Sa mère la catin. C’était la quatrième fois en une semaine que ce scooter à deux balles te clamsait entre les mains. Genre, juste avant une livraison, en plus. A pas d’heure de la soirée, en plus. Le monde était contre toi. Comme si tu avais besoin de ça en ce moment. En plus de ça, il faisait un froid de chien en ce moment. Vdm totale, quoi. Tu ferais mieux de pas te lever le matin. Ou de sortir moins peut-être. C’est pas que tes gueules de bois à répétition et tes trous noirs te dérangeaient, hein, mais tu trouvais juste ça un peu troublant de ne pas parvenir à remettre en ordre les événements de la soirée précédente. Dans les films, ils y arrivaient toujours à la fin. Et même que ça s’avérait épique. Là, trou noir intergalactique. Et mémoire malmenée.

Tu as l’air concentré, les sourcils et le nez froncés, les bras croisés, affalé à ta place, la capuche rabattue sur la tête. Oui, tu t’étais résigné à prendre le bus. Non, tu ne la laisseras pas, ta place, à la vieille dame un peu plus loin. Y’en a ailleurs de la place, hein, on te la ferait pas à toi. Et puis, d’ailleurs, tu l’as même pas vue, cette vieille.
Et t’as pas vu non plus, ce type un peu chelou, une place plus loin. Le front collé contre la vitre humide, l’œil bovin, tu es bien trop absorbé à essayer de rassembler tes souvenirs éparpillés.

Il te titille un peu la narine, le type d’à côté. Ouais en fait, il pue carrément. Mais le temps que tu te rendes compte que ça vient bien de quelqu’un et pas de ton colis, le type commence à s’agiter sérieusement, zyeute tout autour de lui, son regard révulsé trébuchant sur les rares occupants du bus. Tes yeux daignent enfin se poser sur lui. Tu te demandes si c’est pas un contrôleur déguisé en civil qui avait pigé que tu n’avais pas composté ton ticket –et puis quoi encore.
« Ça va, j’vous dérange pas, j’espère ? » marmonnes-tu, sur les nerfs.
L’autre ne répond pas. Mais ça te suffit pour te redresser, sur tes gardes, l’œil agressif, prêt à mordre avant même qu’il ne lève un petit doigt dans ta direction.

D’instinct, tu évalues ton environnement. Comme si tu avais cette mauvaise et étrange habitude de te retrouver coincé, victime de traquenard et autres embuches. Pas beaucoup de monde dans ce bus. Un chauffeur tout à fait absorbé par la route, à moins que ce ne soit pas le petit écran qui luit sur ses genoux –il ne manquerait plus qu’il se mate un film pendant que vous êtes là.  Du côté des passagers, il y a toi, la vieille, le type chelou, un autre qui a l’air plein aux as, et une jeune fille dans le fond qui doit certainement se rendre en soirée. Et le genre à filmer avec son téléphone dès qu’il se passe quelque chose d’inhabituel pour le répandre sur les réseaux sociaux. Tu as intérêt à te contenir, tu n’aimerais pas perdre ce job que tu avais eu un mal de chien à obtenir. Tu serres le poing mais ne le sors pas de ta poche. On n’est jamais trop prudent, surtout toi qui étais une vraie tête brûlée.

Like a bus...

Ahmad Abdelbari & Logan C. Blackwood

La neige tombe sous le ciel gris de Froënbourg, lentement, dans une danse hypnotisante alors que les rares passants à cette heure pressent le pas pour rentrer chez eux, se mettre bien au chaud dans leur foyer. Je regarde les nuages d'un air absent, tandis que le bus s'arrête enfin à l'arrêt où je m'étais posté à la fin de la dure journée de labeur que j'avais encore effectué. Périodes de fêtes, les gens sont bien trop insouciants et on rencontre davantage de blessures et d'accidents dans ces moments-là, histoire d'égayer la fin d'année, justement. C'était assez ironique finalement, mais bon, ce n'était pas forcément joyeux pour nous qui étions débordés, même si on gagnait notre pain sur le dos des malheureux.

Je n'ai jamais passé le permis de conduire - à quoi bon quand on est fils d'une richissime famille avec un chauffeur attitré, puis un frère humain pour le faire ? - je n'en avais jamais eu le temps et encore moins l'intérêt. C'est vrai que le confort des transports en commun avait ce je-ne-sais-quoi de repoussant : les câlins parfumés entre les passagers lors des virages, l'ambiance conviviale entre le chauffeur et ses clients, la galanterie dans les regards pétillants de vie... Pour ne pas faire tâche, je restais dans l'uniformité, emmitouflé dans ma veste noire, une écharpe grise, seul le cache-oeil médical faisait défaut, mais que voulez-vous ? Il était à demi-caché par mes longues mèches sombres.

