I. Le contrat

Cela faisait quelques temps que je n'avais pas cherchés à prendre contact pour une mission de chasse. Cependant, au-delà de l'argent qu'il me restait, il y avait cette envie de tuer qui refaisait surface. J'ai grandi dans ce milieu, c'est ma raison d'être, mon choix, ma vengeance personnelle sur mon passé... Ma vie quoi !

Quand je prends un vie, ce n'est pas celle d'un innocent, je ne prends même pas la vie d'humain... Je ne suis pas un tueur, je suis un chasseur. Je chasse un gibier, un gibier spécial qui ressemble à l'Homme, qui parle comme l'Homme, mais qui se nourrit de l'Homme.

Pris dans ce besoin de combattre mes démons du passé par la chasse, j'avais donc envoyé un message à un vieux camarade, c'est lui qui m'informait généralement s'il y avait du boulot. Il m'invita dans une taverne de Froënbourg pour plus d'information.

Il m'expliqua qu'un deadline du nom de Elliot Mathewsen avait fait son apparition dans le coin. Un poison plein de mystère dont je n’eus même pas le portrait. Juste une description orale de type : « Il a des cheveux mi-long, des yeux d'un bleu clair profond » et c'est tout.
C'était rare pour moi d'accepter une mission avec un dossier si maigre. En gros on se fiche de moi, on me demande de retrouver une aiguille dans une botte de foin ! Mais j'avais du temps pour traquer ma proie et ce n'était pas mon genre de cracher sur le boulot. Ce que j'avais vu de mon contact c'était un défi qu'il me lançait quand il m'a dit : « est-ce que tu te sens capable de réussir cette mission ? » j'ai entendu « est-ce que tu es capable de trouver un vampire par toi-même? Ou dois-je te mâcher le travail jusqu'à tes 50 ans ? » et j'ai répondu une chose comme « Bien sûr, compte sur moi ! »


Au bout d'une semaine dans les rues à discuter avec des clochards, à fouiller des coins de rues, à suivre de mauvaises pistes, j'avais enfin fini par entendre parler d'un homme solitaire qui correspondait à cette description et on m'avait dit où le trouver. Je voulais frapper directement, occasionner une mort nette et précise. Après avoir surveillé le matin l'endroit où il se cachait j'étais certain d'avoir mon trophée en vue, je fis le choix de le prendre par surprise en fin d'après-midi, un peu avant que le soleil se couche...


Je me glisse par derrière, passe par un chemin de traverse et me retrouve dans la tanière d'Elliot... Je n'ai pas le temps de faire un pas dans cet endroit que je me rends compte qu'il n'est plus ici depuis peu... Quelle fut la probabilité pour que ça m'arrive? M'aurait-il entendu arriver ? Non, je suis capable d'être assez silencieux pour qu'un deadline ne puisse me percevoir...
Je quitte le repaire du mal et poursuit le vampire tout en faisant preuve de discrétion. Ma traque me mène jusqu'au lac gelé. Je le suis toujours, les gens commencent à se faire rare mais j'ai l'impression de voir des ombres encore, comme si des mendiants attendaient leurs derniers soupirs dans ce froid...


Le pistant, le coursant et repoussant toujours mes limites je me dis que la chasse est ouverte et que rien ne m'arrêtera... Rien absolument rien. C'est lui qui finira bloqué. Ses traces sont de plus en plus fraîches.


Après avoir été à ses trousses je le retrouve enfin dans les décombres immergés. Sa course s'arrête là, sous ce lac, dans un ancien bâtiment. Les murs forment une vasque où l'air est resté bloqué pendant des années, des décennies, peut-être même des siècles. Et nous sommes ici, à fouler un sol dur recouvert d'eau. Et dans quelques instants, son sang et le lac ne feront qu'un même liquide. Et Elliot Mathewsen aura été ma première victime tuée dans un endroit où je ne vois pas à deux mètres de moi...
La chasse est ouverte !

III. La remontée

Le combat a déjà commencé. J’évite un coup de pierre sur le dessus du crâne de justesse.


