Folles enfants de la haute ville

Ravissantes filles des bas quartiers

L’odeur des docks c’est chez toi. C’est l’odeur de la maison, des courses poursuites stupides, du sang séché et des rires alcoolisés. L’odeur des docks c’est une senteur de sels marins, de pourriture. C’est la puanteur des poissons, de la graisse à moteur. Le bruit des docks est celui des bateau et des vaguelettes s’échouant sur la pierre, celui des hommes qui travaillent à la voix rauque, celui des pas précipités des coursiers de toute sorte, celui des passants, des habitués qui observent cette vie un peu spéciale, amusés.
Tu ne fais pas partie de ces gens-là, pas vraiment.

Toi, tu es celui que tout le monde connait avec tes vêtements noirs au milieu des couleurs bigarrées du port. T’es le prêtre, on te respecte pour ça. Tout le monde connait ton histoire ici. Tu viens du port, les marins sont ta famille. T’es un gamin de ces rues-là, de ces rues pavées dégoulinantes d’eau de mer même par beau temps. Tu respires cet air depuis tellement longtemps que quand tu pars à Kalel ou ailleurs l’oxygène ne semble pas avoir le même goût.
Tu n’aimes pas respirer ailleurs qu’ici.

Tu salues les dockers, le capitaine du Bitboat, la jolie mais coincée inspectrice de sécurité avec son chignon toujours à moitié défait. Tu salues les gens que tu connais depuis enfant comme les nouveaux arrivants d’un signe de tête ou d’un petit sourire. Tu passes tous les jours par ici, encore et encore. C’est un rituel. Les rares fois où les gens ne t’ont pas vu tu étais au fond de ton lit et nombres d’entres eux sont venus sonner. Parce que tu habites pas loin et qu’ils s’inquiètent pour toi.
Tu es la personne qui résout leurs problèmes. Leur conseiller, leur demi-dieu personnel.

Tu viens acheter ton poisson directement sur les étals du port, il est plus frais, parfois certains bougent presqu’encore. Aujourd’hui, tu aimes cet endroit. Tu l’as haïs les premiers jours. Tu l’as haïs lors de ces derniers jours à lui, un peu après aussi. Pourtant tu ne peux pas t’en détacher; Tu étais reparti sur Kalel, parti loin. Mais l’air était étouffant. Tu ne pouvais pas vivre correctement. Rien n’avait le goût qu’il devait avoir. Rien n’était comme ce qu’il devait être. Tu as fini par avoir le mal du pays.
Alors tu es revenu. Puis tu as retapé une petite église couverte de lichen et tu en as fait ton repaire.

Tu as créé un endroit où quiconque pouvait venir se réfugier. Si une personne demande de l’aide on la dirigera vers ton église. Si une personne veut prier on la dirigera vers ton église. Si une personne ne sait plus où elle va, c’est l’endroit où elle pourra retrouver un sens à sa vie. Tu répares les gens Griffin, tu répares les gens même si parfois tu les tues. Tu les tues quand tu n’as plus le choix, qu’il n’y a plus rien qui les attends, parfois tu tues parce qu’on te le demande. Jamais par plaisir.
Le devoir avant tout.

Tu respires une grande coulée de cet air vicié par les algues. Il y a quelqu’un devant l’église. Tu ne sais pas qui, tu ne sais pas pourquoi mais comme toujours tu feras ton travail.
Si elle veut de l’aide tu l’aideras.
Si elle veut qu’on l’écoute, tu lui prêteras une oreille attentive.
Tu lui parleras de ta voix rêche mais au ton doux. Tu lui tiendras la main, tu la guideras.
Les hommes sont faits pour être heureux et toi tu veux les aider à y être.
C’est ta vie, les algues, les poissons, les cris et la marée, le sourire des gens, leurs salut, leur familiarité, le sang et les conseils.
C’est ta vie.

Tu t’approches d’elle. Tu la salues d’un petit signe de tête. Tu ne souris pas, mais tu reste avenant, pas de froncement de sourcil ou d’expression du genre. A vrai dire ton visage est aussi lisse de sentiment qu’une écaille.

