Là, j'aurai dû être en train de profiter du sommeil du juste, d'un sommeil calme, sans la moindre préoccupation. Mais alors pourquoi étais-je en train de me diriger vers Froenbourg à 130 km/h ? Tout simplement parce que Freyr avait encore abusé de sa stupidité et avait été blessé par un inconnu. Sa blessure me paraissait sérieuse...et si en plus, il était ivre....C'était un autre problème. Je profitais de l'absence de voisinage pour laisser parler ma colère et ma frustration. Lui, il réagissait à peine, m'intimant de me taire. Le moins que l'ont puisse dire, c'est que la douleur de la condition humaine ne le mettait pas de bonne humeur. Il n'arborait pas le même souriant suffisant et confiant. Il refusait de me dire comment il était sorti. Peu importe, je finirai par le découvrir, à moins que ce ne soit lié à ses propres capacités...

En revanche, il me fournissait des informations plus qu'intéressantes au sujet de son agresseur. Je n'étais pas sûr que l'homme en question aient été vraiment capable de se transformer en monstre - à mon avis, c'était l'alcool qui avait dû déranger ses neurones ou bien il avait vu quelque chose qu'il n'avait pas compris. Il connaissait son nom. Ca au moins ça me permettrait de faire quelques recherches, voir si la menace était sérieuse ou s'il ne s'agissait qu'une bagarre entre deux ivrognes qui avait mal tourné.  Arrivé à l'hôpital je rappelais au blessé l'importance de se tenir à carreaux et d'agir comme Ludwig l'aurait fait. C'était pas le moment de s'attirer des ennuis supplémentaires. Etonnamment il parut plus docile et moins fier que d'habitude, ce qui me plaisait et m'inquiétait. Agissait-il de la sorte parce qu'il savait que c'était la chose raisonnable à faire ou bien parce qu'il se sentait faible ? Il me paraissait bien pâle après tout....

Je gardais un oeil sur lui, le guidant rapidement à travers les couloirs de l'hôpital, suivant les panneaux fléchés et les indications vers les urgences. Arrivé là, j'expliquais la situation à l'hôtesse d'accueil, qui me tendit un formulaire que je remplissais immédiatement avec les coordonnées de Ludwig que je connaissais par coeur. Dans la salle, quelques personnes souffrant de problèmes moins graves restaient en arrière alors qu'on nous autorisait l'entrée vers les urgences. Je gardais bien évidemment un oeil sur l'autre idiot qui  ne faisait plus trop le malin et se laissait conduire jusque dans une salle  d'auscultation  par une jeune doctoresse qui était étonnamment bien maquillée et fraîche pour quelqu'un qui avait dû s'occuper des urgences pendant la nuit. Elle demanda à Freyr de s'asseoir et d'enlever sa chemise. Evidemment il ne se fit pas prier. De mon côté, je lui lançais un regard mauvais qui voulait dire " n'essaie même pas de tenter quelque chose." Elle lança un regard dubitatif à la montagne de compresses et de papier collant collé sur sa peau et c'était à mon tour de me sentir tout petit.




Elle découvrit la blessure, enfila des gants et commença à l'inspecter. De mon côté je jetais un oeil intéressé à tout le matériel médical qui se trouvait dans la pièce, écoutant d'une oreille leur conversation, prêt à intervenir si Freyr commettait une autre bourde.

Dans l'atmosphère aseptisée de l'hôpital, j'assistais à un spectacle  un peu déroutant : Freyr en train de se faire ausculter par un médecine. Ou devrais-je dire une doctoresse...je lui avais lancé un regard assassin, lui rappelant qu'il devait éviter de faire des conneries. Je le voyais venir sur ses grands chevaux - la jeune femme était loin d'être repoussante et je soupçonnais son esprit pervers d'avoir des idées. Tant qu'il ne les mettait pas à exécution tout se passerait bien.