Outch... Pourquoi je pense des trucs aussi stupides ? J’ai l’impression de manquer d’air comme jamais. Ce gibier, en plus d’être petit, doit avoir une musculature de fou pour lancer aussi fort un objet aussi gros qu’un poing. J’aurais dû le cogner quand il m’avait attaqué la première fois... Il faut que je le suive et que je lui arrache le cœur une bonne fois pour toute. Où est-il ? Il ne saisit pas cet instant de faiblesse pour exploser ma tronche ou m’expliquer qu’il est le plus fort et un descendant des protecteurs des divinités... Non, lui, il a déjà filé... Super, j’ai affaire à monsieur muscle, mais qui a les pétoches d’un chasseur... Il sait que je suis seul au moins ? Non, sinon il ne partirait pas d’ici et piégerait la salle après m’avoir tué... Pas de doute, soit je chasse un trouillard soit il m’attire dans un piège préparé plus loin... Après tout, depuis quand sait-il que je suis sur ses pas?

Je sors la lame cachée dans ma canne et me lance à la poursuite de la cible. Il est passé par là... Non, ce n’est pas possible de laisser des traces aussi nette, j’ai l’impression de suivre la route dorée dans le magicien d’Oz. Tiens, ici il a peut-être bien glissé...
Je retrouve vite ce monstre, lui donne un coup sur le crâne avec ma canne, l’attrape par le col de l’autre main et, la canne en main, je lui colle une bonne droite dans le coin du menton.


C’est là que je comprends que mon esprit m’a joué un tour. C’est en lui collant cette droite que je reviens à la réalité. Je viens de lui coller une beigne, certes, mais j’ai aussi aidé sa tête à briser la glace sous notre tête et il est remonté à la surface. Je remonte aussi et reprends ma respiration. Je prends enfin conscience que je suis glacé et que j’étais en train de me noyer...

Je me souviens maintenant, il est allé à l’eau, je l’ai suivis et c’est en suffoquant que ce délire est venu. Je n’ai pas su retrouver le trou dans la glace à temps et j’ai halluciné dans ma noyade. Quelle idée de se jeter la tête la première dans le Lac gelée en même temps ? Faudra arrêter la crimson, ça me pourrie le cerveau cette merde même à faible dose !


Je sors, je vois ma cible, il vit, je tousse...
Putain, c’est un gosse... On me demande de tuer un gosse ! Non ! Ok, les vampires, sans cœur, monstrueux et tout, je veux bien... Mais là c’est un gamin... Je ne peux pas être payé à tuer des enfants. Il a l’âge que j’avais quand je suis devenu chasseur. Et ses bras... Je ne l’ai pas touché à cet endroit, si ? Non, il s’est fait ça tout seul...
Non seulement on me demande de planter un gamin, mais en plus un gamin qui se transforme en sushi sans mon aide ! Je fais quoi là ?! J'étais en pleine discussion intérieure.


J'appuie sur le bouton secret de ma canne et la lame se rétracte. Je reprends ma quinte de toux où je l'avais laissé et crache un peu d'eau.

V. Lui...

Je le vois, là. Je pourrais essayer de le tuer et aller me réchauffer quelque part après, mais je ne fais rien. Je le suis jusqu’à cet arbre où il se cogne. Je pourrais aussi le laisser tranquille et retenter ma chance plus tard. Mais non, je le suis. Par sadisme diront certains, par envoutement verront d’autres et par curiosité comprendront le reste. Je ne l’ai pas suivie pour lui coller simplement un bourre-pif, je l’ai suivis pour remplir ma mission. Le tuer.
Mais il est si jeune et ma conscience est altérée par le froid. Je revois des images... La vision des poisons qui ont perdu la vie à cause de moi. Je ressens aussi des coups que j’ai pu avoir en retour. Mais je vois aussi à cause de lui des choses que j’avais oubliées. Quand je regarde ce deadline je me vois calice dans ces yeux, et plus douloureux que ma condition, je revois ce vampire qui prenait mon sang, mon cœur et mon enfance pour acquis.
Ce que je vois comme une souffrance aujourd’hui était un plaisir qui me manquait à son âge. Encore aujourd’hui je revois cette pourriture d’Eliphas Sortaris me bouffer de l’intérieur. Quelle enflure ! Je le hais. Et aujourd’hui je rends la mort aux gens de son espèce. Oubliant qu’ils ont eu un jour une famille, qu’ils ont jusqu’à leur mort des sentiments... Et lui, par sa jeunesse, par ses bras mutilés, il me rend le revers de la médaille. Il me rend mes yeux sur ce que je fais. Sont-ce t-ils des animaux que je prends en chasse ? Non, ils sont plus que ça ! Il y a des restes d’une âme si elle est incomplète. Ils ont des sentiments. Ils prennent des décisions.
Je ne dis pas que je regrette de les avoir tués. Ils m’ont tous montré ce que je voulais voir : un comportement agressif. Mais ne serait-ce pas de la défense. Eliphas... Mon père, mon ancien amour, mon démon... N’étais-tu pas quelque part aussi un sentimental. N’étais-tu pas là pour me protéger des autres vampires. Quand tu m’as caché de ces chasseurs qui t’ont tué, était-ce pour cacher ta réserve sanguine au cas où tu gagnes ou était-ce pour me protéger des morts de cette embuscade ? Je doute. La seule certitude que j’ai c’est que je suis en train de geler. Entre deux quintes de toux, je prends la manche de mon manteau d’une main, appuie dessus, de l’eau en jaillis. Je suis trempé. Je regarde autour de moi... C’est bon il y a de quoi faire un feu ici. Il ne tiendra pas la soirée, mais il permettra de me sécher et de le partager avec celui que je venais tuer.
En commençant à m’activer sans dire un mot, je me demande ce que je fais de lui maintenant.

