Ils se fixaient l’un l’autre comme deux animaux dans une arène, face à face, prêt à bondir. La seule différence c’est qu’Heinrich n’était pas hostile. Il n’avait aucune raison de l’être, contrairement à son interlocuteur. Il était en position de force, il était à l’aise mais surtout...il était curieux. Devant lui se tenait un mystère qui ne demandait qu’à être résolu, une curiosité, une originalité, quelque chose qui ne s’était produit depuis près de 200 ans. Il aurait été dommage de l’éliminer sans réfléchir. De quelle créature s’agissait-il ? Il ne pouvait pas détacher son regard de son invité, transformé en bête féline, ses vêtements gisant encore sur le lit. Il était sur la défensive, il ne fallait pas faire de gestes brusques… Heinrich l’écouta parler avec intérêt. Des vampires avaient tué sa famille ? Sa famille féline ? Soudainement les souvenirs qu’il avait entrevu prenaient du sens. En revanche.. il était évidemment que le jeune homme ne savait pas se servir de la raison.

«  Tant de haine et d’ignorance...»   fit-il  remarquer d’un ton suffisant.

Seulement vu son niveau d’hostilité, le vampire jugea que ce n’était pas le meilleur moment pour lui faire remarquer. En revanche, en entendant le terme lémure, la surprise pouvait se lire sur ce visage autrefois si impassible :


«  Un lémure …. ? Comme … Lémuria ? Je croyais que ce n’était qu’une légende.... »  

Lémuria ou le continent perdu, l’équivalent de l’atlantide… C’était une légende populaire autrefois. Le nom n’était pas anodin, est-ce que cela voulait dire qu’une cité existait encore ? Non… il ce n’était pas possible. Il ne fallait tout de suite tirer des conclusions d’un simple nom. Toutefois cette découverte soulevait quelques questions. Mais d’abord le vampire devait s’occuper de son invité, qui semblait perdu. Il fit mine de baisser sa garde, se tenant nonchalamment contre la porte.


« Ce que je vais faire de toi ? Et bien, cela dépend de toi bien évidemment. »  

Heinrich aurait bien aimé au moins pouvoir s’asseoir sur le coin du lit pour tout expliquer mais il n’était pas question de laisser trop de marge de manoeuvre à son calice. A ce stade il était encore imprévisible et une erreur est si vite arrivée. Avec sa langue il recueilli le sang qui s’était glissé dans les crevasses de ses lèvres et il esquissa un sourire, pas un sourire mauvais, juste un sourire.


«  Contrairement à ce que tu penses, mon intention n’est pas de te tuer. Tu vois, nous les vampires, nous ne sommes pas tous les mêmes. Mais bon… apparemment vous les chasseurs, vous avez du mal à comprendre quelque chose d’aussi élémentaire. Je me demande, si un être humain vous fait du mal, est-ce que vous comptez chasser toute l’humanité ? Tsss. C’est si facile de faire l’amalgame….»    

D’un geste, le docteur dissimula ses mains derrière son dos. Signe qu’il ne comptait pas l’attaquer.

« Quoi qu’il en soit, laisse- moi t’expliquer ce qu’il vient de se passer. Quand un vampire comme moi mord sa proie, un lien se crée. Tu deviens mon calice. En d’autres termes, tant que tu es en vie, je ne peux pas me permettre de mordre qui que ce soit d’autre. Tu es ma seule et unique source de sang.  »  

Il marqua une pause, histoire de lui laisser le temps de digérer cette information.

« Pour des raisons diverses et variées, il se trouve que je préfère garder mon calice le plus longtemps possible. Et en échange, je suis prêt à te fournir toute assistance : financière, professionnelle, médicale, etc, etc. En d’autres mots, je te propose ce qu’on appelle un partenariat. En échange de ton sang et de ton silence, je t’offre un soutient.  »  

Il plisse un peu les yeux et son ton décontracté devient soudainement plus sérieux.

« Si ce style de vie te déplaît, si tu refuses ou si tu me désobéis… En revanche… je n’aurais pas d’autre choix que de te tuer. Et ça serait dommage. De tuer un si beau spécimen de ton espèce, je l’avoue. Mais je n’aurai pas le choix. Tu comprends ?  »

codage par Tic Tac Frey

Pendant que le vampire parle, le calice écoute. Après tout l’un comme l’autre souhaitent assouvir leur curiosité.  L’animal, ou plutôt le lémure baisse doucement sa garde et range ses crocs. Heinrich n’est pas assez stupide pour considérer ce combat comme vaincu mais il s’agit d’un signe encourageant. Il regarde les iris vert de son interlocuteur et la haine disparaît pendant un instant. La magie des mots. Quel beau regard, quel dommage de l’avoir dénaturé.  Des lémures… ce n’était pas vraiment ce à quoi le vampire s’attendait. Non il ne s’attendait pas à des hommes-bêtes. C’est la créature en question qui apporte des informations. Un sourire narquois se dessine sur les lèvres de l’hôte.


«  Des esprits malfaisants, mais voyons...»  

De toute évidence il n’y croit pas une seconde. Cette légende a été racontée par les hommes qui l’ont façonné à leur façon, avec leur préjudice. Comme c’était le cas des vampires, Heinrich doutait fortement que les lémures soient malfaisants par nature. Mais que voulez-vous, c’est le propre des hommes de haïr et de salir tout ce qu’il leur nuit ou encore, ce qu’ils ne comprennent pas. L’histoire se répète sans cesse. Et les hommes ne changent pas. Le docteur était assez ignorant en matière de lémure, de la même façon qu’Aion, malgré son statut de chasseur, ignorait à peu près tout des vampires. C’était à se demander comment il pouvait parvenir à éliminer ses cibles, c’était affligeant. Mais il commençait à comprendre, ça commencer à rentrer. Alors, toujours avec ses mains bien rangées derrière son dos, Heinrich pris le risque de faire quelque pas vers l’avant, histoire de mieux observer la créature.


« C’est exact. Certains vampires peuvent posséder plus d’un calice. Cependant ce n’est pas mon cas. Quant au reste… J’ignorais qu’un lémure puisse devenir un calice. Et ton “hobby” de chasseur en revanche.... ça peut être problématique. Mais pour d’autres raisons. Tu comprends que c’est assez embêtant que tu puisses assassiner certains de mes précieux congénères. Pas tous évidemment, mais certains. »  

Il ne comptait pas tout dévoiler tout de suite.L’ordre et les règles, cela viendrait plus tard, une chose à la fois pour son petit cerveau de félin. En tout cas, c’était encourageant, il semblait voir les avantages qu’il pouvait tirer de cette situation. Et pourtant il reste campé sur certaines de ses positions. Apprendre que les chasseurs faisaient un tri… sérieusement ? Relevant légèrement le menton d’un air suffisant, il feint la curiosité :

« Ah vraiment ? Et ce tri est basés sur quels critères ? Mais sincèrement, Aion, voyons… Ne me dis pas que lorsque… tu es sous cette forme, si éventuellement tu chasses sous cette forme, ne me dis pas que tu préviens ta proie ? Tu penses avoir demandé la permission au steak que tu as dévoré tout à l’heure ? Ne sois pas naïf.  Comme je te l’ai dit, je n’ai droit qu’à un seul calice. Je n’ai donc ni le choix, ni énormément de marge de manoeuvre. Que veux-tu, un vampire doit boire pour vivre...  »  

En plus de cela il y avait le risque. Imaginons qu’il ait demandé la permission. Personne n’accepterait. Personne. Et puis quoi, il devrait tuer tous ces innocents de peur d’être découvert plutôt que de les confronter directement ? Ce n’était pas comme ça que cela fonctionnait. Les prédateurs attaquent. Un point c’est tout. De plus le vampire n’avait pas vraiment le temps de jeûner pendant des semaines avant de trouver une nouvelle source de sang.