Et ce fut le cas. La doctoresse s'occupa d'examiner les plaies de Freyr, de les nettoyer plus habilement et procéder à d'autres examens. De mon côté je sortais discrètement mon téléphone, cherchant sur le net, le nom d soi-disant agresseur de la divinité. Je ne trouvais rien sur les réseaux sociaux - en revanche le moteur de recherche m'informa qu'il tenait un cabinet vétérinaire à Kalel. Etrange. J'avais du mal à imaginer un véto agressif et monstrueux. Mais une fois encore il fallait prendre ce que Freyr disait avec des pincettes. J'écoutais vaguement leur conversation quand mon imbécile de colocataire suggéra que ses blessures venaient d'une rencontre importune avec un ours. C''était franchement peu crédible. Je poussais un long soupir, rangeant mon téléphone dans ma poche, plutôt content d'avoir pu l'utiliser sans m'être fait prendre.





Un peu curieux, j'observais les gestes méticuleux de la doctoresse, qui recousait les plaies du corps de Freyr avec ses doigts habiles. C'était marrant la façon dont elle serrait la peau...comme du tissu. Elle lui posait des questions de routine, quand l'autre idiot vint chercher mon aide du regard. Je l'observais, sans savoir ce qu'il me voulait. Il s'était foutu dans la merde tout seul, sur ce point là je ne pouvais pas parler à sa place. Après avoir sagement recousu l'autre idiot, la doctoresse nous informa de sa décision de garder Freyr ici en observation pour la nuit - et m'autorisa à faire de même. J'acquiesçais et je la remerciais. La jeune femme ôta ses gants et reparti aussi dans la direction opposée, après avoir donné quelques comprimés dans la main de Freyr. Bizarre. C'était pas le job des infirmières ça ? Et puis à quoi bon lui donner maintenant s'il en aurait besoin demain matin ?



Je plaçais les comprimés dans ma poche. Je n'osais pas sortir de la salle où on nous avait placé. Quelqu'un viendrait probablement nous chercher... Il s'agissait d'une salle d'auscultation, avec un de ces fauteuils et beaucoup de matériel médical. De toute évidence, il ne s'agissait pas d'une chambre. Puisque j'avais du temps à tuer, je me penchais sur la blessure, remontant mes lunettes pour observer les détails, les contours. Qu'est-ce qui aurait pu causer des plaies pareilles, de cette forme là ? Je ne le saurais probablement jamais. A moins que ce ne soit les griffes du monstre, comme le dieu l'avait tant affirmé. Du bout du doigt je touchais un des fils qui dépassait. C'était dur, solide et résistant.



Il ressemblait à une peluche qu'on venait de réparer. Ca me donnait envie de tirer sur les fils, ou de couper les bouts, juste pour que ça ne dépasse pas. Après quelques minutes d'attente, une infirmière qui elle avait l'air d'avoir travaillé 36 heures d'affilées vint nous chercher et nous guider jusque dans une chambre commune dans un des services adjacents. Un rideau dissimulait l'autre patient qui n'émettait pas de bruit, à l'exception de sa respiration bruyante et de quelques quintes de toux. Je lui rendais les médicaments donnés par le médecin, qu'elle posa sur sa tablette, avec un autre médicament qui était censé le relaxer et lui demanda de prendre ça tout de suite, nous fournissant un verre d'eau.

Puisque nous n'étions pas seuls, nous ne pouvions pas vraiment discuter de tout ce qui s'était passé. Je lui souhaitais un "bonne nuit" à voix basse, histoire qu'il comprenne qu'il était temps de dormir J'enlevais mes chaussures, mes lunettes et je m'allongeais sur le lit d'appoint qui avait été préparé, espérant trouver le sommeil dès que j'aurai fermé les yeux.

Cependant ce ne fut pas le cas. J'étais crevé, j'aurai dû m'endormir instantanément ! Mais le lit était trop inconfortable et chaque toux, chaque passage dans le couloir m'empêchait de rejoindre Morphée. En plus...je ne pouvais pas m'empêcher à tout ce que je devrais faire demain. Appeler le bureau pour le dire ce qui s'était passé. Boule de ventre. Et puis... aller chercher une chemise à Freyr, il n'allait pas sortir de l'hosto avec une chemise ensanglantée... Han putain... Je me forçais à trouver le sommeil sans pouvoir l'atteindre. Au bout d'un moment j'abandonnais, retrouvant mes lunettes à tâtons dans le noir.  D'après le bruit qui régnait dans la pièce, Freyr devait être profondément endormi. Sans prendre la peine de remettre mes chaussures, je quittais la chambre sur la pointe des pieds, quelques runes en main histoire d'aller choper quelque chose à manger dans les distributeurs.

