Alors ça commençait. D’entrée de jeu Sohan avait été clair. Handicapé ou pas, il attendait de son adversaire qu’il lui offre un véritable affrontement. Hadès ne désirait pas montrer la toute étendue de sa puissance pure, mais en soi, le voeu de l’apprenti en fauteil roulant était clair et compréhensible : il voulait se donner à fond, même en sachant qu’il risquait de perdre, ce qu’il souhaitait, c’était que son adversaire ne lui fasse pas de cadeau… et le seigneur des enfers hocha simplement la tête en réponse. Et sans plus attendre démarra l’assaut.

La première chose qui frappa l’esprit d’Hadès fut que son jeune adversaire était forcé de se servir de ses mains pour manipuler le sable qui les entourait… ce qui en soit pouvait être considéré comme étant une force autant qu’une faiblesse. Etait-ce là une feinte pour faire croire à la divinité que sa magie était intimement liée aux mouvements ou, à l’inverse, y était-il effectivement forcé, auquel cas parvenir d’une façon ou d’une autre à paralyser ses mains mettrait directement fin à leur petite joute.

Dans un cas comme dans l’autre, cependant, au vu de la versatilité qu’offrait le sable, le maître des ombres ne pouvait que réprouver le fait qu’il lance une attaque frontale… qui encore une fois pouvait ne prouver n’être qu’une feinte. Dans un cas comme dans l’autre, d’un moment à l’autre l’assaut allait tomber, laissant à Hadès le choix de l’encaisser ou de la parer. Le volume était trop important pour qu’il pense à avaler l’attaque avec son ombre et à l’y enfermer, d’autant plus que ce ne serait qu’une solution temporaire, et l’encaisser semblait dans tout les cas être une mauvaise idée, si du sable l’aveuglait, c’était lui qui en resortirait grandement désaventagé. Dans ce cas précis, un seul choix s’imposait à lui, il devait stopper l’assaut, et immédiatement contre-attaquer. Et pour se faire… il se jeta en arrière.

Sans chercher à plus réfléchir, la divinité avait fait demi-tour, et couru jusqu’au plus proche mur de leur arène pour s’abriter sous sa rassurante ombre, tandis que la sienne s’était élevée derrière lui pour le protéger de façon sommaire de l’assaut… ce ne fut que lorsqu’il atteint son abri que les choses devinrent intéressantes. A la seconde où l’ombre de ce dernier était rentré dans son champ de vision, elle s’était élevée, passant sous les pieds d’Hadès pour ensuite aller à la rencontre du sable… loin de chercher une confrontation, il avait alors fait ce qui était son idée première : enfermer le sable dans une sphère d’ombre, le rendant alors inutile… et la forme circulaire de l’arène, elle, offrit alors à Hadès son moyen de contre-attaquer. Une nouvelle fois, l’ombre restante s’étendit… la difficulté fut alors pour le seigneur du monde sous-terrain de retenir sufisamment son coup pour ne pas le rendre écrasant de puissance… Et une fine mais longue aiguille d’ombre s’était alors lancée à l’assaut du mur de sable. Si tout fonctionnait bien, elle le traverserait alors, pour ensuite soudainement s’étendre, créant une faille béante d’où la divinité infernale pourrait lancer son prochain assaut ou préparer sa défense suivante, suivant la façon dont réagirait son jeune adversaire.

… Cette fois-ci, force était de le constater, Sohan avait fait un effort considérable d’inventivité. Il avait totalement abandonné l’idée d’attaquer Hadès de front, pour se lancer dans un assaut qui non seulement tenait plus compte des spécificités de son pouvoir mais, en prime, s’avérait être bien plus dangereux que le précédent. Compte tenu de son niveau, néanmoins, il manquait très certainement l’énergie qui lui aurait été nécessaire pour porter un  coup qui aurait pu réellement être décisif.

Pourtant, le seigneur du monde sous-terrain ne pouvait que silencieusement applaudir ce qui serait certainement la dernière passe d’armes de son jeune adversaire. Si il prenait en compte son niveau, la diversité de ce qu’il tentait de mettre au point, et la difficulté que ça imposait, alors certainement était-il en train de puiser dans ses dernières ressources, tentant de se prouver à lui comme de prouver à tout ceux qui étaient présents qu’il faisait de son mieux, qu’il se poussait dans ses limites… Un fin sourire fleurit sur les lèvres d’Hadès. Dans ce cas, il se devait de lui répondre, avec toute l’étendue du pouvoir d’un Dieu, n’était-il pas ?

Il ne bougea pas, n’esquissa pas le moindre mouvement pour tenter de se libérer de la force d’attraction de ce sable qui soudain se faisait mouvant. Avec la force et la pression que l’élément pouvait exercer, il aurait été aisé pour Sohan de lui briser les os si il tentait de s’enfuir. Puis en toute sincérité, encore fallait-il qu’il en éprouve, le besoin de s’enfuir. Non, il ne sous-estimait pas la capacité de son adversaire, pas plus que sa tactique, qui en soit était intelligente tout en restant très simple.  D’un côté, il scellait, ou plutôt tentait de sceller les mouvements d’Hadès, s’assurant ainsi de considérablement réduire voire de réduire à néant sa mobilité, même si ce n’était que pour un temps. Du coup, il s’assurait aussi que sa position restait plus ou moins la même. Même en bouchant leur vue avec le sable, avec une assez bonne mémoire et une bonne capacité à se repérer dans l’espace, il pourrait sans mal lancer d’autres assauts depuis sa position. Contre un adversaire plus mobile que lui, ça aurait fonctionné.

Sauf qu’Hadès n’avait pas besoin de bouger, pas plus qu’il n’avait besoin de voir tout le terrain, pour plusieurs raisons. La première était que son adversaire avait une mobilité qui, de base déjà, était fortement réduite. De plus, concentré comme il l’était sur son assaut, sans doute le pourrait-il pas bouger, à moins d’y être forcé, brisant alors sa fragile unité avec le sable. La seconde était qu’il avait besoin de voir l’ombre qu’il manipulait, c’était vrai, mais il n’avait pas besoin de tout voir. Voir une portion de l’ombre était suffisant, tant qu’elle faisait partie d’un tout. Pour un seul et unique assaut, le dieu des Enfers montrerait à son jeune opposant toute l’étendue de son pouvoir, l’énorme gouffre qui les séparait. Il inspira, et fixa l’ombre du mur de l’arène. Un bruit de fin du monde retenti.

Comme deux gigantesques ailes, l’ombre du mur circulaire se divisa alors en deux, s’élevant dans les airs, avant de se replier vers celui qui avait convoqué leur puissance, l’entourant comme un mur impénetrable… avant de brutalement repartir vers Sohan. Là, même pour lui, la difficulté serait de s’en servir pour éloigner le nuage de sable tout en manipulant correctement la densité de sa création pour qu’elle se contente d’éloigner le nuage d’or qui lui bouchait la vue, tout en passant au travers du jeune homme en fauteuil roulant sans le blesser, vide de toute substance à l’endroit où il devrait se trouver. Même pour un Dieu, soulever et gérer aussi précisément une telle masse s’avérait être un exercice difficile, mais pas impossible, comme en témoignaient les gouttes de sueur qui perlaient sur son front, preuve de la concentration qui était nécessaire… mais si tout se passait bien, alors ne resteraient du nuage de sable que quelques vagues particules flottant encore dans l’air, laissant leur maître à découvert…

L’ombre se lança alors une seconde fois, visant la gorge de Sohan sous la forme d’une lame, qui s’arrêta à quelques milimètres de son cou… avant de se dissiper. Le dieu infernal ouvrit la bouche.