« Je pourrai t’apporter à peu près tous les genre de soutien. Tu as besoin d’un appartement ? Tu as besoin d’argent pour payer les soins de ton cher papa ? Un problème légal ? Un problème d’argent ou des difficultés à trouver de l’emploi? Je peux t’apporter tout ça. Je peux m’assurer que ta descendance ne vivra ni dans la misère, ni dans la peur d’être chassé. Vraiment il n’y a que peu de choses que je ne peux pas faire pour toi…. Je ne suis pas ton homme de main. Je ne suis pas ton domestique même si, je peux te nourrir correctement. Ne compte pas sur moi pour t’aider à éliminer les miens. En revanche, et en fonction des circonstances...je pourrais t’apporter mon aide pour éliminer les obstacles qui se dressent sur ta route, je peux t’aider à assouvir tes soifs de vengeance… Mais je décide seul de cela.  »  

Il esquisse un sourire candide.

« Oh et aussi, je ne compte pas sur moi pour avoir des rapports sexuels avec toi ou quiconque. Je ne suis pas ce genre de vampire ~»  

Il éclate d’un léger rire.

« Ne fais pas cette tête. On me l’a déjà demandé tu sais.»  

Si seulement il savait toutes les requêtes qu’on lui avait apporté sur deux cents ans… Les plus ridicules et les plus bizarres. Son regard bleu allait se perdre sur une des peintures de l’empire des lumières, se souvenant de certains de ses calices. Parfois la mémoire des noms lui faisait défaut mais les voix et les visages demeuraient toujours. Son regard s’intéresse de nouveau au lémure :


« Mais parle-moi de toi. Est-ce ta véritable forme ? Si c’est le cas pourquoi ne pas simplement vivre comme un animal au lieu de se mélanger aux hommes ? Qu'est-ce que tu cherches à accomplir ?»

codage par Tic Tac Frey

Heinrich ne pouvait s’empêcher de lever les yeux au ciel. Vraiment ? Il ne savait pas… L’imbécile. Il fallait tout lui épeler.

«  Dans ce cas tu es incapable de savoir s’il y a un tri ou pas. C’est bien ce que je pensais.»  

Effectivement sans connaître les critères d’une telle sélection, il était incapable d’affirmer qu’un quelconque triage s’opérait. En ce qui concernait le vampire, il se doutait que certains passe-droit devaient passer. Par exemple des membres de la guilde devenus vampire par accidents et autre proches devaient être exemptés. Mais une exception ne constitue pas un tri. Mais les autres… tous éliminés. L’important était de ne pas se faire repérer et c’était là que résidait la clé de leur survie. Franchement c’était à se demander qui étaient les monstres entre les humains et les vampires. La ligne était si fine. Et Aion ,qui se considérait comme une simple arme, dénuée de morale. Apparemment dénuée d’émotions aussi. Un sourire amer se dessina sur ses lèvres. Il savait ce que c’était d’être un bon petit soldat. Et il le regrettait. Aion en revanche ne semblait pas douter une seconde de sa cause...S’il voulait être capable de le manipuler, lui un esprit simple et unilatéral, il allait devoir instaurer le doute.

« Donc, tu te contentes de tuer les gens qu’on te demander de tuer sans problème…intéressant. Connaîtrais-tu par hasard ce qu’on appelle l’expérience de Milgram ? »  

Ce qui était troublant, bien entendu, c’était qu’Heinrich lui même s’était retrouvé à sa place. Tout ce qu’il espérait, c’était qu’Aion était parfaitement conscient de ce qu’il faisait. S’il devait avoir un psychopathe comme calice, autant le savoir maintenant. En revanche ce qui allait s’annoncer problématique, c’était son désir de rien. La surprise pu se lire sur le visage du vampire. Son seul désir apparemment...était d’être libre. Le docteur ne se laissa pas décontenancer pour autant, et retomba rapidement sur ses pieds.


« ‘Maintenant’»  le corrigea-t-il. « C’est un partenariat à  long terme, qui sait si tu n’auras pas besoin de moi dans le futur ? Maintenant tu te contentes de ce style de vie de vagabond et de meurtrier, mais qui sait si ça sera toujours le cas ?»

Un sourire. Il ne peut pas s’empêcher de juger. Qui voudrait d’une telle vie ? Un lémure sans doute. Quelqu’un qui aime sa liberté. Le seul problème c’est que si ce partenariat doit fonctionne Aion allait devoir quelques sacrifices. Mais le vampire y viendrait plus tard. Apparemment amusé par sa remarque, le lémure en profitait pour plaisanter. A son tour, Heinrich lui renvoya la balle  d’un ton amical :


« Etant donné ton apparence humaine, je n’aurais jamais cru  que tu étais si  prude. »  

Vu que l’ambiance s’était apaisée, le vampire prit la liberté de s’approcher un peu plus et de s’asseoir au bord du lit. Il continuait de regarder l’animal - enfin le lémure - avec une certaine curiosité. La façon dont sa gueule bougeait quand il parlait, les expressions de son visage. Son regard. Le vampire savait que s’il le désirait la créature pouvait encore lui sauter à la gorge. C’est pour ça que malgré les apparences, il restait méfiant. Prudent. C’était sa prudence qui l’avait maintenu en vie jusqu’à présent.  
« Oui c’est logique.»  commenta-t-il simplement.

Définir la nature d’un lémure n’était pas si simple après tout. Ni un humain, ni un animal…A nouveau Aion posa des questions au vampire. Il était étrangement curieux pour un chasseur. D’habitude ils tuent sans réfléchir, sans poser de questions. Pour utiliser les termes de son invité  :   une arme qui abat ses cibles”. Et pourtant il semblait si ignorant de la nature vampirique.


« En effet, je suis un sang-pur. Un sang rouge pour être plus précis. Et cela fait de moi le petit-fils d’un des premiers vampires… Quant à ma profession… que veux-tu, un vampire doit bien vivre. Des professions j’en ai exercées pas mal. Et je ne joue pas au médecin. Je suis un médecin. En ce qui concerne le sang… j’ai l’habitude. Question de discipline. »  

Evidemment qu’Heinrich gardait le silence sur certains aspects de ses choix. C’était privé, personnel et il se voyait mal révéler tout ça à un calice indécis qui restait un parfait inconnu.

