▽ Par la vérité de ses yeux.

Tes talons s'enfonçaient dans la neige, tes yeux se perdaient dans cet environnement qui t'était inconnu malgré toutes ces années passées à y errer. Le monde ici était grand et pourtant minuscule à la fois. Le temps te paraissait long et tu n'arrivais pourtant pas à le suivre. Tout ce qui t'entourait était long, était court, était froid mais chaleureux. Tu te perdais dans tes songes, dans tes contradictions. Tu n'y voyais plus qu'un fouillis bon à jeter à la poubelle. De pauvres pensées inutiles qui quotidiennement venaient te hanter. Une psyché-délie éphémère dont tu te lassais, petit à petit. Quand donc te quittera-t-elle ? Tes pensées se hâtaient dans le fin-fond de ton esprit, se bousculaient entre elles tandis que tu marchais sous le regard bienveillant des étoiles dans le ciel à qui tu devais ta survie. Tes pupilles allaient de droite à gauche, scrutant la neige à perte de vue. Un à un, tes pas silencieux s'enfoncèrent tel un poids dans la poudreuse qui chaque année s'entassait un peu plus à chaque seconde en ces pourtant si belles terres. Tu aurais tant espéré ne serait-ce qu'un brin d'herbe fraîche après tout ce temps passé dans ce décor trop blanc. Les sapins bruissaient avec le vent qui faisait s'envoler ta cape noire sur tes épaules, précieusement attachée à ton cou pour qu'elle ne disparaisse pas à l'horizon. Tes jambes nues subissaient le froid tel un calvaire insoutenable tandis que tu ne les sentais pas te crier à l'aide. Tes joues d'habitude si pâles était rougies par le gel, au même titre que tes mains.

La lumière de la lune éclairait ton chemin que faiblement et tu aurais eu du mal à poursuivre plus longtemps. Sauf que ton entêtement aurait eu raison de ton incapacité à continuer, puisque tu ne t'arrêtas pas même une seconde. Il était hors de question de devenir dépendante de la lumière qui t'était offerte. Si même ça t'était impossible, comment aurais-tu pu espérer un seul instant être supérieur à tout être terrestre et céleste ? Jamais tu ne t'avouerais en difficulté face à quoi ou qui que ce soit. Encore moins face à une neige que toute ta longue vie tu as vu s'écrouler en de si jolis espaces autrefois pleins de vie. Alors que tu poursuivais ta route, doucement un flocon bien audacieux vint se poser sur le bout de ton nez. Tu le regardas, louchant pour mieux l'apercevoir et ferma les yeux pour alors t'écrouler dans cette massive étendue de neige. Cette douce fatigue envahissait tes membres. Tu aurais eu bien honte de l'avouer mais le grand éternel savait à quel point tu avais besoin d'être ainsi, à l'arrêt pour ne serait-ce quelques secondes de ta longue existence. Ne plus bouger, ne plus respirer, juste entendre le manque d'humanité autour de toi. Ces instants immobiles t'avaient semblé interminables, comme une seconde d'éternité, un battement de cils qui ne finissait jamais.

Tu inspires, clôturant ton moment de solitude intérieure par un souffle gelé. La douleur que subissaient depuis tant de temps tes pauvres jambes glacées ne faisaient qu'empirer et pourtant, tu semblais ne même pas t'en rendre compte. Ça te démangeait un peu sans doute mais quelqu'un d'autre dans ton cas aurait crié pour évacuer tant de douleur. Ta grâce et ta fierté aurait pu en épater plus d'un si seulement il y avait eu qui que ce soit pour observer tes vécus. Sauf qu'il n'y avait personne, alors pourquoi continuer à tenir cette image de beauté ? Tu étais digne, tu étais fière, tu étais grande. Même seule, tu le restais. Car c'était dans ta nature, tu n'y pouvais rien si tu étais née pour être toujours plus majestueuse. Tu te plaisais à être et à rester ainsi, tu te plaisais à demeurer cette personne dont les gens avaient peur, ils te craignaient, toi et ta soi-disant supériorité. Tes idées et pensées envahissaient alors tout ton univers. A nouveau tu te perdais dans tes propres songes, devenant la proie de ton esprit. Tu souffrais d'être toi. Tu aimais être toi. Mais tu n'aimais pas souffrir. Tu étais une contradiction, toi-même tu restais parfois perplexe devant ta propre bêtise.

Plic.

