Je bronchais à peine en sentant ses lèvres sur ma paume. Mon cerveau avait déjà déconnecté et je n'hésitais pas à me caler confortablement contre le siège, m'endormant sans demander mon reste. De toute manière, que pouvais-je faire d'autre ? Pour une fois, j'allais écouter ce qu'il me conseillait parce que, pour une fois, j'étais pleinement d'accord avec ce qu'il me disait. J'avais besoin de sommeil.

Je grognais quand il me secoua, ce qui m’apparut comme à peine cinq minutes plus tard. J'ouvris des yeux vitreux et le suivis dehors, frissonnant à cause de l’air glacé et de la neige qui recouvrait le sol. Tel un robot, j'obéissais à ses invectives et allais me mettre à l'abri, dans un recoin. Logan revint rapidement avec un véhicule de fonction, dans lequel je m'engouffrais avec ravissement. Bon dieu, le chauffage était poussé à fond. Quel bonheur. Sans attendre, la voiture fila dans les rues glacées de la Cité Nordique, avant de s'arrêter au bas du domicile des deux frères. Décidément. Allions-nous à chaque fois entrer là en étant en petits morceaux ? En même temps, je me voyais plutôt mal me pointer un jour pour une visite de courtoisie. Je n'avais rien à faire chez eux.

Logan me précédait sur les marches et je sentais par notre lien qu'il était mal à l'aise. Hum. C'était certainement moi qui allais m'en ramasser plein la gueule, vu ma naïveté et ma propension à me fourrer dans les ennuis tout en y entrainant au passage ceux qui se trouvaient autour de moi.

La porte s'ouvrit sur Bertram, qui semblait très inquiet. Zut, c'est vrai. Lui, il n'avait eu que le lien et ça n'avait pas dû être le plus rassurant qui soit. Par contre, je bloquais sur ses paroles. Chris ? Oulà. Je pigeais plus grand chose là, et je décidais sagement de laisser tomber. Bertram se mit immédiatement à passer ses mains lumineuse sur le corps de Logan, soignant le reste de ses blessures. J'étais jalouse. J'étais jalouse de ne pas avoir un pouvoir plus puissant, de ne pas être plus utile que ça. Je restais en arrière, soucieuse de ne pas me montrer trop envahissante.

« Il se trouve que Logan est extrêmement passionné pour mes histoires de cœur, ces derniers temps, marmonnais-je avec une pure mauvaise foi. »

Je fourrais mes mains dans mes poches. Cette veste était de toute manière foutue, peu importe si je l'abîmais encore en y foutant mes mains pleines de sang. Je détournais les yeux en me mordillant la lèvre.

« Mais en y fourrant les pattes, il m'a évité bien des ennuis, murmurais-je. Je suis désolée de t'avoir entraînée là-dedans, Logan. Sincèrement. »

Je regardais d'un air absent le chat qui venait de filer à toute vitesse d'un côté à l'autre. Je relevais un regard penaud vers Bertram.

« Désolée pour tout ça, j'ai dû t'inquiéter. »

Je me dandinais d'un pied sur l'autre, savourant la chaleur de l'appartement. Mine de rien, je n'avais vraiment pas sélectionné le bon pyjama ce soir. Il faisait un froid de canard à Froënbourg... en même temps, aurais-je pu savoir que je finirais ici ?

Logan disparu un instant pour revenir avec des couvertures. Mon dieu. Je n'avais qu'une envie : m'enrouler dedans. Je réprimais toutefois mes envies de cocon douillet pour me concentrer à nouveau sur les deux frères. Bertram me signala qu'il ne s'inquiétait pas pour moi et je levais les yeux au ciel, tout en réprimant le fait qu'entendre ces mots était plutôt... désagréable.  

« Je ne parlais pas de moi, mais de Logan. De votre lien. »

Je détournais les yeux à nouveau, tandis que Logan complétait mes premières paroles, mentionnant alors le Sang-Pur à mes trousses. Tout en précisant à demi mot que lui aussi faisait figure de gibier. Je frissonnais en songeant à ce qu'auraient pu infliger les chasseurs à Logan s'il avait été découvert. En y réfléchissant, même si mon lien avec lui était découvert, je tenais une excuse plus que potable. Je pouvais leur baragouiner que je l'avais séduit afin de remonter jusqu'à un nid de vampires, ou un mensonge du genre.

Je secouais vivement la tête, horrifiée par les pensées qui venaient de me traverser. Bon dieu, mais pourquoi je pensais à des choses pareilles ? Je ne devais surtout pas parler de malheur.

