Les heures ont passés, étirant les ombres des arbres au fur et à mesure de ta progression. Cela fait deux jours que tu marches, 6h que tu as la désagréable impression d’être.. non pas tout à fait suivi mais étrangement.. accompagné. Et deux heures que le doute n’est plus permis. Il doit s’agir de quelqu’un de léger, discret par nature mais qui ne cherche –ou ne parvient ?- pas parfaitement à camoufler sa présence, et il n’est pas rare que tu surprennes un bruit de brindille qu’on écrase ou de branche que l’on repousse. L’individu ne t’a pas suivi dans tes détours et tu n’as pas eu trop de mal à le laisser te précéder pour le suivre à ton tour. Avant de le dépasser une nouvelle fois en grognant entre tes dents que tu n’avais pas que cela à faire. Pour un peu, tu en aurais oublié Hermès, la divinité qu’un papier aux armoiries de la Guilde t’indiquait comme la cible à abattre.

Une centaine de mètres plus loin, tu en déduisais pour la 3ème fois que vous étiez définitivement en train de suivre la même direction et que c’était en train de t’agacer.

L’instant suivant tu plaquais violemment l’individu contre un arbre «  toi… » alors que les doigts de ta main gauche venaient enlacer la gorge étrangement fine du gamin que tu soulevais avec une facilité qui aurait dû t’alerter.

- …tu me les brises sévère !

C’est à ce moment précis que tu t’es rendu compte que ce que tu avais exactement à la hauteur du visage était une poitrine. Pas ce qu’il y a de plus développé ni particulièrement mise en valeur, certes, mais un corps indéniablement féminin. Corps que tu relâchais aussitôt en étouffant un juron entre tes dents avant de couvrir d’un regard sincèrement inquiet le corps que tu surplombais de toute ta hauteur.

- Rien de cassé ? Purée mais tes parents ne t’ont jamais dit que se balader en forêt à la nuit tombé n’était pas nécessairement l’idée du siècle ? Et je ne te parles pas du fait d’aller suivre un type dans mon genre franchement..

Une main sur la nuque, tu fronces un sourcil, mi agacé, mi ennuyé par la tournure des événements alors que tu prends le temps de la détailler. C’était comme mordre dans un fruit amer : tout ce que tu voyais de la couleur de ses cheveux à l’âge que tu lui donnais te renvoyait à ta petite sœur. Et tu aurais émasculé n’importe quel enfoiré qui, en plus de l’avoir « bousculé », aurait laissé ta sœur rentrer seule chez elle alors que vous étiez à plus d’une journée de marche de la ville la plus proche.

- [jurons étouffés parce qu'on ne jure pas devant les petites filles] mais non ! J’ai autre chose à faire que de jouer au baby sitter bord..zut ! Et tu habites où d’abord ?

Tu pourrais également penser à faire un pas en arrière si ce n’est trois histoire de lui laisser un tant soit peu d’espace personnel et peut être par la même paraitre moins menaçant que tu ne l’es au regard de ton gabarit et, accessoirement, la laisser reprendre ses esprits avant de l’agresser presque en suintant l’instinct fraternel. Non ? Manifestement non.

Très bien ! Qu’elle crache donc impudemment sur le meilleur service de brother sitter de toute la cité (au moins), ce n’est plus ton problème ! Tu t’es excusé, lui a prouvé qu’elle avait besoin de toi et lui a même proposé ton aide, maintenant si elle n’en voulait pas, sa misérable petite existence ne te concernait plus !

Et en plus elle part dans la mauvaise direction, l’enfant boudeuse, et en courant qui plus est. A tous les coups elle va se prendre une racine et s’écorcher les genoux. Purée. Elle a peut-être l’âge de titi mais elle n’est pas ta sœur et par conséquent son sort n’est pas de ta responsabilité mais des crétins de sa guilde qui lui ont filé un ordre de mission (non vraiment, une chasseuse ? cette gamine ? c’est beau si elle a 20ans !) comme de ceux qui ont acceptés de lui vendre une arme mais en aucun cas de la tienne. Toi, tu as simplement croisé son chemin l’espace d’une demi seconde. Accidentellement.

Tu as grogné un moment sans bougé les bras croisé sur le torse dans une attitude au moins aussi mature que la sienne alors que tu attendais inconsciemment qu’elle ait fini de faire son caprice et qu’elle fasse demi-tour pour implorer ton pardon et ta protection. Avant de te rendre compte de ce que tu faisais et de te tirer de ton immobilisme ridicule pour te remettre en quête d’un endroit où dormir.

