Chaque jour, nous recevions des dizaines et des dizaines de patients, l’hôpital était toujours animée, surtout dans les urgences, car en général dans les couloirs, il y régnait un silence presque mortel, pour laisser reposer en paix les malades, les blessés.

Je ne savais pas tout le temps pour quelle raison ils venaient, si ce n’est pour se faire soigner, je ne connaissais pas les raisons profondes de mes clients, ce n’était pas mon travail. J’avais des équipes pour ça. Non, moi, mon job c’était de pouvoir les accueillir dans cet établissement avec tout le nécessaire pour les aider, je n’avais pas le temps d’intervenir auprès d’eux, sauf pour cas particulier.

Et aujourd’hui, c’en était un. Pris au dépourvu, les urgentistes n’avaient su donner une chambre adéquate à ce patient, et on ne m’avait rien confirmé à son sujet. Mon spécialiste était actuellement absent et tout le monde n’était pas au courant pour l’existence des vampires, seuls quelques médecins, quelques infirmiers qui les protégeaient en tout état de cause, ils acceptaient de les soigner sans différence avec les humains, si seulement je leur promettais la protection. En l’occurrence, elle n’avait pas été assuré pour ce cas. Aussi, je dû me déplacer en personne pour m’occuper de ce cas.

Dans le couloir, marchant d’un pas rapide, je consultais le dossier du jeune homme : Elliot Mathewsen, 15 ans, des traces de sang sur le corps, les veines tailladées, il a dû avoir un traumatisme. On me signala qu’on avait essayé de joindre ses parents, mais il n’y avait aucune réponse. Je doutais qu’il fusse orphelin, quoique… Ce n’était pas si rare qu’une famille se fasse attaquer par des vampires et qu’il reste un unique membre en guise de trophée, qu’on transforme en Deadline. En fait, ça devenait de plus en plus fréquent. Je me dirigeais donc dans l’aile psychiatrique de l’hôpital pour rendre visite à ce gamin et prendre les mesures nécessaires. Seul.

Je ne toquais pas à la porte, l’urgence était primordiale, il fallait agir avant qu’un accident se déroule au sein de mon établissement, cependant, il fallait rester patient. Je pénétrais dans la pièce, remarquant au moins que ça avait été fermé à clé de l’extérieur, bonnes précautions. L’ouvrant, je pénétrais dans la chambre, l’oeil aux aguets pour retrouver la victime, qui n’était, à première vue, pas dans son lit. Les liens avaient été détachés, pour ne pas dire déchiquetés. Mon regard parcourut la pièce pour découvrir le corps gisant dans un coin, tremblant de peur… Han putain…



Je n’avais pas pour habitude de jouer les psychiatres, je ne savais pas comment m’y prendre avec les gosses, alors je n’employais qu’un ton détaché, mais m’apercevant que cela ne fonctionnait pas, je devais agir autrement. Je ne comprenais pas sa réaction, je ne pouvais pas la comprendre, à part qu’il était désormais maudit de la même façon que moi, voire pire pour l’instant.

Ce qui me faisait le plus mal pour l’instant, c’était l’idée que, peut-être, il me faudrait l’achever s’il perdait vraiment le contrôle. Le but était de le conduire à l’état de mordu plutôt que Deadline, mais alors pour ça… C’était le Doc’ Hoffmann qui s’en chargeait, j’ignorais ses méthodes, mais lui était spécialiste des vampires. Et évidemment, il était en vacances. D’un air courroucé, je passais patiemment ma main dans ma crinière, dévoilant le cache-oeil chirurgical qui masquait mon handicap - oui j’évite quand même de garder l’autre cache-oeil, histoire d’hygiène - et m’accroupit à sa hauteur.



Toujours dans la délicatesse, toujours, évidemment.

Misère, pitié, haine, ces sentiments se battaient pour prendre le dessus sur moi, au regard de cette petite chose qui se morfondait dans son coin, détruisant son environnement, s'en prenant à son enveloppe charnelle même, comme d'un appel au secours, un refus de son être. Normal, vu ce qu'il était devenu, ce n'était pas rare de voir cela, et même chez les êtres de mon espèce, il arrivait souvent qu'on perde les pédales et qu'on se mette à haïr la bête au fond de nous qui nous faisait perdre la tête, on en prenait pour notre orgueil tout de même.