« Je peux vous renseigner ? »

Tu lui montres l’intérieur et d’un faible sourire, si faible très faible juste pour ne pas l’effrayer tu l’invites à entrer.

Ta porte est toujours ouverte.


 

Folles enfants de la haute ville

Ravissantes filles des bas quartiers

Les mots de la jeune fille t’amuseraient presque si tu n’étais une personne aussi reptilienne. Alors qu’elle marche sur tes pas, tu lui indiques d’un geste souple un banc où s’asseoir. Il n’y a personne d’autres que vous à cette heure plutôt matinale. Les gens travaillent encore, les enfants sont à l’école. Et la matinée n’est pas encore assez avancée pour que tes quelques habitués soient là, pour venir te parler, pour venir t’offrir un petit quelque chose à manger car tu es trop maigre. Trop maigre, tu ne te nourris pas assez, tu ne souris pas assez, tu ne te reposes pas assez, mais tu as tant à faire.
Ils comprennent. Ils comprennent que tu te surmènes. Autant pour eux que d’une manière égoïste. Tu as toujours été trop maigre depuis la mort de Charles ou plutôt de Ganesh.

Alors que tu t’assois non loin d’elle, tourné dans sa direction, tu penses au fait que tu aimerais parfois que quelqu’un t’écoute toi et ta peine qui n’en finit pas de surgir tout le temps et à n’importe quel moment, surtout au plus inopportun. Pourtant instantanément tu rejettes cette pensée. Ton rôle est d’écouter pas de te complaindre. Ton rôle, tiens en toi à ton rôle. C’est une sorte de mantra que tu t’adjoins à suivre encore et encore. Une loi de plus à laquelle tu tiens à obéir.

« Je vous écoute. Vous pouvez parler en paix je ne vous jugerai pas. Quelle que soit votre confession, votre religion ou même si vous n’en posséder aucune, je ne vous jugerai pas. Après tout c’est la particularité de ce lieu ; d’accepter chaque personne qui en passe le seuil. »

Tu lui tendrais presque la main. À peine tes paroles évaporées dans l’air, ton sourire revient, figé. Comme un maquillage défraichi d’avoir été trop porté.

« Vous pouvez compter sur moi »

Mensonge. Vérité. Les deux à la fois ? C’est une promesse. Tu tiens tes promesses. Tu tiens tes serments, tu obéis à tes lois. Tu ne juges pas mais parfois, quelquefois, tu condamnes.
C’es ton rôle, tu ne sors pas de ton rôle.
À force de jouer à l’acteur tu en as oublié qui tu étais.
Désormais tu es prêtre. Simplement prêtre. Et tu écoutes ceux qui ont à parler. Et tu parles à ceux qui veulent écouter.
 

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Ravissantes filles des bas quartiers

Elle donnait l’impression d’avoir rayé de la carte un pays - au moins. Tu savais qu’elle dramatisait, que la culpabilité était exacerbée dans une église face à un prêtre, à une personne qui s’octroyait le droit de juger de nos actes et de nos pensées. Quand elle parla finalement tu su que tu avais raison, des abus c’étaient juste des abus, de boisson, de tout. Les gens estiment que la plupart des religions ont des dogmes, des lois qui punissent sévèrement dès que l’homme sort du droit chemin, dès qu’il fait une chose interdite. Mais en réalité la plupart d’entres elles consistent simplement à aider l’homme à trouver sa place dans ce monde, à expliquer ce qui l’entoure et à pardonner ses travers.
Le pardon est parfois la notion centrale, parfois sous-entendu.
Mais les clergés ont vite compris que la peur était un bien meilleur moteur pour la propagande et les affaires que la tranquillité d’âme et l’espoir en l’avenir. Les religions ont été dévoyées, les gens en ont soufferts et comme toutes sources de souffrance les ont reléguées au second plan, la foi s’est cassée la gueule et les dieux ont disparu. Ça te dégoute.
Cette jeune fille en semble la victime, elle te regarde comme si tu allais lui passer le savon de sa vie et s’enfuit les larmes aux yeux.

