A l'hôpital, nous avons certains patients privilégiés. Et parmi ces patients, qui ont su tirer les ficelles pour obtenir des chambres particulières et des traitements de faveur, il y a la petite Roxy. Je me souviens du jour où elle était entrée ici et quand Logan m'avait expliqué la situation, faisant de moi son infirmier personnel. Et à juste titre ! Un vampire aussi jeune....c'était contre-nature. C'était dangereux. C'était incompréhensible. Alors, afin d'éviter les dommages collatéraux, j'étais nommé infirmier spécialisé. Elle ne pouvait pas me mordre - je n'avais aucune crainte à avoir.

Alors ce jour-là, comme tous les jours auparavant, je rentrais calmement dans sa chambre, avec tout le nécessaire : le sang en poche pour son repas et le kit de prélèvement à envoyer au labo.  Ce n'était pas toujours facile, de s'occuper de jeunes enfants comme elle. Surtout d'enfants vampire...elle n'était pas exactement....comme les autres. Et ses réactions restaient imprévisibles, comme celle d'aujourd'hui.


« Bertram ? Tu peux me dire ce qui va pas en ce moment. J'ai l'impression qu'on ne se connait plus. Vous ne passez plus aussi souvent, on se parle plus. On peut prendre un peu de temps aujourd'hui ? »


Voici ce qu'elle déblatéra au moment où je venais à peine d'entrer. Sa voix était celle d'une enfant, mais les mots qu'elle utilisait étaient ceux d'adultes et ils m'impressionnaient toujours par leur intensité. J'en restais bouche bée, incapable de répondre. Elle avait l'impression de ne plus me connaître ? Mais elle ne me connaissait pas vraiment. Bien sûr je parlais parfois un peu avec elle, mais...jamais de choses vraiment très personnelles.  Elle était une patiente avant tout,  elle était jeune, elle se sentait seule et n'avait personne d'autre à qui parler. Bien sûr, je l'aidais à tuer le temps... bien sûr que je l'aimais bien ....mais de là à utiliser des aussi grands mots...

Je le voyais à son regard humide qu'elle était sur le point de pleurer. Moi je venais juste de débarquer, je ne comprenais pas ce qu'il se passait, ni pourquoi elle m'avait bondit dessus en criant :

« Dis moi. Tu seras toujours mon infirmier ? »

Elle restait seule entre ses quatre murs et parfois je ne pouvais pas deviner quel genre d'idées lui traversait l'esprit, des idées noires surement, des pensées mélancoliques. Mais apparemment je devais prendre le temps de les découvrir, ça avait l'air plutôt sérieux.

Evidemment que je ne serai pas toujours son infirmier. Il suffisait d'un changement d'avis de Logan, il suffisait qu'il m'arrive un accident, que je prenne ma retraite, il suffisait d'un tas de choses....mais je ne pouvais pas lui dire ça, même si c'était la chose la plus raisonnable à dire. Lui faire comprendre que contrairement à elle, je vieillirai beaucoup plus vite...Mais quand je regardais ses grands yeux humides, je n'avais pas le coeur à lui dire ça. Je posais le contenu de mon plateau où je le pouvais avant de poser sur sa petite tête blonde, des mains lumineuses pour apaiser une quelconque douleur, une quelconque tension.

« Mais.... de quoi tu parles ? Pourquoi tu dis ça ? Quelque chose ne va pas ... ?  Roxy ?    »

Son bien être mental était aussi important que son bien-être physique, mais aussi...tellement plus fragile.

« Tu as peur que je m'en aille ? Pourquoi ?   »    

Je ne pourrai jamais autant le répéter. Roxy Cantrell était une patiente spéciale. Pas uniquement par son statut mais aussi par son jeune âge. La pédiatrie était un de seuls services dans lequel je n'avais pas travaillé et honnêtement...Je ne me sentais pas forcément sur mon terrain privilégié avec de jeunes enfants. J'avais toujours été le plus jeune de ma famille adoptive, et chez les vampires les naissances sont rares...Aussi pas question de faire du baby-sitting quand on est confiné à la maison, bien servile, comme un sac de sang prêt à l'emploi attendant patiemment que son vampire vienne enfoncer ses crocs.

Bref, il y avait quelque chose de le comportement de Roxy qui m'inquiétait. Elle avait peur, mais pourquoi ? Qu'est ce qui avait changé entre hier et aujourd'hui ? Je regardais ses grands yeux humides, dirigés vers moi avec toute la tristesse du monde.

« Parce qu'il n'y avait qu'avec toi que je me sens bien ! Je ne veux pas que tu t'en ailles, je ne pourrais pas rester toute seule dans cette chambre sans toi ! »

Désarçonné par cette réponse je ne savais pas quoi dire. D'abord, oui, j'étais extrêmement flatté qu'elle pense à moi de cette façon. Ca changeait des patients qui vous parle comme si vous étiez de la merde ou qui reconnaisse à peine votre présence. Mais ce qu'elle me disait m'effrayait un peu aussi. Bien sûr que Roxy était une patiente spéciale, et sans doute celle avec qui je passais le plus de temps. Mais...je ne pouvais pas....Je ne pouvais pas rester ici avec elle tout le temps.Je voulais essayer de lui faire comprendre, mais comment ? Ce n'était qu'une gamine, je ne voulais pas briser son petit coeur, mais je ne pouvais pas céder à son caprice non plus.

Mais pour l'instant je devais la calmer.  J'oubliais complètement les échantillons à prendre et au lieu de ça je m'accroupissais sur le sol pour la prendre doucement dans mes bras et lui faire un câlin, laissant le rayon apaisant et lumineux du bout de mes doigts calmer la tension qui avait dû s'accumuler dans son petit crâne, balayant ses cheveux blonds.

«  Hey là...Je suis là. Ne pleure plus... Calme-toi...   »

J'attendais patiemment que son gros chagrin soit apaisé. Mais je savais que je ne pourrais pas m'échapper de cette situation, elle tenait  à obtenir une réponse que je devais lui fournir. La je ne faisais que gagner un peu de temps, chercher la réponse la plus pédagogique.

«  Roxy... Tant que je suis ton infirmier spécial, je te promets d'être à tes côtés. Mais....  »

Car oui, il y a toujours un mais. Je relâchais doucement mon étreinte.

«Mais je ne peux pas te promettre d'être là pour toujours. Ni tout le temps. Tu vois...Ce n'est pas juste une question de volonté. Tu vivras plus vieux que moi. Un jour je vais disparaître, et c'est normal. Et puis...d'autres personnes ont besoin de moi aussi. Il faut partager. Comme si tu avais des frères et soeurs. Tu comprends ? »

Je n'étais pas sûr de moi, mais j'espérais au moins que cette réponse lui ferait comprendre les choses. J'étais sincère en tout cas. J'aurai pu simplement lui mentir, juste pour lui faire plaisir mais je ne le pouvais pas. J'espérais au moins ne pas la faire pleurer davantage. Je n'aime pas quand les enfants pleurent...surtout si c'est à cause de moi. Mais il me semblait que Roxy, malgré son jeune âge, était capable de comprendre.