J’ai du mal à vouloir le tuer maintenant. Mais si ce n’est pas moi qui le fais, quelqu’un d’autre le fera à ma place. Quelles sont les options. Si je dis qu’il est mort et qu’il fait une victime à la suite, aucun chasseur n’aura plus jamais confiance en moi et il mourra de la main d’un autre. Si je le fais vivre en cachette, je copierais le même schéma qu’Eliphas Sortaris et je mourrais de la main d’un poison ou même de celle d’un chasseur qui découvrirait la supercherie et nous tuerait tous les deux. Si je rends simplement le contrat quelqu’un d’autre s’en chargera. Si je le fais partir loin alors ce serait comme me mettre des œillères, après tout, les chasseurs sont partout. Que faire ? Je voudrais trouver une solution. Je devrais me décider. Pour la première fois. Je me dis que c’est lui ou moi et je le regrette. J’aime être un chasseur, mais un chasseur qui s’attache à sa proie c’est rare, surtout lorsqu’il est payé pour la tuer. Je ne sais plus quoi faire.



Le feu est prêt, je sors mon briquet et voilà la première flamme qui apparait timidement

- Sèche-toi près du feu et dit-moi comment tu t’es fait ça , lui dis-je en désignant ses poings.

Ce n’est plus un humain, mais ce n’est pas non plus un gibier. C’est un poison avec qui j’entame une discussion.

VII. Besoin de comprendre

Quelle bonne idée ce feu. Bon, on pouvait nous caler à quelques mètres maintenant mais au moins mes muscles se réchauffaient un peu. Bientôt ce serait le tour de mes articulations. J’éternuais de moins en moins à mesure que mes fringues séchaient et gouttaient sur le sol. Peut-être allais-je passer à travers la maladie


- Hey, c’était ça où tu mourrais alors tu as bien fait... Mais n’empêche : quelle patate ! J’en ai encore mal , répondis-je avec un sourire. T’excuses pas va, t’es pas le premier de ton espèce à me coller un coup et surement pas le dernier. C’est comme si moi je m’excusais de t’avoir collé une beigne. J’en oublierais le plus important qui est qu’elle t’a fait sortir la tête de l’eau.

Il veut changer de sujet. C’est normal, ça doit être bizarre pour lui de parler avec un mec qui venait le tuer. Surtout que je commence par une question très personnelle... En même temps après avoir voulu l’éliminer, je n’allais pas lui demander comment il a trouvé la baignade... Je n’aime pas trop les fioritures. Enfin, si, parfois ça permet de draguer une nana ou de lui permettre de moins me bassiner avec ses histoires quand il s’agit de ce qu’on appelle communément un coup d’un soir.

Mais sa réponse me laisse à réfléchir.
- Mais ne change pas de sujet, tu parles de contrôle, mais par rapport à quoi ?