« Et toi ? Si ce n’est pas le désir de vengeance qui te motive, pourquoi faire carrière dans la chasse de vampire ? Ca risque d’être problématique pour moi donc tu ferais bien de réfléchir à te réorienter. .»

codage par Tic Tac Frey

 
C’était si facile d’argumenter et de retourner ses arguments contre lui. Si amusant. C’était un exercice dans lequel Heinrich excellait. Manipulation d’information. Installer le doute. Juste avec des mots, des informations. Et même si le visage de son invité  n’offrait pas le large éventail d’expression qu’un visage humain pouvait arborer, le vampire pouvait le détecter. C’était déplaisant pour Aion mais terriblement plaisant pour lui. Peut-être qu’il connaît déjà l’expérience ou pas. Peut-être qu’il se doute du sujet ou de l’intention de son hôte. L’outil ne va pas réfléchir, ne veut pas penser par lui même car exposé avec la vérité et il se rendra compte de sa vrai nature. Et c’est sans doute ça qu’Aion craignait. Un sourire narquois sur ses lèvres, le docteur commenta :

«  Ah...le déni… mais comme tu veux, je ne t’en parlerais pas alors..»  

Le déni. Un concept psychologique. Aion refusant de savoir, d’écouter, quitte à mettre ses pattes sur ses oreilles et crier très fort. Car sa vie est si simple pour lui. Si facile. Seulement la vérité la rendrait beaucoup moins simple et beaucoup plus...invivable. Mais qui sait ? Le vampire aurait probablement l’occasion de lui faire entendre raison dans le futur. Inutile de mettre trop de pression dans le présent.

Le vampire secouait la tête de droite à gauche. Est-ce que son espèce avait des difficultés à apprécier les nuances  ? Son sourire s’effaça alors qu’il prenait un air plus sérieux pour clarifier la situation. Décidemment il fallait tout lui épeler. Tsss.

«  J’ai dit que ce serait problématique et que tu devrais penser à te réorienter. Si tu en es incapable où que tu ne le désires pas... »  

Il marque une pause et prend une inspiration.

« On peut quand même s’arranger. Et tu ne seras pas obligé de changer de travail. Même si ça serait dans ton intérêt, c’est ta vie, c’est ton choix.»

Si Aion refuse son statut de calice, il sera tué. Le problème c’est que si par hasard il assassine un des membres de l’ordre et bien…Heinrich devra le tuer quoi qu’il advienne. Mais uniquement à cette condition. Et il pouvait compter sur cette condition. Si le calice tenait tant à son travail qu’il le garde, le vampire ne cherchait qu’à étendre sa vie. Mais bon, il ne pouvait pas le forcer à être raisonnable et il était bien trop tôt pour lui dévoiler tous ces détails sur l’ordre.

L’expression du vampire devient plus légère alors qu’il remonte ses lunettes factices pour lui rappeler d’un ton mesquin :

«  Je n’ai droit qu’à un calice, Aion. Consommer du sang, avoir un calice fait partie de ma survie directe. Je ne peux pas faire sans. Je doute qu’assassiner des vampires ait un lien direct avec ta survie. Ce qui en d’autres termes, fais de toi un meurtrier, et de moi, un chasseur. Amusant, n’est-ce pas ? »

Il pourrait récolter de l’argent tout à fait autrement. Le vampire en revanche, ne pouvait ni se passer de sang ni de calice, tel était sa nature.  Et face à ces lois, il était impuissant. Le lémure pouvait faire ce qu’il voulait de sa survie. De la logique pure. L’invité du vampire revint vite sur ses pieds avec sa proposition. Etrangement, il n’y était pas hostile. Heinrich prit une seconde pour réfléchir.

«Ca me semble bien. De mon côté, je suis disposé à aider. Et a garder ton secret. Bien entendu..Mon but est de te garder en vie le plus longtemps possible donc … si tu sens que ta vie est en danger, j’aimerai être mis au courant. »  

Qui sait ce que les vampires et les humains seraient prêts à payer pour mettre leurs mains sur une créature si rare, si exotique ? Heinrich ne tenait pas particulièrement à le savoir. Il voulait garder son calice caché et en vie aussi longtemps que possible. Le vampire éclata de rire à sa dernière remarque.

« Ouch. J’ignorais t’avoir vexé à ce point. Désolé.   .»

De toute évidence le vampire avait heurté la sensibilité de son calice. Ce n’était pas le moment de surenchérir. Même si ce n’était pas vraiment sa faute si son calice avait la susceptibilité d’une gamine de 13 ans, il allait devoir s’adapter et faire avec.  Il y avait encore tant de sujets que le vampire pouvait aborder, mais il préférait laisser ça pour un autre moment.  D’un geste il posa sur mains sur ses genoux et se releva :


« Bien si tout est clair et que tu acceptes ce contrat… Je suis content ! Je n’aurai qu’une question supplémentaire : qu’est-ce que tu veux pour le petit-déjeuner ? »  

codage par Tic Tac Frey

 
Si les expressions faciales de son invité étaient limitées, ce n’était pas le cas de son langage corporel. Le vampire trouvait particulièrement amusant de le voir remuer la queue de dépit. Comme Winston, comme il ne satisfaisait ses désirs félins assez vite ou lorsqu’il le taquinait un peu. Il retroussa ses babines et exposa ses canines tranchantes. Rien qui ne pouvait vraiment impressionner Heinrich. Au contraire il commençait doucement à comprendre le personnage. Aion. Dans le déni. Rebelle. Possiblement orgueilleux. Il n’était pas sûr de cela. En tout cas il n’appréciait pas qu’on le remette à sa place. Quel dommage. Il allait devoir s’y faire.

Quelle ironie… Ce qu’il fait, je l’ai fait auparavant. Il ne se rend pas compte. Il ne comprend pas. Ca le dépasse. Et bien, au moins Heinrich se disait qu’il n’aurait aucun remord à lui briser les vertèbres quand viendrait le moment. Car le moment viendrait et sûrement de façon prématurée. C’était déjà tout écrit. Le vampire lui donnait 2 ans maximum. Il finirait par se rebeller ou encore par assassiner le mauvais vampire. Et cela aurait des conséquences.  Par contre il devenait de plus en plus stupide.

Le vampire lui lança un regard mauvais et ce fut à son tour de montrer les crocs alors qu’il lui expliquait d’un ton plus appuyé que d’habitude. Toujours d’une voix douce.


«  Apparemment tu ne comprends la situation dans laquelle tu es, n’est-ce pas.. Devrais-je répéter ? Maseule source de nourriture. A partir de maintenant je ne quitterais jamais ta vie, ni ton quotidien. Jusqu’à ta mort. J’ai besoin de tout savoir, ton adresse, ton numéro de téléphone, où te trouver… Tout. »  

Il prit une inspiration laissant le temps à l’information de faire son chemin


«  Mais si tu te montres si peu coopératif, je peux encore te délivrer de ce fardeau..... Que ça te plaise ou non.»  

