Freyr lui révélerait le plus grand secret du monde comme ça ? Il pensait qu'il n'aurait qu'à montrer les crocs pour l'impressionner ? Tentative désespérée. Malheureusement pour lui, il n'était pas tombé sur ses victimes habituelles. Toutefois je ne faisais pas d'illusions. La seule raison pour laquelle je n'étais pas déjà en morceau, c'était parce qu'il aurait été malvenu de me  détruire devant Freyr. Ou peut-être parce qu'il pensait que je pouvais lui être utile. J'en sais rien.

Quoiqu'il en soit notre entrevue était terminée, non pas sans un dernier mot taquin de la part du dieu de la vie. Evidemment, lui, il pouvait se le permettre. Liam était furieux. Je le voyais à sa mâchoire crispée. Il tentait vainement de se justifier. Mais je savais ce que j'avais entendu.  Freyr se leva et nous quittions son bureau, indemnes. Du moins en apparence. Alors que je marchais vers la sortie, je sentais la tension qui s'était accumulée dans mon cou et dans mes omoplates. J'avais l'impression d'avoir évité un coup mortel, mais aussi d'avoir pris de terribles risques, qui ne resteront pas sans conséquences.

Je lançait un regard à Freyr. Lui ne semblait pas inquiété, parfaitement insouciant et nonchalant. J'imagine qu'être un dieu ça vous force à relativiser. Comment fait-il pour rester si détendu ? Je me le demande.  Un mystère entourait ce personnage étrange. Pourquoi avait-il accepté de venir au départ ? Sans doute pour éviter des ennuis. Mais Freyr pouvait-il vraiment être raisonnable ? Et aussi, possédait-il vraiment cette connaissance interdite ou tout cela n'était qu'un bluff éhonté de deux parties, cherchant à obtenir l'impossible ? Arrivés à l'air libre, je sollicitais une petite pause. J'avais eu mon compte pour aujourd'hui et j'avais  besoin d'un petit remontant avant de reprendre le volant. Je m'adossais contre le mur extérieur en béton, je sortais mon paquet de cigarette et j'en portais une à mes lèvres. Remarquant le regard de mon interlocuteur que j'imaginais désapprobateur, je me justifiais tout portant la flamme du briquet sur le bâtonnet.



Je rangeais mon briquet et je prenais une première bouffée salvatrice, soufflant la fumée grise loin de moi.



Je n'arriverais jamais à arrêter. Je gardais le bâtonnet entre les lèvres, inhalant progressivement le poison qui m'était offert. C'était réconfortant d'une certaine façon. Ca m'éclaircissait un peu les idées. Glissée entre mon index et mon majeur, j'éloignais la cigarette le temps d'une intense réflexion. La cendre tomba sur le sol alors que je lui demandais d'un ton sérieux :



Maintenant que j'y réfléchissais davantage, j'avais mes doutes sur le sujet. Je poursuivais ma réflexion à voix haute.



On parle bien d'un individu qui pourrait vivre des millions de millénaires. Nos divinités, Freyr... Il a quoi 3000-4000 à tout casser ? Est-il vraiment immortel où joue-t-il juste sur une plus grande échelle que la vie humaine ? La nourriture que nous les humains ingérons, l'air que nous respirons... c'est ce qui nous fait vivre et ce qui nous tue. J'imagine que ça ne doit pas être bien différent des autres espèces...Enfin, c'était juste des idées en l'air.

La pluie tombait en rideau devant moi alors que je profitais de ma pause pour inhaler mon poison journalier tout en me posant de vraies questions. Freyr quant à lui restait fidèle à lui même et s'amuser à rester sous la pluie. Je n'avais pas l'énergie de le réprimander, de lui rappeler qu'en se mouillant les cheveux il risquait de tomber malade. A quoi bon ? Il continuera à le faire de toute façon. Je poussais un soupir en écoutant la réponse de Freyr. Il m'avait répondu vraiment à côté de la plaque... mais en même temps comment pouvait-il connaître la réponse ? Si ça tombe lui même n'était pas immortel et il n'en savait rien. D'un ton un peu sec je répliquais :




