J'avais réussi à me traîner jusqu'à chez moi, rentrant dans la maison sans prendre la peine de fermer la porte à clé que je reprenais ma forme originale avant de m'écrouler au sol de tout mon long, complètement vidé. Et énervé. Cet enfoiré l'avait fait exprès, de boire autant de sang pour être sûr que je ne lui échappe pas. Mais me voilà dans de beaux draps, un peu plus et on m'aurait découvert, à croire qu'il n'en a rien à foutre de ma survie.

Les jours qui suivirent ne virent pas mon état s'améliorer, bien que je me forçais à manger, histoire de m'alimenter, boire, le minimum pour survivre. Mon pelage en prit un coup, c'est clair, devenant terne et sale. Je n'arrivais même pas à avoir la force de me donner trois coups de langue pour le lustrer.

D'autant plus que le seul matin où j'ai réussi à me tirer du lit, après avoir entendu la sonnerie répétitive du téléphone qui ne me laissait pas en paix, c'était pour annoncer l'état final de mon père adoptif : Il n'avait pas survécu. J'étais resté coi, et on me demandait de venir sur place, mais dans l'état où j'étais, je ne pouvais pas faire le déplacement. Déjà que la métamorphose, bien qu'elle ne dura que cinq minutes, histoire d'avoir une main pour décrocher, m'avait épuisé encore. N'étant pas de la famille, ils comprirent que finalement, c'était inutile, je n'étais pas apte à remplir les papiers. Le Vieux n'avait pas de famille, officiellement, et je ne comprenais rien à ce que le standard me racontait. Néanmoins, on m'indiqua les dates d'obsèques. je ne savais pas si je pourrais m'y rendre, mais c'était déjà à Seiryu, au moins en lynx, je pourrais épier de loin, au pire.

C'était une autre question pour l'instant. Je devais réussir à récupérer de l'anémie, et le lendemain, je me sentais un peu mieux, déjà. Je ne me rendais pas vraiment compte que je ne reverrais pas le Vieux, que la maison devra être vendue, ou détruite, j'en sais rien, mais que je ne suis plus censé y vivre. Et les chats avec. Je n'ose imaginer ce qu'ils vont devenir, car tout comme moi, ils devront aller faire leur vie ailleurs...

On frappe à la porte, me sortant de ma léthargie. Je lève la tête avec lenteur, me force à me lever, secouant ma fourrure et je descends du lit en exerçant la métamorphose, histoire de me rendre présentable. Mais la forme humaine subit les séquelles de la fatigue sous la forme de poches noires sous les yeux, le teint pâle et les cheveux aux reflets du pelage terne abandonné plus tôt. Je m'habille avec autant de lenteur, entends une voix qui m'appelle, se présentant sous le pseudonyme de "Alyx". Pas de souvenirs de ce nom, mais ce n'est pas surprenant, avec ma mémoire de poisson rouge pour les patronymes.

Je me traîne jusqu'à la porte, le regard dans le vide, l'ouvre et découvre mon visiteur, l'air ahuri.

Ah. Salut. Les chatons ? Ah oui.

Il ne faut pas m'en vouloir, je n'ai que de vagues notions de politesse et bienséance, ne m'encombrant pas de l'inutile. Surtout que déjà, il fallait que je me remémore notre rencontre. Ca fait un moment déjà, et les chatons avaient déjà pris une taille d'adolescents de leur espèce. Je le guide à travers la maison pour l'emmener jusqu'au garage où la plupart des chats qui s'invitaient ici dormaient. Je montrais la pièce à mon invité surprise et lui décrivis :

Ils sont plus tellement chatons, mais ils te reconnaissent, je crois, regarde.

Et voilà trois félins qui viennent se gratter contre les jambes de leur sauveur, épiés de près par les autres félins qui s'approchèrent avec curiosité de l'inconnu. Je souris faiblement et m'écarte un peu pour les laisser ensemble, moi, j'ai besoin de me reposer encore. Alors je vais m'asseoir sur une chaise à proximité pour les observer de loin.