Le crépuscule allait faire place à la nuit mais tu n’avais pas fait 10 mètres qu’un grognement rapidement suivi d’un autre, plus faible, plus humain t’immobilisa. Les bruits étaient étouffés par la distance et les éclats de voix, inintelligibles de là où tu étais et tu aurais été incapable de dire s’il s’agissait de cris de détresse pourtant tu n’avais pas encore pris la décision de faire demi-tour que tu courais déjà dans sa direction avec, en tête, l’image de cette gamine dans un sale état.

Tu l’a vu lui avant de la voir elle, une demi seconde plus tard, t’immobilisant immédiatement pour ne pas risquer de le rendre plus agressif au regard de sa proximité avec la bête. Dommage pour toi, il est blessé et c’est un grognement menaçant qu’il pousse dans ta direction en dévoilant une formidable mâchoire.

Qu’est-ce qu’un ours brun pour un chasseur de primes tel que toi ? 300kg de muscles enragé par une méchante blessure à la patoune actuellement à moins de 3m d’une gamine malheureusement pas encore assez insupportable pour que tu souhaites la voir déchiqueter par un ours sauvage. Le constat est amère : contre un ours, ton cimeterre n’est qu’un vulgaire couteau émoussé et ton flingue… Oui bon le flingue ça marcherait, à condition de bien viser. Oui tu vises bien.
Comment ça qu’est-ce que j’attends alors ?! MAIS VOUS SAVEZ COMBIEN DE RUNES COUTENT CES PUTAIN DE BALLES EN ALIANGE SPECIAL ??!!! Et tu répugnes à tuer un animal que tu ne vas pas manger, aussi.

Elle te le payera. C’est ce que tu te dis alors que tu enflammes ton keffieh noué au bout de ton cimeterre avant d’avancer sur l’ours d’un pas vif, comptait sur le feu pour capter toute son attention dans l’obscurité naissante, et sur ta stature et les moulinets de bras que tu faisais faire à ta torche improvisé pour rendre le tout assez menaçant pour le pousser à la fuite. Les dents serrées, tu ne le quittes pas du regard, alors qu’il se redresse de toute sa hauteur en frappant l’air de deux énormes pâtes grosses comme deux fois ta tête. Tu ignores s’il a tourné la tête dans l’optique de fuir vers la gauche ou s’il comptait vraiment s’attaquer à sa victime la plus proche. Peut-être qu’au fond, il essayait simplement de fuir, peut être que tu n’aurais pas eu besoin de tirer. C’est pour cela que tu détestes partir en mission avec quelqu’un. Et particulièrement avec quelqu’un qui n’est pas ni plus fort, ni plus aguerris que toi, quelqu’un dont tu ne peux/sais pas détourner les yeux de peur qu’il lui arrive un truc que tu aurais tout le loisir de regretter plus tard.

L’ours a fui dans un grognement de douleur et de peur mêlé. Tu n’es pas fier de toi.

- Tu veux pas d’un baby sitter et tu cours chercher un nounours ? Tu te moques de moi c’est cela ?

La torche ne tiendra pas beaucoup plus mais tu la relèves au-dessus de toi alors que tu la surplombes de toute ta hauteur. On pourrait croire que tu sors une blague vaseuse pour détendre l’atmosphère mais il n’en est rien, le ton de ta voix est froid et doucereux. Tu es furieux. Mais elle est là, les fesses par terre, dans la nuit et elle vient de se faire attaquer par un ours. Pourtant, elle n’a pas l’air plus effrayé que cela et il te faut tout ton sang froid pour te retenir de ne pas lui balancer ta main en travers du visage pour lui ramener les pieds sur terre. Au lieu de cela tu vas récupérer son épée, étonnamment légère avant de venir t’accroupir à sa hauteur.

- Donne-moi une bonne raison de ne pas en coller une à la gamine capricieuse que tu es avant de te ramener chez toi et de me débrouiller pour que tu sois radié de la guilde avant qu’il ne t’arrive vraiment quelque chose de fâcheux.

Si elle ose te dire qu’elle n’avait pas besoin de toi et qu’elle aurait très bien pût se défendre toute seule, tu te retiendra pas ta main. Si elle fait preuve d'un peu de maturité et d'humilité, alors tu réfléchira peut être à lui rendre son arme.

