La liberté au prix d’un emploi, c’était tout de même cher payé, d’une certaine façon, de ne devoir dépendre de personne pour le tarif de dépendre d’une notion si répugnante que l’économie… telle était notre société aujourd’hui. Je le savais, mais Freyr ne semblait pas vraiment s’en rendre compte. Lui il passait son temps à rêvasser, à flemmarder ou à me dire des conneries. Certes, dans les moments difficiles, j’avais appris à m’y faire et il avait le mot qui me détendait, comme une aura qui m’aidait à reprendre mon souffle quand je commençais à paniquer face à mes phobies. Lui, il n’avait peur de rien, moi de tout, nous étions paradoxalement opposés, et rien n’aurait pu prédire que nous risquions de nous entendre, surtout qu’il y avait bon nombre de sujets qui nous opposaient…

Le premier était sa soeur. Lui l’aimait, tout comme elle, c’était à la fois admirable et répugnant. C’était contre nature. Et j’étais sensiblement opposé à toutes formes de relations avec ma patronne, pour simple prétexte que je ne couche pas avec mes supérieurs. Autrement, je n’avais pas de liens fraternels avec elle, alors rien ne m’en empêchait. Mais je ne pouvais pas. Freyr était son frère et moi… J’étais son hôte. Donc non. Je ne pouvais pas fermer les yeux sur ses tentatives, même si elle était mignonne et sensuelle. Une déesse quoi. Elle avait tout pour elle.

Ca aussi, j’avais appris à accepter cette nature peu ordinaire que de devenir, contre mon gré, l’hôte d’un dieu. Takehiro ne m’en avait pas donné plus de détails, mais Freyr me parlait beaucoup plus depuis que nous avions été embauché par sa soeur. Je ressentais son euphorie lié à cet évènement et il me racontait son passé, que j’avais parfois tendance à associer à mes souvenirs, comme je l’avais fait auparavant avec ceux de Takehiro quand il me racontait de temps en temps jusqu’à ce que j’en abuse. Parfois, je me perdais un peu dans tout ça, mais ses histoires débloquaient quelque part de ma propre histoire, des souvenirs heureux, bien que le blanc persistait sur les derniers évènements et mon adolescence.

Et puis nous nous étions fixés une espèce d’objectif, un “jeu” qui consistait à essayer de rencontrer des gens comme nous, pour savoir comment ils le vivent. Si cela était possible. De même, le scientifique m’avait refusé cette opportunité, mais rencontrer Freya prouvait qu’il y en avait dans la nature, donc…

Et ce fut en sortant du travail, sans que je ne m’y attende, quelque chose, ou plutôt plusieurs personnes attirèrent mon attention. Je sentis Freyr s’agiter aussi, curieux, me demandant de m’approcher du tohu-bohu qui se déroulait un peu plus loin. Mes pas me guidèrent par là-bas et je découvris l’objet de la confusion : Un homme vêtu d’un accoutrement sorti d’un autre temps venait d’être pris en cible par des policiers, effrayant les passants alors qu’il avait l’air de rêver. Mes pensées, sarcastiques me firent penser que cet homme avait un air de ressemblance avec ce que j’imaginais de mon dieu.

Mais il ne fit pas attention à mes pensées et prit ma place sans rien dire, tandis que j’exclamais mon désaccord qu’il ignora tout autant, nous approchant de l’individu. J’avais soudainement peur de ce qu’il allait faire, mais de toute évidence, je ne pouvais pas aller contre sa volonté, la mienne n’était pas suffisamment forte par rapport à la sienne, c’était un divin, quoi. Accostant l’étranger en lui posant une main sur l’épaule, il déclara :



Etonné par ses talents d’adaptation à son environnement, j’en oubliais que Freyr était plus malin que ce qu’il ne voulait faire croire, et par ce vilain mensonge, il réussit à sauver cet inconnu des griffes des policiers. Ils s’étaient tout de même approcher pour obtenir des informations face à cette extravagance, et mettre en garde afin que ça ne se reproduise pas pour l’ordre public. Prenant un visage désolé, il leur mentit sur la nature de cet inconnu, déclarant que c’était juste un pari qui avait un peu mal tourné, mais rien de grave. Je le laissais faire, cherchant à comprendre les raisons de cette défense soudaine pour un individu particulier.

Après que tout fusse rentrer dans l’ordre, nous emmenâmes l’homme dans un coin plus tranquille de Terraria, pas dans une boutique, plutôt une rue calme où on serait tranquille, où je pourrais enfin avoir une explication. Et Freyr, une fois arrivés à destination sans avoir donné le moindre détail à son protégé, il se tourna vers lui, les yeux plein d’admiration, comme un gosse et déclara :



Me voilà, bien… Son regard exprimait toute sa curiosité et je sentais qu’il retenait ses questions pour ne pas lui faire subir une avalanche d’interrogations. On croirait voir une groupie face à son chanteur préféré… Je rêve, là...