M'asseyant un peu en retrait des gens, vers le fond, je me colle côté fenêtre, pour avoir vue sur la buée, mais surtout le plus loin possible des autres, par principe pour avoir la tranquillité. Le prochain arrêt, il est plutôt loin, il doit bien y avoir une vingtaine de minutes avant d'y arriver, aussi, en attendant, je comptais roupiller un moment, le temps de la route.

Si encore il n'y avait pas de grabuge. Je ne m'étais pas rendu compte qu'à quelques sièges de moi, il y avait deux types, et l'un venait de se lever violemment, prévoyant de faire des trucs pas nets. Je le scrute d'un air désapprobateur et -sans doute connaisseur de ce genre d'énergumènes - je lui lance sans ciller :

“ 'Devriez p't'être vous asseoir, un accident est si vite arrivé... ”

Et l'autre gamine qui s'amuse à filmer la scène, je lui lance un regard noir qui signifie bien qu'elle ferait mieux d'effacer ce qu'elle venait de filmer si elle ne voulait pas avoir d'ennuis. Malheureusement, les gens, à la veille des fêtes, sont souvent sur les nerfs et tout ne se passe pas comme prévu...

Code par Dehvi sur Never-Utopia

Spoiler:

Tu daignes finalement poser des yeux presque révulsés sur l’inconnu qui t’a abordé. Tu connais ce genre de regard, le genre vidé par la seringue ou par toute autre substance illicite. Comme si ce regard allait finir par t’aspirer aussi. Il te ferait presque peur, ce regard, si tu n’étais pas plus en rogne qu’autre chose. Mauvaise pioche pour lui, tu étais de mauvaise humeur aujourd’hui, tu t’étais levé du mauvais pied. Et, ce que tu ignorais, c’est que ta mauvaise humeur palpable était également influencé par le caractère de chien du dieu qui cohabitait avec toi, sans même que tu t’en rendes compte.
En effet, d’accoutumée, les camés et autres clochards te laissaient totalement indifférent et tu étais même suffisamment bourru et simple d’esprit pour ne pas te sentir mal, lorsque tu passais à la hauteur de l’un d’entre eux, qui faisait l’aumône aux portes d’un magasin par exemple, et que tu ignorais royalement, le nez en l’air et le casque enfoncé sur les oreilles.

Mais ce jour n’était pas le jour. Il avait pas intérêt à te courir sur le haricot. Et, malheureusement pour lui, le fait de t’avoir approché était déjà de trop. Sans compter que deux autres paires d’yeux s’étaient posées plus ou moins discrètement sur vous ; celui de l’homme bien fringué, un peu las, et de la demoiselle dans le fond du bus. Enfin, une paire et demi, à bien y regarder. La vieille, elle, ne captait rien, et observait avec une tendresse incongrue la porte avant du véhicule.
Le grand type exhorte l’inconnu chargé en tu ne sais quoi de s’asseoir. Ce que tu t’empresses d’approuver d’un regard assassin. Mais l’autre n’en démord pas. Et semble même capter que t’aimes pas ça, être dérangé.

C’était pas le jour, on avait dit.
Lorsque l’arrière de ta tête tape contre la vitre glacée et embuée, t’as comme un temps d’absence et.
« On t’a pas sonné l’aristo. »
Par la barbe de ce pourri d’Osiris, il fait un pas de plus et tu l’assommes. Tu le jures par tous les crocodiles du Nil et les canopes d’Anubis. Cette saleté va voir ce qu’il en coûte de chercher des noises au Dieu du Chaos !

Et peu importe si ça doit attirer des ennuis à ton poltron d’hôte ! Pas un regard pour le reste de l’assemblée –et peut-être aurais-tu dû y faire plus attention quand on sait que l’un des plus grands vampires s’y trouvait, et d’un geste violent, tu repousses l’étranger, du pied même, et il perd facilement l’équilibre, à cause de la route. La jeune fille étouffe un cri, auquel tu ne fais même pas attention, puisque ton esprit comme divisé par deux n’a d’yeux, lui, que pour cet obstacle un peu pourrissant en travers de ton royal chemin.
Avant même qu’il ne bascule définitivement en arrière, tu l’attrapes par le col –et au diable l’odeur exécrable- et montres les dents.
« Tu t’avises encore de poser un œil sur moi, je te l’arrache. »
Tu sors de ta poche le stylo qui te sert habituellement à faire signer les reçus des commandes et fais glisser la mine autour de son orbite, l’air mauvais.