Il ne sait pas qu’il a affaire à un champion des mensonges. Je les trouve facilement en plus de les formuler. Alors, avec un peu de chance il répondra correctement à cette deuxième question. S’il me répond qu’il a soif, alors je devrais le tuer. S’il me répond qu’il a beaucoup de colère parce que ses hormones d’ado le titillent, alors je le laisserais en vie. C’est comme ça que je dois procéder. Je dois savoir si je veux le laisser vivre. Je dois savoir si je peux le laisser dans la nature. Si je le laisse vivre je devrais aussi garder contact avec lui. Je devrais peut-être lui confier deux ou trois astuces pour ne pas se faire prendre par mes collègues et il respirera peut-être plus longtemps dans ce monde.
En même temps, n’y aurait-il pas un autre moyen pour lui de se nourrir sans pour autant téter un humain à la gorge ? S’ouvrir les veines c’est bien mais est-ce que ça le canalisera ?

- Comprend-moi, je dois savoir ça, je n’ai jamais connu de gens comme toi qui se mutilent, je tombe un peu sur le cul , dis-je en m’asseyant sur les genoux pour être plus près de la chaleur.

IX. Quand j'avais ton âge

Je ne me sens même pas en position de faiblesse entre lui debout et moi sur mes genoux. Ce mec ne fait du mal aux autres que par obligation, que lorsque les autres lancent le premier pion Je ne devrais même pas le blesser. Il est peut-être instable mais il n’est pas dangereux. Il souffre ce gars.

- Écoute Elliot, quand j’avais ton âge je suis devenu un chasseur, lui dis-je. J’ai choisi une voix pour exterminer les gens comme toi. Ce serait te mentir que te faire croire que je n’ai pas du sang sur les mains. Mais tu vois, t’es pas comme les autres. Je ne dis pas ça pour te flatter, je n’ai juste pas envie de tuer quelqu’un qui relève davantage de l’adolescent que du poison.

Je regarde ce jeune homme et me pose maintenant cette question idiote : « comment je fais pour le laisser partir ? Quel bagage est-ce que je lui donne ? ».

- Vu ton comportement, ajoutai-je, j'ai tendance à me dire que tu es une bonne personne à qui il est arrivé de mauvaises choses plutôt que l'inverse. Pour quelle raison en viendrais-tu à te faire ça sur les bras sinon ? Hors, comme tu l'imagines peut-être, je ne te tue que ceux qui me font penser qu'ils sont un fléau pour ce monde. C'est con, je ne devrais pas juger. Je suis une sorte d'émissaire et je viens donner la mort à des gens comme toi. Mais pour pouvoir me regarder dans la glace j'ai besoin d'être certain d'avoir tué des gens mauvais, pas des gens comme toi.

Je suis à son écoute, parcourant rapidement de mon regard le lieu qui nous entour. Je ne cherche pas d'issus, je recherche tout simplement le calme. Il est difficile de se sentir en sécurité après avoir presque été victime de la mort. Est-ce que le chasseur était seul ? Je ne pouvais pas le savoir et au fond, je ne voulais pas le savoir. En fait, peut-être que ma seule envie était celle de partir loin d'ici pour retourner me cacher dans les profondeurs d'une ruine ou d'un immeuble désaffecté. Dire au revoir à mon appartement... De toute façon, je n'aurais sûrement pas la force de le garder bien longtemps.

J'inspire profondément, regardant de nouveau le chasseur en l'entendant dire que je n'étais pas comme les autres. Il n'y avait rien de très impressionnant. C'était plutôt à se demander si j'ai déjà été normal durant toutes ces années. Non... Ce serait impossible, car déjà, je n'ai pas eu une vie normale. Je finis par m'éloigner du feu, cherchant à ressentir le froid plutôt que de cette chaleur qui avait finit par me donner mal au coeur. Je glisse mes main contre la neige, en prenant une petite partie pour me laver les mains avec celle-ci. J'essaie d'écouter le chasseur malgré que je ne sois plus très attentif et je me surprends à ressentir un léger bien-être.

Je suis heureux de pouvoir savoir que je ne suis pas une mauvaise personne. Enfin, je suis surtout heureux que ce genre de pensées proviennent d'un chasseur. Si lui arrive à voir en moi quelqu'un de bien, cela veut dire qu'au fond, je le suis réellement. Donc, je ne suis pas encore devenu ce monstre qui me hante chaque nuit. Je suis encore moi. 

- C'est agréable... De pouvoir me dire que je suis encore quelqu'un en qui on peut voir de la bienveillance. Mais, malgré tout, la prochaine fois que je vais croiser un chasseur, je risque d'y laisser ma peau.