J’ignorais le passé de Freyr, bien que depuis que je connaissais sa véritable nature, j’imaginais un peu ce qu’il avait pu vivre, mais ça restait du domaine de la mythologie, je ne savais pas ce qui était vrai. Alors cette part de lui qu’il montrait face à un de ses semblables, autres que Freya m’étonnait un peu, m’en apprenant davantage sur lui. Je savais qu’il avait du mal avec les humains de notre génération, dégouté de ce qu’ils avaient fait de la Terre, oubliant ce qu’ils avaient construit. Il ne les détestait pas, loin de là, j’ai même cru comprendre qu’il les aimait trop pour leur faire du mal, la preuve avec moi, mais il gardait ses réserves, et je le ressentais surtout en présence de Takehiro, qui, par ailleurs, refusait ses avances, heureusement pour moi…

Quetzalcóatl, tel qu’il se présenta, dieu du vent et de la fertilité… Dans un certain sens, un confrère de mon Freyr, si on ommettait la sagesse à laquelle il n’avait pas vraiment fait preuve à mes yeux… Quoiqu’en le sauvegardant, il avait fait quelques manières en ce sens.



Un toutou remuant la queue devant son maître, c’était un peu l’image que j’en tirais. A part qu’il s’agissait de mon corps. Il pourrait me présenter un peu, je suis là, moi aussi, même si un faible humain n’avait rien à faire là… J’étais au moins une enveloppe charnelle et une âme qui écoutait leur conversation, notre hôte devait au moins être au courant !

Sur ces mots, il avait bombé le torse, pour montré sa… force humaine, peu crédible vu qu’il s’agissait du mien… On était loin du dieu en puissance là. Mais au moins je ne portais pas des vêtements… excentriques, je me fondais dans la foule, comme un humain normal.

Voyant la confusion dans le regard de notre perdu, mon bras passa autour de ses épaules d’un geste amical et Freyr tenta de lui expliquer de manière joviale tout ce qu’il se passait là :



Une réponse digne de lui, j’ai envie de me facepalm…



Il montra alors la tenue du dieu mais je savais qu’au fond, lui-même aimerait bien se balader dans sa tenue favorite : à poil avec à la limite un drap, au cas où… Mais combien de fois Takehiro avait dû lui expliquer que même en privé, pour le simple respect des autres, il n’était pas convenable de se promener de la sorte… Au début, je rejoignais ses pensées, c’était très gênant pour moi… Puis j’ai abandonné l’idée de le convaincre, par moment, il se levait à ma place et je ne pouvais rien y faire. Il n’y pensait qu’après et en râlant, évidemment.

Mais venons-en aux choses sérieuses, j’étais aussi curieux que l’inconnu de savoir comment mon vis-à-vis avait deviné qu’il s’agissait d’un dieu, outre ses habits, mais on aurait pu se dire qu’il s’agissait simplement d’un hurluberlu qui fêtait carnaval en retard, ou en avance, ça dépend du point de vue. Et je sentis Freyr prendre des traits sombres attristés, farfouillant dans mon savoir, ma mémoire actuelle pour répondre à quelques uns de ses questions.




Il pouffa de rire, mais l’autre semblait perdu quand même, ne sachant peut-être pas où se mettre. C’est vrai que cela faisait à peine quelques mois… Je m’étais éveillé en même temps que lui finalement, donc je comprenais très bien ce que cela faisait de se réveiller avec un trou dans la mémoire, comme si on avait loupé quelque chose…



Il écarta les bras devant lui, comme pour se présenter, mais je savais parfaitement maintenant ce qu’il allait dire, et ça ne me plait pas, de me sentir comme un parasite…



Un hôte, je ne suis qu’un hôte. C’est dans ces moments cruels qu’il me rappelle ma place de simple cafard… Malgré tout ce qu’on vit ensemble, même si parfois je ne le supporte pas, même s’il me fait du mal… Il est en moi, comme une seconde personnalité qu’on aimerait refouler, mais une partie de mon être, il n’hésite pas à m’écraser et je déglutis avec difficulté, vexé profondément, même s’il s’en fout complètement.

D'une certaine façon, les civilisations qui croyaient en les dieux avaient toutes disparues, ou pour celles qui sont restées, elles ont muté de sorte qu'elle se débrouillent sans eux, puisqu'ils les avaient en quelque sorte abandonnées. Ce n'était qu'un retour des choses, pas de quoi geindre. Après, il était certain que sans guide, elles aient dû faire de leur mieux pour survivre, quitte à en tuer d'autres pour se développer. Etait-ce justifié ? En tout cas, on ne pouvait pas non plus remettre la cause de tout cela sur le dos des divinités. Et puis, il existait encore des hommes qui les défendaient malgré tout, s'accrochant à l'espoir de les revoir apparaitre un jour. Et ce jour arrive lentement, voyant se lever les premiers, certaines s'aidant des humains pour s'éveiller. Freyr devrait me remercier quand même d'une certaine façon, parce que c'est moi qui le supporte, et je ne me plains pas, je l'accepte moi…

Freyr fronça les sourcils, dubitatif quand au comment il avait été enfermé dans mon corps. C'est vrai qu'il s'était déjà posé la question, moi aussi, évidemment, sans trouver de réponse à nos questions. Enfin, si, nous avions eu une réponse, mais c'était assez invraisemblable que de tels dons puissent exister. Et surtout, est-ce qu'il pouvait en parler ? Je restais douteux sur le sujet...