Une goutte de sang. Tu l'entends, la sent, la renifle à plein nez. Oh douce odeur. Tu en avais besoin, tu le savais. Sauf que ceux dont tu avais besoin n'étaient pas là. Tes beaux calices, tes doux chéris. Tu te relevas, dans l'impossibilité de rester couchée avec cette odeur peuplant tes narines. Tu attrapas ton chandelier, le gardant à la main bien que la bougie éteinte. Tes pas se dirigèrent tranquillement vers ta destination première. Le pauvre blessé avait été bien inconscient de se laisser tracer par une odeur si douce et fraîche que celle-ci. Aucun doute, c'était un humain. De loin, tu aperçus un lac. Tu connaissais bien cette triste étendue de glace qui t'avait toujours donnée envie d'y glisser. Mais tu n'avais jamais été assez inconsciente pour te laisser emporter par ce désir bien enfantin. Des gouttes de sang tracent le chemin irrégulier de ta proie et sans aucune encombre, tu le suis, sans te poser plus de questions que cela. Après tout, peut-être avait-il laissé ces traces-là exprès pour te leurrer, qui sait ? Sauf que peu importe où tu te retrouverais, tu arriverais à l'avoir, tu arriverais à le dévorer, pour la simple et bonne raison que tu avais cette volonté d'être toujours plus que les autres.

Tu longeas le lac tranquillement, tes pieds dirigeant ta marche sans même que tu te rendes compte de là où ils te menaient. Tu arrivas alors face à un temple aussi froid et glacé que le reste du paysage. Sauf que cette glace était différente, plus pure, plus malsaine, moins naturelle. Cette glace était l'oeuvre du temps qui te hantait un peu plus chaque nuit. Cette glace était l'oeuvre de toutes ces larmes qui n'ont pas osé couler plus qu'elles n'ont été autorisées. Cette glace te rappelait bien des erreurs que tu avais faite. Cette glace était ton diable.

Ploc.

Le tintement de si douces gouttes de sang venait de l'intérieur. Et peu importe à quel point ces enceintes t'en imposait, tu entrerais, car tu es mieux, tu es plus, tu es tout, tu es toi. Alors tranquillement, tu entres, regarde autour de toi mais rien. Peut-être que jamais tu n'aurais du entrer, finalement. Tu n'as pas peur mais tu aurais préféré que oui, tu n'as pas mal mais tu crains que ça ne change que trop rapidement, tu ne pleures pas mais aurais voulu pouvoir le faire. Un bruit de pas, doucement, se fait entendre.

« Allons, est-ce une manière de saluer une invitée ? »

« Prisonnier du tombeau glacé de ton corps, tu te dévoiles à elle, tremblante, t'offrante maintes partenaires invisbles mais enjouées dans cette danse folle et silencieuse. Seuls tes pas rythment  la musique de la nuit, dans un rituel incompréhensible de restauration du corps, cette ressource d'énergie qui circule lentement dans ton corps, réchauffant tes muscles. Où la perçois-tu, cette douce chaleur qui s'insinue lentement à travers tes vaisseaux sanguins. Mais elle s'échappe, comme si elle se jouait de toi, pour finalement te laisser sombrer dans le désespoir. Ton corps t'abandonne, tu tombes, cadavre qui avait espérer vivre... »

Je me réveille de ce rêve qui m'avait semblait si fort que mon cœur battait encore, comme si j'avais été ce personnage inconnu. Une prémonition ? Impossible, je n'avais pas le don de prescience, à moins que ce ne soit mon Ombre qui me jouait des tours. Qu'est ce que cela signifiait ? Je n'étais pourtant pas sensible à ce point à ce genre de croyance, mais cela me troublait profondément, comme si une nostalgie s'était insinué en moi.Ce que j'avais vu me rappelait vaguement un lieu que j'avais visité, où j'avais passé quelques temps lors de mon voyage, pour apprendre à contrôler justement mon Ombre. On ne pouvait pas dire que ça m'y avait réellement aidé vu ce que j'avais vécu par la suite. Mais peut-être si j'y retournais, aurais-je la réponse à ce qu'il s'y était passé, pourquoi un tel échec qui m'avait couté si cher ?

Requinqué depuis quelques jours, je sortais un peu plus, affrontant virilement le froid de la saison dans ce pays où, de toute façon, on se caillait les miches à longueur d'année, parfois pour travailler, parfois pour juste me promener. Je ne veux pas donner la mauvaise habitude à mes employés de ma trop forte présence non plus, les pauvres, ce serait leur mettre la pression gratuitement... Enfin, ce n'est pas tant ça qui me déplait, mais ils s'amuserait à venir me voir trop souvent pour me parler des problèmes et franchement, cette perspective me gonflait. Il fallait que je garde mon apparence d' « on ne peut pas compter sur moi ». Et puis... je fais bien ce que je veux, ils ne devraient pas se plaindre, je les paie pour leur boulot quand même, pas pour râler.