Au premier abord tu passes souvent pour une brute et un imbécile. Il faut dire que tu as tout du stéréotype du chasseur de bas étage, de la carrures aux blagues vaseuses. Il est vrai que tu en joues aussi, n'ayant aucun problème de fierté mal placée à te faire passer pour plus bête que tu ne l'es. Mais ce soir c'est encore différent. Shaun, ton meilleur ami, à disparu voilà plus de 6mois après une chasse comme celle que tu effectues aujourd'hui, en solitaire. Vous étiez allé boire un verre la veille, en vous disputant une énième fois sur qui de la blonde ou de la brune méritait le titre de la meilleure bière avant de discuter de choses et d'autres, tu ne saurais plus dire véritablement de quoi, mais cela n'a aucune importance. Qu'une chasse s'éternise un peu n'a rien d'inquiétant. Que Shaun ne te donne pas signe de vie après plus de 10jours en revanche... Tu avais remonté sa piste, réussi à te procurer son contrat, retracer son itinéraire en interrogeant scrupuleusement quiconque aurait pu croiser sa route et ratissé le périmètre pendant ces 6 derniers mois. 6 mois à ne plus faire que cela. 6 mois à refuser toutes missions hors de ce périmètre que tu avais défini comme pouvant potentiellement retenir ton meilleur ami et agrandi jour après jour, recherches infructueuses après recherches infructueuses. 6 mois à ne rentrer que trop rarement chez toi et 6 mois à ne même plus aller voir ta sœur. Au début parce que tu étais trop occupé, puis parce que tu n'étais vraiment pas ni beau à voir ni fréquentable (si tu prenais plaisir aux énigmes et challenges celui ci te laissait comme un gout de cendre dans la bouche et le cœur au bord des lèvres). Cette mission là si tu l'avais accepté, c'était parce que tu commençais à ne plus savoir ni où chercher ni quoi faire. Aussi parce que plus personne n'acceptaient plus de te faire le moindre crédit, que tu t'étais endetté auprès de tous les commerces de la ville et des alentours et que la guilde avait menacé de te radier purement et simplement si tu refusais encore une mission. Guilde avec laquelle tu avais déjà quelques démêlés lorsque, lors d'un de tes accès de colère suite à la disparition de Shaun, tu avais dévasté tous les bureaux de l'administration parce qu'ils t'avaient répondu qu'ils n'en étaient "pas responsable".  

Et maintenant il y avait cette gamine qui te faisait cruellement sentir que tu n'avais pas vu ta propre sœur depuis trop longtemps. Gamine insupportable qui t'insultait en parvenant à te regarder de haut tout en aillant un genoux à terre et les yeux au sol.  

Depuis combien de temps n'es tu pas rentré chez toi Melen ?

Il y a une autre question. La vrai. Celle à laquelle tu n'oses pas répondre. Celle que tu refuses de voir se former dans ton esprit et qui t'as rendu fou lorsqu'elle s'est trouvée prononcé devant toi. La question qui te demande combien de temps encore tu vas mettre ta vie entre parenthèse pour le chercher lui.

Il est encore trop tôt. Cela ne fait que 6 mois. Il t'a sauvé la vie après tout. Cela vaut mieux que tu lui dévoues quelques unes de tes années.

Un soupire alors que ta large paume vient s'écraser derrière ta nuque dans un grognement fatigué. Tu sais pourtant parfaitement que tu n'arriveras pas à dormir cette nuit non plus.

- Passes la nuit avec moi. Ça m'évitera de t'imaginer dépecée dans un coin. Toi ou Shaun. Vois ça comme le vœu d'un vieux con qui n'a pas vu sa sœur depuis trop longtemps. Et si tu peux, arrêtes avec tes "vous" et tes grands airs. Ça me fatigues.

Sans un regard tu tournes les talons, jettes un regard aux alentours avant de te dire que l'endroit en vaut bien un autre.

- t'auras besoin d'un feu ?