Je me mordillais la lèvre face aux inquiétudes de Bertram. Visiblement, cette histoire de Sang-Pur le mettait mal à l'aise. Hnn. Enfin, je suppose que je serais dans le même état si un vampire en avait après Jevy.

« Je ne pense pas qu'il sache qui est Logan. »

Enfin, des Sang-Bleus, ça ne devait pas courir les rues, sans doute. Avec un peu de recherches, peut-être trouverait-il finalement... en espérant qu'il se contente de guetter à l'entrée de ma taverne plutôt que farfouiller à la recherche de notre vampire.

Il n'avait pas particulièrement avoir envie de m'ausculter comme Logan. Dans un sens, ça m'arrangeait. Je me contentais donc de tendre mes mains devant moi, paumes vers le haut.
Oh. La vache. Je m'étais pas ratée, entre le verre et les lames. Mes paumes étaient maculées de sang carmin, présentant de petites touches de violet là où j'avais effleuré le sang bleu de Logan en tentant de le camoufler.

« Merci, murmurais-je. »

Je tirais machinalement sur mon shorty, pas assez que pour le faire descendre d'un iota de mes hanches. C'était un réflexe que j'avais quand j'étais gênée. Je tripotais mes vêtements. J'avais les jambes toutes éraflées des suites de ma chute dans le sable et sur Logan. Bon dieu. J'allais laisser ça ainsi, pas question que quelqu'un approche ses mains de mes jambes. Ça finirait bien pas guérir.

Je jetais un regard en biais à Bertram. Il était... différent. Comme si le Bertram qui s'était occupé de moi après la morsure et celui qui se tenait devant moi étaient deux êtres différents. S'était-il passé quelque chose ? M'en voulait-il d'avoir causé ces blessures à Logan ?
J'étais vraiment embêtée. Je savais que je n'avais pas ma place ici.

Je jouais avec une mèche de cheveux, ne sachant quoi faire. Alors je me rappelais.

« Jevy va me tuer, geignis-je. Il faut absolument que je l'appelle. Vous... vous pourriez me prêter un téléphone ? »

Je tremblais déjà à rien qu'à l'idée de l'avoir en ligne. Je priais donc pour que ce ne soit pas lui qui décroche. Pour mettre un maximum de chances de mon côté, je composerai le numéro de la taverne et non son privé. Je savais que les chasseurs ne se privaient pas pour répondre à la place du personnel, j'avais donc une chance de tomber sur eux.

Oh. Mon. Dieu. Logan venait de s'improviser stripteaseur et avait retiré sa chemise. Nom de nom, tant de cicatrices...

Logan me tendit le fixe et disparut presque immédiatement dans la cuisine, Bertram sur les talons. Je me convainquis que c'était plus pour ne pas me déranger pendant mon appel que pour décider de ce qu'ils allaient faire de moi. Parce que oui, il allait bien falloir prendre une décision à ce sujet. Soit ils me protégeaient, soit c'était chacun pour sa pomme. Soit on brisait le lien que je partageais avec Logan. Je savais que c'était quelque chose de possible, j'avais entendu les chasseurs en parler. Une espèce de savant complètement barge aurait apparemment trouvé comment libérer Calice et vampire. Dans un sens, c'était terrifiant et à la fois rassurant de savoir que la morsure pouvait ne pas être définitive sans passer par la case "cercueil".

J'encodais rapidement le numéro du fixe posé sur le bar, croisant les doigts pour que ce soit un chasseur qui réponde. Bingo ! Ce fut une voix grave que je ne reconnaissais pas qui répondit aussitôt.

« Mercedes ? »
« Je préfère Sharmal, mais oui, c'est bien moi. »
« T'as le chic pour foutre la pagaille, tu sais ? Ah, tu n'as pas changé d'un pouce ! »
« ... Maître ? Vous... êtes vivant ? »
« ... tu te fous de ma gueule, Mercy ? »
« Mais... vous avez disparu du jour au lendemain, après mon homologation ! Évidemment que j'ai pensé qu'on vous avait fauché ! »
« Si tu passais un peu pus souvent au siège de la Guilde, tu aurais vu que je suis encore bien vivant. HEY ! Tu serais pas un peu... déçue ? »
« À peine. »
« Tu as la rancune tenace, petite. »
« Vous me faites perdre mon temps, Maître. J'ai des choses plus imp... »
« C'est un gros morceau que tu nous as déniché, Mercy. On a lancé un avis de traque, on a déjà quatre troupes prêtes à partir. Grosse rémunération. Tu aurais des infos, pour nous ? »
« Il... il vit dans le désert, il me semble. Il bossait comme sommelier quelque part. »
« PASSEZ-MOI MA COUSINE ! rugit une voix derrière. »
« Ah, Jevy voudrait te parler ♥ »
« P-Passez-le moi... »
« SHARMAL ! OÙ ES-TU ? »
« Crie pas, j'ai encore besoin de mes oreilles. Je suis en sécurité, ne t'inquiète pas. »
« Donne-moi l'adresse, j'arrive ! »
« Je t'interdis de bouger, Jevy ! Je suis cachée, imagine que l'Ancestral te suive et découvre où nous sommes. Je préfèrerais que tu restes à l'abri avec les chasseurs, okay ? »
« Promis, quand ils auront fait la peau à ce vampire, on aura une petite discussion, toi, ton chéri et moi. »
« Genre. »
« A plus, Sharmy. Prend soin de toi. »