Me prenait-il pour un idiot au point de confondre immortalité et invincibilité ?  Pouvait-il être davantage inutile ? J'en doute. Un simple " je ne sais pas", ou un " je ne peux pas en parler" aurait suffit. Mais non, il pensait que j'avais besoin d'une petite leçon. Non merci. Pitié. C'était pas vague comme réponse, c'était bas-de-plafond. Comme s'il répondait à son neveu de 6 ans. Mais soit. La cigarette entre les lèvres, je respirais la fumée âcre alors qu'il me confirmait son intention de ne jamais rendre quiconque immortel. Je tentais de surmonter l'amertume causée par sa dernière réponse en murmurant un :





-un peu laconique. Ensuite il me reprocha "mon plan" comme il disait. Mais de quoi parlait-il ? Quel imbécile. Choqué par ses mots j'en ôtais ma cigarette de la bouche :



Et en plus il trouvait le loisir de me menacer. Mais bien sûr. Comme si ça ne suffisait pas pour aujourd'hui. Malheureusement il n'avait pas fini de déblatérer ses conneries avec ce sourire convenu. Il poursuivait et changea complètement de discours, osant s'approcher de moi pour me toucher. D'un geste sûr je le repoussais, lui et ses sales pattes, loin de moi. C'était trop. Trop pour aujourd'hui. J'étais sur le point de craquer. Je pouvais me sentir fendiller presque. Sur le point de m'effondrer. Mais avant ça devait venir la vérité.



Vraiment ?!! Qu'est ce qu'il pensait ?! C'était limite blessant la façon dont il me mettait le blâme pour tout ça. Comme si j'étais l'instigateur du plan. Tout ça, c'était les ordres de Liam. Je n'avais jamais voulu impliquer Freyr ou Ludwig là dedans. Qu'il me menace et qu'il m'utilise c'est une chose. Ma respiration s'accélérait alors que la tension commençait à remonter et retomber en même temps. C'était trop en même temps. Tel un équilibriste, j'avais peur de tomber, de péter un câble, de fondre en larmes, je ne sais pas. Ca me rend malade. Je me rend malade. Freyr me rend malade. Liam me rend malade. Ils vont tous me rendre fou. Je le pointais nerveusement du doigt, serrant les lèvres, les yeux humides.



Pour illustre mon propos, je terminais ma cigarette et j'écrasais le mégot avec détermination avant de fouiller dans ma poche après mes clés. Mes doigts se refermèrent sur l'objet désiré ainsi que sur un bout de papier, que je lisais le temps d'ouvrir la voiture. Un petit mot, tracé à l'encre dans une écriture familière. Une petit mot acide et assassin. Un petit mot qui m'acheva. Je sentais un cri se boquer dans ma gorge. J'ai avancé et j'ai laissé la pluie noyer les indices. J'ai serré ce petit papier avant de le jeter dans un petite flaque et de donner un coup de pied dedans.



Non ça n'a plus d'importance. C'est fini.

Parfois je me demande...Si ce n'était pas de ma faute depuis le début. Mais je crois que cela ne sert à rien de placer le blâme. J'ai toujours été comme ça. A endurer en silence, à me conformer, à me couper les cheveux en quatre pour tenter de satisfaire tout le monde et en même temps rester rigide sur les règles établies. C'est toujours la même chose. On supporte la pression jusqu'à ce qu'on craque, on nage jusqu'à ce qu'on coule. C'est juste une question d'endurance. Et là je pense vraiment approcher de ma limite. N'est-ce pas d'une douce ironie ? J'ai quitté ma ville natale pour échapper à la pression générale et voilà que je me retrouve dans une situation bien pire... Je dois suivre les ordres de Mad. Je dois suivre les ordres de Liam. Je dois gérer Ludwig et Freyr. Seul. Sans appui. Entre Ludwig qui me harcelait pour avoir des réponses, Mad pour avoir des résultats et Liam pour obtenir ce qu'il voulait je ne savais plus où donner dela tête. C'était trop en même temps. Et comment vous faîtes pour supporter davantage une vie aussi amère ? Où votre existence est mise en péril par tous les individus que vous connaissez. Enfermé, tiraillé, impuissant. Il y a de quoi vouloir tout envoyer balader, conduire très vite sur la route et finir dans un mur. Juste pour enfin retrouver le contrôle. Ne plus être le pion, le punching-ball. Marre de passer pour le méchant alors que je m'évertue à contenter tout le monde.. Pouvoir exister en tant que tel...