J'ai failli me perdre dans le dédales des couloirs mais j'ai finalement trouvé une rangée de distributeurs bien rangés du côté des admission. Le grand hall blanc et stylisé de l'hôpital était désert. Je me sentais petit et seul dans ce grand espace, avec le seul bruit de mes pas et le ronronnement à peine perceptible des machines. J'insérais quelques pièces et  choisissais une boisson et un snack au hasard. Et pendant les quelques secondes que prit la machine à sélectionner et faire tomber les produits, j'ai souri.

J'ai souri parce que j'ai pensé. Tiens, je me demande ce que la plupart des gens que je connais penserait de moi, là maintenant. En chaussettes, dans un hall d'hôpital désert , avec mon T-shirt de pyjama et les cheveux en pétard, à réfléchir, indécis entre l'eau et l'eau pétillante, entre le snickers et le twix. J'ai souri parce que ça leur aurait paru incongru. Absurde. Takehiro, toujours tiré à quatre épingle. Takehiro, le modèle, le bon petit soldat...le bon petit robot...
Les deux produits émirent un bruit sourd en tombant et mon sourire muta en une expression de douleur et d'amertume.De tristesse aussi.J'avais l'impression que mon coeur tombait dans ma poitrine. C'était étrange comme sensation, il y  a deux secondes, j'étais à deux doigts de glousser et maintenant...Je réalisais que cela n'avait rien de drôle. Au contraire. C'était triste. C'était bien beau de se dire que rien n'était immuable ou constant. C'était bien joli de se dire qu'il était possible d'être et de ne pas être, que tout était relatif et éphémère. C'était bien sympathique d'accepter ce genre de chose, un tel changement dans mes préférences. Mais s'en était une autre de savoir au fond de soi, que si je décidais d'accepter ça,  je me faisais rejeter par ma famille. Par mes amis. Par tous les gens que j'avais connu.  Rompre une promesse de mariage...c'est une chose. Ca peut se pardonner. Mais ...aimer un autre homme...mon père ne pourra jamais l'accepter. Je suis son seul et unique fils après tout - et j'arrive encore à le décevoir.  

A cette pensée, j'écrasais rapidement les larmes qui bordaient mes yeux et je secouais la tête. Je sentais la présence de mon frère bien là, celle de ma mère aussi. Mais je les envoyais ailleurs. J'avais besoin d'être seul. Je ne voulais pas être vu. Et pourtant, à cet instant, dans ce hall immense par sa vacuité, j'ai réalisé à quel point je me sentais seul - et que ça ne risquait pas de s'arranger.  

Après quelques minutes pour manger une sucrerie et avaler quelques gorgées d'eau, je retrouvais une forme de calme résigné. Je retrouvais la chambre de Freyr et je m'allongeais de nouveau, en essayant de faire le moins de bruit possible, les yeux fermés, sans vraiment dormir, en tout cas pas avant le petit matin.

J'étais dans le laboratoire, mais je ne parvenais pas à trouver la bonne salle. Ca me prenait des heures et je traînais Ludwig par le bras. Jusqu'à ce que je le perde. Je faisais le chemin inverse pour le retrouver dans un coin. Je l'entraînais avec moi dans un dédale de salle plus farfelu les unes que les autres  et qui ne ressemblaient en rien aux salle du laboratoire. Pourtant j'étais convaincu que j'y étais ! Et lorsque je trouvais enfin la bonne salle, je réalisais qu'il me manquait du matériel. Je laissais donc Ludwig seul pendant que je fouillais ailleurs, que je me perdais dans les couloirs sombres...jusqu'à ce que j'entende Ludwig m'appeler à l'aide.