Spoiler:

L’agresseur présumé était devenu victime, et tu endossais le rôle de bourreau. Mais voilà qu’aussitôt, ta proie du moment t’échappe des mains. On te la retire comme on ôterait un jouet sous le nez d’un enfant capricieux. C’est un regard presque outré que tu poses sur le responsable qui confisque ensuite ton arme de fortune et en brise la mine comme on plierait une brindille.
Tu ne maîtrises encore que mal tes pouvoirs et n’est donc pas plus surpris que ça qu’il fasse preuve d’une telle poigne, alors qu’on aurait pu le croire plus délicat et maniéré au vu de son allure. Mais sur ça non plus, tu ne t’attardes pas, parce que tout ce que tu vois, c’est qu’on résiste, qu’on ne te laisse pas foutre le bazar que tu veux.
Et ça, ça ne te plaît pas du tout du tout.

« J’me contente de débarrasser le monde des déchets humains qui le jonchent, mon vieux, laisse-moi faire mon boulot, et les crocodiles du Nil seront bien gardés… » siffles-tu, mesquin, à une distance peu recommandable de son faciès menaçant. De ce point de vue, tu distingues clairement qu’il lui manque un œil, et que ça lui donne un air de baron maudit plein de poussière.
Un ricanement, s’il savait qui tu étais réellement –ou du moins, en ce moment même-, ta réplique prendrait tout son sens. Enfin… si toi tu savais à qui tu avais réellement à faire…

Malgré l’équilibre menaçant du bus brinquebalant, tu te redresses sur la pointe des pieds, bombant le torse, les yeux rivés sur le cadavre de stylo qu’il menace de lâcher à tout moment, comme si tu étais prêt à le rattraper au vol.
Ses dernières paroles, sonnant clairement comme une menace, t’intriguent tout particulièrement.
« Genre ? Vous pensez m’faire peur ? C’est vous qui comptez m’arrêter ? »
Haussement de sourcil insupportable. Tu croises les bras, le toisant de haut en bas, comme si tout son lui était inapte à te faire arrêter tes bêtises.
« Bah alors ? Vous vous êtes déjà pris un stylo dans la mirette à ce que je vois ! »

Tu n’arranges pas ton cas en éclatant d’un rire bref, railleur, à hérisser les poils de dos d’un loup-garou. Feignant essuyer une larme au coin de ton œil, tu agites la main.
« Hihi, c’tait bien drôle, sur le coup ; pour la peine, j’vous laisse une chance de vous rassoir avant de passer à la suite, histoire que vous ne salissiez pas votre joli costard~ »
Tu te racles la gorge, assuré de l’issue de ta proposition. Un léger haut-le-cœur quand tu te rends compte que tout au fond, dans votre esprit divisé par deux, Ahmad commence à se poser des questions quant à son absence prolongée.
Mais la situation était trop belle, tu ne comptais pas lui lâcher l’affaire aussitôt. Tu avais une occasion d’en découdre avec le reste du monde, nourri par cette haine viscérale du genre humain qui vous avait abandonnés, toi et tes confrères divins.

Tu en étais presque à remonter tes manches, fin prêt à en découdre, comme sur un ring, alors que l’autre se défaisait de son vêtement. Tu avais l’habitude d’en venir aux mains, les soirs de ristourne, après une course plus ou moins loyalement remportée. C’était facile d’y aboutir, l’alcool et ton pouvoir de la discorde aidant. Mais là, tu n’en avais même pas eu besoin. Tout portait à croire que ton hôte avait l’air suffisamment mauvais et stupide pour qu’on ait des comptes à lui rendre. C’était d’ailleurs en partie pour ça que lorsque tu faisais tes petites escapades nocturnes, tu prenais soin de jeter ta capuche sur ton front, histoire de ne pas faire de mauvaises rencontres. La mauvaise rencontre, c’était toi.

Tu allais pour lui répliquer une remarque déplacée sur le fait qu’il ait encore besoin de l’avis de son frangin –il ne manquerait plus qu’il vive encore chez sa mère entouré d’une compagnie de gros chats rabougris-, lorsque le bus freina dans un bruit épouvantable qui te fit serrer les dents, tandis que tout ton corps –ou plutôt tout le corps de ton hôte- était projeté comme une chiffe molle vers l’avant du bus.
… Si tu en avais eu le réflexe, tu te serais arrangé pour finir au-dessus de l’autre type… Pas en-dessous comme un vulgaire airbag dégonflé. C’est qu’il pèse son poids, le bougre, et tu mettrais ta main à couper qu’il appuie un peu là où ça fait mal alors qu’il se relève, comme dégouté d’avoir pu atterrir sur toi.