La communication se coupa et je restais de longues minutes avec le combiné dans les mains, écoutant la sourde tonalité. Je posais finalement le téléphone là où Logan l'avait prit et me dirigeais lentement vers la cuisine. La porte était ouverte, ils semblaient avoir fini de discuter. Mon prénom flottait presque dans l'air. Je passais timidement la tête.

« Heu... j'ai eu les gars en ligne, ils viennent de diffuser un avis de traque à tous les chasseurs, ils vont bientôt se lancer. Ça... ça ne devrait pas durer trop longtemps, d'après eux. »

Je me dandinais, gênée. j'étais crevée mais je doutais pouvoir aller m'effondrer dans le canapé avant un bout de temps. Il fallait mettre les choses au point, à plat, revoir la situation à toutes les sauces et prendre une décision.

« Et si je suis trop encombrante, je peux demander asile à la Guilde. C'est... c'est à vous de voir. Je ne veux pas vous impliquer davantage... »

Mon Maître serait d'ailleurs ravi de pouvoir à nouveau s'amuser devant mes pathétiques compétences de chasseresse, j'en étais certaine.

« Je veux vous protéger... je m'en voudrais tant si il vous arrivait quelque chose ! »

J'affichais une moue boudeuse alors qu'il m'exposait calmement ce que j'aurais très certainement fait. Effectivement, j'aurais eu du mal à résister à l'envie d'aller traquer moi-même cet Ancestral, mais Logan ignorait quelques éléments. Il m'avait arraché une promesse, pas plus tard que cette nuit, et je me tenais toujours à mes promesses. Je laissais la traque aux autres. Ils avaient de toute manière plus d'impact que moi.

« J'admire ta confiance en moi, après tout le cinéma que tu m'as fait pour que je te promette de ne pas y aller. Ma parole n'a-t-elle donc aucune valeur ? »

J'étais amère et un brin en colère. Ils nous avait mis en danger avec cette histoire pour au final n'avoir aucune confiance en moi.

« De toute manière, mon Maître est réapparu et gère les équipes de la Guilde, en ce moment. A ses yeux, les femmes, et moi en particulier, nous n'avons aucune place dans une traque, il n'y a donc aucune chance qu'il me laisse partir avec une équipe. Je suis sous un double verrou avec vous deux. »

J'esquissais un semblant de visage blessé et croisais les bras. Tandis qu'il m'annonçait la suite du programme, je retins à grand peine un ricanement. Décidément, c'était un room tour aujourd'hui. La mienne, la sienne.

Wolà. Minute. Pas question.

« Ta-ta-ta Logan. C'est toi qui a pris des dégâts, c'est à toi de profiter du meilleur environnement possible pour te refaire une santé. Garde ton lit, le canapé m'ira très bien... et ne t'inquiète pas pour le chat, ce n'est pas lui qui m'empêchera de dormir, sois-en sûr. »

Je lançais un regard plein d'amour au chat. Owi, j'adorais les chats. C'était si mignon, si affectueux. Si plein de poils et de griffes à planter pour manifester sa faim. Mais si mignooooon. Et puis, si dormir dans le canapé signifiait aussi dormir avec le chat, moi j'étais partante. Plutôt deux fois qu'une.
Surtout que pour être franche, l'idée de dormir dans la chambre de Logan me mettait mal à l'aise. Allez donc savoir pourquoi. Et pour leur forcer un peu la main, je reculais jusqu'au canapé et posais en douceur mes fesses sur le tas de couverture.