Alors que ce soit demain ou aujourd'hui, je vais quand même mourir, non ?

- Est-ce que je... Est-ce que je pourrais avoir des conseils pour survivre ? C'est peut-être bizarre à demander, mais je crois que tu es le seul qui peut m'apporter quelque chose d'utile.

XI. Les conseils de tonton Lazy

Je le regarde toujours et il a raison. Ce ne sont pas tous les chasseurs qui sont comme moi, certains, ne distinguent pas calice de poison. C’est un choix que je comprends, un calice triste et adulte est capable de tuer par tristesse le bourreau de son maître... Et là, c’est un deadline. Un deadline sur lequel il y a un contrat. Nous sommes peut-être de moins en moins nombreux, certains camarades meurent. Mais lui ne tuera pas. Je me trompe peut-être, surement d’ailleurs mais au moins je pourrais dire que j’ai vu l’innocence en lui. Je prends un bout de papier et lui dis ceci.

- Écoute, malgré tous les conseils que je te donnerais tu risques un jour de te faire prendre, alors si cela doit arriver et que tu n’as rien à te reprocher. Si tu n’as fais ni mort, ni calice. Tu pourras tendre ceci au chasseur qui te chasse, je lui tends le papier. C’est la ligne pour m’avoir. Je réponds systématiquement et je pourrais dire que tu n’as pas à être exécuté.

Je regarde une brindille péter dans un bruit d’enfer. C'est tellement amusant le feu, même un petit peu faire un bruit de barbare. Me voilà fixant un point fixe dans ce feu, ce qui m'aide à trouver la plupart des trucs et astuces que j'ai de mon côté pour faire mon boulot.

- Tu sais, la plupart des poisons ont la fâcheuse tendance à amasser des richesses, si tu en as, ne les mets pas à la banque. Si tu veux un jour vivre dans le luxe alors change de rêve. Nous essayons de surveiller les gens riches pour voir si parmi eux il y a des poisons. Ensuite, si tu veux qu’on ne te reconnaisse pas, change de coupe de cheveux régulièrement, ça permettra si l’on a ton portrait de ne pas t’être fait identifier par des gens dans la rue. Change aussi tes habitudes régulièrement. Si demain tu trouve un boulot et qu’il te faut tourner à droite sur le chemin pour y aller, tente d’y aller en tournant une rue plus loin. C’est con, mais ça permettra de penser que tu es partout alors que tu n’es nulle part. Change de cité dès que tu en as envie. Tu ne vivras pas forcément dans un coin perdu car les gens se demande pourquoi tu t'éloignes, il te faut vivre modestement. N’attire pas l’attention sur toi, soit monsieur tout-le-monde et tu donneras du fil à retordre à tous les chasseurs du coin. Les poisons ont parfois des pouvoirs, si tu en as, sers-t-en non pas pour te défendre mais pour éviter les dangers ou conflits. Si tu n’as pas de pouvoirs alors fie-toi à ton instinct en te disant que le premier choix est rarement le mauvais.

Je soufflais un instant, j’avais dit ça vite, je ne sais pas s’il a tout retenu mais en tout cas, je ne vois pas d’autres choses à...

- Ah j’allais oublier le truc le plus important, fait-toi des amis humains ! Monsieur tout-le-monde a une vie sociale avec des gens qu’il ne domine pas. Et monsieur tout-le-monde sort avec quelqu’un, soit une fille, soit un mec, c’est ton choix. Mais trouve quelqu’un. Et change de nom. Certains de mes confrères ont des contacts dans les banques où ont accès à des bases de données... Attends, je vais te donner une adresse.

Je griffonne sur un bout de papier l’adresse de la personne que je connais qui fait ça pour une poignée de billet.

- Tu demandes à voir Claude, tu diras venir de la part de tonton Lazy. Personne ne pensera que j’envois un poison alors reste cool et hop. Et non, je ne suis pas son tonton, c’est juste un code entre cette personne et nous autres chasseurs. Et vu que je t’ai mis une droite et que j’ai un cœur, je prends en charge les frais pour ce changement que tu feras quand tu veux. Je crois que c’est tout.

