Alors que je m'engouffrais dans les catacombes par un beau vendredi soir - j'avais un mauvais pressentiment. Je n'aimais pas ça. Les catacombes. Heureusement il n'y avait plus d'esprits qui demeuraient ici depuis longtemps. Mais vous avouerez que ce n'est quand même pas très rassurant comme endroit et que c'est encore plus louche d'y trouver un night club. D'ici je pouvais entendre les battements sourds de la musique.

Mais pourquoi me trouvais-je ici ? Et bien...

J'étais finalement seul. Avec tout cet espace pour moi. Cet espace physique mais aussi cet espace temporel. Je ne devais plus passer chaque seconde de mon temps libre à espionner Ludwig et Freyr, ni à m'inquiéter pour eux. La libération, le soulagement, la liberté. Ca vous fait tourner la tête dans un premier temps. Et dans le deuxième, il faut trouver comment occuper cet espace nouvellement conquis. Alors j'ai testé quelques trucs. Je me suis pris un abonnement dans une salle de gym, histoire de me remettre un peu en forme. Mais surtout j'ai pris des mesures concernant ma vie personnelle. Même si je ne me sentais pas prêt, même si je n'en avais pas particulièrement envie, je devais éviter de commettre les mêmes erreurs que j'avais commises avec Freyr. Donc, j'avais pris mon courage à deux mains et j'avais décider de me " socialiser".

Cela faisait bien 10 ans que je n'avais plus eu à le faire. J'étais rouillé. Horriblement rouillé. Et puis.. je devais m'engager sur un terrain dont je ne connaissais pas les codes et qui franchement me faisait un peu peur. Alors je prenais la décision la plus raisonnable, j'explorais mes options et je décidais de m'inscrire sur un site de rencontre. J'ai passé plus de 48 h pour la rédaction de mon profil, à choisir une photo et surtout à la rédiger. Je ne savais pas quoi écrire pour me mettre en valeur. Et surtout, j'était concerné par l'image que je donnerai de moi. Mais après délibération, je postais mon profil en ligne, je n'avais plus qu'à attendre...

C'était stressant de se plonger dans l'inconnu. Aussi stressant que d'errer dans des catacombes avec un plafond trop bas et de vieux crânes aux orbites vides qui vous fixent dans l'ombre. Mais j'imagine que ça fait partie de l'expérience. Je poussais un soupir. Je m'étais préparé pour l'occasion. J'avais stylisé mes cheveux d'une façon un peu différente, j'étais en mode décontracté : un jean, des baskets, ce T-shirt à longues manches vertes à rayures horizontales foncées qui m'allait super bien car il montrait un peu ma clavicule et une veste noire assez élégante par dessus.

La musique guidait mes pas et après avoir passé un lourde porte, je me trouvais au lieu de rendez-vous. La musique me perça les tympans, tout comme les lumières. C'était assez bondé. Et franchement ce n'était pas mon genre d'endroit. Les gens s'entassaient sur la piste de danse, les lasers faisait briller les marques fluo sur certains. Il y avait deux sortes de cages où de jeunes femmes peu vêtues dansaient. Les seuls places assises consistaient en quelques box et banquettes, actuellement occupées par de jeunes personnes qui semblaient... comment dire....arriver à la troisième base.

« Super....  » soupirais-je à moi même, puisque personne ne pouvait m'entendre dans ce boucan.

Si Marcus, 27 ans se pointait, je doutais que cela fonctionne. Je veux dire, franchement, quel genre de mec choisit ce genre d'endroit pour un premier rendez-vous ?!! Si j'avais eu toute ma tête, j'aurais déjà tourné les talons. Mais j'étais désespéré, peut-être que ce mec en valait la peine. Je commandais un cocktail maison au bar et j'attendais, manipulant mon téléphone pour m'occuper, jusqu'à ce que la barmaid  aux cheveux bleu fluo me tende un verre remplie d'une mixture rose fluo. Okay.... J'avais pas tellement le choix donc j'en avalais une gorgée. J'ignorais ce qui se trouvait là-dedans, mais ils n'y étaient pas allés de main morte avec l'alcool.


J'attendais. 5minutes. 10 minutes...15 minutes...20 minutes...etc etc. Au bout d'un moment je relevais le nez de mon téléphone, cherchant des yeux la personne que je devais rencontrer. C'était bien vain, de toute évidence on m'avait posé un lapin. Mais dans cette recherche ce fut un regard familier que je croisais.

« Merde ! »

Liam était là ! Je l'ai vu. Et il m'a vu. Merde. Vous me connaissez, je ne suis pas un lâche. Mais là pour le coup je battais en retraite. Il allait encore m'emmerder sans compter sur le fait que j'étais incapable de lui fournir ce qu'il attendait de moi. Alors je lui tournais le dos et je cherchais la sortie.

J'aurai pu y arriver à temps, si seulement il n'y avait pas eu tant de monde. Oui. J'aurais pu.

Crédits de Tic Tac Frey

C’était un peu comme ces cauchemars vous savez ? Ceux où vous essayez d’échapper à votre ennemi mais soudainement votre corps vous trahit, ou bien serait-ce la pesanteur ? Mais vous courrez à deux à l’heure. Mais vous espérez toujours arriver en sécurité. Et j’espérais aussi. Jusqu’à ce que je sente un bras m’enserrer la taille. C’était le sien évidemment, même pas la peine de me retourner pour le savoir. Et en contraste avec la chaleur qui me tenait par les hanches, un frisson parcourut ma colonne vertébrale jusque à ma nuque. “ Attrapé”. C’était foutu. J’abandonnais.

Il était le chat, j’étais la souris. Et il voulait jouer. Et c’était idiot d’être venu ici.