Tu es las, fatigué et agacé parce que tu sais pertinemment que ce soir n’a à t’offrir qu’une énième insomnie. Pas particulièrement sociable –tu laissais souvent à Shaun le loisir d’attirer les gens jusqu’à vous- tu n’avais demandé à cette gamine de rester que pour ta tranquillité d’esprit et peut être un peu parce que la solitude commençait à te peser. Et à te peser vraiment. Parce que oui tu t’étais un peu laissé aller ces derniers temps et tu n’avais peut être pas vraiment prit une douche tout les jours mais de là à faire bafouiller le petit morceau de fille et te traiter de gros dégelasse il y avait tout de même un pas ! Tu ne prends même pas la peine de lui adresser un regard alors que tu lèves les yeux au ciel dans un soupire

« Et bien bouche toi le nez princesse et ferme les yeux tiens, tu vas voir ca passera tout seul.. » puis plus bas, comme pour toi-même, alors que ta paume s’écrase sur ton visage « Purée mais qu’est ce que j’ai fais pour tomber sur une chieuse pareil sérieux ? »

Du bout du pied, tu avises un coin de clairière que tu juges plus que suffisant pour accueillir ton corps cette nuit « et donc je suppose que c’est un non pour le feu ? » Et de nouveau elle t’envoi sur les roses avant de t’ordonner de te dépêcher avec un drôle de timbre dans la voix et ne pas t’énerver te demande un effort considérable. Elle ne te facilite vraiment pas la tache. De toute façon tu ne vois pas en quoi tu devrais te dépêcher : elle ne veut pas de ton feu et tu ne lui dois rien. Si l’on en croire ses dires c’est même plutôt l’inverse alors si elle pouvait se..

« ……. ? »

Se…

« ……………………………. »

Une prière ? Les seules personnes que tu as vu prier dans cette position se flagellaient… Mais son corps est crispé, elle à la nuque raide et..froid..manifestement.

« …..je peux savoir ce que tu. »

Alors tu comprends. Si tu as mis tant de temps à faire le lien c’est moins parce que tu es un imbécile que parce que cette idée est vraiment très loin de toi. Ce n’est qu’une gamine, elle ne devrait même pas y penser ! Tu serres les dents, ombrageux

« tu fais ça souvent ? » sèchement. Mauvais. Grave. Ce n’est pas contre elle, c’est contre tout ce qui peut pousser une gamine à s’offrir comme un vulgaire morceau de viande. Tous ceux qui l’y incitent. Ceux qui laissent faire. Ce genre de choses te foutent en rognent. Et tu n’as pas besoin de cela en ce moment... Pourtant tu prends sur toi pour adoucir un peu ta voix quand tu lui demandes de se rhabiller. Il va vraiment falloir que tu te reprennes et que tu trouves le moyen de dormir quitte a t'enfiler une boite de somnifères, boite comprise.

« t’es pas obligé de répondre. J’ai pas a te demander ça. Ca m’a énervé c’est tout. J’monte la garde, tu peux dormir. J’suis insomniaque. »

Une partie de toi te fait remarquer que sa façon d’être et de parler ne correspond pas vraiment au comportement d’une jeune fille qui s’offrirait ainsi à tout va. Mais une migraine tambourine déjà sur tes tempes et tu envoies le tout balader.

Peut être que si tu avais été plus reposé, moins inquiet, moins furieux contre l’intégralité du monde de t’avoir volé ton meilleur ami et contre toi-même d’être incapable de le retrouver, toi qui te targue d’être un fin limier, peut être que si elle ne t’aurait pas fait pensé à ta sœur, peur être.. peut être que les choses auraient pu se passer différemment. Dommage pour elle, en ce moment, tu n’es vraiment pas fréquentable. Mais qu’elle loue donc ses Dieux : tu n’en deviens pas un fieffé connard pervers pour autant.

Elle s’excuse. De ce qu’elle t’a laissé entrapercevoir de sa personne, tu devines qu’il s’agit là d’un petit miracle. Oui mais voilà, pour toi, c’est trop tard, la mâchoire crispée, les sourcils froncés et les muscles tendus, tu as tout de la bombe à retardement et tu ne lui réponds que par un grognement. Qu’elle aille donc dormir, ça vous épargnera à tous les deux le sale caractère de l’autre !

A croire qu’elle a l’esprit de contradiction parce que si elle s’est légèrement rapprochée –ce que tu as suivi à l’oreille, comme le ferait un animal - ce n’est manifestement pas pour dormir…Mais force est de constater qu’elle fait des efforts pour être moins désagréable, cessant avec ses grands airs et cette moue entre la colère et le mépris. Oh bien sur elle ne sourit pas encore et garde l’air revêche et une méfiance qui t’aurait intrigué à une autre époque -pas si lointaine- mais de fil en aiguille, tu sens que ton humeur grognon s’effiloche. Elle t’explique ne pas avoir l’habitude des hommes, chose assez surprenante à votre époque. Tu l’imagines originaire d’un endroit perdu et fille unique avant de te désintéresser de son histoire. Tu as déjà l’impression que ta tête va exploser.

