❝ Mais dude, ici c'est la réalité, la première réaction après avoir hurlé comme dans les films d'horreur c'est prendre ses jambes  son cou ❞

Je lâche un soupir en enjambant les deux corps inertes plaqués au sol. « T'étais pas obligée... » En vérité, Amy n'avait guère eu d'autre choix que d'assomer les deux "gardiens" – en se servant de l'un pour cogner sur l'autre, tout à fait son style – qui nous avaient barré la route lorsque nous avions tenté de nous aventurer dans cette étrange faille dont tout le monde parlait depuis maintenant trois jours. Je n'avais la tête à rien en ce moment, et je soupçonne Amy Rose de m'avoir entraînée dans cette histoire pour me changer les idées. Au petit déjeuner ce matin, elle m'avait joyeusement annoncé que le programme d'aujourd'hui serait d'éclairer ce qui se trouvait à l'intérieur de cette mystérieuse faille qui menait aux tréfonds de notre monde. Sans plus de conviction, j'avais passé ma tenue de pseudo-baroudeuse – difficile de faire mieux qu'un short taille haute en jean delavé et un top blanc – et nous avions pris la route de l'entrée la plus proche. Résultat : nous nous étions retrouvées à visiter un dédale sombre dont on n'apercevait pas le fond, éclairées par une étrange substance verdâtre qui luisait sur les murs et nous donnait l'impression d'être les protagonistes d'un film d'horreur.

« Hé merde. Fais attention y'a une flaque ici ! » Elle me tire de ma rêverie suffisament tôt pour que je puisse esquiver l'eau stagnante et nauséabonde qui me confortait autant que si j'avais été traîner dans les égoûts. « C'est écœurant... » Pour une fois, ma meilleure amie a l'air parfaitement d'accord avec moi. Je n'ose pas vérifier l'état de mes Converses blanches, et suit Amy du mieux que je peux tandis qu'une petite voix au fond de moi me demande ce qui a bien pu me pousser à entrer dans un jeu aussi... absurde. C'était un comportement impulsif et assez naïf, que je tenais sûrement du temps que j'avais passé avec la demoiselle ici présente. Faute de n'avoir rien d'autre à faire, j'avais accepté innocemment, pensant que ça ne pouvait pas me faire de mal. Ce que tu peux être naïve, Johanna. Me ressassant les clichés rencontrés dans les films d'horreur, je ne pu m'empêcher de me demander s'il y avait un autre destin possible pour les deux jolies filles qui hurlent de peur et qui meurent avant tout le monde juste parce qu'elles ne sont pas fichues de courir suffisamment vite.

Aucune solution alternative ne me vient à l'esprit, même quand l'exclamation d'Amy Rose résonne contre les parois rocailleuses du couloir sombre dans lequel nous progressons depuis près d'une heure.  « Anna ! Viens voir ce que j'ai trouvé ! C'est trop mignon ! » Je me mords la lèvre inférieure et m'avance pour parvenir à son niveau. Elle est penchée au-dessus de ce qui ressemble à un chat. C'est une boule de poils minuscule avec de grands yeux fendus, et un frisson me parcourt le dos lorsque l'animal fixe son regard sur moi. Il feule et alors, tout se passe extrêmement vite. L'animal – si c'en est vraiment un – grossit, encore et encore, comme si quelqu'un le gonflait depuis l'intérieur. « Amy, c'est une blague j'espère ! » je ne peux m'empêcher de hurler pendant que la bête rugit à nous en exploser les tympans. Et d'un même mouvement, Amy et moi faisons volte-face et revenons sur nos pas en courant comme si notre vie en dépendait. Ce qui n'est pas tout à fait faux, en soi.

L'adrénaline me monte au cerveau à m'en faire perdre la tête. J'avais oublié à quel point mes virées avec Amy pouvaient être grisantes. J'en oublie la couleur immaculée de mes chaussures qui trempent dans les flaques d'eau pourrie, éclaboussant mes longues jambes sans que ce ne soit inconfortable. J'entends Amy qui hurle derrière moi, qui lance de temps à autre des jets de flammes qui illuminent brusquement le tunnel et qui disparaissent dans la fourrure de la bête, qui grogne si fort que c'en est douloureux. Je gèle le sol sous ses pattes griffées, tandis qu'Amy me suit, quelques mètres derrière. Et il y a une ombre, celle d'un homme qui, contre toute attente me fait stopper net. Je ne parviens pas à distinguer ses traits, mais sa présence me cloue sur place, me rappelle que nous ne sommes pas seules et me fait oublier qu'un monstre nous pourchasse. Le dernier jet de flammes d'Amy Rose qui éclaire le tunnel, et je peux voir clairement le visage de l'ombre pendant une seconde qui me paraît être une éternité. « Stelia-» Et boum. Amy me rentre dedans si fort que j'en ai le souffle coupé. Je tombe en avant, en plein dans les bras de l'apparition qui me semble presque irréelle compte tenu de la situation.