Alors je profitais de cet instant de sortie pour marcher, marcher dans cette neige, aussi éternelle que ma race, aussi éphémère que les humains, signifiant sa douleur dans une craquement sous mes pas, des larmes tombant du ciel, effleurant ma peau pour tenter de faire fondre ce qui me servait de centre de sentiments. J'étais déjà nostalgique de ce temps où je n'avais pas besoin de me revigorer de ce liquide vital, qui ne remonte pas à si loin. Est-ce que mon corps est comme cette glace et refermera à jamais en elle les souvenirs de mon vécu, ces blessures infligées durant une existence de supplice et de souffrance.

Mais de mon jeune âge, nourrisson pour la plupart des vampires, je tâte seulement ce qu'est cette vie divine, offerte par des géniteurs que je me demande ce qu'ils voulaient vraiment de moi. Peut-être simplement avoir un peu de divertissement l'espace de quelques années, même pas pour laisser une trace dans l'Histoire, puisqu'ils sont immortels. C'est sûr, j'avais dû leur créer bien des soucis, au point de leur donner une ou deux rides sur leur millénaires d'existence, vu leurs tourments que je leur ai fait subir.

Tout ceci, c'est du passé, je vis ma vie, à présent, suivant un instinct qui n'appartient qu'à moi seul. Même la plupart de mes congénères ne comprennent pas. Je ne suis pas comme eux, je ne les défends pas, je ne les attaque pas non plus. J'en ai juste rien à carrer. Aussi, pouvait-on me citer des noms de personnes ayant traversé les âges, que je ne saurais pas de quoi on me parle et ce que j'ai à voir là-dedans. J'arrive à sentir la présence de mes congénères, mais si je peux éviter de me frotter contre mes congénères assoiffés de sang, je m'en passe.

Et ce besoin de solitude, se caractérise parfois par un pèlerinage vers ce temple figé par le temps, pour me plonger dans la nostalgie de ma naïveté, mon ignorance, pour prendre un peu de repos, une pause dans cette vie d'oisif.

Je pénètre dans ce palais, vêtu de cette cape noire me protégeant imperméablement du froid mordant, le col relevé sur le bas de mon visage, laissant échapper la fumée de mon souffle glacé. Des gants en cuir, le reste de ma tenue n'était que du noir, jusqu'aux rangers montant à mi-genou, de sorte que je ne craignais plus les températures inférieur à zéro. Je descends au sous-sol, là où la glace laisse place aux pierres qui forment les vestiges d'une époque où la neige n'était pas reine de ces lieux. Il y faisait sans doute plus chaud, le vent n'entrait pas, j'étais à l'abri. Mais ces couloirs n'avaient rien à voir avec mes visions, aussi, je traversais juste ce passage à la recherche de quelques indices, avant de revenir à mon point de départ pour admirer le plafond haut d'un blanc pur. Il y avait même un lustre sculpté, mais qui n'avait aucun autre intérêt que l'art décoratif pour apporter un peu plus de magnificence à l'architecture.

Et soudain... Un être s'étale à mes pieds. Sans doute ne m'avait-il pas vraiment vu, car il semblait au bord de l'inconscience, en sang. Mon œil passa au rouge à l'odeur suffocante de cette misère, et je m'accroupis un instant pour le ramasser par le col, et constater des dégâts. Après tout... Je dirige un hôpital, la vue de ce genre de blessures ne m'est pas inconnue, et je souris, regardant vers l'entrée, je m'y diriges même pour y accueillir le chasseur. D'un geste brusque je laisse tomber le souffrant au sol, un peu plus loin pour qu'il ne me gêne pas, tandis que j'observe curieusement la personne qui se présente à moi. Une jeune fille ? Non... C'était autre chose... Plus puissant. Je pouvais sentir la prestance égale à mes parents, une ancestrale, un être qui avait bien plus de siècles de vécu, à qui j'étais censé présenter un minimum de respect.

Pas de bol, je les trouve tous plus abjects les uns que les autres.

Je ne comptais pas présenter un respect supérieur à n'importe quelle personne. Cette femme... Elle avait ce charisme inné, mais à mes yeux, je voyais toute la noirceur d'un prédateur sans foi ni loi qui polluait son âme. Une semblable...