C'est à ce moment là que j'ai émergé de mes quelques heures de sommeil, secoué vivement par un Ludwig flou, qui m'appelait comme un cinglé. Je poussais un gémissement et je repoussais d'un geste les mains qui me retenaient. C'était malpoli de réveiller les gens comme ça. On ne les secoue pas. A la limite on pose une main sur l'épaule ce genre de chose... A peine sortit de mon rêve, la seule chose que je trouvais à dire d'un voix pâteuse était :





Il était en danger ? Han putain mais où était ce fichu modulateur ? Non, ça s'était dans le rêve, pas ici. Je frottais mes yeux, je voyais flou. Ah oui mes lunettes... Je les trouvais et les posais sur mon nez. Ludwig -car oui il s'agissait bien de Ludwig  - s'était assis sur son lit. Je revenais doucement à la réalité et mes neurones retrouvèrent leur place initiale. Il était en pleine panique, tremblant, et tout le bordel. Putain, je peux pas avoir une journée normale avec lui. Bon, il était blessé okay, c'était surprenant. Mais est-ce que ça valait la peine de s'agiter comme ça pour rien ? Moi je n'avais pas d'énergie et j'avais l'impression de ne pas avoir dormi. Je me redressais péniblement. J'étais vidé, exténué, et en plus j'avais mal partout.  Super. Fantastique.



Posant mon doigt sur mes lèvres,  je lui intimais le silence, montrant du doigt le rideau qui nous séparait de notre colocataire. Je me relevais. Ce que ce lit était inconfortable... J'avais mal partout. Je suis trop vieux pour ces conneries. Si les lits d'hôpital sont relativement confortables, ce n'est pas le cas de leur lit d'appoint. J'aurai sans doute mieux dormi dans mon canapé. Je poussais un soupir et je me grattais l'arrière du crâne. Je m'approchais un peu de lui pour lui répondre à voix basse.



Je lui jetais un regard. Il avait l'air terrible, tremblant, le regard fou.



Je craignais que son état empire. Mais je devais essayer de le calmer d'abord. J'appellerai le personnel soignant ensuite. Ils sont du genre à distribuer les médicaments comme des bonbons. Et puis d'un seul coup je fis le lien. Le monstre - l'histoire rocambolesque de Freyr. Je plissais les yeux, comprenant soudainement quelque chose.






Je restais pensif un instant. Est-ce que désormais Ludwig avait accès aux souvenirs de Freyr ? Peut-être n'avait-il rien compris non plus, après tout, avec l'ivresse...Je n'étais sûr de rien. Mais je devais en avoir le coeur net. Après tout Freyr avait été capable de me donner un nom, il n'avait pas pu l'inventer...Où était le vrai et où étaient les fabulations dans tout ça.  Je m'approchais davantage de lui, à quelques centimètres pour ne pas être entendu par des oreilles distraites.

murmurais-je.

Je venais tout juste d' être tiré du peu de sommeil que j'avais pu obtenir pour être tout droit jeté dans les ennuis. Un jour j'aimerai me réveiller et n'avoir rien à faire, rien à craindre.  Mais ce jour n'était pas arrivé. Et ce jour n'arriverait probablement plus jamais pour Ludwig - vu que c'était lui qui me réveillait en panique. J'imaginais qu'il devait être agité. Après tout il se réveillait à l'hôpital avec une blessure relativement sérieuse....Non, ce n'était pas de tout repos pour lui non plus, mais était-ce la peine d'en faire autant... Je veux dire, c'est pas comme s'il ne savait que n'importe quoi pouvait lui arriver. A la longue, il finirait par devenir blasé. Du moins je l'espérais.