Mais ô combien je comprenais cet enfant... Détester ce qu'on était devenu ou ce qu'on était, je connaissais ce sentiment, de se dire être un monstre. Peut-être que je me voyais en lui comme un reflet... Mais sa réflexion me surprit, comme s'il venait de toucher un point sensible.



Je ne supportais pas qu'on touche un sujet sensible. Ca me dérangeait qu'il lise dans les pensées de la sorte, aussi je me refermais comme une huitre et feignais d'ignorer ses paroles. On touche pas à ça, c'est tout. Il n'avait pas intérêt à trop s'insurger dans mes sentiments, il risquerait de perdre autre chose que son humanité.



Mais merde, quoi, il n'avait donc aucun respect, alors qu'on l'accueille gentiment ici ? Enfin bref, un deadline, je ne savais pas trop à quoi m'attendre d'autre, je marchais sur un fil comme un funambule avec ces choses-là, mais ce n'était pas comme s'il m'effrayait le moins du monde, j'en avais bouffé des plus gros que lui.

Et voilà qu'il se confie à moi... Génial. Je suis pas psychologue... Mais bon, je n'avais pas non plus le droit de l'envoyer dans les roses, je devais regarder avant tout son état, connaître l'état d'avancement de la métamorphose. Aussi, il devait au moins se mettre à ma hauteur, pour que je puisse l'ausculter, à son aise un minimum. Aussi, il obéit sagement, après avoir étouffé de nouveau sanglot. Je tentais de fermer mon coeur à ce spectacle, ne rien ressentir, juste un simple regard, sans pitié. Je n'étais même pas sûr qu'il s'agissait de pitié, à ce stade. Mais il a franchement les mots pour déplaire, ce sale gosse. Je serrais les dents et répondis machinalement tandis que je prenais l'un de ses bras pour contrôler ses scarifications :



De toute façon en quoi ça le regarde ? Il est normal qu'entre vampires on se "sente", on devinait facilement qui était qui, par la simple odeur du sang, le fait que nous ne soyons pas attirés par nos semblables comme on le serait avec les humains. Cependant je n'avais pas pour habitude que ce soit dit à voix haute de la sorte, on savait entre nous qu'il fallait cacher notre nature pour notre survie...



Froid, distant, le ton ne changeait pas. J'étais neutre, mais je m'attendais à une histoire assez courante. La seule différence c'est qu'il s'agissait d'un enfant... Qui donc peut être assez cruel pour faire cela ? Déjà instable, c'était complètement stupide... A moins qu'il ne s'agisse d'un vieux pédophile qui souhaite garder la fraîcheur dans ses draps... Mais quelle idée...

Faire preuve de patience, envers les clients, oui parfaitement et à cette heure, j'en faisais preuve d'un olympien, tant il faisait en sorte de me faire sortir de mes gonds. Serrant un peu plus les poings, sentant les ongles percer la peau lentement dans ma paume, j'étais prêt à le frapper, mais je respirais profondément. Un excès de ma part pouvait éveiller la bête qui dormait en lui, et ce n'était pas le lieu adéquate pour se permettre une chasse aux deadlines...

Mais son pouvoir à la con... J'aimerais pouvoir le lui faire ravaler. Han putain... Mais maintenant je comprends mieux comment il fait pour deviner mes sentiments, mais pourtant il se plante complètement sur mon compte, et puis je vois pas en quoi ça le regarde. Je crois qu'il aimerait bien que je me confie à lui pour lui faire oublier son malheur... Histoire qu'il se rende compte qu'il y a forcément pire que lui, pour oublier. Misérable ver de terre, j'ai juste envie de l'écraser. Genre, moi, me confier à un sale gosse... Comme si j'en avais besoin. Je tomberais pas aussi bas, non merci, j'ai des personnes autour de moi qui n'attendent que ça, je ne comptais pas les décevoir en leur faisant faux-bond pour un inconnu. Déjà que Bertram m'en veut d'être allé piocher chez Sharmal... C'est bon, il va juste me créer plus d'ennuis, ce garnement.