Je me laissais emporter vers sa table où il me jeta avec maladresse. Je me redressais posant ma main sur la banquette pour sentir quelque chose de collant sur mes doigts. Eurk. Quelqu’un avait probablement renversé le contenu de son verre là-dessus. Avec une moue de dégoût, je me résignais à frotter ma paume contre mon pantalon. Le temps de faire ça, le dragon rose avait le temps d’étendre ses longues jambes pour me bloquer le passage. Je lui lançais un regard mauvais par dessus mes lunettes.

Okay, il m’avait attrapé. Mais je n’allais pas pour autant perdre le peu de dignité qu’il me restait à fuir à toute jambes. Je ne lui donnerai pas cette satisfaction. Il proposa un verre en tant que bonne action. Faisant mine de ne pas être impressionné, j’esquissais un sourire narquois.

« Vraiment ? Si tu veux faire une bonne action, achète-moi au moins une nouvelle voiture. »

Je n’avais pas vu Liam depuis un moment. Et je savais que je devais toujours lui rendre des comptes concernant les recherches impossibles qu’il m’avait confiées. Toutefois en le regardant bien.. Il avait bu quelques verres ce soir. Non il n’était pas légèrement alcoolisé comme la dernière fois. Ses yeux injectés de sang, son élocution qui se relâchait, son intonation… il avait bu un verre de trop. Et donc j’espérais qu’il oublierai les affaires que nous avions en cours. Sinon je n’avais pas d’autres choix que de lui dire la vérité - ce qui finirait de toute façon par arriver. Mais je préférais limite que ça arrive ici. Il n’oserait pas me mordre ou me menacer en public. Il y avait tellement de gens ici… on pouvait aussi bien passer inaperçu comme se faire remarquer. Mais être entouré d’autres êtres humains, même saoûl et probablement drogués me conférait un peu plus d’assurance.

Et puis maintenant… je pouvais le voir tel qui l’était. Son énergie. Déséquilibrée. Par l’alcool ou bien s’agissait-il de son état général ? Difficile à dire. En tout la question évidente vint bien assez vite. Je regardais ailleurs, je regardais les gens danser, histoire de masquer un peu mon embarras.

« ...J’attendais quelqu’un. Mais je crois bien qu’on m’a posé un lapin. J’allais partir d’ailleurs. » . J’insistais sur ces derniers mots.

Mais c’était inutile, le chat avait attrapé la souris et il comptait bien en profiter.Il pouvait rire bien entendu. J’évitais soigneusement de dévoiler le sexe de mon rendez-vous. C’était suffisamment humiliant comme ça.

« En tout cas je ne suis pas surpris de te trouver ici. Tu fêtes quelque chose ou tu es juste venu te bourrer la gueule tout seul ? »

Un endroit aussi flashy et dépravé, ça allait bien à Liam.

Crédits de Tic Tac Frey

Je voyais assez mal le rapport entre les bonnes actions de Liam et sa position d’assistant mais néanmoins je ne pouvais pas m’empêcher de sourire. J’aurais probablement pu rire de cette remarque si l’atmosphère avait été plus… propice. Peut-être que si mon collègue passait moins de temps à faire chier les gens, on pourrait peut-être apprécier son sens de l’humour. Tout le monde au labo savait que pour obtenir des bics supplémentaires il fallait plus ou moins 2 heures de longues négociations.

Ensuite j’assistais à quelque chose d’assez intéressant. Avec cette foule, je me demandais comment tous ces gens assis sur les banquettes pouvaient obtenir leur verre et alimenter leur alcoolisme précoce. Liam m’en fit la démonstration, agitant un billet bien haut. Intéressant. Il prit commande. Le mot “habituel” fut particulièrement instructif. Liam était un habitué, ce qui voulait dire que je devais rayer cet endroit de ma liste. Avec un gros feutre rouge. A jamais. Sans regrets.Par contre la serveuse aurait bien eu du mal à se rappeler ma commande dans les milliers qu’elle avait dû servir. Je mentais donc, ne désirant pas goûter cette mixture trop sucrée de tout à l’heure.

« Une bière, s’il vous plaît. »

Ensuite je regardais mon interlocuteur. Il était à l’aise, un sourire narquois étirant ses lèvres fines. Je le savais, dans sa tête, il s’amusait à me prendre au piège. Il se demandait probablement à quelle sauce il allait me manger - sauce soja probablement. Ahahaha. Humour noir. Mais il ne cherchait même pas à le cacher. Son regard de prédateur. Il était le chat et moi la souris. Mais j’avais plus d’un tour dans mon sac. Se laisser faire l’ennuierai. L’affronter provoquerait sa colère. Il ne voulait que m’effrayer, s’amuser à me regarder me débattre. Il avait mal choisi son jour car depuis la dernière fois j’avais un  nouvelle arme dans mon arsenal. J’avais encore de la marge de manoeuvre.

Les verres arrivèrent, je m’emparais du mien, mais je ne buvais rien. Je n’avais pas soif. Liam en revanche semblait combler quelque chose. Cela se voyait à l’avidité avec laquelle il buvait, et le résultat qui en découlait sur son énergie. Il y avait quelque chose de bizarre…

Comme je l’avais prédit, il se moqua de moi. Je ne m’en offusquais pas. C’était moi qui lui fourni l’information, en connaissance de cause. Il se proposa pour remplacer mon rendez-vous, qu’il supposa étant féminin. Evidemment. Je répondais :

«  Vraiment ? Tu te sens un peu seul ? Ca ne me dérange pas de te tenir compagnie même si bon... » Je regardais la foule, désignant  de la tête une série de jeune femme voyante et sensiblement pas très vêtues. « Tu ne préférerais pas passer la soirée avec elle ? Ou elle ?»