Je suis en train de me mouiller tout seul pour lui. Tant pis, j’ai l’impression que je n’aurais pas de difficulté avec ce petit. Il faut juste que je lui montre qu’un chasseur a confiance en lui. Et il vivra sans doute plus longtemps. Et peut-être même qu’il vivra un jour plus sereinement. Je pourrais lui faire peur en lui disant que s’il faisait une connerie, j’en serais informé et j’aiderais le chasseur qui le traque. J’ai mémorisé ses traits et même avec un pot de peinture sur la tronche, je le reconnaîtrais dans la rue.
Bon je lui indique comment vivre mais j’oublis comment il doit se nourrir.

- Encore une chose, je ne sais pas comment tu régules ton appétit. Mais évite de te bouffer, c’est peut-être ce qui m’a arrêté mais c’est parce que j’ai des cicatrices que je regarde celle des autres, lui confiais-je... Si tu veux manger sans qu’on te repère et sans pour autant te fusiller petit à petit. Il te faut vivre avec plusieurs bouchés. Et tu leur dit à chacun vivre avec un régime draconien très riche en fer qui te force à manger du boudin très régulièrement. Ils te fileront du sang et peut-être même les intestins pour que tu fasses ton boudin maison. S’il te demande la recette, tu n’as qu’à dire que tu ajoutes des œufs pour un maximum de protéines et que tu manges des légumes et des compléments alimentaires.

J’en ai assez dit. J’aide ce type en donnant tellement d’info. Je ne vois plus ce qui me permettrait de remonter jusqu’à lui. Peut-être trouverais-je autre chose plus tard. Mais c’est déjà bien. Il ne faut pas que je l’étouffe avec trop de règles... Enfin, trop tard pour ça. Au moins j’aurais fait mon maximum.

Maintenant, que vais-je dire de mon côté ? Comment vais-je pouvoir dire que j’abandonne une mission ? Si c’était un échec, alors je serais mort. Je médite là-dessus après avoir beaucoup parlé. Est-ce qu’il a tout compris, tout appris. Ces conseils seront précieux.

Je reste concentré, prenant le papier de bout de mes doigts avant d'y jeter un coup d'oeil. Un numéro... Pour le joindre ? Est-ce qu'un chasseur se donnerait réellement la peine d'appeler avant de me tuer ? Je fronce les sourcils en y réfléchissant. Enfin, qu'est-ce que j'ai à perdre ? Si ce morceau de papier peut devenir ma seule vraie arme, qu'il en soit ainsi. Ça pourrait me sauver la vie... Je ne vais donc pas cracher dessus. Je vais plutôt le garder tout près, espérant quand même que je n'aurais guère besoin de l'utiliser de sitôt. J'aimerais pouvoir passer les prochaines semaines comme une personne normale.

Il est vrai que je n'ai rien à me reprocher, mais... En fait, c'est totalement faux. J'ai beau ne pas posséder de calices, reste t-il que mon espèce est, à elle seule, une bonne raison pour m'enlever la vie et je peux facilement voir celle-ci comme un 'reproche'. Mon humanité m'as été volé, certes, peut-être en suis-je aussi responsable ? Peut-être qu'au fond... C'est ma faute. Bref, je reporte mon attention sur le chasseur qui me fait le plein d'informations pour le moins logiques.

Changer de lieu, changer d'entourage, changer de vie, changer de comportement, changer de physique et cela sans jamais refaire le même choix... Je dois devenir quelqu'un d'autre le plus souvent possible. Peut-être pas tous les jours, mais au moins tous les mois au minimum. Je me frotte la nuque, incapable de bien digérer toutes ces choses... Je... Je n'y arriverais pas. Bon sang, à peine ai-je eu le temps d'avoir 15 ans, je me retrouves déjà dans des situations totalement impossibles.

J'essaie de rester calme malgré l'angoisse, prenant le nouveau morceau de papier pour y lire l'adresse... D'accord. Je ne pense pas m'y rendre, mais on verra bien. La suite me donne envie de vomir, ce que je fais presque, mais j'arrive à retenir le tout en posant ma paume contre ma bouche.  

- ...

J'inspire profondément, me disant qu'il serait maintenant temps que je disparaisse d'ici. Il faut que je me repose et surtout, que je réfléchisse.

- Je vais y aller maintenant... Encore désolé pour la roche.

Je me force un sourire, reculant lentement sans le quitter du regard. J'ai peur de lui faire dos...