« Et si on profitait des dernières heures de la nuit pour se reposer un peu et continuer à débattre de tout ça demain ? suggérais-je d'une petite voix. »

J'avais le dernier mot. J'avais le dernier mot. Genre. Comme si j'étais blonde jusqu'au fin fond de mes entrailles et incapable de savoir que ça allait me retomber dessus à un moment ou un autre et de la manière la plus traître possible. Moi aussi, je commençais à le connaître, le spécimen shooté à l'hémoglobine.

« Effectivement, épargne ta salive si c'est juste pour me rappeler que t'as des canines plus pointues que les miennes, répliquais-je d'un ton boudeur. »

La fatigue me rendait inutilement sarcastique et acariâtre.

Tout aussi boudeur que moi, Logan abandonna la lutte en tournant les talons. Ses dernière paroles avant de rentrer dans sa chambre me firent rougir plus que je ne l'aurais accepté et je me retins à grand peine de lancer puérilement un oreiller contre sa porte. De toute manière, je n'avais pas d'oreiller à disposition. Non mais vraiment, qu'est-ce qui lui prenait de dire des trucs pareils, lui ? Me border, mais oui coco. Et après, ce serait quoi, hein ?

À présent seule dans le salon, je me penchais sur mon propre cas. J'attrapais une des couvertures et la roulait en boule pour me faire un oreiller, après quoi je m'enterrais sous les couvertures restantes, savourant le cocon de chaleur qu'ils formaient. Je m'assoupis rapidement et plongeais dans un sommeil sans remous. Si le chat vint squatter mon lit improvisé, je ne m'en rendis guère compte.

Je me réveillais bien plus tard. J'ignorais l'heure qu'il était et le soleil était déjà haut dans le ciel. Je m'étirais comme un gros chat blond et daignais me lever. L'appartement était silencieux. Étaient-ils tous les deux partis ? Dormaient-ils encore ? Dans l'incertitude, je n'allumais nulle lumière et me dirigeais à pas de souris vers la salle de bain, une des couvertures sur les épaules. Bon dieu ce que le plancher était froid. Je me faufilais dans la salle de bain et fonçais vers le miroir. Évidemment, c'était un appartement exclusivement habité par le genre masculin, aucune chance donc de trouver du fond de teint quelque part. Je me serais donc bien contentée donc d'un sparadrap, que j'aurais collé sur la marque de ma première morsure. Je ne supportais pas de la voir, ni qu'elle soit vue par quelqu'un d'autre. Le sparadrap était certes bien moins discret qu'un peu de cosmétique, mais la finalité restait la même. Mais voilà, je ne parvins pas non plus à mettre la main sur un sparadrap. En même temps, au vu des pouvoirs de guérison de Bertram, pourquoi s'encombrer d'une trousse de soin quand il suffisant de guérir magiquement la plaie, hein ?

Je quittais donc la salle de bain, toujours sur la pointe des pieds et allais vers la cuisine. Ah, de la lumière. Replaçant correctement ma couverture sur mes épaules, j'entrais et clignais un peu des yeux, éblouie.

« Bonzouuuuur, bâillais-je. Bien dormi ? »

Je tirais une chaise et me laissais tomber dessus, avant de croises les jambes tout en resserrant ma couverture autour de moi. Je passais les doigts dans mes mèches blondes. Je bénis le démêlant utilisé la veille et qui avait gardé la majorité des nœuds loin de ma chevelure.

« Tu n'aurais pas un sparadrap pour moi ? Assez large, de préférence. Sinon deux normaux, ça ira très bien. »

J'adressais au vampire un sourire des plus candides tout en jouant avec une mèche de cheveux qui s'était amusée à boucler pendant la nuit. Quel corps coopératif.

« Où est Bertram ? Il dort encore ou il est déjà en service ? »

Je le plaignais sincèrement s'il était déjà parti bosser. Notre nuit avait été plus que courte et chamboulée.

Je saisis avec plaisir la tasse que Logan posa devant moi, appréciant la chaleur de la porcelaine. Je jetais un œil au contenu. Du café. C'était parfait, j'allais grandement avoir besoin de caféine.

Bien évidemment, pas de pansements dans la baraque. Bah, tant pis, je n'aurais qu'à tirer sur mes bretelles pour cacher l'ignoble trace. Je remis en place la couverture sur mes épaules et portait la tasse à mes lèvres. Oulà, c'était plus chaud que ce je ne pensais.