J'imagine que l'on aurait pu argumenter pendant des heures sur toutes les raisons pour lesquelles je me sentais craquer à nouveau.  Mais le résultat restait là : un flot d'émotions incontrôlables qui submergeait tout sur son passage. De la colère je finirais par me résigner. Prendre le temps de reconstruire cette armure, ce barrage fragile. Jusqu'à ce qu'elle se brise à nouveau.

Heureusement ma petite crise avait suffit à faire taire Freyr. Bien. Je gardais la tête basse, d'abord à cause de la pluie, ensuite parce que je tenais pas particulièrement à ce qu'il voie mon visage. Il fallait que je me ressaisisse. Mais j'y parvenais difficilement. A force, mes ressources s'épuisent. J'ignorais son appel.

Peut-être que si la situation avait été différente j'aurai relativisé. J'aurais rendu le mot de Liam insignifiant. Je ne me serais pas inquiété. Mais je n'avais pas confiance, ni en moi ni en ceux qui m'entouraient. Ludwig m'appréciait et me détestait soudainement du jour au lendemain. Pareil pour Freyr. Ma vie personnelle était quasi inexistante, je n'avais aucun exutoire, aucune source de plaisir dans mon existence. J'étais fatigué. J'étais épuisé. Là je voulais juste... je ne sais pas... trouver du réconfort ? Mais je devais me contenter de moi-même.

Freyr semblait vraiment inquiet et désolé. Quoi vraiment ? Il me prend au sérieux maintenant ? Je ne suis pas qu'un stupide humain ?! Je le laissais parler et s'excuser. La mâchoire tendue et les lèvres serrées, je ne disais rien. J'étais allé trop loin pour prétendre que tout allait bien et que je ne lui en voulais pas. Qu'il soit responsable des vampires je n'en avais rien à faire. Ce n'était pas de sa faute. Il était responsable de la création des humains aussi après tout, non ? Et ses paroles... ne valaient rien à mes yeux. Rien d'un type qui venait de me taquiner alors que j'étais tout au fond et qui venait de réaliser  qu'il avait fait une grosse bêtise. Malheureusement ces choses ne se résolvent pas avec des mots. Pas avec ceux là en tout cas.

Nous étions dans la voiture lorsqu' il baragouina quelque chose à propos de ma protection.  Je ne l'ai pas cru évidemment. Jusqu'à ce qu'il sorte son couteau de chasse et

Attends... il est sérieux ?!

Les yeux grands ouverts j'ai relevé la tête vers lui. Toute cette histoire à propos du fait de me protéger.... il le pensait vraiment ?!!! Je ne me suis pas demandé pourquoi. J'étais juste... frappé par la surprise, étourdit presque pendant six bonnes secondes et demi. Six secondes et demi d'incompréhension naïve. Six secondes et demi  de stupeur vertigineuse, mêlée à de l'admiration. Six  secondes et demi de vide qui se remplit lentement. Six secondes et demi d'espoir. Etrangement l'énergie autour de moi se mit à vibrer à une fréquence étrange. Ce qui me sortit de ma stupéfaction. Il ne me fallut qu'une demie seconde pour comprendre que Freyr courait à sa perte et qu'il n'avait aucune chance contre Liam qui pourrait faire un trophée avec sa jolie chevelure blanche si l'envie sadique lui prenait. Dur retour sur terre. Ca ne pouvait pas arriver. Les raisons faisaient la course dans ma tête et il y en avait un paquet et pas de claire gagnante.




J'ai jamais couru aussi vite de ma vie pour rattraper quelqu'un. Maintenant que j'y pense, je ne suis pas  du genre à courir après les gens, en temps normal. Je me fichais des flaques et des éclaboussures, de gouttes qui restaient accrochées aux verres de mes lunettes. Je lui ai attrapé le bras gauche avec les deux mains. Pas comme pour le frapper mais pour le supplier.



Je l'implorais sincèrement du regard.