Tu en soupirerais en roulant des yeux si tu en avais le temps avant qu’elle ne disparaisse.
Tu te presses et l’attrape sur le pas de la porte toujours ouverte.

« Mademoiselle. Vous n’avez rien à craindre de moi »

Ta voix est douce et tu la fais se retourner dans ta direction, tes deux mains sur ses épaules.

« Je ne suis pas policier et le secret de la confession m’interdit toute dénonciation. Ce que vous avez fait vous le juger mal, je ne suis pas là pour dire si ça l’est réellement ou non , je suis là pour vous aider à porter votre fardeau. »

Tu reprends dans un souffle, ne pas l’effrayer.

« Le repenti est le premier chemin vers le pardon. Il ne s’agit pas de vous faire pardonner par une quelconque puissance institutionnelles mais de vous pardonner vous-même pour avancer et devenir une meilleure personne. On apprend de ses erreurs, il faut aussi apprendre à les dépasser. »

Et toi Griffin, quand te pardonneras-tu pour tes crimes ?

Folles enfants de la haute ville

Ravissantes filles des bas quartiers

Tu t'y attendais un peu. Les gens essaient souvent de s'intéresser à toi pour s'oublier. Comme si un prêtre n'allait pas leur mentir et se mettre à leur raconter sa vie. Ça ne t'agace pas, ne t'agace plus depuis une éternité ou deux. Tu ne fais pas grand cas de telles questions. Tu pourrais simplement y répondre par une autre question, faire silence ou rester évasif.
Oui mais parfois Griffin tu es dans un mauvais jour.
Dans un jour noir, dans un jour sang.
Dans un jour où la dague acérée de Love ne demande qu'à sauter dans ta main et où la froidure en toi ne demande qu'à rugir ton nom, à le graver dans les chairs impies.
Tu plisses les yeux sous l'envie pure et meurtrière.
Ça te vient comme ça des fois. Des pulsions. Parce que tu étais habitué à marcher dans les rues comme si le monde s'écrasait sous tes pieds, parce que tu étais habitués à être une personne importante et crainte quelque part ; un Croque-mitaine.
Quand ta Foi était encore vivide et palpitait sous ta lame, pulsait dans tout ton corps et te donnait un élan irréfrénable.

Maintenant tu es calme. Comme un cyclone essoufflé d'être resté trop longtemps sur terre. Il n'y a plus rien qui crépite en toi, plus ce feu d'artifice grandiloquent et dangereux. La dague s'est plantée dans le sol et tu n'es plus le Roi Arthur pouvant retirer cette Excalibur.
Au final, Dakota ne craint rien, tu es rangé n'est-ce pas ?

Rangé comme un livre en haut d'une étagère, un vieux grimoire trop vieux qui prend la poussière et rêve qu'un vent nouveau veuille bien l'embarquer et l'emmener vers le monde nouveau dont ses pages parlent et parlent et déclament et appellent. En vain.
La Foi est une chose difficile à regagner. Elle est une amante assoiffée, inextinguible et acariâtre. Et parfois, oui parfois, être son esclave te pèse surtout quand tu vois que certaines personnes n'en ont strictement rien à foutre.
C'est un peu le cas de l'ado devant toi, centrée sur elle-même et ses petits problèmes. Elle veut savoir ton histoire pour avoir quelque chose à raconter à ses copines, à sa famille en rentrant chez elle. D'habitude tu laisses couler.
Le ciel à Marina est rougeâtre aujourd'hui, fatigué d'être gris, fatigué d'être bleu et toutes les couleurs d'un ciel normal. Ce ciel est toi, tu es le ciel. Fatigué de maintenir tes couleurs.

Elle en a rien à battre de tes conseils ? Soit.
Tu n'en auras rien à battre de la sauver.
Qu'elle s'éloigne, qu'elle te fuit. En trois pas tu te retrouves dans son dos.

« A avoir la langue bien pendue, elle finit coupée. Tu devrais te méfier jeune fille. Marina est une ville plutôt paisible mais il y a des gens qui ont le sang bien plus chaud à Froënbourg ou à Kalel »

Tu lâches un petit ricanement étouffé, cela fait le même bruit qu'une clef enclenchant une serrure rouillée.