Noa. Vrai que vous n’avez même pas pris la peine de vous présentez… C’est alors qu’elle prononce les mots magiques. Ceux qui te font comme un pincement au coeur et un beaume tout à la fois alors qu’elle te parle de ta sœur. Ce n’est qu’à ce moment là que tu ne t’es véritablement calmé. D’un regard en coin, tu la jauges, comme pour confirmer ce que tu sais déjà.

« Hm.. je dirais que vous devez avoir le même âge.. » La 20ène, tu ne saurais –et ne veux pas- être vraiment plus précis, non parce que tu ignores sa date de naissance –tu as même appris son heure et ses secondes de naissance. Et non ce n’est pas pathologique : tu menais une expérience à l’époque- simplement que tu refuses (un peu) de la voir grandir –d’accord ça c’est peut être un peu plus pathologique- et t’obstines à remplacer les verres d’alcools qu’on lui tend par des jus de fruits. « Elle te ressemble un peu, de loin… elle aussi on a toujours l’impression qu’elle fait la gueule » tu grimaces ce qui pourrait passer pour sa moue boudeuse, ce qui, sur tes traits masculins, est plus patibulaire qu’autre chose avant d’esquisser un vague rictus, fantôme de l’air malicieux et espiègle que tu as souvent.

« Melen, enchanté »

Ton rictus s'étire -tu as l'humour noir et le sarcasme facile- et tu lui tends la main pour qu'elle la serre. D'ordinaire, tu te moques bien de ce genre de conventions sociales mais tu te doutes qu'elle se serait volontiers passé de te toucher alors forcément, tu insistes sous couvert de politesse. Tu t'attends presque à distinguer un rictus de dégoût au coin de ses lèvres ou la voir invoquer tu ne sais encore quelle belle phrase pour éviter tout contact avec tes mains sales.

«Je peux te poser une question moi aussi ? » Une voix calme et grave, posée.

Tu attends un oui, même infime de sa part avant d'accrocher son regard au tiens pour ajouter tranquillement « Pourquoi tu as dis que l’ours n’aurait pu que t’égratigner ? et pourquoi est ce que tu parles des humains comme si tu n’en faisais pas parti ? »

Tu te rends compte qu’elle a ce tic de se gratter la tête qui te prends lorsque tu ne peux pas échapper à une question délicate –lorsque ta sœur t’interroge sur telle ou telle blessure ou sur ton boulot par exemple-. A la réflexion, il est bien possible qu’elle se sente ainsi coincée, en fâcheuse posture. Navré, elle préférait surement la brute épaisse et sans cervelle que tu peux être au premier abord. Oh. Et pervers pédobear. Aussi. Dommage pour elle, tu es le modèle du dessus dans l’échelle des brise co**lles et tu n’épargnes personne.

« ……… »

Un silence. Parce que dans le genre « j’épargne personne » elle était pas mal non plus la gamine et tu ouvres de grands yeux alors qu’elle vient de révéler à un chasseur –parce que non, tu n’étais pas là pour cueillir des fraises- qu’elle est l’un des bâtards engendré puis abandonné là comme on aurait laissé tomber un personnage des pages d’un livre de la mythologie. Devançant tes questions, elle t’affirme ne posséder aucun des pouvoirs des dieux sinon une résistance un peu supérieur à la moyenne –tout dépend encore de ce qu’on appelle une moyenne mais tu ne vas pas commencer avec ça-.

« quel Dieu ? »

Tu sembles aussi surpris qu’elle par la question qui a franchit tes lèvres, presque malgré toi. A dire vrai, tu comptais plutôt lui refaire un sermon sur son manque évident de prudence –les gosses de nos jours…- mais il semblerait que ta curiosité ait pris le dessus. Pour un peu, tu en oublierais ta quête désespérée, tes galères, et ce poids sur l’estomac qui grossit au creux de toi depuis plusieurs mois. Bordel, tu ne savais même pas que c’était réellement possible –tu n’avais du moins, jamais trouvé aucun écrit à ce sujet autre que les classiques que l’on connait tous- mais force est de constater que la nouvelle ne te surprend pas vraiment.. Tu fais parti de cette frange de la population éveillée –c'est-à-dire au courant de l’existence des divinités, vampires et autres égarés- qui maintient que les récits mythologiques n’ont rien de fictifs et qu’il faut simplement faire une autre lecture des textes.