Un sourire s'esquisse sur mes lèvres et je pose un genou à terre, en saluant de manière chevaleresque cette « invitée ». Par contre, je me permis ce ton railleur et soulignant d'un regard plein de défi :

« Invitée dont vous êtes la seule hôte. Il semblerait que vous ayez perdu cette chose. Dois-je apporter autant de respect à cette personne qu'elle laisse traîner ses jouets ? »

Mais non, mais non, pas d'ironie, juste un peu. Allez, dévoile-toi.

▽ Par la vérité de ses yeux.

Cette délicate odeur auparavant lointaine caressait doucement tes narines. Même avec tous les efforts du monde, cet agréable parfum n'aurait pas pu camoufler celle d'un semblable aussi peu chaleureux que celui qui te tiendrait compagnie. Tu faisais dos à la faible lumière qui t'avait tant hantée durant ton voyage et face à celui qui te faisait tête basse. Que de fausses manières mais ça t'avait fait esquissé un maigre sourire décorant tes si jolies lèvres. Apparemment, le pauvre innocent que tu avais cherché à rattraper n'était pas à lui. Tant pis, tu aurais préféré que ce soit un calice, après tout. Tu avances d'un pas et laisse le courant d'air fermer la porte à ta place. Tes mains doucement attrapent la cape qui t'avait couvert tout ce temps et la garde au bras, avançant tranquillement vers ta ridicule victime. Ses paroles ne t'avaient pas irritées mais t'amusaient. Pensait-il que le pauvre faon était à toi ? Peut-être était-ce le cas, finalement, au vu de la situation. De tes pas lents résonnant dans la salle meublée de votre seule présence, tu arrivas face au presque-cadavre qui gisait au sol.

« Tu devrais me lécher les semelles pour en extraire la neige si tu voulais m'accorder ton respect. Tes pauvres manières ne sont rien comparées à ce que je devrais recevoir. »

Tu pose un talon sur le torse de l'ensanglanté, sans te poser plus de questions que ça. Tu penches la tête pour mieux l'observer. Sûrement aurait-il été plus judicieux d'aller plus rapidement, si tu ne voulais pas qu'il tombe dans les pommes. De ton pied tu relevas son menton, pour vérifier s'il avait été mordu. Tu retiras ton pied et te retournes vers ton interlocuteur, sans même hausser un sourcil. Tu avais perdu ton maigre sourire, inspectant le vampire devant toi. Il n'avait pas touché à ta proie, tu le savais bien. Alors pourquoi était-il là ? Tu restes stoïque, après tout, s'il n'avait pas bronché à l'idée de laisser le sang couler, c'est qu'il devait être au moins un sang-rouge. Sauf que jamais il ne se serait abaissé devant toi en tant qu'Ancestral. Alors plus que deux possibilités. A la fin de la conversation, tu trouveras qui il est. C'était le défi pour aujourd'hui. Tu souris, ton regard hautain le pointant directement, sans pour autant le dévisager.

« Le pauvre innocent qui a choisi cet endroit comme tombe n'était pas votre cible. Que faites-vous en cet endroit ? »

Il t'intriguait. Ou en tous cas le fait qu'il soit là t'intriguait. Peu de gens connaissent l'existence de ce temple et encore moins y parviennent. Alors comment aurait-il pu l'atteindre ? Décidément, la nouvelle génération.. Les vieux n'auraient jamais du faire des gosses et à ce moment-là tu serais encore sur le trône. Tu te demandais si il avait été de ceux qui t'avaient fait tomber. Dans ce cas-là, il ne mériterait que la mort. Mais tu ne voulais aucune représailles. Alors sans doute ferais-tu preuve de prudence. Peut-être. Tu avances, tes talons claquant au sol sans retenue, le son passant sur tous les murs de la salle. Tes yeux restent figés sur le vampire tandis que tu restes de profil, tes cheveux dans ton dos. Tes pensées se bousculaient à l'intérieur de ta tête mais tu n'en montrais rien. Extérieurement tu avais juste l'air de le percer sans pour autant le découvrir. Tu n'avais aucune idée de qui il était. Son visage ne te rappelait personne. Quelle tristesse. Si ça se trouve il n'était rien ni personne.