Par son regard et le ton de sa voix, le vampire lui fit comprendre qu’il pouvait mettre fin à ses jours immédiatement. Il ne se rendait pas compte des faveurs que Heinrich lui donnait. Un vampire si dévoué ? Ca n’existait pas. La plupart gardait leurs calices près d’eux, les kidnappaient à la limite… Mais lui, il lui proposait un contrat qui pouvait leur convenir à tous les deux. Seulement il allait devoir respecter sa part, même si c’était inconvenant pour lui. Même les humains n’étaient pas si capricieux. Il ne fallait pas se leurrer, si jusqu’à présent l’hôte ne s’était pas montré hostile, c’est parce qu’il comptait sur le lémure pour être raisonnable. Si ce n’était pas le cas, il menaçait sa survie. Et ça Heinrich ne pouvait pas se le permettre. Si cela devait se transformer en confrontation pour la survie, il ne ferait pas de prisonnier.


« Impossible. J’aurai besoin d’informations. Et de prélèvements avant que tu partes. » ajouta-t-il d’un ton qui ne laissait pas présager la possibilité d’une négotiation. «  A moins que tu préfères que je vienne te réclamer tous les jours ?»

Voilà qui aurait été embêtant pour le vampire comme le calice. Ils n’avaient aucune raison de se retrouver si souvent. C’était suspicieux et donc dangereux.

Heinrich lui lança un regard perplexe à l’appellation du mot “major”. Qu’est-ce qu’il voulait dire par là ?


«Quoi ? Major ? D’ où tu sors ça ? Tu peux m’appeler Henry. Ou Monsieur Miller. Comme tu préfères.. »  il se détendit un peu et ajouta : « quant à mes pouvoirs… crois-moi,  tu ne veux pas les connaître. »

Il esquissa un sourire mystérieux. Il serait imprudent de tout dévoiler. Surtout s’il risquait de devoir les utiliser contre lui. Perdre l’effet de surprise ce n’était pas très malin.

codage par Tic Tac Frey

Enfin, la créature revenait progressivement à la raison. Pour qui se prenait -il à tenir tête à son vampire de cette façon. La situation ne lui plaisait pas, c’était compréhensible, mais s’il était tombé avec un tout autre vampire… il n’aurait pas été aussi clément. La vie était un jeu, il avait perdu, il devait accepter la défaite avec dignité. Mais de toute évidence Aion était un mauvais perdant, mais il comprenait que ce n’était pas lui qui dictait les règles du jeu à présent, c’était Heinrich.


« Unique sens ? Je te laisse la vie sauve et je t’offre une protection contre les autres vampires et mon soutien. Ce n’est pas ma faute si tu n’as besoin de rien en ce moment.. Et puis je te laisse le choix.»

Le lémure était peut-être doué avec d’autres personnes pour se faire passer pour la pauvre victime mais le vampire était trop vieux pour ce genre de choses. Il voyait clair. Aion pouvait présenter les choses comme il le voulait, c’était la vérité. Il avait le choix. Il avait plein d’’autres choix. Il pouvait essayer de l’affronter, il pouvait essayer de s’enfuir, il pouvait essayer de le vendre, mais soit ces choix résulteraient dans sa mort immédiate, soit elle ne servait pas ses intérêts.

Le lémure évita complètement sa question, probablement pas disposé à lui remette. Qu’à cela ne tienne, Heinrich n’en avait que faire.


« Bien..» conclut le vampire, ravi d’entendre ses paroles. « Alors changes toi en humain. Je ne suis pas vétérinaire, je ne pourrais rien prélever sur toi dans cette forme.»

Il aurait pu étudier un peu le sujet mais même. La quantité de sang présente dans le corps d’un lynx et dans celle d’un homme était très différente. Il était donc préférable pour les deux protagonistes que les prélèvements s’effectuent sous forme humaine.


. « Je te donnerai des vitamines demain matin. Pour la production de sang. Que tu les prennes ou pas, ça m’est égal mais pour ton bien, je les recommande.»

codage par Tic Tac Frey

Le lémure avait beau lui lancer les regards les plus meurtriers du monde, le vampire n’en avait que faire. S’il avait été effrayé par un simple regard ou un retroussement de babine, il ne se trouverait pas là où il était maintenant. Loin de se laisser impressionner par son regard assassin, Heinrich lui avait intimer de se transformer à nouveau. La métamorphose était quelque chose de fascinant. La façon dont son corps s’était tordu et réduit… c’était quelque chose de jamais vu. Et il aurait bien aimé le voir à nouveau mais de toute évidence, le lémure était incapable de le faire à volonté. Heinrich le regarda, doutant un instant de sa sincérité. Il était possible qu’il mente pour retarder le moment fatidique. Mais sur ce coup là, l’hôte décida de faire confiance à son invité. Sa métamorphose était donc un donc… et en l’utilisant toute la journée, il demandait un temps de repos. Ca avait du sens. Le vampire hocha la tête.

« Bien. Bonne nuit alors, je te retrouve demain matin. Pour le petit déjeuner.  »  

Le vampire quitta la pièce en refermant la porte derrière lui. Il hésita un instant avant de retourner dans sa chambre. C’était la première nuit. Il allait devoir lui faire confiance. Le lémure risquait d’en profiter pour s’enfuir ou pour l’attaquer…. Il n’avait pas le choix, comme lors d’une opération difficile, les 24 heures suivantes seraient décisives. Il attendait un instant dans le couloir attentif au moindre bruits qui provenait de la chambre. Rien. Après un moment, Henry rejoint  sa propre chambre. Winston l’attendait déjà, ronflotant sur la couette, à sa place, ignorant de tout ce qui venait de se passer. Ignorant ou bien cela ne l’intéressait pas ? C’est ce qu’il aimait chez les chats, c’était difficile à savoir. Est-ce qu’ils nous appartiennent ou qu’on leur appartient ? Il s’allongea dans son lit après s’être mis à l’aise, toujours attentifs aux bruits. Un vampire n’a pas vraiment besoin de dormir. Le manque de sommeil ne peut pas le tuer. Mais influencer son humeur, oui. Donc après un moment Heinrich ôta ses lunettes, les déposant sur la table de nuit et s’accorda une petite sieste.

Les mêmes souvenirs. Ce même sentiment écrasant qui ne me quitte pas. Du sang, des chairs corrompues. Tout est terne et gris à l’exception du sang et des chairs, ivoire et bleues. Les souvenirs de George et Aion s’y mêlent, décousus, perdent leur sens. Le sentiment subsiste. Je voudrais arrêter. Je voudrais relever ma main, arrêter de couper les chairs et de briser les os. Le son reste. Le craquement. Ca fait mal. Je voudrais que ça s’arrête. Mais ça continue….

codage par Tic Tac Frey

Le sommeil n’est jamais de tout repos pour un homme torturé. Mais malheureusement il restait nécessaire pour sa santé mentale. Heureusement le réveil se fit rapidement entendre et pas réveil, nous parlons de Winston bien entendu. Winston, ce chartreux bien en chair avait la vie facile. D’ailleurs il ne miaulait pratiquement jamais. Il avait sa technique. Quand il désirait quelque chose, il attendait, se mettait en position et ronronnait de façon bruyante. S’agissait-il d’une façon de se faire entendre ou d’une subtile manipulation de l’esprit afin de vous rendre coupable si vous ne satisfaisiez pas ses désirs immédiatement. Et avec l’exactitude d’une horloge, Winston éprouvait un soudain besoin de sortir à 6h du matin. Et pour se faire, il se levait, s’étirait et venait ronronner près du visage de son propriétaire. Le vampire se réveilla immédiatement, reconnaissant le signal. En revanche, il ne s’attendait pas à trouver un autre félin de taille imposante à ses côtés. Vraiment ? Avec toutes ces pièces et son salon ils devaient dormir à trois dans son lit ?!