Ce n'est qu'en heurtant son torse que je me rend compte qu'il est réel. Son parfum me monte à la tête tandis que je m'accroche à ses avant-bras pour me retenir de chuter en avant. Il me fait tourner la tête, si fort que c'en est douloureux. Je ne sais pas ce qui me prend lorsque je lève la tête, mais lorsque son regard surpris croise le mien – qui ne doit pas être bien différent – mon ventre se tord et je me retire de ses bras avec la brutalité qu'il me connaît. « Qu'est ce que tu fais ici ? » je crie, une fois mon souffle récupéré, avant de me rendre compte de la stupidité de ma question. Il n'avait pas besoin de se justifier, puisque nous-même étions en infraction pour avoir mis les pieds dans cette partie de la planète protégée par on-ne-savait quel procédé administratif classé top secret. Je me retourne vers Amy, le cœur battant la chamade – et quelque chose me disait que ce n'était pas seulement à cause de la course – pour m'assurer qu'elle va bien, et c'est à ce moment que je me rend compte de ce qui ne va pas. « Oh mon Dieu. Où est passé la bête qui nous courait après ? » Comme par magie, elle a disparu. À l'heure qu'il était, elle aurait dû être en train de nous déchirer la peau avec ses affreuses griffes... mais elle s'est volatilisée, comme par magie. L'adrénaline retombe peu à peu, comme dissipée par cette réflexion pleine de lucidité. Et comme un bien ne va pas sans un mal, je sens mes jambes trembler d'avoir reçu autant de stress en une seule fois, et elles ne trouvent rien d'autre à faire que se dérober sous mon poids. Je m'attends à heurter violemment le sol dégoûtant mais étrangement, aucune douleur ne vient. On m'a rattrapée avant que je me blesse, mais je préfère presque ne pas savoir qui remercier pour son élan d'altruisme...

❝ Cet homme mystérieux qui lui avait fait du mal. Je lui avais promis que j'allais l'étrangler.  ❞

Il n'était pas sensé être là. Je devais l'oublier, et jusque maintenant je n'avais pas manqué à la tâche, on aurait très bien pu dire que je m'en sortais bien. Alors pourquoi diable Stelian se dressait-il encore sur ma route, BON SANG ? Il me détacha de lui, et le contact avec sa peau me fit l'effet d'une décharge électrique, tandis qu'intérieurement ma conscience prenait sa tête entre ses mains et s'arrachait les cheveux. C'était trop à assimiler en une seule fois, mon cerveau allait exploser. « Aelicya ? » Après un instant de réflexion minime, je me rendis compte qu'il s'agissait en fait d'un prénom. Et étrangement, le fait que ce ne soit pas le mien me donna envie de lui mettre une gifle. Mais ma fierté reprit vite le dessus et je me retournai vers Amy, qui traversait un pont de glace que j'avais improvisé, qui était le bienvenu compte tenu du surplus d'émotions qui menaçait de submerger mon corps. Elle lui indiqua qu'il faisait errer sur la personne et enchaîna immédiatement sur les questions auxquelles tout le monde ici présent s'attendait. « Et toi ? Qui es-tu ? Au fait, vous avez l'air de bien vous connaître vous deux. » Et le regard qu'elle lança furtivement dans ma direction me fit lever les yeux au ciel.

Comment te dire, c'est assez compliqué. Ce n'est ni un ex-amant, encore moins un ex-copain et à ce que je sache, nous n'avons jamais été réellement amis. « Amy, je te présente Stelian. On s'est connus, oui. » Et mon ton disait sauf que maintenant, c'est fini. Je marquai une pause, le temps que mon ventre se dénoue un peu, bien que je n'osais pas prendre une grande inspiration de peur de sentir à nouveau l'odeur fétide des souterrains. « Stelian, voici Amy. Ma meilleure amie. » Tu sais, celle qui est venue me chercher quand je suis sortie à moitié nue de ton appartement. Ce n'étaient que des formalités auxquelles je m'étais pliée par politesse, n'allez surtout pas croire que j'étais en train de chercher des moyens de le garder avec nous... OH MAIS ARRÊTEZ DONC DE ME RETOURNER LE CERVEAU, TOUS AUTANT QUE VOUS ÊTES. Je me tournai vers Stelian, et son expression déroutée me prit de court. J'aurais dû en rire, il était tellement surpris que c'en était comique... seulement le fait que ses magnifiques yeux bleus – je n'arrive pas à croire que j'ai dit ça... – soient rivés sur Amy provoquait en moi... une certaine colère. Non pas contre Amy Rose, ce n'était pas comme si c'était sa faute. Seulement, je ne savais pas si c'était contre lui, ou contre moi.

« Qu'est ce qu'il y a ? Monsieur a perdu sa langue ? » sifflais-je. Mon ton était amer, et je me mordis la lèvre devant un tel manque de contrôle de ma part. Sans doute encore en état de choc – ou alors parce qu'il avait choisi de m'ignorer pour de bon – Stelian ne releva pas la remarque. « Je crois qu'on a de la visite. » Je me retournai, ravie de trouver enfin une excuse pour détourner mon regard du sien sans passer pour une fille incapable de digérer une... rupture ? Ce n'était pas une rupture, pourtant c'était le premier mot qui me venait en tête. Je m'avançais jusque Amy Rose et croisai les bras sur ma poitrine, les yeux rivés sur le couloir d'où l'on venait elle et moi. Plus personne ne parla, et on se concentra tous sur le bruit qui semblait venir du fin fond des souterrains, et qui se rapprochait petit à petit de nous. Une mélodie se fit entendre, mais je ne saurais pas dire si c'était le fruit total de mon imagination ou alors si elle était vraiment réelle. « Il... siffle ? » m'exclamais-je tandis que j'attrapais le bras d'Amy pour l'entraîner en direction du couloir d'où Stelian venait, étant donné que marcher dans l'autre direction revenait à se jeter dans les bras de cette présence qui me donnait des frissons d'horreur.

En passant près de Stelian, je songeai très sincèrement à l'ignorer. Seulement, c'était quelque chose de plus fort que moi, et une fois arrivée à sa hauteur, je ne pus m'empêcher de lever les yeux vers lui, et alors que mon regard croisait le sien, je sentis mes doigts se refermer fort autour du bras d'Amy. « On devrait partir. » Un courant gelé me parcourut le dos, et je ne savais pas s'il était dû à la présence derrière nous qui s'approchait encore et encore, ou simplement à l'apparition de Stelian que je n'arrivais toujours pas à réaliser.