Je sifflais alors entre les dents :



Comment ça, je perdais patience ? Ouais, sans doute, mais il fallait qu'il arrête de se croire au pays des Merveilles. Tout le monde a des problèmes, et c'est pas en les contant au premier venu que ça va s'arranger, sinon ce serait trop facile. Cependant, encore plus froid qu'auparavant, je me redresse de toute ma hauteur, pour lui faire face, et lui lance un haineux pour lui avouer la raison de ma visite :



Sur ces mots, j'approche ma main de lui, à hauteur de son front. J'en appelle à mon don de l'Ombre pour faire fuir ses cauchemars, ou au contraire, les amplifier s'il n'est pas sage, mais la décision n'appartient qu'à lui.

Ma main effleura son front, lorsqu'elle fut violemment repoussé, ne me laissant pas le temps d'aspirer ses peurs et cauchemars pour le faire dormir, le temps de le transférer et surtout pour le calmer, car la frayeur prenait petit à petit possession de lui, et ce n'était pas bon. Dans un instinct de survie, les êtres vivants pouvaient avoir des réactions totalement imprévisibles. Hélas, je ne pus retenir les effets néfastes de mon pouvoir et il les reçut de plein fouet, revivant sous mon regard, ses peurs actuelles...

Les paroles, les décors, tout m'expliqua ce qu'il venait de vivre, il y a cela quelques heures seulement... Tout au plus la veille, d'où son traumatisme encore trop présent. Je m'approchais de l'enfant pour essayer de le neutraliser, mais il fut plus rapide que moi et abima un mur, tandis qu'il se recroquevillait. Je devais arrêter cela, et je ne pus observer la scène dans son intégrité, je devais agir au plus vite.

Comme il se calma, enfin, arrêta de bouger et surtout de fuir, je plaquais enfin ma main contre son front, pour aspirer ses souvenirs sombres que j'encaissais finalement au fond de moi. L'adolescent perdit connaissance, tandis que mon corps s'affaissa, me retrouvant à genoux au sol, la main contre le coeur, dans des gémissements douloureux.



Sympa la vision. Je serrais les dents convulsivement et ravalais les nausées qui me prenaient, tandis que je me relevais lentement face à cette épreuve. Evidemment, ce n'était pas la première fois que je vivais cela, alors à force, on essayait de ne plus y faire attention et de penser au présent, c'était ainsi que j'avais appris à vaincre les visions et souvenirs de mes victimes. Et je ne devais pas me laisser aller.

J'attrapais le corps endormi d'Elliot pour le prendre dans mes bras et le changer de chambre. Sur la route, je rencontrais une infirmière à qui je demandais de ma faire un rapport des dégâts de la pièce que je venais de quitter, et de préparer un dossier de transfert pour Monsieur Mathewsen. Je sais que j'aurais dû le déplacer dans un brancard, mais c'était un cas particulier, s'il se réveillait en mauvais état, il était plus facile pour moi de le calmer là, plutôt que sur un lit... Quoiqu'il en soit, je le menais dans une autre branche, un bâtiment spécifique pour les soins aux vampires, que seuls les médecins et infirmières au courant de leur existence pouvait côtoyer, logique. Là, je lui dégotais une chambre et l'allongeais dans le lit libre, tandis qu'on me ramenait le dossier de l'adolescent.

Prenant quelques minutes de repos, je remplis avec lenteur le document de transfert tandis que je veillais le patient, de crainte qu'il ne s'éveille. Son inconscience avait été un peu agité, mais il semblait dormir profondément à cet instant. Quoiqu'une perte de connaissance ne durait pas vraiment longtemps.

Remplissant le dossier sans lever le regard vers lui, j'avais remarqué qu'il s'était éveillé, mais ce n'était pas comme s'il pouvait me faire du mal... Il avait beau être un deadline, il n'était pas en capacité de s'attaquer à un sang-bleu, même si la folie lui prenait. D'ailleurs le silence perdura entre nous, nous n'avions présentement rien à nous dire. Quoique... Nouvellement vampire, j'aurais dû lui apporter les renseignements nécessaires à sa nouvelle vie, mais il m'avait tellement gonflé... A jouer les petits misanthropes qui comprend tout sur tout alors qu'il avait pas la moitié de mon âge, déjà... Et que je n'étais qu'un nourrisson moi-même pour la plupart de mon espèce...

Cependant, je jetais un oeil lorsque j'entendis une déchirure dans les draps et je poussais un profond soupir de désarroi. Pire qu'un gamin, ils l'avaient éduqué comment ce gamin pour qu'il détruise tout ? Non mais sérieux ? Enfin, certes, après avoir vu la mère... Mais tout de même ! En tout cas, il dormira avec ça pour cette nuit, merde, ça lui apprendra à tout déchirer, là... Faut pas pousser non plus !