Mais, plus important, qu’est ce qu’Aion faisait là ? Dans le meilleur des cas, Heinrich se serait attendu à ce qu’il reste dans sa chambre sans s’enfuir. Dans le pire des cas, il se serait faufilé dans sa chambre pour essayer de lui arracher la gorge ou il aurait pris ses pattes à son cou pour prévenir les autres membres de son petit gang. Mais au lieu de ça, contre toute attente, il le retrouvait lové sur son lit. Etrange. Mais soit. Le vampire se leva en essayant de faire le moins de bruit possible et descendit les escaliers pour nourrir Winston et lui ouvrir la porte.


« Va. Va vérifier ton territoire. »  

A force de vivre seul avec Winston, Henry avait pris l’habitude de lui parler, même s’il ne pouvait pas répondre. Il regardait d’un air rêveur le chat s’enfoncer dans la neige avant de disparaître derrière les haies. Il prit une minute pour se frotter les yeux et reourna à l’étage pour se rendre dans la salle de bain. Lynx-Aion dormait toujours paisiblement sur ses draps. Le vampire prit une douche, se brossa les crocs regardant vaguement son reflet dans le miroir. Son esprit était occupé à autre chose. Douter, évaluer, concevoir des plans. Se demander comment la relation de calice allait tourner. Et ce qu’il allait préparer pour le petit déjeuner aussi… Avant de quitter la salle de bain, il laissa une paire de serviettes de bain propres en évidence pour son invité.

Ce n’était pas tout, il y avait d’autres choses à préparer. Le kit de prélèvement et les vitamines. Un cocktail spécial qui rentrait dans le traitement de l’anémie. Connaissant son calice, il doutait qu’il ne voudrait pas l’utiliser. Par orgueil ou dégoût. Mais qui sait, il pourrait devenir raisonnable un jour.

Mais avant tout, son invité allait se lever, probablement affamé. Il était temps de préparer le petit déjeuner. C’était quelque chose qu’Henry avait toujours fait et avait toujours aimé faire. Parfois il invitait ses calices à dîner, leur préparait un bon repas et les regardait manger. Il y avait plusieurs raisons  ce comportement. D’abord, de cette façon il offrait un repas équilibré à ses calices. Ce n’était pas toujours évident de les garder en bonne santé. Certains d’entre eux ne savent franchement pas se nourrir. Ensuite, un bon repas produit des endorphines, qui se traduit dans le sang. Et puis à vivre seul, il appréciait parfois un peu de compagnie durant un repas. En général Winston comblait ses besoins sociaux, mais avait assez peu de conversation il fallait le dire.

Henry n’avait pas la moindre idée de ce que Aion aimerait manger au petit-déjeuner. Probablement des protéines. De la viande. Du lait aussi.  Consultant son frigo, il commença à préparer du bacon et des oeufs. Avec des toasts. Un petit déjeuner typique de Froënbourg pour ceux qui doivent affronter le froid toute la journée. Il prépara aussi du café. Parce qu’il aimait l’odeur et ça lui permettait d’emporter un thermo au travail.

Apparemment l’odeur appâta l’animal qui signala sa présence avec le bruit de ses pas dans les escaliers.

« Bonjour.»    dit-il simplement. Sans sourire, sans implication. C’était Henry, pas le vampire d’hier soir. «  Faim ?»

Il regarda son calice. S’il avait le choix dans son apparence humaine, pourquoi avoir choisi celle-là. Tant de tatouages...

«  Bien dormi ?»

Il n’aborda pas le fait qu’il soit rentré dans sa chambre. Il l’autorisait. Il ne demanderait pas d’explications qui pourraient embarrasser son invité.

codage par Tic Tac Frey

En général, le petit-déjeuner n’était pas quelque chose de très réjouissant pour le vampire. Seul, il préparait du café, quelques toast, parfois, s’il avait le temps, une série de pancakes ou encore des oeufs. Mais toute cette nourriture ne lui procurait aucune satisfaction. En général, il avalait d’abord le contenu d’un tube de sang avant d’avaler une demie tasse de café et une demi assiette qu’il finirait forcément par jeter à la poubelle. Du gaspillage sans aucun doute mais au delà de sa texture, cette nourriture n’était pas appétissante pour lui. Et  vu qu’il devait déjà se forcer en journée, il évitait de le faire le matin. Toutefois consommer de la nourriture régulièrement restait important, si jamais quelqu’un venait à fouiller ses poubelles, ils devaient retrouver la même chose que chez ses voisins. Logique.

Le petit déjeuner était le moment de transition entre vampire et humain. Et donc un moment étrange et liminal. A ses questions, l’invité répond par une simple affirmation, suggérant qu’il avait bien dormi et qu’il avait faim. Henry se pose toujours des questions quant à sa présence dans son lit mais à la bienséance de les garder pour lui. Ce n’est pas tellement important de toute façon. Alors que l’hôte finalise la cuisson de quelques éléments, Aion le rappelle à l’ordre, le ramenant à la réalité. Bien sûr qu’il n’a pas oublié. Sans se retourner il lui répond simplement :

« Oui. Mais j’ai pensé que je te laisserai profiter de ton petit-déjeuner avant. Il est préférable de ne pas faire ça le ventre vide... »   Il se retourne un instant le gratifiant d’un regard. « A moins que tu ne sois trop nerveux pour manger ?»  

Dans ce cas là il était prêt à changer l’ordre. Même s’il n’avait pas de raison d’être nerveux. C’était la routine pour le vampire, et ça le serait bientôt aussi pour son calice. Heureusement pour lui, Aion n’était pas du genre à se stresser inutilement.

«  Ne t’en fais pas. Ca sera comme si tu donnais ton sang à l’hôpital. Rien de plus..»

Se retournant, il attrapa l’assiette qui trônait sur la table et la rempli avec le contenu de la poêle. Du bacon bien grillé et des oeufs brouillés.

«  Je ne savais pas ce que tu aimais donc j’ai fait ça. Il y a des toasts aussi mais je peux faire autre chose. Qu’est ce que tu souhaites boire avec ça ? Du lait ?»

codage par Tic Tac Frey

Henry s’y attendait, Aion ne lui semblait pas être le genre de personne à être nerveux pour ce genre de chose. Après tout, pour aller demander asile n’importe où il fallait être un peu inconscient. Pour rejoindre le lit du vampire qui venait de l’attaquer aussi. Décidemment, il était...pas imprévisible mais...contradictoire ? Ce qui n’était pas tellement étonnant vu l’apparence humain qu’il avait choisi d’adopter. Une attitude détachée et tous les signes de la rébellion. Ou peut-être que le vampire essayait d’attribuer des comportements humains à une créature inconnue et qu’il se trompait. Peut-être que c’était dans la nature d’Aion d’être ainsi. Leur lien n’était pas encore suffisamment fort pour qu’Henry puisse déterminer quoi que ce soit avec certitude. Quoi qu’il en soit son attitude je-m’en-foutiste n’aurait pas pu tomber mieux, quoi que le docteur se doutait qu’un jour elle lui poserait des problèmes.