« Comment as-tu su.. ? Vous êtes nombreux ? »

Tu fais un bien étrange chasseur...

…Un bien étrange chasseur et un indéfectible curieux : tu ne te contentes pas de traquer pour neutraliser ou ramener tes cibles en fonction des contrats que la guilde appose, tu veux comprendre. Si tu aimes la chasse, rien ne t’excite plus que de lever le voile sur tous ces mystères, ces légendes des livres anciens, ces réponses que l’on te refuse sans toutefois s’inquiéter de tes questions –qui se méfierait d’une brute de ton acabit ?-.
Depuis que tu as signé ton premier contrat à la Guilde, tes notes s’amoncellent, démultipliant ces questions que tu essaimes avec une parcimonie indolente. D’ordinaire, tu peux poser quelques 3-4 questions avant de te voir repousser pour indiscrétion et au regard de ses confidences, il serait bien normal que tu lui en poses une dizaine d’autres mais déjà la voilà qui fronce les sourcils en invoquant un argument qui t’arrache un grognement boudeur qui ne t’en fait pas paraitre plus malin.

« Ouai ben si ça ne tenait qu’a moi elle n’aurait pas d’intimité du tout. Et c’est toi qui m’as parlé de ça. »

Son soupire ne t’échappe pas, tu sais pertinemment que tu peux te montrer exaspérant et ta réponse, sorte de « c’est toi qui a commencé ! » ne ferait pas tâche dans la bouche d’un gamin de 9ans.

Vous formiez un bien étrange spectacle de deux chasseurs bourrus et grognon, maladroits dans leurs efforts de communication. Tu coulas un regard dans sa direction lorsqu’elle se permit de changer de position pour étirer ses jambes. La lune était claire ce soir, seule source de lumière que les grands arbres découpaient pour vous recouvrir d’éclats de lumières qui déformaient grossièrement vos expressions. Elle a toutefois toute ton attention lorsqu’elle reprend la parole en choisissant soigneusement ses mots. Tu restes silencieux lors de ses silences, les yeux devant toi, lui laissant le soin de ce qu’elle voudra bien te révéler. Une expérience de plus, comme celles que vous traquiez parfois à la différence qu’elle semble avoir toute sa tête. Combien d’essais pour le résultat que tu as sous les yeux ? Combien de contrats d’expériences ratées sur laquelle la Guilde comme l’Organisation ont lancé leurs limiers ?

Athéna. Tu devines la seconde précédant sa révélation avant de penser à Ascalaphos. La chouette, symbole de la connaissance rationnelle..Noa t’arrache à tes pensées d’une voix presque suppliante que tu ne lui soupçonnais pas et tu ne feins pas de mal interpréter sa question.

« A ma connaissance, la Guilde n’a pas lancé de contrat sur sa tête. » Ajoutes tu en faisant non de la tête, mais tu t’es radoucis. Le silence se fait et cette fois ci, c’est toi qui reprend la parole, choisissant volontairement un sujet neutre voir peut être agréable pour elle.

« Tu peux ‘communiquer’ avec toutes les chouettes ou seulement certaines d’entres elles ? »

Par communiquer, tu imagines davantage une sorte d’empathie par le dressage avec l’animal plutôt qu’une véritablement communication.

Elle exagère. Tu lui dis qu’il n’y a pas de contrat sur l’amas de cellules qu’une bande de tarés ont placé dans un tube à essai pour faire d’elle le premier résultat réussi d’une longue suite d’échecs moralement inacceptables –oui parce qu’on ne te fasse pas croire qu’ils y soient parvenu du premier coup hein…et tu es sur qu’elle n’apprécierait pas franchement de se retrouver face à ses pseudos grands frères et sœurs…- et voilà qu’elle tire la tronche ! Enfin… elle a plutôt l’air de ceux qui sont fatigués d’aller de déconvenues en déconvenues…Purée cette gamine n’a pas 30ans et voilà qu’elle se laisse déjà aller au désespoir !