Une fois de plus les raisons se bousculaient de ma tête, on aurait dit qu'elles voulaient toutes sortir en même temps. Ce n'était pas commun pour moi de perdre mes mots où le fil de mes idées.



Je le tirais gentiment dans le sens opposé espérant le convaincre de rejoindre de nouveau la voiture.




Il n'avait aucune idée de ce dont Liam était capable. Moi oui. Et peu importe ce qu'il comptait lui faire ce n'était certainement pas du bien. Je ne voulais pas Liam meure. Je ne voulais pas que Freyr...que Ludwig redevienne un meurtrier. Surtout pas pour moi. Je n'aurai jamais dû lui en parler... Tout ce que je voulais... c''était rentrer chez moi. Dormir. Et en finir avec ça.

N'y va pas Freyr. Ne fais pas un pas de plus. Alors que j'ai laissé tombé ma dignité dans la même flaque sale que tout à l'heure pour le supplier de ne pas y aller, lui, il sourit.  Pas d'un sourire sarcastique. Mais d'un sourire bienveillant alors qu'il me regarde avec les  iris ocres de Ludwig, leurs deux visages entremêlés. Sa main se repose sur mon épaule un instant, comme pour me réconforter. Sa voix était calme alors qu'il me disait qu'il n'était pas important. Oui... nous n'avons plus besoin de dieux... mais nous avions encore  besoin de lui. Pour les expériences... pour comprendre...Et puis... quoi de plus unique qu'une divinité ? Une fois morte, elle n'est pas remplacée. Leur nombre est limité...Comme un animal en voie d'extinction.  Par contre quand il me dit que je mérite que quelqu'un meure pour moi, je ne comprends pas. Je ressens la culpabilité m'envahir et je relâche ma prise sur lui alors qu'il m'attirait contre son épaule. Je restais comme ça pendant quelques secondes, avec cette culpabilité qui me rongeait l'estomac et me piquait les yeux. Je me devais de me retirer.




Evidemment que parfois c'était gratuit, que tout ce que je faisais n'était pas forcément une obligation. Mais...



Je baissais les yeux. Je savais que ça devait le décevoir, mais c'était vrai en partie. Je ne pouvais récolter les honneurs alors que je n'y étais pas pour grand chose. Alors que je faisais ce qu'on me demandait. Alors que je n'étais pas désintéressé. Et soudainement j'avais l'impression d'être quelqu'un de franchement horrible, d'accepter ses louanges alors que je ne le méritais pas.



Nous retournions à la voiture en silence. Ma colère s'était apaisée, mon désespoir aussi mais désormais un autre sentiment désagréable s'accrochait à ma poitrine. Je poussais un soupir en entrant de la voiture et  j'attachais ma ceinture quand Freyr m'interrompit avec une de ses questions. Je le regardais un instant, puis je regardais de nouveau la route. Je lui devais au moins une réponse sincère.



Je me souviens encore du temps ou la cohabitation avec Ludwig était facile. Mais désormais, j'avais un peu l'impression que l'on s'empoisonnait. Et j'avais du mal à déterminer quoi faire, comment réagir pour désamorcer cette situation. Parfois même je me demandais s'il ne serait pas mieux avec un autre superviseur. Là, je fis démarrer le moteur et je commençais à prendre la route.

Je m'attendais à ce qu'il se sente trahi. Je m'attendais à ce qu'il me repousse et me méprise. Je suis plus ou moins sûr que Ludwig l'aurait fait lui qui semblait si bouleversé à l'idée qu'il puisse m'être qu'un simple cobaye, qu'un simple " travail". Quelque chose de pénible qu'on est obligé de faire. Mais je ne pouvais pas lui mentir en disant le contraire. Ca m'aurait semblé tellement... malhonnête. Je ne voulais pas le mener dans l'erreur. Je n'étais pas ce genre de personne. Je n'étais pas comme Kei.  Je ne m'étais pas attendu à cette réaction si simple , si butée. Du Freyr tout craché. Mais ce soir, cela ne me déplaisait pas tellement, même si je ne le croyais qu'à moitié.  