Une scène touchante, mais je ne m'inclue pas dedans, car les soucis reviennent au galop, et la métamorphose me vide. J'ai eu de la chance en rentrant de ne pas avoir faibli, mais ça devait être grâce à l'adrénaline du moment. Mais là, il m'est carrément impossible d'aller travailler sous le risque de me faire découvrir. La guilde est au courant des problèmes liés au Vieux et comprend mes raisons, sans que je n'ai besoin d'expliquer davantage. Et ça, c'est pratique.

Par contre, j'avoue que je ne m'attendais pas à avoir de visites en ces temps difficiles. Heureusement, Alyx n'est pas un ennemi, bien au contraire, même si j'ignore encore en quoi consiste notre relation étrange, basée uniquement sur des sensations, il est loin d'être hostile.

Je sursaute à sa phrase, n'ayant pas remarqué qu'il s'était assis face à moi, remarquant par la même la baisse de mon attention, qui me fait défaut du coup. Ca pourrait devenir dangereux, si je n'arrive pas à récupérer, surtout dans le risque de perdre la baraque, si je dois me retrouver dehors, il faut que je sois un minimum en forme pour tenir quelques temps.

Ouais, je passe mon temps à dormir, mais j'ai quelques soucis.

Je ne désire pas en dire davantage, après tout ce sont des problèmes personnels, je n'ai pas à impliquer ceux qui n'ont rien à voir là-dedans. De toute façon, que pourrait-il y faire ?

Je fais un mouvement de recul en voyant sa main approchée, réflexe sauvage, mais je m'apaise, me souvenant de qui il s'agissait, et me laisse faire, en fermant les yeux, sensible à un peu de tendresse. Je n'ai pas le coeur à ronronner, seulement à apprécier cet instant de repos qui m'est offert. De même, il n'a pas besoin de me répéter deux fois sa proposition d'abandonner la forme humaine pour m'économiser. Sans prendre la peine de me lever, je rapetisse et retrouve mon pelage terni au milieu des vêtements devenus trop grands qui pendent sur mon corps. Le pantalon tombe, mais le débardeur reste accroché sur mes épaules. Ma tête se pose sur la table et mes yeux se referment, dans un soupir, mais je ne suis pas prêt de m'endormir, simplement me reposer, alors que j'articule faiblement pour le rassurer :

T'inquiète pas, ça va passer, faut juste laisser le temps.

En ouvrant un oeil pour l'observer, je remarque alors qu'il n'est pas dans son état normal non plus, notamment son bras. Alors pour changer de sujet et éviter d'aborder mes problèmes, je me tourne vers lui :

Et toi ? T'as eu des problèmes ? Raconte.

J'ai horreur qu'on commence les explications par un "c'est compliqué", à croire que les gens se prennent vraiment pour des imbéciles, en restant poli, et donc incapable de comprendre certains évènements. Sérieusement, je suis un lynx qui peut de venir humain, ne connait rien de plus improbables que ça ? Surtout après avoir rencontré un dragon dans le même état que moi. A partir de là, je pense que je peux croire n'importe quel récit du moment qu'il est crédible. Sur le coup, je lui ai donc lancé un regard blasé, presque vexé, mais je ne m'attendais pas à ce qu'il continue son récit. Le mec, il me traite un peu trop comme un gamin, alors que visuellement, je suis plus vieux que lui, tout de même...

Par contre, l'instinct des humains à vouloir se battre sans raison, là, j'avoue que ça me dépasse. Bien que j'ai déjà rencontré des attardés qui me cherchaient la misère, sous prétexte que mon physique ne leur plaisait pas, c'est un sentiment que je n'ai jamais compris. Se battre pour un territoire, pour de la nourriture, pour se protéger, je dis pas. Mais pas pour le plaisir. C'est l'instinct d'autodestruction de l'humain. Peut-être qu'ils ont compris qu'ils étaient des parasites pour cette terre et cherchent sans cesse les ennuis pour rééquilibrer le tout ?