« Oh, pas grave alors. C'était pour quelque chose... qu'on ne peut pas soigner, si je peux m'exprimer ainsi. »

À l'époque, je n'avais même pas conscience d'avoir un pouvoir de guérison et même mon actuelle maîtrise ne m'aurait pas permis de soigner la morsure de Lucian. Cette plaie avait dû guérir d'elle-même et avait inévitablement laissé une cicatrice. Bon sang, pourquoi la Guilde ne possédait-elle pas de guérisseurs aptes à éviter toute trace désobligeante ? Ah non, j'oubliais. Messieurs les chasseurs aimaient se pavaner en montrant leurs cicatrices, leurs trophées de chasse. Quelle bande d'êtres primitifs.

Perdue dans mes pensées, je ne vis pas Logan sortir, mais je ne ratais nullement son entrée. Et le bout de tissu rose qu'il tenait. Mon nez se fronça de dégoût face au sous-vêtement.

« Et tu peux m'expliquer POURQUOI je laisserais mes sous-vêtements traîner chez toi, Einstein ? »

Sérieusement ça lui arrivait de réfléchir un brin ? Et, bon sang, il me voyait vraiment comme une nana capable de laisser traîner des trucs pareils dans la salle de bain d'un mec qu'elle ne pouvait presque pas voir en peinture ? C'était un comble. Je portais à nouveau la tasse à mes lèvres, presque boudeuse.

« Ça doit appartenir à la dernière femme que tu as ramené dans ton lit. Tu sais, celle qui figure sur ta liste rose ? »

Prend-toi ça dans les dents, vampire de mes deux.

... Et en plus, je détestais la lingerie en dentelle. Surtout rose vif.
Comprenez-moi, je vivais entourée de gros lubriques, alors je préférais de loin la sobriété. Je n'avais aucun intérêt à réveiller leurs fantasmes.

J'achevais d'une traite ma tasse et hochais la tête en l'entendant continuer. Je remerciais intérieurement Bertram pour avoir pensé à me prêter quelque chose à mettre. Par contre, la suite me fit plutôt rire.

« Par "famille", tu penses à Jevy ou bien à la bande d'ivrogne armés qui confond mon établissement avec un QG ? Si c'est la deuxième option, je t'arrête tout de suite : je ne dépends pas de la Guilde et ces crétins ne dirigeront pas ma vie, quoi qu'ils disent. »

Je faisais rouler ma tasse entre mes mains pour m'occuper quelque peu et évitais son regard. Je sentais par notre lien que quelque chose le dérangeait. Peut-être la présence de tous ces chasseurs qui, bien qu'imbibés d'alcool, restaient un danger pour lui. Et pour moi même, maintenant que j'étais Calice. Aux yeux de la Guilde, je ne serais qu'une traîtresse et donc traitée comme telle. Je frémis et fermais les yeux pour m'empêcher de penser au sort qui m'at.. nous attendrait si jamais notre lien était découvert. Je savais de quoi la Guilde était capable. C'était pur cela que je ne m'étais jamais inscrite dans leurs registres, préférant une vie de chasseuse solitaire.

« Et Jevy... seigneur, il ne me laissera pas en paix avant de connaître le fin fond de l'histoire. Et s'il estime que pour mon bien, il doit te dénoncer, il le fera sans hésiter. »

Je poussais un profond soupir et posais mon front sur la table fraîche. Tout ça était bien trop complexe pour moi.

« Je vais devoir me débrouiller pour garder le secret. »

Ou bien plus simplement, on aurait pu rompre, mais Logan m'avait bien fait comprendre qu'il ne mettrait pas fin à notre faux couple. Génial. Il me facilitait la vie, lui.

Sinon, il me restait la troisième forme de mensonge, qui nous accorderait un sursis. Si la nature de Logan était un jour découverte, je pouvais toujours tenter de faire croire à la Guilde que j'avais séduit Logan afin de pouvoir repérer sa famille. Ça ferait quelques Sang-Bleus et au moins un couple Ancestral dans le panier. Et ça, c'était un argument qui pourrait faire sérieusement réfléchir. Même mon Maître ne pourrait réfuter que c'était un gros coup. Ah, mon Maître. C'était une équation de plus dans le problème que j'avais.

Finalement, je me levais, marmonnais vaguement que j'allais prendre une douche, et je quittais la cuisine. Je trouvais sans mal ce que Bertram avait laissé pour moi et je me laissais aller sous le jet d'eau chaude, savourant ce moment où je pouvais être seule et ne penser à rien. Je pris toutefois une douche très rapide et me séchais tout aussi rapidement, avant d'enfiler les vêtements de rechange. Un instant, je dégainais mona rme et contemplais la lame argentée, vierge de toute trace, de toute griffure. Je la rengainais rapidement. Je revins à la cuisine en tressant mes cheveux.