Guère plus de détails, ce n'était pas évident quand on ne connaissait pas vraiment le sujet, non plus. Il haussa les épaules, avec un sourire désolé et continua à répondre aux questions, décevant sans doute son interlocuteur, mais finalement, nous étions si ignorants sur le monde, toutes ces choses qu'on nous cache… Je venais seulement d'en apprendre l'existence alors que Freyr les connaissait d'avance, mais il avait du mal à s'y retrouver à notre époque, et le partage d'informations n'était pas non plus toujours simple.



Il prit un air plus sombre, se remémorant un épisodes troublant, et prit une voix de confidence, en s'approchant de lui :



Freyr se recula et éclata de rire en hochant la tête:



Il fit un clin d'oeil et me renvoya illico presto en avant pour faire "les présentations". Encore troublé par cet échange et du fait de me retrouver devant une divinité en chair et en os - étrange que je ne réagisse pas comme ça avec Freyr, mais ça doit être dû à notre proximité - je me mis à rougir et à bredouiller, un sourire timide en coin :



Pour ne pas dire que je n'y connaissais rien, apprenant seulement depuis quelques jours que les dieux étaient bel et bien vivants ici-bas...

L'ignorance est une faiblesse, et de voir ce dieu, face à moi éprouver le besoin d'être aidé par un piètre humain tel que moi, en plus de Freyr, je commençais lentement à prendre au sérieux les paroles de Takehiro, que finalement, ils n'étaient rien d'autre que des humains un peu plus puissants que la normale, et après leur soi-disant long sommeil, ils étaient juste complètement paumé.

Mais à l'heure actuelle, j'étais encore loin d'imaginer que je pouvais les égaler, ou même les dominer, de quelque façon que ce soit, j'avais trop la tête plongée dans mes souvenirs, leurs retrouvailles, ainsi que les découvertes de mon univers qui m'en apprenait chaque jour. Les vampires, les dieux... J'avais du mal à encaisser.

Je l'observe, je le dévisage. Son nom ne me dit rien et j'ignore si ça vient de mes souvenirs manquants ou bien parce que je n'ai jamais su de quoi il s'agissait, mais honteusement, je baissais le crâne, confirmant que j'ignorais qu'il eut existé un dieu avec un tel nom que je n'osais prononcé de peur de l'écorcher. Puis il me supplia de lui venir en aide, mais ce n'était pas si simple. Comment pouvais-je venir en aide alors que moi-même j'avais besoin d'aide ?Finalement, Freyr avait eu de le chance d'être accueilli par un hôte, il n'avait pas tous les désagréments à devoir réapprendre de lui-même, puisque je vivais, je connaissais notre monde d'aujourd'hui. Je bredouille, je ne veux pas le laisser seul, mais je ne suis pas en capacité de lui venir en aide...



Comment expliquer que j'étais sous surveillance en permanence et que Takehiro me truciderait si je décidais de ramener un "camarade" pour l'héberger quelques nuits chez nous ? Je voyais déjà son air froid articulant que cette initiative risquait de faire échouer l'expérience, tout en nous mettant dans le pétrin. Qui sait, si ça se trouve, les collègues de mon colocataire pourraient le prendre comme cobaye et le transférer dans un corps d'hôte ?! Non... Je refuse une telle chose...



Je déglutis, deviens pâle, je ne sais pas quoi faire de plus. Mais pour l'instant je l'emmène devant la bibliothèque, en traversant les rues d'un pas rapide, me retournant par instant pour être sûr qu'il me suive. Le souci, était qu'il fallait passer par des petites rues non fréquentées, parce qu'avec ses vêtements, il ne passait pas inaperçu. Je ne pouvais même pas lui offrir de quoi se vêtir. Par contre, je pouvais toujours le mener jusqu'à Freya, bien que la boutique soit fermée à cette heure... Ah non, j'ignorais où elle habitait, par contre j'avais son numéro de portable, alors en passant, j'essayais de la contacter, mais elle ne répondait pas...

Désespérant de pouvoir lui trouver quoi que ce soit, je fis une grimace. Que faire, comment l'aider ? Mais merde, quoi ! C'est un dieu ! Il ne devrait pas avoir tant de mal à se débrouiller.



Pas de réponse. Enfoiré, il me laisse la miouse, pour changer. Je peux au moins lui montrer la bibliothèque, en tout cas, mais un autre appel, Takehiro, me rappelle que le temps presse.



C'est dans ces moments-là qu'on se rende compte que sans argent, on ne peut rien faire. Mais en le regardant de plus près, j'hésite et désigne l'un de ses bijoux.



La vibration de mon portable devient de plus en plus insistante, et moi, je deviens de plus en plus nerveux. Il est temps. Je baisse la tête, avec regret et lui déclare :



Je n'ose même pas lui demander si ça va aller. il faut que ça aille de toute façon, nous n'avons pas le choix.