Mon regard ne change pas sur lui, toujours aussi blasé, mais je me laisse caresser néanmoins. Alors, là, sur le coup, s'il cherche les ennuis, je ne risquais pas de le plaindre. Par contre, ce qui s'ensuit m'arrache une expression de surprise sur mon visage félin, un éclat intéressé et en même temps méfiant quant à la créature qu'il cite. Enfin, j'ai déjà rencontré un dragon. Mais enfant, on nous enfonce bien dans le crâne que les scorpions ne sont pas des gentilles bestioles.

Un hybride ?

Je ne suis pas sûr moi-même de la signification de ce mot, mais ça semble tellement improbable. Je ne connais pas assez les créatures légendaires pour retrouver le nom possible de celle-ci. Mais quoi qu'il en soit, elle ne devait pas être nuisible si elle lui a sauvé la vie... Je pousse un soupir et détourne le regard, comme soulagé néanmoins de le voir en bonne santé, malgré le bras cassé.

Je te crois... On rencontre parfois de drôles de choses dans la vie, et moi-même, je fais partie de l'improbable, alors... En tout cas, content que tu n'es pas grand chose. Par contre, c'est stupide de vouloir chercher la bagarre juste pour le plaisir. Pourquoi tu fais ça ? Tu dois protéger ton territoire ?

Je n'arrive décidément pas à comprendre les raisons d'un tel agissement. Surtout pour quelqu'un que je vénère presque, même si c'est au-delà de ma volonté propre. Je suis un peu déçu. Mais s'il est humain, à quoi puis-je m'attendre de mieux ? Plus le temps passe, plus ça me blase. Finalement, mon frère avait eu raison.

Je reste dubitatif sur ses paroles, cherchant à quel type de créature pourrait appartenir sa rencontre, mais d'après mes souvenirs, en dehors de nous, lémuriens, je n'ai pas souvenir d'avoir croisé autre chose. Enfin, si, un dragon, à la limite. C'est censé être légendaire, alors quand il me parle d'une chimère, j'imagine une tête de lion, un corps de chèvre et une queue de serpent, comme dans les légendes. l'image de la bestiole m'avait un peu marqué quand même et ça reste en mémoire. J'arque un sourcil interrogatif sans poser de questions, attendant qu'il ne m'en dise davantage dessus de lui-même. A vrai dire, je n'avais pas de questions précises sur le sujet, mais plus de détails ne seraient pas de refus.

En revanche, quand il me sort qu'il a affronté un vampire, j'ouvre grand les yeux et me retiens d'exploser directement, conscient du danger que représente les vampires. Surtout qu'actuellement j'étais à fleur de peau sur ce sujet, entre mon vampire qui me prend pour un toutou domestique et mon père adoptif, celui qui m'a tout appris sur ces créatures de la nuit, qui était décédé. Je n'avais plus qu'une idée en tête pour essayer d'évacuer ce stress, et c'était de me plonger dans la tuerie, mais dans mon état, difficile d'aller faire des conneries. Enfoiré de Poison. Intérieurement, je crache dessus.

J'entends la fin de son récit, incrédule, les oreilles dressées, ayant du mal à comprendre ce qu'il venait de dire. Pourtant, ce n'était pas la première qu'on me racontait ça. Un hôte, hein. J'esquisse un sourire félin.

Un hôte ? Ca me rappelle quelque chose... Un gosse m'a raconté la même chose il y a quelque temps. Il y avait une autre personne à l'intérieur de lui. Alors c'est ça... Vous hébergez des... divinités ?

Non, mais là, non. Il ne faut pas exagérer. Je sais pas si je peux digérer la chose. Non, il s'est passé trop de trucs ces derniers temps pour que je puisse cumuler plus d'informations déplaisantes. C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Je descends de ma chaise et sans rien dire, lui tourne le dos, pour sortir de la pièce, rejoindre ma chambre à l'étage pour aller me reposer. Trop d'informations, je sature, là. Oui, je laisse la maison à un inconnu qui me raconte des salades. Pourquoi pas. On est dans un monde de fous. Il peut faire ce qu'il veut, je m'en carre l'oignon comme de l'an 40, je crois.