« Je devrais peut-être appeler la Guilde ou la taverne, histoire de savoir où ça en est, non ? »

Sans vraiment savoir pourquoi, j'appréhendais de parler à qui que ce soit. Et si nous ne l'attrapions jamais ? Je ne supporterais pas de vivre dans la peur de le voir resurgir un jour dans ma vie pour tuer Logan. Ou moi.

Et il ne nie même pas avoir un liste rose. J'hésite entre le couteau entre les yeux ou le café brûlant en pleine face.

Pour conserver mes mains loin de mon arme, je commence à tresser méticuleusement mes cheveux humides. Certes, la lame peut passer au travers de ma paume mais ce n'est pas mon habitude. Il réfléchit, tandis que j'attends son feu vert pour m'emparer du téléphone et me confronter aux hurlements de Jevy, voire aux sarcasmes de mon Maître. Entre peste et choléra, mon cœur balance. Si seulement ce pouvait être un autre chasseur qui décrochait le téléphone...
Mais Logan ne semble pas disposer à me laisse appeler mes chers comparses.

Je l'écoute. Mes poings se serrent. Sa première phrase me donne envie de lui en foutre une. Le reste me calme un peu, mais fait grandir en moi une peur sourde. Oui, nous chassons tous ceux que nous trouvons, tout ceux dont nous découvrons l'identité, peu importe leur vie et leur passé. Qu'ils ne mangent que du lapin ou trois humains à chaque repas, on s'en tape. Qu'ils prennent des Calices consentants ou non, ils y passent. Il n'y a plus ni foi ni loi pour les chasseurs quand ils sont face à un vampire, quel qu'il soit. Puissant Ancestral ou pauvre Mordu, tous doivent périr. C'est le credo de la Guilde, ce à quoi tout bon chasseur est censé se vouer.

« Logan, gémis-je, as-tu seulement conscience de ce que tu me dis ? Tu es un vampire, Logan. Même pire : un Sang-Bleu ! Tu te rends compte que, de tous les vampires, tu es des plus faciles à repérer ? »

Incapable de rester sagement assise pendant qu'il m'expose ses envies de suicide déguisées, je commence à faire les cent pas devant lui, avant de finalement me planter devant lui.

« A vrai dire, dis-je d'un ton si bas que moi-même j'avais du mal à m'entendre, je suis terrifiée. Par toi, par ton idée. Elle pourrait fonctionner. Le Maître de Guilde serait très certainement intéressé par ta proposition. Nous avons énormément de morts et de blessés, nos corps sont scarifiés de partout. Nous finissons tous défigurés, par manque de soins, par manque de moyens. »

Du bout des doigts, je suis la longue cicatrice qui barre son visage. Maintenant que je la vois de plus près, je me rend compte qu'elle n'est probablement pas issue d'une arme en argent : la peau ne semble pas brûlée, alors que cette matière brûle les vampires aussi sûrement que le feu nous blesse. Mais je me trompe peut-être. Bertram aura peut-être réussi à résorber la brûlure, mais pas la cicatrice.

« Mais je ne comprend pas. Je ne te comprend pas. Tu es leur gibier. As-tu déjà vu le lapin aider le braconnier ? J'ai peur qu'ils ne te découvrent. Tu ne sais pas de quoi la Guilde est capable. Les vampires attrapés vivants n'ont pas droit à une mort rapide. Si quelqu'un doit intégrer la Guilde, ce serait bien moi. Même si ta proposition est alléchante, ils ne t'épargneront pas. Ce sera même pire : grâce à toi, ils remonteront jusqu'au reste de ta famille. »

Et Bertram aussi porte le nom des Blackwood.

Mais dans un sens, "être avec moi" le protégeait aussi. Cela pouvait très bien passer pour une stratégie de ma part, une manière de flairer d'autres vampires en utilisant l'un d'eux. C'était courant.

« Cependant, je ne t'empêcherai pas d'aller les voir. Tu connais mes craintes, mais je sais que tu n'en feras de toute manière qu'à ta tête. Mais si tu y vas, je t'accompagne. »

Et je restais fermement plantée là, attendant sa réaction, sa décision.

Et sincèrement, j'étais franchement terrifiée à l'idée que son idée fonctionne.

... mais étions-nous obligés d'aller jusque-là pour nous protéger ?

Je voyais presque les rouages de son cerveau se mettre en route au fur et à mesure que je parlais. Son poing s'abat sur la table, si soudainement et violemment que je sursaute. Sa frustration me saute aux yeux et je pose ma paume sur son poing toujours serré, refermant mes doigts sur les siens. Ma main est si petite que je peine à replier mes doigts sur son poing massif.