Tu aurais voulu pouvoir tout savoir sur lui sans devoir poser les questions habituelles, indignes de toi. Son nom, sa classe sociale, tout ça tu voulais le deviner ou en arracher les informations habilement. Pas juste en le lui demandant. Tu avais bien trop de fierté pour avouer qu'il était un mystère, même pour toi. Après tout, n'étais-tu pas la reine ? Celle qui devrait tout savoir et tout comprendre ? Les mystères ça n'existe pas au sein de ton univers. Et ce pauvre sang-pur ne fera pas exception.

Alors quels-sont tes origines, pauvre inconscient ? Sais-tu à qui tu t'adresses, au moins ? Je suis ta reine. A toi et à tes misérables parents.

Tu te tournes pour être face à lui et arrête tes pas. Peut-être n'était-il même pas né lorsque le trône t'appartenait encore. Peut-être ne reconnait-il pas ton ô combien joli minois ou peut-être est-il assez hautain et sûr de lui pour faire semblant qu'il ne te connait pas. Oh Dieux, que tu aurais voulu lui apprendre toute ta supériorité. Malheureusement, le ciel en a sûrement décidé autrement car aujourd'hui, tu n'es plus qu'une reine recluse dans son palais bien caché des regards malveillants, à l'abri derrière une muraille de guerriers mal formés. Comment aurais-tu pu imaginer une telle désolation, il y a quelques décennies ?

Et lui, au milieu de ça. Qui est-il ? Un ennemi ? Un allié ? Ou juste un autre abruti qui se laissera se plonger dans ton regard ?

Ses pas résonnaient dans le palais, soulignant la solitude et la grandeur de cette fortification, pourtant déjà trop peuplé à mon goût, se dirigeant vers ce qui n'était plus qu'un semblant d'humain rougeoyant sur le sol. Alors, je ne m'étais pas trompé, cette marionnette appartenait à cette vampiresse, et j'avais bien fait de ne pas y toucher, de crainte de me faire empoisonner par un sang déjà contaminé par un représentant de mon espèce. Nous étions vraiment des créatures infâmes, avide de possessivité humaine, au point de tuer nos semblables s'ils essayaient de s'approprier nos biens... C'était dans notre nature, ans que nous ne le fassions forcément exprès. L'humain n'était pas encore mort et gémissait faiblement, rompant le silence du temple, l'harmonie bleuâtre du sang rouge qui coulait de ses plaies ouvertes, il était un calice temporaire pour la créature qui était parmi nous, mais je doutais qu'il ne le reste bien longtemps. C'était ainsi, une fois mordu, il ne pouvait en réchapper... Triste destin que ceux qui se font cible des noctambules que nous étions. Mon frère n'en avait pas réchappé, mais d'un autre côté, il était désormais protégé de mes semblables par ce lien qui nous unissait.

J'esquissais un sourire, face à sa remarque réclamant davantage de faveurs de ma part. Moi ? Lécher les pieds de quelqu'un d'autre ? Quelle présomption, affligeante. Enfin, ce n'est pas comme si mon respect pour elle m'étouffait, et elle devait sans doute me mettre au défi. Je me lève la jaugeant tandis qu'elle se préoccupait de sa proie, un œil averti, et curieux à la fois. Qui était-elle précisément ? Mon instinct me disait que je devais m'en méfier de toute évidence, ne pas m'approcher d'elle, comme si elle était une espèce de veuve noire. Elle ne m'effrayait pas le moins du monde, mais son aura avait quelque chose d'envoûtant, et si je me laissais avoir par sa gravité, je sentais que je perdrais quelque chose en moi, blessé intérieurement.

Avec mes chers parents, j'avais eu l'occasion de côtoyer d'autres ancestraux, lors de réunions sans grand intérêt ou même des bals dansants entre nobles, se remémorant les souvenirs d'il y a des millénaires, lorsqu'ils étaient affublés de leur mission divine. A les voir rire de cette époque, on se rendait facilement compte qu'ils étaient bien prétentieux et dangereux, avec leur regard inquisiteur, étouffé d'arrogance. Ne cherchez pas d'où vient mon caractère, les chiens ne font pas des chats. Cependant, je savais que mes pouvoirs n'étaient pas aussi puissants que les Ancestraux qui avaient directement hérité des Dieux. Je n'étais qu'une pâle copie, finalement, comme les autres Sangs Bleus. Cependant, j'avais ma fierté et même ceux qui se sentaient supérieurs à moi n'avaient pas le droit de me piétiner de la sorte. Je le jure, sur la tête de Bertram que jamais je ne me laisserais faire par quiconque. Il est la seule personne que j'accepte dans mon entourage, qui connaisse mes faiblesses et en qui j'ai confiance.