Aion se permet une remarque. Sans lever les yeux, le docteur lui répond :

« Apparemment ton sang n’est pas si différent du sang humain s’il peut me sustenter… Mais si tu veux, je peux m’arranger pour l’analyser pour toi.. »  

Ca serait un peu de gaspillage, sans aucun doute mais si son calice tenait à avoir le coeur net sur son sang et sur ses propriétés, c’était l’occasion. Même s’il doutait qu’Aion accepte. Une question de pudeur probablement.

Le lémure ne se fit pas prier et engloutit le contenu de son assiette avec ce qui semblait être un plaisir non dissimulé. Henry restait debout de son côté, le regardant faire sans le fixer. Manger apportait du bonheur à son calice et par conséquent , une petit partie lui était transférée. Mais au delà de ça, Heinrich avait toujours aimé voir les humains manger et éprouver du plaisir en mangeant. Avec la musique et l’art, c’était une des rares choses qui pouvaient encore lui arracher un sourire sincère.  Par contre, la remarque de son calice le laissait perplexe. Henry haussa les sourcils, pas sûr de comprendre ce qu’on son interlocuteur impliquait.


«Heu…. Merci.»  

Pas la peine de chercher plus loin. S’il avait dit “ radin” ça aurait eu du sens mais “macho”...Comme il vivait seul Henry n’avait pas le choix il avait fini par apprendre à cuisiner. Sans doute que dans la culture familiale d’Aion les hommes ne faisaient pas ou peu la cuisine. Et puis en tant que calice, il pouvait bien avoir quelques avantages. De plus Henry appréciait prendre soin de son unique sac de sang humain.

Ce dernier d’ailleurs commençait à s’impatienter, posant des questions. Nerveux ou curieux ? Le vampire avait du mal à le déterminer, mais au moins il pouvait se réjouir que son calice se montrait beaucoup plus coopératif. Il alla chercher son kit de prélèvement et le posa sur la table, prenant le temps d’enfiler ses gants en plastique à usage unique.


« Exactement comme dans les films..»

Pour Henry, c’était une routine d’apprentissage, un acte qu’il avait posé des centaines de fois. Mais il pouvait comprendre que ce ne soit pas le cas de tout le monde. Béni soient les ignorants car ils éprouvent la joie de la découverte. D’un ton calme et parfaitement normal, il commença ses explications tout en sortant son matériel. Les poches vides, les tubes, l’aiguille, le garrot, le désinfectant lentement, l’un après l’autre.


« En effet,  nous avions une sorte d’organisation. Je te prélèverai du sang deux fois par semaine normalement. Parfois trois. Je vais devoir te mordre aussi. En général ça compte comme troisième prélèvement. On peut choisir de se retrouver chez toi - chez moi ou encore dans un autre endroit.» Il leva la tête un instant pour réfléchir.

« Quel jour sommes-nous aujourd’hui ? ….Vendredi..Donc ça serait le vendredi et le lundi. Ca te conviendrait ? Sinon on peut décaler.»

Le vampire avait l’habitude. Parfois il fallait s’adapter aux horaires de travail de son calice à ses disponibilités. C’était préférable pour éviter d’être surpris ou de susciter la suspicion. D’un geste, le docteur fit signe à son patient de remonter un peu plus sa manche avant de serrer le garrot autour de son bras, ce qui lui donna l’occasion d’observer un peu plus ses tatouages. Il  imprégna un bout de coton de désinfectant et frotta doucement le creux du bras d’Aion. Ensuite il prépara l’aiguille.


« Ne t’en fais pas, ça va juste pincer un peu. »

Doucement il inséra l’aiguille dans son bras et aussitôt le sang se mit à couler dans les tubes en plastiques, se frayant un chemin jusque dans la poche. Il devait prélever un demi-litre. Ca allait donc prendre un peu de temps. Il sortit une balle anti-stress de son kit de prélèvement. Une simple balle jaune fluo avec un visage style smiley dessiné dessus. Il le posa dans la paume de son calice.

«  Tiens, serre-ça, ça ira plus vite.»

Le vampire regarda sa nourriture glisser et remplir la poche avec une certaine satisfaction avant de reprendre :

«Quoi qu’il en soit je vais avoir besoin de ton numéro et de ton adresse. Aussi, je pense qu’il serait judicieux de concocter une petite histoire. On risque de devoir se retrouver souvent, et histoire de ne pas éveiller les soupçons, il serait préférable d’élaborer une sorte de justification.»

Le problème résidait dans leur différence. Si au cours de sa vie il avait pu faire passer George pour un ami et plus tard pour une sorte de substitut paternel, justifiant donc les aides financières, Henry voyait mal comment il pouvait se relier à Aion. Il était solitaire, il était un lémure et surtout… à première vue ils n’avaient rien en commun. Tout semblait les opposer. Le vampire se laissa distraire un instant pour demander :

«Au fait ces tatouages… sont-ils authentiques ou cela fait-il partie de la métamorphose ? Est-ce qu’ils ont une quelconque signification ?»

codage par Tic Tac Frey

Comme il s’y attendait, le lémure n’éprouvait aucune curiosité vis à vis de lui-même. Il aurait pu vouloir connaître la composition de son sang, comment il fonctionnait, les similitudes qu’il partageait avec celui des humains et au contraire ces différences… Mais non. Apparemment Aion n’éprouvait pas de curiosité scientifique. En même temps, un animal n’en aurait pas, il partageait sans doute ce trait avec ses cousins. Henry se contenta d’acquiescer. Tant pis pour sa propre curiosité, si tel était le souhait de son calice, il le respecterait. Cela faisait partie d’une sorte de contrat implicite.

De toute évidence, le calice est plutôt habitué aux aiguilles. Qui sait ce qu’il fait au delà de ses tatouages ? Quoiqu’il en soit ses bras ne portent aucune marque. Quoique, les accroc ont tendance à se faire piquer ailleurs, pour éviter tant de visibilité. Difficile à dire vu le regard inhumain d’Aion, mais il semble lucide. Et que je sache, l’utilisation de tels substances reste relativement exclusive aux humains. Peut-être qu’Aion se contente simplement d’herbe à chat.  En tout cas le docteur est plutôt content. Au moins il n’était pas douillet et n’avait pas peur des aiguilles.