Par contre, l'infirmière avait omis une chose... Blasé, je me levais pour le signaler, afin que quelqu'un s'en charge, parce qu'il fallait descendre à l'étage inférieur, dans les frigos réservés aux poches de sang pour ce bâtiment justement, afin d'alimenter et de calmer notre jeune ami ici-présent qui était en train de pisser le sang par le nez...



Mais qu'est-ce qu'il foutait encore comme connerie ?! C'est quoi ce gosse ?! Et il articulait une phrase qui n'avait aucun sens pour moi. je grognais et lui amenais une serviette afin qu'il arrête de réduire en charpie les draps.



Non mais merde, quoi ! S'occuper d'un gosse, quoi ! Si Bertram me voyait, là, il se foutrait bien de ma gueule... Je grogne encore et soupire en m'affalant sur le matelas à ses côtés. Puis une infirmière frappa à la porte et me donna ce que j'avais demandé. Parfait.

Fabriqué exclusivement pour l'hôpital Blackwood, ces petits berlingots de sang était un mélange de sang pur et d'un liquide formulé comme une concentration de sang, afin de ne pas abuser de ce liquide précieux tout en conservant la composition et le gout. Hélas, on ne peut se passer du bulk de base, sinon ce serait trop simple... Quoiqu'il en soi, je plantais la paille pour percer le carton et lui tendit sans lui mentir :



Faire preuve de patience. Son silence m'avait un peu calmé, en espérant qu'il coopère un minimum s'il voulait vivre. Mais à cet âge...

Bon, il en savait déjà un minimum c'était toujours ça, il devait connaître les histoires et autres légendes comme beaucoup de son âge qui s'intéressaient un minimum à l'occulte. C'était le truc des ados, ça, l'occulte, donc il n'y avait pas de raisons qu'il fasse exception. Cependant, ce qui m'exaspéra fut son refus de boire, mais ce n'était pas comme si c'était extraordinaire, l'idée pour un humain de boire du sang était comme du cannibalisme, tant qu'ils restaient humain dans leur tête. Mais ils ne l'étaient plus. Au contraire, ils étaient encore plus inhumains que nous, vampires de sang purs. Alors j'employais l'argument par excellence, en conservant mon calme malgré ses actes, ramassant le berlingot, ignorant limite ses paroles et ses suppliques enfantines :



C'était la loi des vampires. S'il ne buvait pas et qu'il perdait le contrôle, je n'aurais pas le choix que de le tuer avant qu'il ne s'en prenne à des innocents. Putain, mais quels cons qui s'amusent à transformer les humains en vampires, c'est tellement stupide ! On est pas assez nombreux comme ça ? Tout ça pour leur inculquer une longévité au-delà de la normale... Non mais vraiment... Ce sont des claques qui se perdent...

M'enfin, ce gosse n'y est pour rien, et il devait apprendre. Aujourd'hui j'étais donc son tuteur, en l'absence des professionnels en le genre. Pas le meilleur, sans doute, mais il ne ressortirait pas inculte sur notre race, qu'on partageait désormais.



Je m'arrêtais un instant et posais le jus sur la table de nuit avant de m'asseoir sur la chaise. je repris mon souffle, fermant quelques secondes les yeux avant de les rouvrir et le transcender de part en part comme si je lisais en lui.



Je lui tendis le berlingot avec un regard de défi. S'il pouvait sentir mes pulsations cardiaques, il devait savoir que je ne mentais pas...

Décidément, ce gosse faisait en sorte de me faire sortir de mes gonds. Pouvais-je vraiment lui en vouloir ? J'avais le sentiment que même humain, il aurait été con, c'est quelque chose qui ne change pas avec la métamorphose. Mais quelle idée de vouloir donner l'immortalité à ce genre de crétin ? En tout cas, s'il s'amuse à se suicider, qu'il compte pas sur moi pour lui venir en aide, ça ferait moins de cons sur terre.

Serrant les poings, je le fusillais du regard et reposais le berlingot sur la table. De toute façon, lorsqu'il aurait faim, ce serait sa seule issue, puisqu'il ne peut pas sortir de cette chambre tant qu'il n'a pas passé le cap.