Je répliquais alors de ce ton toujours aussi railleur, sans m'étendre sur la provocation :

« J'applique mon respect à ce que vous semblez mériter... Mais plus vous en dites, plus je me dis que je fais trop de cérémonies pour une personne qui réclame. »

J'avais l'impression d'vaoir en face de moi cette petite cousine que j'avais dû rencontrer une fois, capricieuse, petite princesse à son papa gâteau, pourrie gâtée jusqu'à la moelle, un peu comme moi, mais à la différence, c'est qu'à part la tranquillité, je ne réclamais pas grand chose du monde en général. Ma place, je l'avais faite seul, dans ce monde, et je gagnais le cœur des gens en les côtoyant et non en balançant mon nom à qui voulait l'entendre pour leur inspirer le respect du à mon rang offert avec le nom de mes parents. Cette femme était bien plus vieille, sans aucun doute, mais elle manquait de sagesse, trop prétentieuse pour mériter le respect de quiconque. Parce qu'elle était Ancestrale, je devais lui lécher les pieds ?! Laissez-moi rire... Ca n'a pas de mérite... Trop facile. J'ai franchement pas envie de me baisser à la hauteur de cet animal gisant pour acquérir quelques faveurs d'un membre de la Haute Noblesse, ça ne m'apporterait rien de bon. Je deviendrais juste un serviteur à la solde d'un créature écoeurante.

Elle se mit à me tourner autour, comme si j'étais devenu sa nouvelle proie. Je fronçais les sourcils, lui rendant son regard, sans détourner une seconde, avec mon unique œil valide, essayant de percevoir ce qu'elle voulait de moi. Mais il n'y avait aucune vie dans ses yeux, seules ses lèvres s'animaient pour exprimer ce qu'elle voulait savoir. Mais je ne comptais pas coopérer, cela ne la regardait pas. Comme si j'allais raconter ma vie au premier qui me posait la question... Bien sûr... Je ne perdrais pas à ce jeu.

« Je pourrais vous retourner la question, la seule réponse que je vois plausible à votre égard est que vous vous abreuvez de cette misérable créature. Mais je m'en moque pas mal de votre présence, tout comme cela ne vous regarde pas ce que je fais ici. »

De toute façon, je ne savais pas vraiment ce que je cherchais moi-même en ces lieux, simplement guidé par une voix entêtante, résonnant dans mon crâne comme un appel, la nostalgie envahissant mes sens. C'était ce rêve qui avait perturbé mon instinct, me menant vers ce temple dont je connaissais l'existence que par un coup de chance datant de mon exil temporaire durant mon adolescence, comme un retour aux sources. Mais, à bien y réfléchir, la mémoire me faisait défaut, et je ne me souvenais même plus à quelle occasion j'étais venu en ces lieux, mais ces visites avaient sans doute un point commun entre elles... Aurais-je le courage de le chercher aujourd'hui, alors que j'étais dérangé par ces deux énergumènes ?

Etait-ce vraiment ce qu'elle voulait savoir ? J'en doutais fortement, à mon avis, elle avait d'autres questions, plus profondes, mais elle tournait autour du pot pour essayer de déceler qui j'étais, je le sentais à son regard perçant. J'avais le sentiment d'avoir affaire à l'un de mes parents, qui ne posaient jamais de questions trop directes, préférant déduire pour se rendre plus intelligent, au risque de commettre une erreur, qu'ils rattraperaient habilement en jouant des mots. C'était une méthode perverse, mais typiquement vampirique. Personnellement, j'avais opté pour une toute autre méthode, sur le coup plus stupide, mais tellement plus crédible. On pouvait se sentir con pendant l'espace de la question posée, mais une fois que la réponse était apportée, nous ne restions pas dans l'ignorance, sans certitudes... Aussi, je plissais l'oeil, pour aiguiser ma vue et lui demandai directement :

« Qui êtes-vous ? Pas la peine de me répondre que vous êtes une Ancestrale, vous puez les siècles à mille kilomètres à la ronde, même si à vous voir chasser le stupide morpion vous semblez tomber bien bas, je ne suis pas assez stupide pour me laisser berner par ce faux-semblant. A votre tenue, vous n'avez pas l'air de vous prendre pour n'importe qui... »

Bien qu'à mes yeux... Elle n'était qu'une de ces Ancestrales que je méprisais de toute façon, autant qu'ils nous le retournaient. N'empêche, c'était con de donner naissance à une progéniture pour en faire des esclaves, surtout en sachant que nous aurions à quelque chose près le même caractère désapprouvant de nos parents qui se sont émancipés de leur tâche envers les Dieux. Ils se prennent pour des Dieux, au même titre que les humains qui s'amusent avec leur expérience, mais ils se dénigrent les uns les autres. C'était un ouroboros, une guerre sans fin.

