le songe lourd et confus

de l'humanité

Tu reçois des courriers de toutes sortes, des demandes de tous les horizons et de toutes catégories. Tu es habitué à recevoir des lettres étranges mais celle-là t’a fasciné comme rarement d’autres l’ont fait. Au début tu l’avoues, malgré la présentation officielle du papier tu as cru à une farce ou à un traquenard. Mais des gens sont venus te demander conseil à ce sujet et tu as dû admettre que quelqu’un connaissant absolument tous les Holders devait être moins plaisantin que Roi. Tu as soupçonné le Roi dont parle certains, le savant qui vous aurait créé. Quoi de mieux pour connaître sa création de la voir dans sa splendeur ? Que de lui demander de montrer sa force et sa grandeur ?

Alors la veille du jour J, tu prends tes clics et tes clacs et le chemin de Kalel. Quand tu y arrives après un trajet trop long, la poussière et le soleil de plomb te souhaite la bienvenue. Tu payes une chambre dans le premier boui-boui venu et te repose. Demain sera assurément une journée fatigante.

L’excitation avant le tout pour le tout te parcoure comme une drogue, cela fait si longtemps que tu ne t’es pas donné à fond, que tu n’as pas déployé toutes tes capacités. Pour la journée tu n’es plus Griffin, pour la journée tu n’es plus prêtre. C’est le retour de Love, de l’invincible, de celui qui a été assez fou pour tuer jusqu’à un dieu. Le chien enragé remonte à la surface et aucune bride de bienséance ou d’apparence ne pourra le maintenir.

Tu assistes assez admiratif aux progrès de ton élève. Si tu ne réussis pas, tu aimerais que lui l’obtienne, au moins le titre de Magicien, malgré sa jeunesse et malgré son manque de maîtrise, il le mérite. Il a la hargne c’est tout ce qui compte. Tu dévisages son adversaire. Tu n’aurais pas apprécié être face à une telle anguille mais Sohan s’en est bien sorti.

Tu as choisi de ne pas faire face. C’était le choix le plus judicieux, quand on combat face à quelqu’un il peut y avoir des différences de niveaux flagrantes, il faut établir une stratégie etc. Tout est pris en compte. Quand on est seul il n’y a pas de comparaison. Il convient alors de se la jouer le plus possible, de leur en mettre plein les yeux.
Ton nom est enfin appelé, le groupe C passe en dernier.

Au centre de l’arène, exposé à tous tu te permets un sourire en coin.

« Pour moi la magie est un mélange entre la maîtrise… »

Et soudain tout le sable de l’arène s’élève à un mètre du sol, au centimètre près. Puis tu le repose d’un seul tenant, ne laissant aucun grain derrière rien qu’une grosse pierre en suspension. Tu n’as pas bougé un cil, le visage de marbre, concentré sur ton objectif.

« Et la puissance. »

Ta voix sonne à tes oreilles comme à des milliers d’année-lumière quand soudain tu relâches la pression. Une seconde la pierre retombe et à peine touche-t-elle le sol, une milliseconde avant qu’elle ne se fracasse tu augmentes son poids de manière exponentielle. Quand le choc se produit c’est une explosion qui fait vibrer presque toute l’arène. Le sable frémit et se soulève de quelques centimètre, en toi rugit la fierté. La poussière tombe, au milieu d’un cratère d’une circonférence que tu juges satisfaisante, gît la pierre. En miettes.

Puis soudain puisqu’il s’agit d’un spectacle, de se donner en spectacle tu appelles d’un bourdonnement insignifiant toutes les mouches qui traînent près des corps en sueur, les taons, les insectes qui font légion. Tu leur dis de venir auprès de toi et bientôt ils forment un nuage disgracieux et bruyant. Puis d’un claquement de langue sec ils obéissent à l’ordre et se dispersent en une longue colonne. De loin on pourrait croire que tu es une cheminée dont ils sont la fumée.

Tu plaques ta langue contre ton palais et créé une sorte de sifflement, un tss. Tu le modules et au gré de ce simple souffle d’air la colonne se met en formation de « V » et vibre de toutes ses forces. Puis la nuée se disperse. A côté de toi ne reste qu’un moucheron paresseux qui se colle à ton oreille.

« Même si l’information peut-être utile. Mes amis me disent qu’il y a trente-huit personnes présentes dans ce phare. Vingt-trois d’entres-elles n’ont pas une odeur qu’on peut qualifier d’humaine. Et deux ont surement une insolation »

Tu remercies ton informateur d’un mouvement gracieux de la main. Même si au final tu n’es pas très puissant tu auras fait de ton mieux, tu auras réalisé ton numéro parfaitement.
Mais que serait ce numéro sans un peu de panache et d’adrénaline ? Que serait ce numéro si tu ne secouais pas un peu le public ?

« Je saluerai aussi la présence de notre créateur. J’espère que vous êtes fier de ce que vous avez fait de nous »

Et là, tu t’en vas. Tu savais qu’il serait là, il ne pouvait pas ne pas y être. Après tout, il a tout organisé pour son propre plaisir, non ? Tu repars, les cheveux collés aux tempes par l'effort et le souffle légèrement haché. Même si tu n'en montres rien, tu es sacrément claqué.