Je savais déjà qu’il ne voudrait pas. J’étais sa proie du soir, son évènement inattendu. Dommage, je ne comptais pas lui donner satisfaction. Tenter de se défiler, c’est ça qu’il voulait que je fasse.


« Mais non, tu me choisis moi. Je suis plutôt flatté, vraiment. » dis-je esquissant un sourire furtif.

A mon tour, je faisais mine de me relaxer sur la banquette. J’aurai bien déposé mes coudes sur la table, mais elle était franchement dégueulasse. Je respire profondément, lentement. Ca peut marcher. Qui sait ? Je pourrais être surpris.

Une chose est sûre, l’alcool rend mon interlocuteur plutôt bavard. Plus que d’habitude, et ça c’est intéressant. Je me redresse un peu. Je ne focalise pas sur ses crocs,ni sur son apparence. Je regarde au delà de ça. Et j’essaie d’interpréter ce que je vois.

« Donc tu viens ici parce que tu es malheureux. »

Ce n’était pas une question. Ce n’était pas une moquerie. Ce n’était pas un geignement de pitié. Une simple constatation, sans impliquer quoi que ce soit. Pauvre Liam. Seul et malheureux. J’en aurai presque pitié si ma situation n’était pas aussi proche de la sienne.

C’est alors qu’il commence à rendre les choses difficiles. Je l’écoute et je fronce légèrement les sourcils. Je n’aime pas ça. Il me fait perdre de vue ce que je regarde. Je ne dois pas me laisser déstabiliser par ses tentatives. C’est ce qu’il cherche. Inciter la peur, le dégoût. Je ne sais pas pourquoi, qu’est ce qui se passe dans son esprit tordu pour vouloir ça. Si j’étais un vampire, j’essaierai d’être agréable, séduisant. Et puis seulement une fois que ma proie serait incapable de se défendre, révéler ma vraie nature. Seulement il ne peut pas faire ça avec moi. Je sais déjà. Peut-être que c’est la vérité et qu’il a juste envie de se confier. Peut-être qu’il cherche juste à m’embêter - c’est ce qu’il a dit après tout. Je dois faire de gros effort pour ne pas me laisser démonter.

Ce qui m’inquiète, c’est cette montée d’énergie soudaine alors qu’il parle de meurtre. Et ce qui m’aide, c’est qu’il ignore tout de moi. Ses hypothèses ne me font pas peur parce qu’elles sont fausses. Il ferait mieux de vérifier ses prémisses avant de construire ses hypothèses.

« Je doute que ma conquête te plaise. Et puis… soyons honnête, elle le regretterait quoi qu’il arrive parce que je suis plus beau gosse que toi. »

Mon ton suggère évidemment qu’il s’agit d’une fausse modestie. D’un geste, j’avale deux gorgées de mon verre. J’apprécie moyennement plaisanter sur le meurtre hypothétique de quelqu’un. Je pousse un soupir en regardant autour de moi.

« Et si elle aime se genre d’endroit… Je pense pas que nous soyons des âmes soeurs. Donc ça ne serait pas une grosse perte. »

C’était la dure vérité. Non pas que je souhaite que Liam assassine quelqu’un. Je sais juste que s’il veut le faire, il le fera. Quoi que je fasse. Parce qu’il l’a décidé. Et ça sera sa faute, pas la mienne. Je n’y pourrais rien. Il dirigea la conversation vers ses fantômes, impliquant qu’il commettrait un autre meurtre ce soir. Je répondis avec un soupir.

« J’essaie d’en faire partir la majorité mais certains restent. Pourtant ils ont mieux à faire que te suivre.»

Je choisissais d’ignorer ses menaces de meurtres. Lui dire :  “tu parles beaucoup mais tu ne fais pas grand chose” , l’inciterait simplement à le commettre. Lui dire : “je m’en fous, fais ce que tu veux mais ne m’en parle pas” l’inciterait à m’en rabattre les oreilles. Pour l’instant je ne savais pas comment répondre à ça. Ca me déplaisait profondément. Mais c’était Liam, toute tentative de l’empêcher d’agir et d’essayer de lui inculquer une quelconque morale serait vaine. Le changement devait venir de lui, pas de moi. Je secouais négativement la tête :

« Non merci. Je te le paie par contre. Je déteste avoir des dettes.»

A mon tour j’ôtais un billet de mon portefeuille et je l’agitais bien haut pour attirer l’attention de la serveuse qui pris quelques minutes à nous rejoindre.

«Alors, qu’est ce que tu veux ?.»

Crédits de Tic Tac Frey

Une bière : c’est simple, c’est bon et surtout je sais ce que je bois. Dieu sait ce qu’il trafiquent derrière le comptoir à jouer aux petits chimistes. Ca ne m’étonnerait pas qu’on retrouve de la drogue dans certains verres et dans certaines de leur potions trop colorées. Je sais, quelque part je dois être vieux-jeu. J’assume.

Liam n’avait pas tort. En fait, j’aurai probablement préféré me tailler les veines plutôt que de passer du temps seul avec lui. Seulement quelque chose m’avait frappé chez lui. Liam était une petite brute, un petit harceleur du genre que l’on retrouve dans les cours de récréations de l’école élémentaire. Le même genre que j’avais dû affronter il y a une bonne vingtaine d’années. Et donc, j’utiliserai la même technique autrefois. Mais si Liam était plus dangereux qu’un gros gamin qui te fait des crocs-en-jambes dans les escaliers et qui te pique l’argent de ton goûter, il représentait aussi un gros avantage : il agissait seul. Ce qui rendait les choses beaucoup plus facile.

