J'ai regardé en l'air un instant. Le climat ne change jamais à Froënbourg. Toujours le même froid, la même neige qui tombe par intermittence. De lourds nuages gris qui masquent le ciel  mais qui occasionnellement laissent place à la lumière du jour. Mais pas aujourd'hui. Le ciel était chargé de ces gros nuages cotonneux menaçant de nous inonder de cristaux de neiges. Je crois que cela ne dérangerait personne. Surtout pas ceux qui occupent la patinoire en ce moment. Constamment en plein air, ils n'attendent que ça. Les amis, les amoureux, la famille... Ils n'attendent que la lente pluie de flocons pour illuminer leur quotidien. Leur apporter cet instant de magie, ce moment suspendu alors qu'ils dansent et qu'ils glissent avec prudence sur la glace.

Et moi je suis là, assis sur un banc,  à les regarder. J'ai presque envie de dire " comme toujours" mais ce n'est pas vrai. D'habitude je m'arrêtais faire quelques courses avant de rentrer à la maison. Mon service est terminé, je suis fatigué, je sens ma journée de travail me peser sur les épaules et pourtant je n'ai pas la moindre envie de rentrer chez moi. Rentrer pour quoi? Trouver une maison vide et froide. J'ai l'impression que même Socrate m'évite. Je peux sentir mon frère mais je ne peux pas l'approcher. J'ai ressenti sa faim, sa faim assouvie. Mais par quoi ? Pas par moi en tout cas... Cela fait combien de temps qu'il me repousse sans me laisser l'occasion de demander pardon ? Et puis maintenant il a un autre calice... il peut me jeter dehors. Il peut me renier s'il le veut. Mais si seulement je savais ce qu'il voulait ! Attendre dans le silence, sans un mot, sans un regard c'est pire. Une vraie torture.

Je soupire et je baisse le nez sur le gobelet de café chaud entre mes doigts. J'en avale une gorgée. Je le prends toujours avec du lait et du sucre. Et je les regarde encore. Les amis sont en groupes et s'arrêtent parfois contre la paroi pour discuter ou regarder les autres. Les amoureux se tiennent la main et ignorent le monde extérieur continuant à se sourire. Les famille prennent soin les uns des autres, en particuliers des plus petits. J'aurai aimé posséder quelque chose de semblable. Un ami ou quelqu'un à aimer. Ou encore une famille. Mais j'imagine que j'ai trop merdé pour en avoir une. Je pousse un soupir et je ferme le yeux un instant. Oui j'aurai aimé avoir tout ça. J'aurai aimé savoir patiner. J'aurai aimé avoir pu jouer d'un instrument. Mais on n'a pas tout ce qu'on veut dans la vie n'est-ce pas ? Il faut se faire une raison...

Et je devrais arrêter de venir ici juste pour déprimer

Rien de tel que d'être entouré de monde pour se sentir seul et malaimé, je vous l'assure.  C'est une question d'habitude. On se pince les lèvres, on regarde dans le vide.... Avant de prendre la décision de soulever  sa carcasse fatiguée. J'ai arrangé mon écharpe autour de mon cou, j'ai pris mon gobelet de café. Il était temps de retourner sur le parking de 'hôpital, récupérer la voiture, rentrer à la maison, nourrir le chat, vider la litière du chat et manger un repas même pas préparé par amour  par moi-même pour le dévorer d'un air absent devant l'écran de la télé.

Je contournais la patinoire quand quelque chose a attiré mon attention. Un flocon devant mes yeux. Juste le temps de relever les yeux vers le ciel  et je fus bousculé par un individu. Sur le coup, je lâchais mon gobelet qui répandit son les chaussures de l'individu en question. La neige absorba le reste, prenant une sale teinte marron clair.

«Oh merde ! Je suis vraiment désolé....Pardon.» m'exclamais-je sincèrement.

J'avais le coeur lourd. Décidemment j'en rate pas une...