La nuit était fraîche, en cette saison. Bien que parler de saison à Froënbourg était plutôt dérisoire, sachant que le climat ici-bas était toujours hivernal. Son bonnet fiché sur la tête, Aaron arpentait les rues sans réels but, pour se changer les idées et découvrir cette ville qu’il ne connaissait que trop bien sous un autre jour. Il avait l’habitude de se balader de nuit, mais plus souvent dans les quartiers mal famé, non loin de chez lui, pour régler quelques affaires en suspens, trouver de nouveaux job, de nouvelles personnes à exploiter d’une façon ou d’une autre… Quant à la place du héros, il ne la découvrait que de jour, lorsqu’il devait rejoindre ses différentes relations dans la ville. Alors cet endroit majestueux qui, de nuit, se trouvait être encore plus sublimé qu’en journée, effectivement, il ne l’avait jamais vu. Après tout, il doutait être à sa place dans un lieu si beau, si lumineux. Il était plutôt comme ces déchets dont personne ne veut, le côté de l’être humain qui montre sa grande laideur. Il observait la fontaine qui était fortement illuminé et en plissa les yeux quelques instants avant de se détourner bien vite devant les foules de passants qui se promenait encore malgré l’heure tardive.

Aaron n’était pas du genre à passer inaperçu, mais il était rare qu’il s’en plaigne. Après tout, c’était lui et lui seul qui avait provoqué cela, ses nombreux piercings attirant rarement du monde. Dans un mince sourire ironique, il se recula dans une allée moins éclairé et sortit une cigarette de sa poche qu’il alluma sur le champ. Soufflant un léger nuage de fumée, il s’adossa à un mur et observa la place. De là, il ne dérangerait personne et pourrait continuer d’observer, de penser, sans être dérangé. Enfin, c’est ce qu’il aurait aimé, si ce bruit, au fond de l’allée, ne l’avait pas soudainement dérangé. Il releva rapidement la tête et fixa la pénombre, plus loin, pour ne voir que l’ébauche d’une silhouette qui semblait marcher calmement. L’allée en question n’était aucunement lugubre ou mal famée, il n’y avait donc que peu de chance qu’il s’agisse d’une mauvaise fréquentation. Toutefois, la silhouette ne devait pas manquer de courage pour s’aventurer dans la seule ruelle dont les lampadaires étaient défectueux. Rapidement, des bruits de pas pouvaient se faire entendre, ce à quoi répondit Aaron en marchant de son côté aussi, en direction de cet inconnu.

Quelques secondes plus tard, les deux personnes étaient en face à face, et il fallut attendre de longues secondes supplémentaire, le temps que les épais nuages qui recouvraient ce ciel d’hiver soient poussés par le vent pour que l’éclat de la lune passe enfin sur les deux âmes égarés de cette froide nuit. Tout en soufflant un nuage de fumée, cigarette en main, le blond laissa son visage se faire gagner par une certaine surprise. Il était face à Astrid, cette amie qu’il appréciait pour sa qualité à ne pas poser de questions superflues. Que faisait-elle là à cette heure-là ? Ce n’était pourtant pas dans ses habitudes de faire des sorties nocturnes… Dans un léger rire, Aaron s’approcha un peu plus d’elle, remettant sa cigarette sur ses lèvres.

- Astrid, tu m’aurais presque fait peur, j’ai pas l’habitude de te voir à cette heure-là. Qu’est-ce que tu fous ici, tu cherches quelque chose ? A moins que tu te sois perdue ? Dans ta propre ville, ça la fout mal, tu sais.

Il lui adressa un léger sourire, rempli de cette arrogance qui le caractérisait tant. Pourtant, il faisait toujours attention de ne pas trop être incisif avec elle, il l’appréciait réellement et ne voulait pas la froisser. Bien qu’elle devait sûrement savoir comment il marchait.

Aaron observa son amie. Quelqu’un d’observateur, de très proche d’Astrid, aurait sans doute pu voir que sa démarche était différente de d’habitude. Que quelque chose chez elle n’allait pas, ce soir. Mais pas lui. Non, car leur relation était aussi simple qu’étrange : On s’apprécie sans se connaître. On se parle sans savoir qui est l’autre. C’est pourquoi, pour le blond, rien n’était anormal en cet instant. Au contraire, tout était absolument normal, à la seule différence qu’elle était de sortie le soir. Mais après tout, elle en avait parfaitement le droit, non ? Ce ne fut que lorsqu’elle s’adressa à lui qu’il commença à se poser des questions. Pas la première phrase, non, bien que cette dernière soit un peu étrange de sa part, le jeune magicien venait de lancer l’offensive verbale, il était normal qu’elle réponde. D’ailleurs, cela fit sourire le garçon, cette réponse presque instantanée. La deuxième phrase, en revanche, il avait du mal à en comprendre le sens. Que voulait-elle dire ? C’était une blague ? Si oui, l’effet était un peu raté. C’était plus flippant qu’autre chose, ça ne rassurait pas Aaron qui, sous ses airs de gros dur, cachait bien des choses, dont certaine peurs irrationnelles mais bien présente. Cette phrase en réveilla une, la peur de ceux qu’on appelle les psychopathes, ces gens dont le seul but de vie est de tuer des gens un peu au hasard et qui aime bien sortir ce genre de phrase étrange mais flippante.

- Mais qu’est-ce que tu dis ? T’es là, t’es débile ou quoi ?

Et soudain, comme un flash, un éclair de lucidité, Aaron remarqua que la posture, la démarche d’Astrid était différente de ce qu’il avait pu voir. Enfin, de ce qu’il se souvenait de sa démarche surtout, n’étant pas forcément très observateur de ce genre de détail. Etait-elle sous l’influence d’une quelconque substance un peu trop forte pour elle ? Ou alors, quelqu’un pouvait aussi user d’un certain pouvoir contre elle pour la manipuler ? Aaron secoua négativement la tête, il ne devait pas se laisser emporter par la paranoïa. Néanmoins, il ne devait pas non plus ignorer cette sensation qu’il commençait à reconnaitre, ce sixième sens qu’il avait développé. Il ne savait pas quoi, il ne savait pas quand, mais il savait. Oui, il savait que quelque chose de mauvais allait arriver. Certes, ce pouvoir n’était pas très précis, le blond ne l’ayant découvert que récemment. La dernière fois qu’il ressenti cette sensation, c’était cinq minutes avant qu’un pot de fleurs ne tombe juste devant lui. Mais cette fois, il savait que c’était quelque chose de différent qu’un simple pot en argile. C’était une peur primaire qui venait de s’emparer de tout son corps. Quoi qu’il se passe, cela risquait d’être plutôt gros.

- Je traîne dehors, comme d’habitude. Je dois retrouver des types plus loin pour faire affaire. Mais dis-moi plutôt… T’es quoi, au juste ?

En prononçant cette phrase, il avait fait un pas en arrière, il voulait mettre de la distance entre eux. Pas pour fuir non, mais plus pour avoir le temps de réagir si quelque chose se passait. Il passa une de ses mains dans sa poche et en ressortit, discrètement, une lame de rasoir qu’il dissimula entre ses doigts. Ainsi, il ne lui faudrait que peu de temps pour se provoquer une blessure et pouvoir contre-attaquer. Si contre-attaque il y avait, bien sûr.