Par contre il va devoir faire attention à ce qu’il dit. Son calice n’était pas aussi stupide qu’il en avait l’air. Toujours détendu, le docteur répondit :


« J’ai dit “ devoir” ? Mauvais choix de mot. C’est juste que...comment dire, pour être parfaitement honnête parfois boire le sang à la paille ne me suffit pas. J’aime bien mordre de temps en temps. Je suis sûr que tu peux comprendre ça. »  


C’était faux. Un gros mensonge. Mais il n’était pas prudent de laisser savoir à son calice que la morsure restait obligatoire sinon…Le lien finirait par s’effacer avec le temps. Ou Aion sauterait sur l’occasion pour faire une escapade dans un endroit reclu et Heinrich se retrouverait sans calice à devoir tout recommencer. Et probablement retrouver Aion pour le tuer, aussi. En revanche le lémure ne semblait pas avoir compris l’étendue de ses dons vu qu’il se posait toujours des questions concernant sa blessure disparue.


«Oh. La morsure d’hier ? Je vais te montrer..»  

Toujours avec le même calme olympien, le docteur ôta ses gants en plastique pour s’emparer d’un couteau à viande dans les tiroirs de la cuisine. Il remonta sa propre manche, pour ne pas tacher sa chemise - ce qui serait fâcheux. Tout en s’assurant que le lémure avait une bonne vision de son poignet, il entailla sa peau blanche d’un geste sûr et maîtrisé. Pas trop profond pour ne pas causer une fontaine de sang, mais pas uniquement en surface. Parfaitement stoïque, le vampire encaissa la douleur, dessinant une croix. Le sang commença à perler puis à couler. Il amena alors son poignet à ses lèvres pour lécher la plaie. Ca picotait un peu mais il sentait sa salive commencer à faire effet. Bien assez tôt le goût métallique de son propre sang finit par passer et il jetait à oeil à la plaie. Sa peau était lisse et blanche, comme si rien n’était arrivé. Il montra le résultat à son calice.


« Tu vois ? Tous les vampires ne peuvent pas revendiquer cette particularité mais...ma salive a ce qu’on appelle des propriétés fortement régénératrice. C’est plutôt utile.»

Et comme si de rien n’était, il rallongea sa manche avec soin, un léger sourire de satisfaction sur son visage. Aion n’attend pas et fournit ses coordonnées sur un morceau de papier. Tout cela devait encore être vérifiable. Une seule façon de le savoir, le vampire vérifie son numéro en le composant sur son propre téléphone. Ca sonne dans sa poche. Tant mieux, pas de raison de croire qu’il mente. De son côté, Henry s’absente un instant pour récupérer une de ses cartes professionnelles et écrire son adresse au dos.

Vu la situation familiale de son calice, Heinrich ne risquait pas de lui rendre visite. Ca serait trop dangereux. Il restait toujours sa maison, une simple chambre d’hôtel, ou encore il pouvait louer un studio ou un appartement. Ca ferait l’affaire, mais pour ça, il fallait qu’ils se trouvent un mensonge. Le docteur resta pensif un instant.

« Ce n’est pas une mauvaise idée… mais je doute que ce soit crédible. Un médecin personnel alors que tu es en parfaite santé ? Sans compter le fait que tu ne serais probablement pas capable de te le permettre... Tu pourrais devenir un de mes patients, mais alors il faudrait falsifier des dossiers et te trouver une maladie logique… Ca pourrait expliquer l’anémie et les prélèvements mais est-ce que ton beau-père pourrait le croire ? Je ne suis pas hématologiste mais… je pourrais faire ça sur le côté.»

Heinrich réfléchissait, ça pouvait marcher. Mais cela restait un peu faible. Il ne savait pas pourquoi mais il n’avait pas 100% confiance en cette solution. C’était le beau-père qui posait problème. Comment cacher ce statut de calice à ce qui semblait être un chasseur ? Sur ce coup-là il devait faire confiance à Aion pour le guider. Le vampire avait d’autre cartes dans sa manche, mais avant de toutes les exposer, il préférait entendre l’avis de son calice.

En ce qui concernait les tatouages, ils étaient apparemment authentiques et ne faisaient pas partie de la métamorphose du Lémure. Intéressant. En revanche il ne le croyait qu’à moitié quand il disait que cela ne représentait rien. Personne ne se fait tatouer pour rien. Quoique… il pouvait imaginer Aion se rendre chez le tatoueur, choisir un design aléatoirement et se le faire faire. Quoi qu’il en soit, il ne poussait pas la réflexion plus loin. Ce fut le lémure qui le taquina, l’invitant à jouer.


« Classique ? Mais les tatouages sont classiques. Primitifs mêmes. Ils existent depuis des millions d’années...il s’agit d’une forme d’expression très ancienne, rien de très avant-guardiste.»

Les gens ont tendance à oublier ça. A l’époque où les hommes ne pouvaient pas peindre sur des toiles, ils peignaient le bois, les rochers et leur peau. Et même si Heinrich ne pouvait pas nier le côté artistique du tatouage, il n’aimait pas particulièrement ça. Disons simplement qu’il en avait un mauvais souvenir. Mais il ne le montra pas au contraire, il fit mine d’être très intéressé par les symboles qu’arboraient le bras d’Aion. Ca disait pas mal de choses sur lui. Ses lèvres esquissèrent un sourire qui inspirait confiance.


« Cela ne représente rien pour moi, mais… je peux essayer de les interpréter..»

Henry regarda son bras et du bout des doigts, le tourna un peu pour mieux apercevoir les volutes et autres zébrures qui marquaient sa peau. C’était un petit subterfuge. Désormais Heinrich ne portait plus ses gants, il les avait enlevé pour sa démonstration. Il chercha donc dans cette surface, quelques souvenirs. Aion assis sur un fauteuil de cuir noir dans un endroit flou et enfumé, se faisant tatouer le bras. Ca lui faisait mal, mais il continuait. D’autres visions rapides vinrent s’intercaler. Des courses vu du point de vue du lynx, un pelage tacheté ou bien s’agissait-il de cheveux ? Difficile à dire.

Ca ne l’avançait pas beaucoup, mais le vampire n’avait pas vraiment besoin des souvenirs d’Aion pour se permettre des suggestions.

« Je vois… de la rébellion. Je vois quelqu’un qui cherche sa place, qui se cherche. Quelqu’un qui endure. Quelqu’un qui cherche à prouver quelque chose à lui même. Je vois une victoire sur la douleur. Je vois de la défiance.. Je vois... une armure d’encre. Et je vois un fier chasseur aussi.»

En disant cela, Henry n’hésita pas à chercher Aion du regard. Un regard sérieux. Il cherchait à apercevoir la moindre de ses réactions. Il était attentif au lien aussi. Il cherchait la réaction à chacune de ses propositions. C’était une façon de faire comme une autre pour comprendre son calice. Mais il laissa tomber son regard intense un bout d’un moment, observant le cou de son calice. Une chaîne de caractère étranges l’ornait. Il se leva et fit le tour. C’était ingénieux. Les mots formaient une chaîne autour de son cou. Les caractères venaient de l’alphabet d’une langue ancienne, mais les paroles en revanche, étaient écrites dans un autre langage. Et Henry avait des notions de ces deux langages. Simplement parce qu’ils étaient à la base de tout, d’ailleurs on les utilisait encore en médecine. Beaucoup de préfixes et de mots scientifiques venaient de ces langages autrefois universels. En revanche, ici il ne s’agissait pas de science, mais de poésie. Ca lui prit deux minutes à déchiffrer.