Sa respiration haletante, son regard fuyant, sa voix tremblotante. Apparemment quelque chose m'échappait. Mais s'il continuait comme ça il allait finir par se faire une crise cardiaque tout seul. Un peu comme les porcs. Juste parce qu'il était stressé. Et en plus il ne prenait même pas la peine de parler à voix basse. Si ca continuait j'allais devoir le faire taire d'une façon un peu plus ferme. Je doute qu'on ait grand chose à craindre du légume d'à côté, mais ce n'était pas une raison pour prendre des risques. Il me récitait quasiment le même discours que l'autre imbécile. Je fronçais les sourcils. Est-ce que ça voulait dire que Ludwig était conscient de Freyr ? Ca pouvait devenir inquiétant. Je me permettais quelques libertés avec Freyr qui pourraient mettre en péril ma relation avec Ludwig.  Mais il ne semblait pas inquiet de ça. Il tremblait..de peur. Il voulait que je le rassure, que je lui dise que tout ça n'était que le fruit de son imagination. Me retenant avec ses mains, il posa sa tête contre mon torse.

Sur le coup j'ai pas trop compris. Mais j'ai fait ce qui me paraissait le plus naturel pour le calmer. J'ai posé ma main droite sur le sommet de son crâne et la gauche contre son omoplate droite. Je n'osais pas m'approcher du pansement ça devait être douloureux.Je lui murmurais doucement.





C'était bizarre comme contact, c'était bizarre comme truc à dire mais j'avais pas le choix. Comme un enfant je devais le rassurer et le bercer. Comme un enfant je devais gagner sa confiance, peu importe les moyens. Tant pis si c'était un peu déloyal et si je devais profiter de sa faiblesse. Je n'aimais pas ça, mais je n'avais pas le choix. J'ai glissé mes doigts dans ses cheveux et j'ai senti la chaleur se répandre dans mes doigts. D'un geste je touchais son front. Il était chaud. Evidemment cet imbécile réussissait à avoir de la fièvre... Je m'arrêtais deux secondes. Fièvre = infection ! Et si sa plaie s'était infectée ? C'était peut-être un truc grave? Merde putain. J'essayais de masquer mon inquiétude comme je le pouvais et je le priais une fois de plus de s'allonger.

Je me penchais pour appuyer sur le petit bouton rouge afin d'appeler l'infirmière. L'état de Ludwig m'inquiétait, il fallait que quelqu'un le voit. Je prenais quelques minutes pour lui rappeler calmement ce qui c'était passé hier, comment je l'avais retrouvé et la course jusqu'à l'hôpital. Gêné, je m'écartais de Ludwig quand l'infirmier entra dans la pièce. Il avait les cheveux noirs bouclés arrachés docilement en queue de cheval et une paire d'yeux ocres semblables à ceux de Ludwig, souligné d'épaisses cernes ( sans doute comme les miens en ce moment). J'espérais qu'ils n'étaient pas de lointains parents - de toute évidence ce n'était pas le cas. Il le traitait comme un inconnu.

Bonjour Monsieur Eberhart. Que se passe-t-il ?




Vous avez mal Monsieur Eberhart ?


L'infirmier exécuta son travail. Il prit la température de Ludwig à l'aide d'un thermomètre électrique, lui fournit les médicaments adéquats en nous rassurant que c'était sûrement rien et enfila ses gants pour changer le pansement de mon colocataire.  Ses gestes étaient doux et précis - ça se voyait qu'il faisait son possible pour ne pas lui faire et surtout le mettre à l'aise. Ensuite, il s'occupa de l'autre patient. Au moment de partir il nous rappela :

On viendra vous chercher tout à l'heure pour votre radio, Monsieur Eberhart. N'hésitez pas à m'appeler en cas de problème.

Je sais, c'est mal de mentir. Enfin... techniquement je ne mentais pas. J'avais bien l'intention de protéger Ludwig coûte que coûte. Mais parce que c'était mon travail. Mais agir de cette façon, le dire de cette façon...Je me mettais délibérément à la place d'un ami, de quelqu'un que l'on peut croire... Ce n'était pas juste, je le sais. Il était là, dans mes bras, sans comprendre ce qui lui arrivait, agité par ses cauchemars et ses illusions. Et il voyait en moi un soutient. Mais ce soutient disparaîtrait dès que l'occasion se présenterait. Je n'étais pas son ami. Je devais me le rappeler. Ne pas me laisser entraîner dans cette illusion, par ce masque que je mettais pour lui. Ca ne devait pas arriver.