La vérité c’est que lorsque mon interlocuteur esquissait se sourire cruel, j’avais limite envie de lui balancer ma bière au visage. Son arrogance, son mépris de la vie, son mépris de la race humaine et de probablement tout ce qui n’était pas lui… Je devais me mordre la joue et inspirer profondément pour ne pas exprimer mon dégoût  voix haute. Trop défoncées pour que ce soit drôle. Est-ce que tout ça n’était qu’une blague pour lui ? Un jeu ?

« Tu veux dire tes calices ? Ce n’est pas comme si tu avais le choix.»

Je savais peu de choses concernant les calices. Mais je savais que les vampires n’avaient droit qu’à un certain nombre d’humain. Un peu comme une sorte de troupeau. J’imagine que quelque chose de mal devait se passer si ce nombre était dépassé. Je n’étais pas stupide, je savais que lorsqu’il parlait de jouer, il le faisait en me regardant. Je faisais mine de regarder ailleurs. J’aurai pu être son compagnon de jeu s’il le voulait. Mais le terme jouet était révélateur. Il pensait être capable de me faire danser, ou agir. Il pensait pouvoir s’amuser avec moi impunément. Ca m’est égal. Je ne dois pas le laisser m’atteindre. Je fermais les paupières un instant avant de les ouvrir. Toujours le même décor flashy.

Enfin on arrivait à quelque chose d’intéressant. Le coeur du problème si je puis dire. Ma démarche n’était donc pas vaine. Je regardais franchement Liam alors qu’il parlait. Je regardais comment son énergie fluctuait, s’animait. Il ne pouvait pas me tromper. Il était lassé, sans aucun doute, mais quelque part, il était malheureux. En revanche mes yeux exprimaient un questionnement sincère en entendant tous ces noms.

« … le poulpe mutant ?! Attends...c’est le surnom que tu donnes au boss ?!!. » Honnêtement je ne savais pas si je devais rigoler ou être choqué.. « Enfin… j’imagine qu’il t’appelle bien le dragon….»

Le poulpe mutant quel drôle de nom. Il devait sûrement faire référence au côté polyvalent du savant. C’était vrai qu’il était un touche-à-tout. Tellement brillant. En revanche, j’avais appris une information intéressante. J’avalais une gorgée d’alcool, l’amertume venant apaiser mes papilles.


« Par contre, j’ai du mal à croire que tu te laisses traiter de cette façon par une gonzesse. Pourquoi ne pas simplement la laisser tomber ?»

Liam, se faire rembarrer par qui que ce soit ? J’avais du mal à l’imaginer. Mais c’était ce que j’étais venu chercher. Par contre j’aurai peut-être du m’exprimer autrement. De toute évidence cette femme représentait quelque chose de spécial pour lui, et il suffisait d’un mot de travers pour réveiller le dragon qu’il était. Donc c’était ça son problème. Une femme qui ne lui rendait pas son affection, qui, ironiquement, le traitait comme il traitait tout le monde.

Il se mit à rire de ma fausse vantardise. Ce n’était pas le rire mauvais ou assassin. Juste un rire sincère. L’absurdité d’une blague peut vraiment faire des merveilles. Evidemment que je ne le pensais pas vraiment. Liam était plutôt beau gosse, c’est vrai. Ses cheveux attiraient le regard, et il avait une sorte de magnétisme indéniable. Le problème, c’est qu’il avait une personnalité de merde. Moi en revanche, je suis plutôt passe-partout. Les cheveux noirs, les lunettes… les yeux pâles et bridés. Rien d’attirant à première vue. Mais il paraît que j’ai quelque chose. Du charisme ou je ne sais pas quoi. Une intensité quand je parle. Enfin, ça ce que mon ex-fiancée disait….Allez savoir si c’est vrai. Je m’en fiche.

« Peut-être que tu devrais les couper. » ajoutais-je simplement pour alimenter la conversation.

Mais alors que la conversation prenait une tournure parfaitement triviale, il revint sur le sujet du meurtre. Je me sentais tout de suite moins à l’aise quand il me regardait en me demandant si ça me ferait rien qu’il assassine une pauvre fille.  Je me raidissais automatiquement.


« Ce n’est pas ce que j’ai dit. »

Je faisais passer mon verre d’une main à l’autre en le faisant glisser sur la table. Ce genre de conversation me rendait nerveux et je devais me montrer prudent. Ce fut donc d’un ton plus professionnel que je m’exliquais. Je relevais mes lunettes, fixant le liquide ambré de mon verre.

« … Ce que je ressens n’est pas pertinent. Je doute que tu bases tes décisions sur ce que je vais ressentir. Peu importe ce que je ressens, c’est toi qui prendra la décision de le faire ou pas. Et je ne peux rien y faire. Ca sera ton choix.»

J’espérais que le vampire n’était pas cinglé au point de tuer juste pour m’emmerder. Car si c’était le cas je savais ce qui me restait à faire. Et ce ne serait pas pour exagérer que je mentionnerais le fait de me taillader les veines.

Je ne réagissais pas lorsqu’il fit signe à ses fantômes. Ce n’était qu’une tentative ratée, je n’allais pas le laisser me provoquer sur ce sujet. La serveuse arriva bien assez tôt et Liam commanda sa boisson. Apparemment il avait vraiment l’intention de se bourrer la gueule ce soir. Okay. Je ne prenais rien, mon verre était encore à moitié plein. Mon interlocuteur mentionna mon rencard. Je pouvais comprendre sa curiosité. Il est vrai que m’imaginer en train de sortir avec quelqu’un… ça devait le faire marrer. Takehiro si strict, si professionnel. Ca m’arrive aussi d’avoir une vie. D’avoir des désirs.