A quoi bon essayer de philosopher ? Je voulais lui faire entendre raison, mais pas moyen. Lui non plus ne savait pas ce que c'était de naître vampire, de vivre toute sa vie avec une tare qu'on nous impose à la naissance. Grandir avec un humain m'avait rendu sauvage face à mon espèce, et je comprenais parfaitement ce dégoût qu'on a de soi. Trop présomptueux, trop insolent, il m'agaçait à savoir tout sur tout. Alors d'une voix froide, je lui prouvais, le regard violent :



Tout ce petit être me répugnait. N'avais-je jamais été ainsi dans mon enfance ? Bertram peut-être. Un peu pleurnichard sur les bords, mais finalement, lui, il ne se plaignait jamais. Certes, il n'était pas devenu Deadline, ni même vampire, mais il avait accepté son sort de calice, il avait été adopté par une famille d'Ancestraux. C'était déjà pas mal. Peut-être devrais-je l'appeler pour qu'il se charge de lui ? Non... Trop risqué. Pour l'instant, il fallait que ce soit des personnes suffisamment fortes pour le calmer, au cas où il perdrait le contrôle et je tiens trop à mon frère pour lui imposer cela. De toute façon il ne travaille pas dans cette aile.

Je me levais, pour moi, la discussion était terminée, et je crois qu'il m'aurait sorti autre chose d'aussi désobligeant, je lui aurais foutu la claque monumentale qu'il mérite. De toute façon, avec sa force, il ne craignait rien.



De la délicatesse, toujours. Sérieux, il me gonfle.

C'est incroyable qu'à cet âge on croit tout savoir. Quand bien même il possédait peut-être un don de lecture des pensées, il se trouvait que les pensées changeaient tant qu'on ne pouvait vraiment deviner ce que ressentait une personne. Oh oui, j'en savais quelque chose, avec le lien que je partageais avec mes calices, alors qu'il n'essaie pas de me faire la leçon. J'ai assez de soucis pour pas qu'un gosse vienne s'en mêler, encore moins en sachant que c'est lui qui est hospitalisé, pas moi. Donc, il ferait mieux de se préoccuper de sa gueule.

Mais il semblerait que mes paroles aient eu enfin l'effet escompté : il se tut et semblait plonger dans sa réflexion. Il accepta enfin de boire le berlingot de "jus de tomate" pour le boire. Je le regardais sans ciller, pour être sûr qu'il obéissait, jusqu'à qu'il confirme. Un mouvement de tête et je pouvais enfin sortir de cette chambre, qui devenait trop étouffante - oui j'ai besoin de me calmer, maintenant qu'il m'a bien fait suer pour rien - et lui accorda quelques autres paroles, sur un ton toujours aussi froid, mais déjà plus calme :



La porte claqua sans autre discours. Je passais ma main dans les cheveux d'un air las. Putain, pourquoi ces idiots de vampires passaient leur temps à faire des deadlines ? C'était complètement stupide, déjà parce qu'ils se privaient d'un individu-bétail, et de deux, parce qu'ils ajoutaient une nouvelle bouche à nourrir, et ce pour quelques siècles. Non je ne comprenais pas cette logique. Mais peu importe, j'ai d'autres préoccupations...


Quelques jours passèrent, je faisais la tournée des chambres, notamment celles des deadlines, qui étaient censés devenir des mordus d'ici peu. L'un d'entre eux avait réussi à passer le cap et se voyait libre aujourd'hui, sous conditions de revenir voir le médecin en chef pour des examens sanguins, afin de voir si tout allait bien. Le seul danger maintenant c'était qu'il fallait espérer qu'il ne s'en prenne pas à des innocents et se trouve rapidement un calice pour contrôler sa soif. Mais là, nous ne pourrons rien faire s'il faisait des écarts, il deviendrait la proie des chasseurs, comme celui que nous avions libéré le mois dernier. Ce sont des choses qui arrivent, mais nous sommes un hôpital, nous ne pouvons pas tuer n'importe qui, c'est le devoir des chasseurs...