Je ne peux vivre ni avec toi, ni sans toi.


« J’aime bien celui-là. Il est malin. » dit-il en désignant le tatouage en question.  
«Est-ce qu’il était dédié à quelqu’un de spécial pour toi ou simplement à toi-même ? »

codage par Tic Tac Frey

Aion regardait son bras cicatrisé avec les yeux pétillant d’un enfant.Ce qui faisait partie de la routine du vampirelui semblait magique et merveilleux. Il ressemblait un peu à un humain. A un nouveau né qui s’étonnait de ce qui voyait  sans la moindre arrière pensée. Il aurait pu songer à tout le mal qu’Heinrich aurai pu lui faire sans laisser de trace. A tout le mal qu’il avait  pu se faire sans laisser de trace mais non. Il ne voyait que le positif. C’était mignon. C’était naïf. Pour l’instant tout lui semblait magique, mais à un moment il finirait par se lasser. Il finirait pas devenir gris, comme le vampire. Mais en attendant, Henry appréciait ce précieux moment à sa juste valeur, en souriant.

Ce qui était moins mignon en revanche, c’était de devoir trouver le parfait prétexte pour leur rencontre. Le truc du patient avait fonctionné très longtemps, il n’y avait pas de raison que cela ne fonctionne plus. Ce qui ennuyait le vampire, c’était le beau-père d’Aion. Quel étrange terme pour parler de son père d’adoption. D’après les dires de son calice, ce type était du genre suspicieux. Le lémure le rassura, tout devrait bien se passer. A l’image d’un lynx, lui aussi avait son indépendance. Il arrêta donc d’hésiter. Et reprit d’un ton plus sérieux mais toujours doux :

« Très bien. Je t’arrangerai un rendez-vous et je te tiendrais au courant. Tu devrais juste te montrer à l’hôpital.. »  

Et c’est à ce moment là que les choses sont devenues intéressantes. Ses tatouages rendaient le vampire curieux - d’ailleurs lors des morsures, il devrait faire attention à ne pas les abîmer - ça serait franchement dommage. Aion l’avait dit au défi de fournir une interprétation, comme pour Guernica. Le vampire connaissait bien les humains, il connaissait bien leurs processus mentaux, leurs blessures. Des tatouages… sans lui parler, ça lui parlait. Il était incapable de décrypter les symboles abstraits, certes, mais il pouvait deviner l’intention. Celle qui avait fait passer quelques heures à Aion dans un salon de tatouage enfumé pour s’encrer la peau. La persévérance, le désir de montrer quelque chose. Quelque part, son calice était encore coincé dans sa quête d’identité, dans son adolescence. D’où son apparence peu recommendable. Le besoin de se distinguer physiquement à défaut de pouvoir le faire autrement.

Henry étudiait son visage, faisant attention au lieu, cherchant éventuellement la corde sensible, où il s’approchait de la vérité. Il tâtonnait dans le noir avec ce nouveau calice, c’était … excitant. De la nouvelle matière. Enfin. Et si le lémure ne démenti aucune de ses suggestions, il ne sembla pas plus troublé que cela. Etrange. Pourtant il s’était démené. S’en allant jusqu’à faire de la poésie. Armure d’encre ? Comment cela pouvait le laisser de glace ? Tant pis, il n’avait pas trouvé, ça serait pour plus tard. Peut-être que les lémures n’étaient pas aussi sensibles que les humains. Le vampire allait devoir s’y faire.

Par contre, l’un d’entre eux sortait du lot. Celui était plus malin, plus réfléchit, moins abstrait. Et il sonnait comme un hommage ou une sorte de rappel. Et c’est là qu’il obtient ce qu’il veut. Aion détourne le regard. Il se cache. Même si son ton ne laisse rien passer, ce simple changement d’attitude parle davantage. C’était son premier tatouage, en l’honneur de son frère. Etait-ce donc l’homme créature au pelage-cheveux tachetés qu’il avait aperçu dans ses souvenirs ? La prochaine fois  il chercherait davantage de ce côté là. Mais ce qui le surprenait c’est qu’Aion, si pudique, se sente suffisamment à l’aise pour admettre quelque chose qui le rendait si vulnérable. Avec une pointe d’humour, Henry ajouta :


« Vraiment ? J’ai hâte de voir celui que tu feras en l’honneur de notre rencontre.»  

Des tatouages pour l’histoire de sa vie, il n’y croyait pas. Il manquait des pièces. Ses amours, ses hontes, sa culpabilité ? Il ne voyait rien de vraiment douloureux dans ces tatouages. Rien à part peut-être la solitude et la quête de lui-même. Et le reste ? A sa décharge, Aion n’avait pas encore énormément vécu.

D’un geste, le docteur enfila de nouveau gants. La poche de sang était presque pleine ce n’était plus qu’une question de seconde. Il se mit donc en position, s’apprêtant à enlever l’aiguille.



« J’avais un frère aussi. Mais je ne l’ai jamais connu. Il est mort avant ma naissance.»

En soit ce n’était pas une grande révélation. Mais puisque son calice avait fait l’effort de lui avouer quelque chose, il en fit de même. C’était bon pour la confiance. Pour tisser les liens. Heinrich n’avait jamais connu son frère. Juste sur les portraits et par quelques remarques par-ci par-là. Et pourtant il restait une présence silencieuse dans son milieu familial. Un mode de comparaison. Un objet de jalousie. De ce qu’il avait appris, ils ne se ressemblaient pas. Léopold, avec son regard bleu glace et ses cheveux blond foncé. Léopold si courageux, si fort, si… quel était le mot qu’ils employaient ? Digne, majestueux. Quelque chose comme ça. Mais était-ce vrai où est-ce qu’ils idéalisaient leur fils perdu ? Heinrich s’en fichait. Il savait juste que si Léopold avait vécu, il ne serait pas né. Il pouvait remercier son grand-frère pour sa brutalité et sa soif de sang.

D’un geste d’où il ôta l’aiguille plantée dans le bras de son calice et appliqua un coton imbibé de désinfectant sur la plaie.


«Appuie bien là.»

Il s’occupa de laisser les dernières gouttes remplir la poche avant de l’enlever du circuit et de la placer gentiment dans le frigo. Il n’en aurait pas besoin avant ce soir. Et puis il n’aimait pas que ses calices le regarde manger - ironiquement.  Il ôta ses gants, lécha son pouce et l’appliqua sur la plaie d’Aion un instant. Ca devait être suffisant. Il s’empara du coton avant de le jeter.


« Merci.» dit-il avec un léger sourire. « Donc… je m’occuperai de ton rendez-vous...Tu veux que je t’appelle un taxi ?»

Heinrich devait encore nettoyer son installation. Loin de lui l’idée de jeter son calice dehors mais hier il avait semblé si...pressé de partir, il ne voulait pas le forcer à rester.

codage par Tic Tac Frey