« Non Logan, c'était une bonne idée... mais c'est très risqué compte tenu de ta nature, c'est tout. »

Devais-je me sentir coupable de m'attacher autant à un homme que j'aurais dû détruire sans la moindre hésitation dès le début ? Aux yeux de la Guilde, très certainement. Mais moi, je ne me sentais nullement coupable. Je serais sans doute déjà six pieds sous terre sans lui. Je réprimais mes sourires amusés et désespérés au fil de son résumé qui était, pour tout avouer, plutôt fidèle et meurtrissant de vérité. Il était étrange de l'entendre dire que nous étions en couple.

« Logan... »

Il se dégagea pour faire un aller-retour jusqu'au salon, m'apportant le téléphone. Tout à coup, je le trouvais très défaitiste. Enfin, qui ne le serais pas, à sa place ? Je saisis sans beaucoup de conviction le téléphone, que je posais presque immédiatement sur la table. Je posais mes mains sur ses joues et le forçais à lever la tête vers moi.

« Mon cœur, ironisais-je d'un ton badin, on va la faire, ton idée. Mais on va aussi faire tout ce qui est en notre pouvoir pour éviter que tu sois découvert. Et puis, tu sais... »

Un petit rire me secoua en repensant à ce souvenir. Ce n'était qu'un infime détail dans ma vie, une poussière, quelque secondes dans une banale journée de travail. Mais ça m'étais resté en mémoire, de par son côté franchement sarcastique.

« Le jour où je t'ai pourchassé dans les souks, tu étais à la taverne. Je m'en souviens parce qu'une de mes serveuses m'avait demandé si tu étais un chasseur. Comprend-la, tu as autant de cicatrices qu'un chasseur vétéran... quand on les regarde de plus près, on ne voit pas de brûlure. Elles pourraient te faire passer pour un ancien chasseur. Nous ne sommes pas forcés de parler d'investissement, il nous suffit de te trouver une arme factice. Un bête revolver et quelques balles en argent. Tu n'auras qu'à porter des gants. En plus, un revolver t'éloigneras des combats au corps-à-corps, si jamais tu te fais traîner en traque. »

Je me penchais vers son cou, un air de comploteuse sur le visage. Après tout, c'était ce que nous étions : des comploteurs, occupés à comploter contre la Guilde pour les flouer, les berner, et sauver notre peau. Tout ça, ce n'était que dans ce but : nous sauver. Et vu où nous en étions, je ne me souciais de plus rien d'autre. Je voulais vivre, merde. Je voulais pouvoir rencontrer un homme merveilleux, l'aimer de tout mon cœur, pleurer à cause de lui, me réconcilier avec lui, l'épouser et avoir une grande famille. Pas question qu'un Ancestral vienne poser ses pattes là-dedans. Et je supposais que Logan devait avoir des envies à peu près semblables. C'était humain après tout. Humain. Dans un sens, Hommes et vampires avaient été façonnés par les mêmes créatures. Je lui murmurais à l'oreille notre dernier atout, celui que nous pourrions brandir si jamais nous étions découverts.

« Et si un jour on te découvre, je serai là. Il n'est pas rare que des chasseurs séduisent un vampire pour pouvoir en repérer d'autres. Je n'aurais qu'à leur faire croire que c'est exactement ce que je fais. Je te jure qu'ils n'y verront que du feu et ils te laisseront en paix, parce que tu es ma proie. Et ça, c'est sacré. On ne chasse pas le gibier des autres sans autorisation. »

Je me redressais et m'emparais du téléphone pour appeler la taverne. Je composais le numéro avec des doigts un poil tremblant. Visiblement, ils avaient reliés la ligne directe de la taverne avec celle de la Guilde, car ce fut le credo de la Guilde qui résonna à mes oreilles en guise de salutation. Et évidemment, mon Maître s'empara de l'appel. Après nos traditionnelles insultes échangées, je raccrochais en soupirant exagérément.

« Ils ont perdu sa trace quelque part dans le désert. Mais il a reçu plusieurs balles en argent et quelques-unes remplies d'eau. Ça devrait... ça devrait le tenir à distance un certain temps. »

Je me sentais quelque peu soulagée de la savoir hors d'état de nuire pour quelques semaines, voire même quelques mois ou années. Je ne connaissais pas la dose exacte d'argent et d'eau qu'il avait maintenant dans le corps, mais je savais que ça lui serait très nocif, voire peut-être même fatal ?

Ravie de ce répit, je serrais Logan dans mes bras.