Tu mets un moment avant de te relever à ton tour, la tête résonnant comme au milieu des cloches du temple de Froënbourg, les entrailles écrabouillées et…
« Hey mais ! Quelque chose m’a mordu ! »
Le temps de renvoyer Ahmad bouler au fond de ton esprit, que tu cherches à tâtons sous ton derrière et en ressors… le dentier de la vieille. Bon, ce n’était pas non plus aussi douloureux qu’une morsure de vampire, mais c’est qu’elle avait la dent dure, l’ancêtre (quoique, toujours moins ancestral que toi) ?!
Les narines froncées, du bout des doigts, tu le renvoies à l’autre bout du bus comme s’il s’agissait de la chose la plus écœurante que tu aies pu vivre. A peu de choses près.

Ce petit incident semblait avoir effacé momentanément tes différends avec le type en costume, puisque vous voilà tous les deux à vociférer sur le chauffeur. Personnellement, tu essayais de crier le plus fort, pour couvrir ses arguments qui étaient bien plus probants que les siens. Mais, s’il y a bien une chose plus terrible que Seth, c’est bien Seth quand il a tord.
On en vient finalement aux mains, mais pas à l’intention de ta première cible. C’est le chauffeur qui prend, ou plutôt, qui te prend (sans mauvais jeu de mots) par la peau du cou et t’éjecte de son bus, sur le bas-côté de la voie.
Toi, il n’a pas hésité ; cependant, il se contente d’un regard en coin menaçant à l’intention de l’homme bien habillé, comme s’il avait flairé le type fortuné, et très certainement connu, quand bien même sa tête ne lui revenait pas. Allez savoir s’il l’incite de fait vivement à sortir. Le fait étant que toi, tu étais dehors, ou plutôt, encore un pied dans le bus, accroché comme une marouette sur le dos d’un hippopotame.
« Je veux rien savoir ! Si je dégage, alors lui aussi ! Vous avez vu son œil ; ch’uis sûr que c’est quelqu’un de dangereux ! »

Like a bus...

Ahmad Abdelbari & Logan C. Blackwood

Personne ne semble avoir de bobos, en dehors de la vieille qui commençait à panique en balbutiant des mots inintelligibles. Ca donne envie de vieillir, à la voir sans dent... Mon dieu, pauvres humains, ça me ferait mal de perdre mes crocs, mais en voyant mes vieux qui pètent trop la forme pour leur âge, je me dis qu'il serait temps qu'ils passent l'arme à gauche un de ces quatre, histoire de faire du vent. Cependant, je découvre rapidement l'origine du problème de la passagère : l'autre abruti était tombé sur son dentier. Affaire classée, on en parle plus. C'est tout de même comique de se faire mordre par une cougar, ça m'en tire une risette.

En revanche, le chauffeur semble bien décidé à se mêler de nos affaires - d'un autre côté, il est responsable de "son territoire" - et jette littéralement le fauteur de troubles en dehors de son bus, ce qui me laisse coi, car la racaille n'a même pas eu le temps de se retourner. Non, pire encore, il s'en prend directement à moi en insistant sur ma potentielle dangerosité. Navré de ne pas aller en son sens, mais à cet instant, je ne suis pas le vampire de l'ombre, un simple PDG et je soupire en regardant droit dans les yeux le chauffeur et lui montrant ma carte de travail.

“ C'est sûr que le PDG de l'hôpital Blackwood est le mec le plus dangereux au monde. ”

Le chauffeur pâlit légèrement, bien qu'il restait méfiant à mon égard, hésitant à me foutre dehors pour se débarrasser pour de bon de l'autre andouille, mais quelques billets dans la poche de son veston eurent fini de le convaincre. Il referma la porte du bus, quitte à coincer le pied du bronzé et démarra le moteur qui nous amenait à la prochaine destination.

Mon regard suivait le rebut qui était resté là, sur le trottoir à clamer sans doute l'injustice, ou un truc dans le genre, tandis que je le narguais. Eh oui, soit t'as l'argent, soit t'as rien. Le monde est comme ça, et tu auras beau de te débattre pour réclamer l'égalité, il ne faut pas s'illusionner, l'égalité, ça n'existe pas. Je le prends de haut et il disparait de mon champ de vision, tandis que je récupère ma veste, et l'éloigne du groupe de passagers qui ont encore du mal à s'en remettre. J'entends juste la gamine faire une photo avec son portable, elle est si discrète...

Les transports en commun, plus jamais.

Code par Dehvi sur Never-Utopia

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