Loki a un goût amer dans la bouche, un goût détestable, un goût d'amertume humaine et il déteste ça. Il déteste cette humanité qui s'impose à lui, cette humanité qui transforme peu à peu le dieu qu'il est en pois-chiche aux émotions douteuses. Loki a un goût amer dans la bouche. « Si j'ai la moindre nouvelle d'elle je t'en ferai part sur le champ tu le sais ». Heimdallr. Foutu Heimdallr. Foutu Heimdallr con comme la lune, con comme ses pieds, qui lui fait le coup de réapparaître dans sa longue existence d'immortel et d'en repartir aussitôt. Foutu Heimdallr con, mais con, à un point, pour avoir laissé son hôte crever.

Heimdallr, comment tu veux donner des foutues nouvelles de Sigyn si tu n'es plus là ?
Loki lui en veut.
Ça le tue, Loki, de lui en vouloir. Parce que s'il lui en veut c'est qu'il se sent triste. Et cette putain de tristesse, une tristesse ressentie pour Heimdallr, n'a rien à foutre chez lui. L'illustre Loki ne ressent pas la tristesse. L'illustre Loki ressent la colère et il ôte la vie des fautifs sans une ombre de procès, mais jamais la tristesse, rarement l'amertume que l'on ressent lorsque l'on sait que l'on est impuissant.
Impuissant, incapable de retrouver Heimdallr.
Impuissant, incapable de retrouver Sigyn.

Qui peut-il tuer pour la disparition d'Heimdallr ? L'arriéré qui a fait l'erreur de l'appeler alors que lui-même était aux commandes du corps ? Une voix désolée et rauque qui a dit « Allo, mademoiselle Holmlund, c'est au sujet de votre patron » blablabla. Avant que ce débile ne l'appelle, il était d'humeur agréable, joviale, presque à avoir envie d'aider les mémés à porter leurs courses et à traverser la rue.

Loki aurait volontiers jeté deux-trois innocents sur la route, puisque qu'il faut que quelqu'un paye pour la disparition d'Heimdallr.
Mais cette foutue humanité l'a rattrapé de nouveau. Il s'est contenté de grimper dans un bus. Pour changer d'air.

Assis sur les sièges du devant, il regardait sans la voir réellement la masse grouillante monter, descendre. Son regard ne s'attachait pas aux visages, quand il daignait accorder un regard aux individus. Installé confortablement, pied sur le dos du siège en face, regard suspendu ailleurs, ce n'est que quand Sigyn s'est installée en face qu'il l'a vue.

Sa première réaction : détourner le regard comme s'il venait de se brûler les yeux.
Sa première pensée : les dieux se foutent de ma gueule et jouent avec mes nerfs.
Heimdallr disparaît et Sigyn apparaît. Ça fait un an. Un an qu'il rôde dans Froënbourg – et vous ne savez pas à quel point cette année a été longue, lui qui a pourtant toute l'éternité et pour qui une année n'est rien d'autre qu'un battement de cil – ça fait un an et il faut qu'elle apparaisse ce soir.

Sigyn n'est pas dans un corps étranger.
Sigyn ne fait pas partie des possibles dieux morts durant les expérimentations du savant fou.

… et il y a un bâtard de fils de cat... de Freya qui vient de la regarder de manière un peu trop insistante en passant.
On ne se refait pas. Loki est un mari jaloux. Le fait d'être présentement dans un corps de femme et méconnaissable ne l'empêche pas de fusiller du regard l'imprudent. Lorsque l'étourdi détourne le regard et fuit jusqu'au fond du bus, Loki pose de nouveau le regard sur son épouse. Se rend pleinement compte qu'il est dans un corps de femme, que c'est complètement ridicule, qu'il n'est clairement pas à son avantage.

Alors il lui adresse tout d'abord un visage impassible sur lequel un sourire ose s'afficher, mais pas bien longtemps, puisqu'il détourne la figure. Regarde dehors, part à la recherche d'une idée, d'un moyen d'entrer en contact. Prend la décision de ne pas lui dire, du moins pas immédiatement, qu'il est Loki. Ce soir, il se fera passer pour Astrid.