Ludwig prit docilement ses médicaments et se laissa faire. J'allais m'asseoir sur une chaise, complètement vidé. J'aurai aimé pouvoir dormir. Mais c'était impossible, le bruit, la lumière et puis je ne pouvais pas laisser Ludwig. Et j'avais des choses à faire. Le coude posé sur petite table, je reposais ma tête sur la paume de ma main. L'infirmier partit, nous rappelant qu'il aurait quelques examens à faire et le silence s'instaura dans la pièce. Enfin le silence... De l'autre côté l'homme toussait encore et il semblait regarder un jeu télévisé.  Contre toute attente, il s'excusa. Evidemment Ludwig s'excusait pour son alter ego - qui lui ne prenait jamais cette peine. J'haussais les épaules.




Et il m'expliqua de ce qu'il était sûr d'avoir vu.  J'haussais un sourcil en écoutant les mêmes inepties. Ludwig ou Freyr quelle différence ? Ils partageaient le même corps intoxiqué par l'alcool. Je ne sais pas quelle arme a utilisé ce mec, il était vétérinaire, peut-être une instrument chirurgical ? Il me montra sa pomme d'Adam avec une fine trace. Je poussais un soupir. S'il s'imaginait que ça prouvait quelque chose il se trompait. La même blessure aurait pu être faîte avec un couteau ou n'importe quoi d'autre. Je secouais la tête mais je ne disais rien.

Ca ne prouve rien

Mais si je lui disais, il allait se remettre  s'agiter et à crier comme un cinglé. C'est ce que je voulais éviter. Il savait déjà assez se faire remarquer, il était temps de limiter les dégâts. Je me massais doucement les tempes, sentant un mal de crâne venir. Est-ce qu'il avait pu vraiment devenir fou à cause de Freyr ? Leur version de l'histoire était la même... Nan...C'était sûrement les divagations d'un esprit intoxiqué par l'alcool et des souvenirs de la soi-disant divinité. Sans doute rien de plus. Il y avait forcément une explication logique.

Et puis il me lança un regard intense auquel je répondais d'un oeil torve. Il voulait que je l'aide à maîtriser sa magie. Je poussais un soupir et je répondais d'un ton sarcastique :




Je claquais des doigts pour illustrer mon propos. Il ne se rendait pas compte de ce qu'il me demandait. Je n'ai pas réponse à tout. Je ne sais pas tout. Et en ce moment j'étais plus occupé à réparer ses erreurs . Et puis j'avais mon job. Oui, en ce moment j'avais d'autres choses à faire et d'autre préoccupation. Personne ne m'a aidé à contrôler les miens. Au final je m'en suis pas mal sortit. Il devait comprendre que tout ne serait pas livré sur un plateau d'argent. Je me relevais en soupirant et je m'approchais pour lui dire plus sérieusement.



Malgré la fatigue et le don qu'il avait de m'exaspérer, de m'en demander toujours plus, je devais faire attention. Après tout je devais prendre soin de monsieur et faire attention à ne pas offenser son petit égo. Il risquerait de me filer entre les doigts. L'infirmier entra dans la pièce coupant court à notre conversation et emmena Ludwig faire ses examens. De mon coté je n'avais pas de temps à perdre. J'enfilais mes chaussures, et mon manteau et je quittais l'hôpital. En chemin je passais un coup de fil au labo pour leur expliquer la situation. Je me suis fait engueulé évidemment. Mais qu'est ce qu'ils veulent que je fasse ? Je ne peux pas l'attacher au pieu toutes les nuits quand même ? Ce n'est pas ma faut si Freyr est vraiment déraisonnable... Ca aurait pu passer s'il n'avait pas été blessé. Ce n'était pas si grave. J'avais rendez-vous dans deux jours pour qu'on puisse analyser les capacités de Ludwig.