« Je n’ai pas vraiment le choix. Je suis nul pour draguer. Je veux dire… la dernière fois que j’ai essayé de draguer une femme dans un bar, je suis tombé sur toi - ce qui me fais dire que tu devrais vraiment te couper les cheveux. Ou je devrais changer de lunettes.» je ponctuais cette vanne avec un léger sourire et une gorgée de bière.


C’est alors qu’un truc de dingue se produisit. Je ne sais pas si je devais interpréter ça comme une façon de se faire pardonner, ou encore une trève, mais Liam semblait sincère. Qui sait, peut-être que ma technique était vraiment en train de fonctionner ? J’hésitais un instant avant de trinquer à mon tour.


« D’accord. Mais pas toute la nuit, j’ai plus vingt ans. Et aussi, je ne danse pas. C’est pas négociable. »

Crédits de Tic Tac Frey

Liam semblait surpris que je l’ai écouté. Ce n’est pas comme si j’avais eu le choix. Je n’allais pas faire la sourde oreille. Mais ensuite, il dit quelque chose qui me donna des frissons. J’avais presque naturellement conclu que les calices étaient censé nourrir les vampire à long terme. La lueur dans son regard et ce qu’il sous-entendait faisait froid dans le dos. Il pointait du doigt le fait qu’un vampire pouvait allégrement assassiner ses calices, et que ce statut ne garantissait en rien leur survie. Et ensuite il avoua que cela ne le concernait pas. Il n’avais pas de calice ?!! Mon visage exprima la surprise et la trahison en même temps.

Il l’avait sous-entendu mais il ne l’avait jamais dit explicitement. Pourtant c’était ce qu’il voulait me faire croire. Je n’étais pas complètement idiot. Mais au moins, maintenant il ne pouvait plus me faire peur avec cet état. Mais il pouvait toujours me vider de mon sang, sans aucun doute. Mais c’était pas comme si j’allais le laisser faire. Liam n’était jamais aussi puissant que je l’imaginais et j’avais certainement les moyens de le contrecarrer s’il songeait même à poser ses crocs sur ma gorge.

En plus il était franchement alcoolisé. Ca se voyait. En même temps combien de ces cocktails avait-il déjà englouti. Un vampire bourré, ça doit être drôle. Même si je sentais que j’allais devoir lui appeler un taxi pour qu’il rentre chez lui. Je remarquais qu’il avait un regard un peu absent, que son élocution en prenait un coup, tout comme sa posture. Moi j’allais bien. Mais après cette bière j’allais probablement demander un virgin rhum coca.  Concernant Mad, Liam se montra mystérieux. Peu de gens étaient autorisés à le rencontrer. Peut-être aurais-je cette chance, si je continuais à bien travailler. Quoiqu’il en soit Liam conservait le mystère.

Toutefois il se permettait de se dévoiler plus qu’il ne le souhaitait et ça ne tombait pas dans l’oreille d’un sourd. Est-ce que cette mystérieuse femme qui le menait par le bout du nez pouvait être la source de son mécontentement et donc, par extension, de sa répugnante personnalité ? Mais apparemment j’avais soit mal compris le nature de la relation, soit Liam et cette inconnue étaient encore plus tordus que je l’avais imaginé. J’étais curieux de savoir quel était cette chose qu’il souhaitait récupéré, mais vu son mouvement d’humeur, je décidais de me la jouer avec prudence et de demander quand il arrêterait de serrer les dents. Je me permettais une remarque cynique :


«Waw. Ca a l’air d’être idéal comme relation.»

Et je ponctuais ça avec une gorgée de bière. Moi qui croyait avec des relations dysfonctionnelles avec les gens, je pouvais remettre ça en perspective. Merci Dragon. Donc il ne l’aimait pas. Il aimait ce qu’il voulait récupérer. Qu’est ce que ça pouvait bien être ?

Je regardais Liam jouer avec ses mèches. De toute évidence, il n’avait pas l’intention de se séparer de sa crinière rose fluo. Ca faisait partie du personnage. La façon dont il caressait ses boucles avec un regard quasi amoureux ne laissait pas de place au doute. C’est vrai qu’il avait de beaux cheveux quand même…

Par contre on pouvait se mettre d’accord sur le fait qu’on avait les pas les mêmes goûts. Je veux dire, nous sommes des opposés. Et contrairement à Liam, j’ai de la classe. D’’ailleurs je serais curieux de voir la tête de sa chère et tendre.


«C’est peut-être une des seules choses sur lesquelles on peut se mettre d’accord. »

Loin de moi, l’idée de juger mais les fréquentations de Liam devaient être chelou. Ca se voit dans le genre d’endroit qu’il fréquente. Et qu’est ce que ça lui apporte ? Une relation bizarre avec une femme. Finalement n’avoir personne ce n’est pas si mal. Et je devrais vraiment penser à filtrer mes “prétendants”.

Je restais réservé. Liam avait déjà joué à ce petit jeu avec moi. Il m’avait laissé sous-entendre qu’il était capable de faire des calices, et de mon côté, je le laissais sous-entendre que j’aimais les femmes. Même si l’idée de mentir à propos de ça me gênait un peu. Quoi qu’il en soit je ne pouvais pas lui avouer la vérité. Il se moquerait de moi. Et ça je ne pourrais pas le supporter. C’était un de mes points faibles et je devais le protéger. Avec un peu d’humour j’ajoutais :

« Peut-être. Mais ton horrible personnalité aurait fini par me faire fuir.»

D’ailleurs comment cette femme pouvait désirer ce type ? Liam n’était pas laid, loin de là, mais bon sang, sa personnalité…il y avait de quoi partir en courant. Sans compter sur le fait que ce soit un meurtrier. Et un connard. Et probablement un psychopathe vu son manque d’empathie. On ne peut pas avoir envie de ce genre de personne quand même. A moins qu’elle ne soit complètement cinglée. Ils se sont peut-être trouvés tous les deux finalement.