Tu refreines le mouvement instinctif qui t’aurait vu lui ébouriffer les cheveux en lui disant qu’elle était trop jeune pour tirer une tronche pareil, qu’à défaut de la tête que l’on a, on était au moins responsable de la tronche que l’on faisait et que là, vraiment, c’était pas terrible. Tu as quand même du mal à te dire qu’une demi-déesse recherche maman Athéna (et puis elle était pas censé être VIERGE celle-là ? purée..à tous les coups la déesse elle-même ne doit pas être au courant..la bonne blague !) et te concentre davantage sur le fait que tu as devant toi une gamine qui recherche sa mère et avec elle, des réponses à ses questions. Depuis combien de temps la cherchait-elle ? Et toi, quelle tête tu tireras dans quelques années lorsque tu ne sauras plus où chercher et qu’on t’annoncera pour la millième fois que non, on a toujours pas croisé Becker ?

Pour éviter de vous miner complètement le moral tu lui parles de sa chouette. Tes paroles ont l’effet escompté, elle cesse de se recroqueviller et esquisse même un sourire. Voilà. Ça c’est la tête qu’elle devait toujours faire. Tu ne demandes pas la paix dans le monde, simplement qu’on laisse les gosses en dehors de tout ça. « Maïwenn est spéciale » comme un enfant qui te présenterait sa peluche préféré..l’image t’arrache un sourire.

« Et elle est dans le coin Maïwenn ? Tu me diras elle doit chasser en ce moment..Et votre lien consiste en quoi ? tu sais ce qu’elle éprouve ? où elle se trouve ? tu peux t’en servir pour faire passer des messages ? »

Ce ne sont qu’une série d’hypothèses auxquelles tu ne crois qu’à moitié au fond –jusqu’à preuve du contraire, après tout, plus rien ne t’étonne…- mais auxquelles tu acquiesceras volontiers si cela peut lui faire plaisir. Au fond cela te fait du bien d’avoir un semblant de relation sociale et tu te dis que tu aurais quand même pu faire l’effort d’aller rendre visite à ta sœur –chose qui te semblaient au-dessus de tes forces jusqu’à hier-. Croisant son regard, tu comprends que ça va être à ton tour de répondre à ses questions et tu retiens un « ça y est je ne suis plus qu’un crétin congénital ? un humain misérable dont la compagnie est désagréable ? » dans un sourire en coin.

« Mes compétences de chasseurs ne te suffisent pas ? Non, navré, pas de glorieuse famille ni héritage de sang divin de mon côté.. tu as devant toi un banal spécimen du Nord ni plus ni moins »

Un sourire amusé alors que tu l’imaginais déjà froncer les sourcils. Tu te doutes qu’elle doit parler de certaines compétences que possèdent certains chasseurs.. Il faut dire que beaucoup de rumeurs circulent sur les uns et les autres à chaque prise qui sort de l’ordinaire et on a tôt fait de prêter aux uns et aux autres des pouvoirs et capacités aberrantes. Bien sûr il y a du vrai dans tout cela, mais il y a surtout beaucoup d’entrainement et de travail. Personnellement, tu n’as aucune capacité spécial et ne t’en porte pas plus mal.

Tu détends tes jambes, change de position pour t’affaler un peu plus contre le tronc de l’arbre qui sera ton matelas pour ce soir. Juste avant qu’elle ne perde patience et retourner bouder, tu ajoutes doucement, plus sérieusement

« la curiosité » tu regardes le fond de la clairière sans la voir vraiment « je finissais plus ou moins mes études et commençais à trainer dans les bars. C’est là que j’ai commencé à en entendre parler. Je trouvais ça un peu étrange de voir tous ces types de la 40ène parler encore mythes et mythologies sans franchement avoir la gueule du rat de bibliothèque si tu vois ce que je veux dire.. Et après et bien… un coup de bluff, j’ai fait celui qui ‘en était’ et.. bon, ça n’a pas vraiment très bien marché et j’ai mis la plupart de ce que j’ai appris ce soir-là sur le compte de la boisson parce qu’ils n’étaient pas vraiment frais mais.. au fond ça m’a intrigué. Et je n’avais pas grand-chose d’autre à faire et me voilà. »

Habitué à la vie nocturne, tu distinguais encore vaguement son visage mais la nuit s'était installé depuis un moment..Aussi tu détaches ta lourde veste en cuir pour la poser d'un geste vif sur les épaules de Noa avant d'annoncer avec l'autorité des grands frères un :

"Bon et maintenant : au dodo ! On a tout les deux une grosse journée demain hein.." tout en prenant toi même position pour somnoler vaguement contre ton arbre.