Nous marchions à l'envers, littéralement. Nous reculions plus que nous n'avancions. Il avait proposé une idée, j'en avais pointé les failles. Il avait voulu abandonner, j'avais tenté de colmater. Mais au final, c'était comme si rien n'avait été dit ou pensé.

« Crois-moi, que tu sois directeur d'hôpital, Roi ou vieillard, ils s'en battent les cacahuètes. »

Toutefois, je devais lui donner raison. Cela ne servirait à rien de se précipiter ou de le faire passer pour ce qu'il n'était assurément pas, cela ne ferait que nous mener plus rapidement à des erreurs qui pourraient nous être létales. Sans dire mot, je le regardais faire les cent pas devant moi. Un partenariat serait envisageable, effectivement. Un service de psychologie, surtout. Enfin, moi j'aurais aimé pouvoir en bénéficier. Oh, je ne dis pas que nul psychologue ne fut là pour moi, après Lucian, mais ils ignoraient ma réalité. Si la Guilde pouvait bénéficier d'un support adapté à notre vie, à nos secrets, ce serait tellement plus efficace.

Il ne réagit même pas à la nouvelle de l'écartement d'Hyksôs. Quelque chose d'autre le préoccupait mais du diable si je savais quoi. Il se tourna vers moi, s'approcha. Je gardais les yeux rivés sur sa main, sur ma mèche qu'il tenait avec délicatesse entre ses doigts. J'écoutais ses questions d'un air détaché. Mais je sentais la colère monter en moi. La rage. La tristesse. Beaucoup d'autres chose aussi. J'aurais aimé pouvoir lui mentir avec un tel aplomb qu'il m'aurait crue. J'aurais aimé pouvoir soutenir son regard en lui débitant un tas de connerie. Mais je ne pouvais pas lui répondre, que ce soit mensonge ou vérité, sans le regarder. Alors j'allais devoir ôter le mensonge de ma bouche. Être sincère. Jusqu'au bout. J'ancrais mes prunelles vertes dans les siennes et respirais un grand coup. Il était temps de me jeter à l'eau.

« Oui, tu es et tu resteras jusqu'à la fin mon gibier, je ne te le cacherai pas. »

Je tendis la main sur le côté, loin de Logan, et laissais tomber au sol l'arme mortelle que je portais en moi. Pour qu'il ne se sente pas menacé. Pour que je ne sois pas tentée de lui foutre une baffe avec tant, tant je me sentais blessée par ses questions. N'avait-il donc rien écouté de mes jérémiades dans son bureau, n'avait-il pas vu le souvenir que je lui avais montré, n'avait-il pas compris que je me démenais pour le garder en vie, allant jusqu'à le faire passer pour mon compagnon face au seul membre de ma famille que je respectais encore, face à la horde de chasseurs qui veillait sur moi ?

« Et parce que tu es ma proie, seul un cas de force majeure autorisera les autres à te toucher. C'est la seule réelle protection que je suis en mesure de t'offrir contre eux. »

J'éloignais sa main de moi, le forçais à libérer ma mèche blonde et humide. Je reculais d'un pas, lui tournais le dos. Du bout du pied, j'éloignais encore un peu la longue épée de nous, avant de croiser les bras.

« Si un chasseur doit un jour te tuer, je ne serai pas ce chasseur. Je fais ça pour Bertram, oui, mais avant tout pour moi, parce que je sais ce que sais que de tuer le vampire auquel on est lié. Parce que je ne veux pas revivre ça et l'infliger à quelqu'un d'autre. Ma voix se brisa légèrement. Il me semblait te l'avoir déjà dit. Je suis donc si indigne de ta confiance, pour que tu me poses une fois de plus la question ? »

Un rire amer me secoua tandis que je faisais à nouveau volte-face vers lui.

« Quant à ta famille, je ne m'y intéresse pas. Je suis déjà bien heureuse qu'un Sang-Bleu m'ait laissée en vie, inutile donc de tenter le diable et couper la branche sur laquelle je suis assise. »

Je me saisis de ma tasse vide et me dirigeais automatiquement vers l'évier, afin de la laver. Ce geste m'apaisait, mu par l'habitude de la plonge à la taverne. Petite, je jouais avec la mousse plus que je n'aidais ma mère et la vaisselle était donc devenu mon petit rituel, même après sa mort.

« Mais quant à savoir ce que tu dois croire, c'est à toi de choisir. De toute manière, ce n'est pas comme si tu n'avais pas la possibilité de vérifier la véracité de mes dires, via notre Lien. »