Peu importe, je trinquais avec le psychopathe, histoire d’en apprendre plus.

« Même pas en rêve. » ajoutais-je avec un sourire.

Je ne souhaitais pas encore abandonner l’idée que Liam pouvait être plus que ce qu’il paraissait. Mais ça allait demander du temps et beaucoup d’abnégation. Peut-être que j’échouerais. Peut-être que Liam n’était vraiment qu’un malade mental sadique et à l’esprit beaucoup plus dominateur. Ou peut-être qu’il était ce que je suspectais. En tout cas je ne comptais pas danser pour ça. Je ne danse pas. Un point c’est tout.

Mon interlocuteur fit remarquer que j’étais plein de surprises. Je pouvais à peine en dire autant de lui. Je n’avais pas appris grand chose, à part l’existence de cette femme et de ce qu’il souhaitait récupérer. Mais je me doutais que si je le poussais à en parler, je risquais de me retrouver dans le mur avec la gorge arrachée histoire de punir ma curiosité. Et puis il jouerait de la flûte  avec ma trachée. Ouais, ça ressemblait bien à ce qu’il pouvait faire.

Je fis mine de me détendre, désormais capable de pouvoir étendre mes jambes comme je le désirais.

« Ouais, hein. Qui aurait cru qu’il y avait une vraie personne sous ce costume ? »

Une autre remarque cynique. Je reprochais à Liam de ne pas voir la personne derrière. Il me considérait comme un jouet, pas comme une personne. Ou alors il en avait conscience et il n’en avait rien à battre.C’était aussi une possibilité. En tout cas, je voulais bien croire qu’il y avait plus qu’un psychopathe et un connard en Liam. J’avais de l’espoir.

J’avalais une autre gorgée du liquide ambrée et je haussais les épaules.

« Appelle- moi comme tu veux. Moi je t’appellerai Liam. Ton nom est inutilement compliqué..»

Takehiro ou Hamada ça n’avait pas d’importance. Ce n’était pas ça qui allait l’empêcher de faire preuve de familiarité ou l’empêcher de me manquer de respect. Par contre je manquais de m’étrangler avec ma bière quand il m’annonça d’abandonner mes recherches. Mes yeux bridés s’écarquillèrent sous l’effet de la surprise

« Pardon ?!! Quoi ??»

Alors là je m’attendais à ce qu’il me reprenne à ce sujet. Moi qui craignais qu’il s’inquiète de mon avancée et qu’il décide de … comment dire… me donner davantage de motivation, j’étais à côté de la plaque. Je bugais un instant, sans comprendre.


« Mais… tu es sûr ? Tu étais si...insistant, si… passionné. Tu as changé d’avis ou tu as trouvé autre chose ?»

Crédits de Tic Tac Frey

Et bien décidemment… Si Liam n’était pas capable de percevoir mon sarcasme il était néanmoins d’humeur à partager ses malheurs. Je n’en demandais pas tant, en fait, je ne souhaitais pas forcément tout savoir sur sa vie sentimentale qui je n’en doutais devait être sillonnée de déviances et autres joyeusetés. Et honnêtement, on n’a que ce qu’on mérite. Je doutais sincèrement que le vampire soit l’exemple même de petit ami idéal. Mais je gardais ces commentaires pour moi, préférant le laisser parler et en dévoiler plus sur lui-même. En revanche, ses paroles suivantes suscitèrent ma curiosité.

« Le couvert pour la pierre philosophale ? Qu’est ce que tu veux dire par là ? »

Sans contexte j’étais incapable de deviner de quoi il parlait. Mais c’était sûrement un truc louche. Avec Liam tout devait être louche, corrompu.

Son explication sur ses multiples facettes me fait doucement sourire. Pas un vrai sourire évidemment. Ca aussi c’est des conneries. Oui les gens ont des côtés différents mais faut pas rêver, avec ses intentions meurtrières, on ne me fera jamais croire que ce vampire est un vrai petit ange. Je veux bien croire qu’il ait des côtés plus doux mais ça ne change pas sa nature profonde,  vu ce qu’il a fait, ses menaces étaient loin d’être du bluff.


« Ouais et bien, tu sais ce qu’on dit sur la première impression.»

J’avalais une autre gorgée de bière. Nan, j’étais prêt à accepter que Liam n’était pas tout le temps mauvais, mais rien ne pouvais m’ôter l’idée que peu importe ce qui lui était arrivé, c’était ce qu’il était devenu. Pas question de baisser ma garde. Je voulais en savoir plus, je voulais espérer, mais je n’étais pas idiot au point de lui accorder toute ma confiance. Et puis un caméléon avec des cheveux roses ? Naaaaay. Et ses dons étaient discutables vu qu’il avait toujours adopter la même technique avec moi : la menace. Tu parles d’une adaptation. Vous savez ce qu’on dit : si ça ressemble à un canard, marche comme un canard et caquette comme un canard...ben c’est un canard.

En revanche sa décision d’abandonner les recherches me laissa complètement abasourdi.  Est-ce qu’il changeait d’avis aussi souvent. Apparemment son temps était compté et par conséquent, le développement d’une recherche et d’une méthode qui fonctionne… ça pouvait prendre des dizaines d’années, sans compter les conséquences relativement néfastes et imprévues qui pouvaient se produire. C’était sans aucun doute une sage décision et également la raison de ma surprise. J’apprenais par ailleurs que la personne qu’il aimait le plus était liée à son amante. Et aussi que c’était un elle. Beaucoup moins surprenant. Est-ce que c’était sa mère, sa soeur, sa fille, sa meilleure amie ?