Mais au fait... A quel Dieu est destiné ce temple ? Les anciens Dieux de la mythologie nordique ? Non... Etait-ce... ? Et si c'était ici que mes parents avaient eu leur naissance ? Je ne savais pas comment cela s'était déroulé, c'était une supposition, mais ceci expliquerait pourquoi mon sang réagissait ? Le pouvoir du Dieu qui avait fait naître mes géniteurs résidait peut-être encore en ces lieux... ? Elle devait peut-être le savoir, elle, car vu son ton, c'était comme si ça lui appartenait. Elle devait même connaître mes parents. Raison de plus pour ne pas donner mon nom.

▽ Par la vérité de ses yeux.

Une nonchalance incertaine, un regard mystérieux, une posture ténébreuse. Osait-il encore parler de ta propre prétention ? Tu avais au moins le mérite d'avoir avancé dans ta vie plus que n'importe quel autre misérable vampire. Tu étais au sommet, tu étais la reine, la reine de ce pauvre inconscient qui aujourd'hui ose monter le menton. Les Dieux étaient fous. Leurs pouvoirs étaient pathétiques. Ton trône était brisé. Les vampires te faisaient face sans aucune honte. Décidément, l'univers entier allait de travers. Tout ça n'était pas juste, tout ça n'était pas bien cadré, pas rangé. Comme une chambre d'enfant dont les parents ne sont pas assez autoritaire. Mais quels sont donc les parents irresponsables de cet enfant qu'est le monde ? Tu penches la tête, passe le bout de tes doigts sur ta lèvre supérieure. En général, ta réputation faisait de toi une vampire crainte. Là en plus de ne pas savoir qui tu étais, il se dressait face à ta personne comme si tu étais l'intruse d'entre vous deux. Quelle ironie. Même sur ton trône, il aurait put te tenir tête. C'était son jeu à lui. Ça te plaisait. Tu étais contradictoire, pas vrai ? Vouloir à tous prix prouver à tous que tu étais supérieure et pourtant trouver attirant tous ceux qui te rabaissaient.. C'était toi, ta nature, tu n'y pouvais rien. Ton sourire reste gravé sur ton visage.

« Fort bien. Ne faites rien dans ce cas. »

Doucement tes yeux se posent sur son visage. Tu n'arrives pas à le distinguer, à comprendre ses traits. Tu ne vois rien de plus qu'une âme déchirée, au même titre que la tienne. Une âme froide qui erre dans un corps pâle. C'était une piètre description que tu faisais là de ta propre race. Mais qu'y pouvais-tu ? N'était-ce pas là la vérité ? Tes pupilles se baladent, une fois sur le pauvre corps refroidissant de ta précédente potentielle victime puis sur le mystérieux compère face à toi. Pourquoi était-il différent ? Pourquoi était-il fort ? Pourquoi était-il droit ? Tu n'aimais pas ça et en même temps, tu adorais admirer ces personnes sous voile.

« Ça me regarde si j'ai envie que ça me regarde. Quant à la victime, ce n'était qu'un intermédiaire entre vous.. et moi. »

Le destin, tu n'en avais que faire. Pourtant tu étais sûre d'être là pour une raison qui t'était encore inconnue. C'est ça que tu aimais. Le danger de ne rien savoir. Ça t'amusait de toujours te reposer sur une lettre dont tu ne connaissais pas la valeur, surtout lorsqu'il s'agissait de situations aussi secondaires. Il n'y avait là aucun enjeu, pas de danger, rien que le risque de se faire détester par une personne de plus. Une de plus ou une de moins, quelle importance. Alors pourquoi fallait-il que ce soit différent ? Il était différent. Il était dangereux à lui tout seul. Il était grand. Tu détends tes épaules, écarte une jambe, ton talon glissant sur le gel. Pas un pas de travers, pas une faille. Tu étais comme ça, à ne montrer que ce que tu voulais bien qu'ils voient. Tu faisais comme beaucoup de gens, après tout. La différence entre toi et les autres c'est que toi tu le faisais bien. Tu étais devenue maîtresse dans l'art de sembler et paraître. Tu te gardais profondément cachée, parce qu'en réalité, tu tremblais. En réalité, tu étais déjà morte.