« Certains n'apprécieraient pas que tu cherches à fouiner dans leurs affaires. J'ai longtemps été l'un d'eux mais j'ai changé pour le mieux. Tout le monde a un passé, le tout est de savoir s'en servir pour être plus fort qu'hier. Ferez-vous partie des victimes ou des meneurs ? »

Et tout en parlant, d'une main dans le dos tu la raccompagnes à la porte.

« J'ai hâte de voir lequel de nous deux pourra survivre le plus longtemps dans ce monde au bord du gouffre »

Vous êtes sur le pas de la porte, tu as les yeux vibrant d'une folie ancienne qui refuse de s'éteindre, qui veut se réveiller et teinter le ciel de plus de rouge et de larme pour le laver et faire qu'il soit plus éclatant le lendemain. Et cela dit, sans un sourire, sans refermer la porte, tu lui tournes le dos et t'éloignes dans la pénombre fraîche de l'église.
Tu as d'autres chats à fouetter que les impies aujourd'hui.

Folles enfants de la haute ville

Ravissantes filles des bas quartiers

Quand elle te tapote l'épaule tu en chouinerais presque si tu étais une personne du genre à chouiner. Pourtant non, toi Griffin tu as une fierté et un ego et un maintien et surtout une fierté. Tu te retournes vers elle, toute compassion, toute tentative d'empathie envolée. Ton métier quelquefois tu le détestes. Tu hais ces gens qui viennent pleurnicher contre ton épaule sans vraiment de raisons de le faire. Tu préfères ceux qui s'en fichent réellement, ceux qui font que rien ne les atteint et qui viennent par pure curiosité juste pour voir, pour savoir, pour eux-mêmes.
Tu préfères les égoïstes aux fragiles, aux trop sensibles.

La deuxième catégorie une brise leur retourne l'âme comme un gant. Pour eux, les petits malheurs, la moindre culpabilité est une catastrophe niveau 48 sur l'échelle de Richter. Tu les trouvais attendrissant. Au début. Mais au 10 000ème sensibles aux joues rouges, à la timidité maladive et aux yeux mouillés, ils te fatiguent juste.
Tu voudrais les prendre dans tes bras, leur dire que le monde est beau et de ne pas s'en faire pour si peu. Tu voudrais lui dire « non c'est moi je n'aurai pas dû m'énerver », c'est vrai un homme de foi ça doit être calme et conscient de lui-même. Ça doit être pragmatique et inhumain au final. Toi t'es humain Griffin, t'es humain dans ton avidité, dans ta brutalité à vivre. En toi il y a une violence réprimée qui rugit, tenue en laisse par ton bon vouloir elle se débat pour sentir les tremblement de la terre sous ses pieds.
Tu es plus humain que la plupart d'entre-eux sous tes allures de statue de marbre.

« Je n'appartiens à aucun clergé. Le pardon n'a aucun sens pour moi. Pourquoi je vous pardonnerai, vous ne m'avez rien fait. Si vous êtes consciente de vos défauts alors c'est à vous seule de les combattre de la façon que vous souhaitez »

Tu pinces les lèvres, le regard fixe. Une sorte de respiration hachée sort de tes poumons, un soupçon de souffle affûté.

« Je ne vous pardonnerai pas. Ecoute-moi bien, je ne te pardonnerai pas parce que tu es la seule à pouvoir te pardonner et tu es la seule à devoir le faire. Tes actions n'engage que toi, tu peux être égoïste si tu as conscience de ce que cela implique »

Tu lâches une ombre de sourire désabusé en tournant les talons.

« Sur ce excuse-moi mais j'ai d'autres chat à fouetter. Ne pleure pas, garde la tête haute et amuse-toi, c'est le mieux que tu puisses faire »

Tu penses ce que tu dis Griffin, c'est le mieux que les pauvres humains peuvent faire et c'est à toi et aux dieux, aux personnes fortes et égoïstes vraiment de les protéger.
Tu vas aller affûter ta dague tiens. Où as-tu bien pu mettre ta pierre à aiguiser ?