Liam était nerveux à l’idée que cette Nyna puisse faire en sorte que celle personne le haïsse. Je pouvais comprendre Nyna. Liam était loin d’être idéal, et on pouvait avoir toutes les raisons de le détester.

Le vampire était vraiment désespéré. Au point de me demander de l’aide et celle de Freyr. Au point d’avouer qu’il s’agissait de sa fille. De sa propre fille. Pas étonnant que cette femme ait cherché à l’éloigner de son père. A première vue Liam était loin d’avoir la fibre paternelle...Mais qui sait si cette femme n’était pas similaire voire pire ? Et surtout l’éloigner de Liam semblait sage mais ...l’empêcher de vivre sa vie ? Ca me semblait tout de suite moins juste.

Je poussais un soupir et je passais une main dans mes cheveux. Il était désespéré. Comment lui dire ?

« Ecoute. Freyr ne peut pas faire grand chose. Il peut changer la météo, rendre les gens “peace and love”...mais je ne pense qu’il soit capable de faire quelque chose comme ça. »

A moins que pour ça il ait besoin de davantage de pouvoir et de nexus, mais pour ça, Liam pouvait toujours attendre, ça ne se bousculait pas au portillon. Je joignais mes mains sur la table et j’essayais de dire la suite à Liam avec le plus de compassion possible :

« Mais tu sais quoi ? Même si dans un monde hypothétique il aurait pu le faire, il aurait connu un moyen de t’aider…. Honnêtement… je doute qu’il l’aurait fait. A cause de ton comportement. Parce que certaines personnes ne répondent pas aux menaces, Liam. Parce que personne n’aurait sincèrement envie de t’aider…. Le karma est une pute, hein ?»

Je vidais ma bière et je me levais. Je n’avais pas l’intention de rester plus longtemps.

« Désolé pour ta fille. Mais si tu veux vraiment l’aider, tu sais ce que tu devrais faire ? Retrouver la personne qui lui a fait a et la convaincre d’inverser le processus. C’est tout ce que tu peux faire.»

Crédits de Tic Tac Frey

C’était tellement inhabituel que Liam se mette à parler de lui-même. Je posais des questions avec prudence, mais sans éviter le vif du sujet. Connaissant son tempérament, je m’attendais à ce qu’il me saute à la gorge au détour d’une question aléatoire, et probablement mal placée. Mais ma curiosité me poussait à continuer, je voulais en savoir plus, gratter graduellement la surface de cette poupée barbie. Mais pour trouver quoi ? J’avais arrêté d’avoir des attentes particulières. Une chose était sûre, le milieu que fréquentait mon collègue était loin d’être propre. Une ex-copine, la mère de son enfant qui travaille dans une fumerie d’opium ( d’ailleurs j’ignorais que ces trucs existaient encore). Mais surtout que faisaient les services sociaux ? Pauvre gamine, vivre dans un milieu pareil… Mais serait-elle mieux placée auprès de Liam qui souhaitait refaire d’elle une vampire ?  Et cette histoire de crimson...hm…

Je n’appréciais pas l’air narquois de mon interlocuteur quand il parlait de mon boss. Il savait des choses que j’ignorais et il n’hésitait pas à me le rappeler.


« J’espère que ça finira par arriver.» ajoutais-je d’un ton neutre.

Mad restait mystérieux et ne souhaitait pas être dérangé. Parfois je me demandais s’il ne s’agissait pas d’un canular. Ou si Liam était Mad. Mais j’écartais vivement cette idée, il n’égalait en rien le génie du maître. Qui sait, peut-être qu’un jour je serai digne de son temps ?

Liam ne lâchait pas l’affaire. Bon d’accord, il n’avait pas tort quand il disait que les dieux avaient créés les vampires. Mais ils n’étaient en rien responsables du sort de leur créature. Les dieux n’interfèrent pas avec ma vie. Il n’y a pas de destin. Je secouais la tête de façon négative pour seule réponse à sa misérable supplique. Il avait beau se poser des questions et supplier il n’y avait pas d’autres alternatives. Ce qui était arrivé à sa fille… c’était partiellement de sa faute. Et les dieux n’étaient pas là pour effacer nos erreurs. De plus Freyr ne savait rien. Je me doutais qu’il devait cacher certaines choses - mais s’il disait ne rien savoir sur le sujet, je le croyais.

Je remarquais son déclin. Ses paupières qui se baissaient, son regard moins alerte. L’alcool lui faisait plus d’effet que je le pensais et il avait bu davantage que moi. Et ce que j’avais cherché à lui dire, ce n’était pas vraiment un reproche.  C’était une explication. Un avertissement. Avec un comportement comme ça, il n’arriverait pas à grand chose.  Et il me souriait et me soutenait que ça aurait été hypocrite. Les gens changent Liam. Ils changent. Je poussais un soupir. C’était inutile d’essayer de lui faire comprendre quoi que ce soit.

«Bien. Ne te remets pas en question.» commentais-je d’un ton sarcastique avant de me lever.

Il essaya de faire de même mais retomba aussitôt sur son siège. J’étais un peu surpris de le voir dans ce état. En même temps je ne savais pas combien de barils de cette mixture rose il avait pu ingurgiter avant que j’arrive. Et s’il était sous l’effet d’autres substances. D’un ton pathétique il s’enquit de savoir si je partais. Je ne lui accordais pas de réponse.

Alors sa tête dodelina avant de s’écraser sur la table. Eurk. Il allait avoir des traces du liquide rose et collant sur le crâne, c’était certain. Sa masse tentaculaire de cheveux roses retombaient n’importe où. Pendant un instant je fus pris d’un doute. Et si il jouait la comédie pour que je le prenne en pitié ?  Je restais debout un instant, sans me déplacer, jusqu’à ce qu’un danseur me bouscule. Bon. Techniquement j’aurai eu tout à gagner à partir maintenant. Tout le mal qui lui arrivait, il l’avait cherché. Liam était un vampire, un connard têtu doublé d’un idiot et d’un meurtrier sans conscience. Je n’avais pas de raison de le prendre en pitié, n’est-ce pas ?