Jusqu'ici j'avait fait tout ce qu'ils m'avaient demandé - je n'étais pas un surhomme. La meilleure solution restait d'enfermer Ludwig quelque part dans le labo avec des portes sécurisées et tout le bordel. Mais le problème, c'est qu'en plus d'être contraire à l'éthique et à la constitution , ça ne le rendrait pas forcément plus coopératif.

Je passais par une échoppe pour chopper un grand café et des croissants. Je crevais de faim et j'avais bien besoin d'un café pour me réveiller et me réchauffer un peu. Il faisait glacial ici et je n'avais que mon T-shirt sous mon manteau. Profitant de l'occasion je passais dans le premier magasin de vêtement que je trouvais. La chemise de Ludwig était importable, il lui fallait des vêtements de rechange...Je fouillais un peu partout, pensant lui acheter un sweat-shirt quand je me ravisais, songeant qu'il aurait du mal à l'enfiler. Je passais du côté des chemises et j'en achetais un pack de 3, une taille au dessus de celle que je pensais être celle de mon colocataire. Si c'était trop large, c'était pas grave. Il avait les épaules larges après tout.

Je revenais rapidement à l'hôpital et j'attendais dans la chambre de Ludwig pendant un moment. J'aurai aimé pouvoir fumer une cigarette, ça aurait probablement calmé mes nerfs, mais nous étions à l'hôpital et j'avais tout oublié à l'appart' dans la précipitation. Ludwig entra dans la pièce. A l'exception de son bras en écharpe, il avait l'air tout frais et limite souriant. Etonnant, moi qui pensais qu'il risquait de paniquer durant les examens.... Moi, j'avais l'impression d'être une vieille crotte de chien abandonnée sur le bord du trottoir.




Réfléchis deux secondes, comment font les gens qui ne peuvent pas se lever ?

C'était peut-être ce que j'avais vu au bout du couloir. L'espèce d'énorme chariot rempli de plateaux... Il suffisait d'attendre.  Je levais le sachet plastique pour lui montrer.




D'un geste je sortais trois chemises, il y en avait une bleue foncée, une grise et une noire. Des couleurs neutres et standard.  Je tenais la grise pour l'aider à la mettre et je constatais

Ce n'était pas une question, pas même un "s'il te plaît". Juste un ordre. " Apprends-moi à maîtriser mes pouvoirs..." Comme si c'était si simple. Et puis quoi, il me prenait vraiment pour son domestique ? Je n'avais pas à recevoir d'ordre de lui, uniquement de mes supérieurs. Et si par exemple ils décidaient qu'on devait " enterre l'expérience" dans leur terme, je devrai le faire sans un regard en arrière. Tout abandonner. Couper le contact. Silence radio.  J'imagine que Freyr aimerait bien faire de moi son domestique, si ce n'était pas déjà le cas.  Mais Ludwig ? Je ne l'imaginais pas comme ça.

Je lui rappelais l'ordre des choses. Qu'avant de chercher à manipuler il fallait identifier, déterminer et comprendre. J'avais l'impression qu'il voulait toujours foncer tête baissée dans les choses - ce qui risquait de créer des problèmes. En même toi à quoi je m'attendais ? Le mec avait fait exploser un bâtiment, évidemment qu'il n'était pas du genre à peser le pour et le contre des choses avant de commettre l'irréparable. Ou alors c'était un vrai sociopathe. Au choix.  

Je l'aidais à passer sa chemise propre, lui laissant le soin de refermer les boutons. C'était peut-être un peu large, mais c'était mieux qu'une chemise déchirée et ensanglantée, non ? Il me remercia et j'ajoutais d'un ton un peu ironique.





Dès qu'il aurait retrouvé ses souvenirs, dès qu'on aurait correctement identifié ses pouvoirs et qu'il aurait appris à les  maîtriser, ma présence ne serait plus nécessaire. Son contrat continuerait, il devra se présenter au labo une fois par semaine pour des examens et vérifier que tout va bien. Et ma nouvelle vie pourrait commencer.  Trêve de plaisanterie, Une infirmière apporta un plateau garni à vrai et à son compagnon de chambre.  Bon et bien à présent nous devions juste attendre la réception des résultats et le feu vert du médecin.  Cependant Ludwig toucha à peine à son plat. Je pouvais le comprendre, la nourriture de l'hôpital était loin d'être réputée comme gastronomique... Il suggéra d'aller se chercher à manger auprès des distributeurs. Je fronçais les sourcils et je hochais la tête négativement, désapprobateur.