Nous retournions jusqu'à la voiture en silence. J'avais toujours l'impression d'avoir un destin funeste qui se balançait au dessus de ma tête. Je commençais à questionner certains de mes choix. C'était un peu le bordel dans la tête et je ne voyais pas clair.  En général je voyais le bon chemin à emprunter, le chemin le plus sûr. Mais désormais je n'étais plus très sûr de ce que je faisais ni de ce que je devais faire. Et pour ajouter à tout cela, je sentais l'influence de Freyr, telle une main me caressant le dos et remontant doucement vers ma nuque. J'étais trop fatigué, trop abattu pour lutter. Alors je le laissais s'insinuer dans mon esprit, dans mes muscles tendus, dans mon système nerveux. Je déposais les armes, je me rendais, pour ce soir.

Ce n'était pas si désagréable en fin de compte. Je croyais qu'il serait plus...manipulateur mais en fait... pas tellement.

Freyr me posait des questions sur le futur. Mes épaules se détendaient alors que je conduisais et je continuais de fixer la route en lui répondant.



Je sentais son regard sur moi quand il me suggérait de nous enfuir. J'ai un peu souri à cette idée, tellement c'était ridicule. Cela ne m'était jamais venu à l'esprit. Et puis de toute façon, j'avais déjà fui une fois, ça n'avait pas aidé.



Au final, suis-je vraiment libre de ma culpabilité ? Non pas vraiment. J'y pense un peu moins mais uniquement parce que ma tête est remplie par d'autres soucis plus actuels et plus dangereux. Je poussais un léger soupir. Tout cela me semblait si loin  maintenant... si insignifiant...

La naïveté et l'innocence de Freyr était... déconcertante. Il ne pouvait pas croire que les choses étaient aussi simples, n'est-ce pas ? D'une certaine façon il me rappelait un peu Ludwig à ses débuts. A croire que ces deux là se sont vraiment trouvés. Oui en le regardant sourire, je voyais la ressemblance. Et quelque part, ses paroles me paraissaient semblables aux miennes lorsque je cherchait à remonter le moral à mon cobaye dépressif. Seulement... non, je ne souhaitais pas le décourager mais il était temps de le ramener un petit peu sur terre. La terre d'aujourd'hui et dans sa situation actuelle. Il n'était pas libre. Il ne le serait probablement plus jamais. Mais lui dire ça comme ça semblait cruel. Je poussais un soupir, cherchant mes mots.




Je prenais une bonne trentaine de secondes pour amener la chose le plus doucement possible.



Pour ne pas dire, mad vous gardera probablement enfermé entre les quatre murs d'une cellule du labo. Plus d'herbes, de soleil et de petits oiseaux. Jusqu'à la fin de jours et Ludwig et pour l'éternité en ce qui concernait Freyr. Ses paroles me donnèrent un peu envie de rire. Et un léger sourire sourire se dessina sur mes lèvres sans que je m'en rende compte.



Je regardais la route avec une douce mélancolie. Je n'étais plus triste. Je mes sentais juste... détendu et résigné.



Inutile de prétendre que je n'étais pas cerné par la mort. Je ne souhaitais pas et je ne pouvais pas aider Liam dans sa quête d'immortalité. Fuir était inutile. Il ne me restait pas énormément d'options ou du moins je ne pouvais pas les voir aujourd'hui. La nuit me porterait conseil, j'en étais sûr. Mais je préférais savoir ce qui m'attendait, plutôt que de me mentir et faire semblant. On dirait bien que je l'ai fait pendant trop longtemps déjà.

Je sentais son regard curieux sur moi alors que je lâchais cette demi-confession. Je savais que cette petite remarque exciterait sa curiosité, et la question ne se fit pas attendre. Je ne doutais qu'il puisse se sentir concerné par ce dont j'avais envie, mais il ne fallait pas se leurrer, Freyr était surtout curieux.  Je lui lançais un regard rapide sur le côté avant de dire avec un ton apaisé.




C'était vrai. Pourquoi lui parlais-je du moment le plus honteux de ma vie privée ? Ca ne le concernait pas et de plus, cela risquait de se retourner contre moi. Je devais rester une sorte d'exemple, moins il ne savait mieux c'était. Je doute que Freyr soit homophobe vu ses moeurs très libre. Mais Ludwig, c'était tout un autre question. Et je souhaitais éviter que Freyr me harcèle à ce sujet.