Mais c’était aussi un père et apparemment désespéré et dépourvu de solution. C’était peut-être pour ça qu’il agissait comme un véritable fils de….bref vous avez compris. J’avançais vers lui et je lui pokais le bras avec réticence.

« Hey. HEY ! » je parlais plus fort pour le réveiller. « Tu comptes rester ici comme un pathétique ivrogne ou je te ramène chez toi ? »

J’étais sérieux. C’était tout ce que je pouvais ressentir pour Liam : de la pitié. Et qui sait, peut-être que si je montrais amical avec lui - il serait réticent à me menacer. J’en doutais fortement. Mais si je pouvais éviter à quelqu’un de mourir écraser ce soir, je pouvais toujours essayer. Aussi, je découvrirais où il habite. Ca pouvait toujours être utile dans le futur.

Crédits de Tic Tac Frey

Sa réponse était celle d’un homme las, à qui on avait sûrement déjà fait la remarque. “ Pour quelle raison devrais-je me remettre en question ?”. J’esquissais un sourire mauvais. Evidemment, j’en oubliais presque à qui je m’adressais. Pourquoi changer, pourquoi évoluer ? Liam faisait partie de ses personnes fossilisées qui constituaient un déchêt, un gaspillage d’oxygène et de place. Tout va mal, mais pourquoi devrais-je changer ? C’est aux autres de le faire. Bon sang, ce que je méprisais les gens comme ça. Mais au moins je savais à quoi m’en tenir, toute tentative de lui faire comprendre la vérité, ou de le faire changer serait vouée à l’échec. Il était comme ça et ne changerait jamais, immuable, à tout jamais figé jusqu’au jour béni de sa mort. Je poussais un soupir et secouais la tête. Non il n’aurait pas de réponse à cette question. Autant épargner ma salive. Il poursuivit en listant ses soi-disant réussites finissant par délirer sur Mad, éclatant d’un rire désagréable.

« Hein ?...»

Il délirait avec ses histoires de méduses et de poulpe. Je me demandais ce que ça pouvait bien vouloir dire, mais inutile de questionner le vampire aux cheveux roses. Je ne tirerais rien de sérieux. C’était assez étonnant d’ailleurs. Presque drôle. Comme un humain sous l’effet de l’alcool il commençait à se dégrader vitesse grand V. Sa stature, son élocution, son regard. Bientôt, à moitié affalé sur la table, il se convaincrait qu’il parviendrait à retenir ses nausées. Et puis il finirait par courir aux toilettes et vider le contenu de son estomac. Je connais ça. Mais parfois j’oublie que Liam est à moitié humain, là c’est un bon rappel. Lui aussi est sensible aux effets de l’alcool et lui aussi devient un pathétique ivrogne après quelques verres de trop.

Il était devenu inoffensif. J’aurai probablement dû partir sans me retourner, lever les bras et crier “liberté”, mais quelque chose me perturbait à propos de Liam. Une drôle de sensation dont je ne pouvais me débarrasser. Il était saôul. Il était pathétique. Il était triste. Il était con. Mais surtout, il était seul. Désespérément seul. Et je n’étais pas tranquille à l’idée de le laisser seul ici. J’essayais de me convaincre que c’était parce que je craignais qu’il massacre la population de la boîte de nuit ou pas mal de piétons innocents en rentrant chez lui. Mais la vérité, c’est que parfois il suffit d’une personne, juste une qui fasse quelque chose de bien pour susciter le changement en quelqu’un. Même si je n’avais pas beaucoup d’espoir, je lui proposais de le ramener chez lui.

Contre toute attente, il accepta. Pas de merci évidemment, fallait pas espérer la lune. Il tituba hors de la boîte de nuit pour aller chercher ses clés dans sa voiture. Apparemment il vivait à Kalel.

«Kalel ? Ca fait pas un peu loin pour navetter ?» commentais-je.

S’il devait le trajet tous les jours et venir jusqu’ici pour s’amuser… C’était pas tout près. Vu comment il marchait j’essayais de lui tendre la main pour l’aider. Il la repoussa aussitôt d’un geste maladroit. Okay. Fier. Je pouvais comprendre. Je reculais et je le laissais fouiller dans sa voiture de sport - sa belle voiture de célibataire. C’était un peu grotesque de le voir fouiller comme ça, donc je regardais ailleurs. Il me lança ses clés et je les rattrapais in extremis, comme je ne faisais pas attention. Je le rassurais aussitôt :

« Ne t’en fais pas, si ça devait arriver, je te laisserai dormir dans le caniveau. Littéralement.» je parlais plus fort pour le réveiller.

Ma gentillesse et mon sens du devoir avaient des limites. Hors de question d’inviter Liam chez moi, c’était comme signer mon arrêt de mort.

« Allez suis-moi, je suis garé un peu plus loin. Si t’as envie de gerber, ouvre une fenêtre.»

Pas question de conduire Liam jusque chez lui avec sa voiture. Je devais encore rentrer après. Et puis ça lui fera les pieds, de prendre le taxi jusqu’ici demain matin pour la récupérer. Arriver à ma voiture, je pris place du conducteur et j’activais le GPS. Je n’étais jamais allé jusque Kalel.

«Est-ce que je peux avoir une adresse ? Au moins le nom d’une rue ? Oublie pas de mettre ta ceinture.»

Crédits de Tic Tac Frey