Je poussais un soupir. Sérieusement il pensait qu'une barre chocolatée pouvait constituer un repas sain alors qu'il était encore convalescent ? Il a quoi 8 ans ? Je me relevais et j'enfilais de nouveau mon manteau



Je quittais la pièce et je déambulais dans les couloirs. Je retrouvais le chemin vers le grand hall d'entrée. Il y avait une petite boutique ici. On y vendait des journaux, des cigarettes - qui me tentèrent particulièrement, des peluches, du chocolat mais également quelques plats préparés comme des sandwichs et autres conservés dans un frigo. Je fis mon choix parmi une sélection assez restreinte de salades et de sandwich, et puisque Ludwig avait envie de sucré, j'achetais également une petite salade de fruits découpés et deux bouteilles d'eau. En sortant de la boutique je songeais que j'aurai dû prendre une boisson énergétique, mais c'était trop tard.

J'empruntais l'ascenseur, l'esprit ailleurs. La machine était remplie de gens allant rendre visite à leur famille, à leurs amis. Mais il y avait aussi l'infirmier de tout à l'heure. Dans le fond de l'ascenseur, mon regard se laissa attirer par lui, le détaillant. Ses cheveux noirs, bouclés et attachés. Sa nuque. Son dos. Ses mains serrées alors qu'il regardait anxieusement de ses yeux ocres les chiffres numériques défiler. L'ascenseur s'arrêta au quatrième étage et il sortit. Aussitôt je réalisais que de toutes les personnes qui se trouvaient dans l'ascenseur à e moment, je n'avais regardé que lui. Et pourtant, il y avait des femmes, plutôt jeunes et relativement attirantes selon certains standards. Cependant..mon regard avait été attiré par un homme, pas une femme. Immédiatement je me sentais coupable. Qu'est ce que ça veut dire ? Que c'est mon type de mec ? Que je suis bel et bien....

Je retenais un soupir. L'ascenseur était arrivé au bon étage et je devais descendre. Je retrouvais le chemin de la chambre de Ludwig et je déposais les boissons et les contenants en plastique sur la table.




Si ça ne lui plaisait pas, je m'en foutais, il pouvait aller se faire voir. C'était juste une façon de parler. Je m'asseyais  et je commençais à manger, laissant le petit pot de vinaigrette sur le côté, me contenant de picorer les morceaux de salade, de concombre, de tomates, de poulet et de pâtes. J'étais trop crevé pour faire la conversation. Et j'étais encore un peu surpris par ce qui s'était passé tout à l'heure, me forçant à me poser quelques questions.

Est-ce que j'aime vraiment les hommes...Si c'est le cas...Qu'est ce que je regarde chez eux ? Qu'est ce qui me plaît ?

C'était vraiment curieux de se poser ce genre de questions. C'était...comme retourner à l'adolescence, explorer un nouveau territoire. J'essayais de me souvenir. Ce que j'aimais à propos de Kei...La forme de son dos, de ses épaules... Ses mains. Est-ce que j'étais vraiment attiré par lui à cause de tout ça ? J'étais confus. Nous ne parlions pas vraiment. J'étais fatigué et perdu dans mes pensées. Et je crois que Ludwig n'avait pas grand chose à dire aussi. Heureusement le médecin de la veille vint nous apporter le salut. Elle nous annonça que Ludwig n'avait rien de cassé, ni d'infections et qu'il pouvait retourner chez lui à condition de prendre régulièrement des anti-inflammatoires et de quoi changer son pansement une fois par jour. J'accueillais l'information avec soulagement et dès que possible, nous sortions de l'hôpital pour prendre le chemin de l'appartement - sans oublier de passer par la pharmacie.