« Mon identité ne vous dira rien si vous ne m'avez déjà pas reconnue. En revanche, votre nom m'intéresse. Vos traits me sont familiers. »

Qui était-il donc ? Que faisait-il donc ? Tu voulais savoir. Tes lèvres te démangeaient rien qu'à l'idée de lui arracher ces mots. Tu les voulais tant, ces pauvres vérités. Mais allait-il te les donner sincèrement ?

[hrp; Je suis désolée du temps que j'ai mis, je savais pas quoi répondre. ;w; En plus cé pas tré tré bien. Excuse-moi.]

Spoiler:

▽ Par la vérité de ses yeux.

C'était hors de question qu'il te quitte sans rien te dire. Il était hors de question que ce morveux te tienne tête. Tu finiras par me le dire. Tu restes silencieuse, n'insiste pas plus que ça. Pas encore. Il tomberait, c'était obligé. Sa tenue, sa rigidité.. Tout ça n'était pas naturel. Tu le feras craquer, tu veux le faire craquer, il craquera. Sans utiliser tes pouvoirs. Il était hors de question de te dévoiler de cette manière. Tu le regardes te saluer sans un mot, le laissant partir.. Ou pas. Le vent était avec toi, le courant ferma la porte qui était sa seule issue. Toi tu restais là, ton sourire s'étirant sur tes lèvres. Qu'aurais-tu fait si le vent n'avait pas fermé cette misérable porte ? Lui courir après ? C'était pas ton genre, pas vrai ? Alors pourquoi les Dieux t'avaient aidée, cette fois ? Tu conserves ton sourire et fait quelques pas en arrière pour de nouveau te tenir entre lui et la porte.

« Mon hôte comme vous l'appelez et la porte qui se referme.. N'est-ce pas signes suffisants pour ne pas me fausser compagnie aussi vite ? »

Tu parcours son corps entier de tes yeux rubis. Il fallait que tu te souviennes. Qui était-il ? Qui étaient ses parents ? Tu devais te rappeler. Sauf que ta mémoire ne revenant pas, il fallait bien que tu insistes un peu auprès de lui. Tu n'allais pas rester là des années, il allait finir par ouvrir cette porte. Après tout, le vent ne ferme pas les portes à clé. Tu penches doucement la tête, le fixant de pupille à pupilles. Un cache-œil, une cicatrice, des cheveux noirs en pagaille, un visage hautain et méchant. Bon sang tu connaissais ce type. Tu connaissais son sang, son odeur. Il était une partie de ta mémoire mais laquelle ?

« Un hôpital. »

Qu'est-ce que tu racontais encore ? Tu ne comprenais pas toi-même pourquoi est-ce que l'image d'un hôpital t'était venue en tête. Tu n'avais pas souvent mis les pieds dans un hôpital. La seule fois que tu l'avais fait.. C'était pour.. Jack. Tu hausses les sourcils. Pourquoi sa tête te rappelait donc l'hôpital dans lequel tu avais emmené ton ex-amant ? Ou alors était-ce l'un de ses assassins ? Non, il n'y avait que des chasseurs qui étaient coupables. Alors qu'était-il donc pour un hôpital ? Comment s'appelait cet hôpital ? Tu soupires. Tes souvenirs datent, ils périssent, ils s'oublient. Tu aurais du tenir un journal.. Tu inspires un grand coup, maintenant le regard de ton invité. Jack. Jack avait été lâchement abandonné. Personne ne s'était occupé de lui. Sans espoir, qu'ils disaient. Tu ne voulais pas y croire, ton obstination les énervait. Puis il est arrivé. Ce grand homme au teint pâle. Pourquoi a-t-il fallut que ces images te reviennent ? Pourquoi face à ce faux-noble ? Allais-tu réfléchir toute la soirée, belle reine ? Tu perdais ton temps, ainsi. Tu cherchais à tout prix son nom. Le nom de l'hôpital, de celui qui s'était proposé de le soigner. Celui qui n'avait fait qu'abréger souffrance, à raison, bien sûr, mais sans accord. Tu ne lui aurais pas donné. C'était Jack qui avait demandé à mourir. Tu ne pouvais pas en vouloir à ce pauvre homme.. Non.. Ce pauvre vampire. Ton égal.

« Bien. »

Tu souris, satisfaite. Tu avances, lui laisses libre parcours jusqu'à la porte.

« Ce fut un plaisir, monsieur Blackwood. »

Tu avais gagné.