Arrivé devant la porte du plus jeune deadline que j'avais aujourd'hui, je toquais contre le battant et pénétra sans attendre de réponse dans l'antre du petit fauve. Plongée dans l'obscurité, on y voyait rien dans cette chambre, jusqu'à ce que ma pupille s'habitue et je pus le voir, enfin. M'approchant, je m'enquis de sa santé, avec ce ton bourru et froid qui me caractérisait, et surtout par méfiance qu'il me refasse le coup du je-sais-lire-dans-ton-coeur :

Pourquoi avais-je pensé deux secondes qu'il ne me créerait plus de problèmes ? J'étais stupide, c'était un adolescent, un petit être en pleine découverte de la vie, qui venait tout juste d'être chamboulé avec cette histoire de deadline. Hélas, vu ma haine de ces créatures, je ne pouvais pas le plaindre, c'était la vie, chacun sa merde.

J'aurais dû me sentir rassuré en entendant la réponse du patient, malheureusement, ici, on préférait entendre avec sincérité ce que les gens souffraient. Un "je vais bien" alors qu'on est hospitalisé n'annonçait rien de bon, aussi, je me figeais en le dévisageant, cherchant la cause du trouble que je ressentais, jusqu'à ce qu'il se mette à crier. Agonie, angoisse, je me précipitais sur lui, captant l'ombre qui l'envahissait. Qu'est-ce qui avait opéré ce changement ? Ma simple présence ? Impossible, nous n'avions rien en commun et mon simple statut de sang-bleu ne devait pas avoir particulièrement d'effet sur lui, si ce n'est le poids de nos différences.

Je lui bloquais les poignets contre le matelas, mais il remuait, remuait beaucoup trop au point qu'il semblait déclencher sa force surhumaine. Certes, chaque vampire possédait cette puissance hors du commun, mais lui dépassait l'entendement, au point de m'envoyer valser contre le mur d'en face. Le souffle coupé, j'étais déstabilisé qu'un gamin puisse me jeter de la sorte. Pas le choix donc pour moi, je remonte mes manches et fonce sur lui, la main en avant pour coller cette fois sa tête contre le matelas et recommencer le traitement des cauchemars.

Il fallut forcer, il se débattait, j'en saignais, il aurait pu me briser le bras, mais tant pis, il fallait que j'agisse avant qu'il ne fasse d'autres dégâts, qu'il ne se fasse du mal. Les crocs serrés, j'aspirais de nouveau ses angoisses. Je ne pus tout supporter et je fus éjecté de nouveau en arrière, m'appuyant cette fois contre le mur pour me remettre. Mais la migraine m'envahissait, et j'avais du mal à tenir mon corps sans qu'il ne flanche. Je maudissais ce gamin. Mais je comprenais désormais d'où venait ses peurs.

Je pensais à aller boire un peu de sang pour me ressourcer, d'ici quelques jours, parce que je commence à sentir le besoin de me servir ailleurs que dans les berlingots. Mais en attendant, pour me calmer, je suçais mon propre sang, qui coulait le long de mon bras, aussi pour éviter de laisser des traces de ce sang paranormal. Les tissus se refermèrent rapidement grâce à la régénération et je pus m'approcher de nouveau du gamin.

Assis sur la chaise, je scrutais de nouveau son dossier. Etrange, il n'y avait pas de traces écrites d'autres crises de ce genre dans les derniers jours, d'après son médecin, les infirmières aussi... Aurait-il une peur quelconque de moi, du fait que j'étais un descendant d'Ancestral ? Si seulement ça pouvait marcher pour tous les deadlines...

Plus détendu, j'attendis qu'il s'éveille, et le scrutais d'un air blasé avant d'articuler :



Je me retenais de lui dire que si son état empirait, ce serait un aller simple vers la morgue pour lui. Mais bon, pas la peine de le paniquer davantage, j'avais d'autres chats à fouetter. Passant ma main dans les cheveux d'un air impatient, je lui déclarais :



C'était ainsi que cela se passait, pour que cela reste une procédure parfaitement humaine, il fallait s'y conformer. Les humains n'y verrait que du feu, il fallait protéger notre espèce...

Je passe ma main devant mes yeux d'un air las, me recourbant en avant, alors qu'il insistait sur le fait qu'il se sentait bien. Après tout ce que j'avais découvert dans ses tourments, comment pouvait-il déclarer qu'il allait bien ? En tout cas, je noterais dans son dossier qu'il a besoin d'un suivi psychologique un peu plus approfondi, si on voulait éviter les catastrophes... Et surtout s'il voulait sortir plus rapidement.

Mais pour une fois, il se montra davantage conciliant, ce qui me surprit, par rapport à son comportement de l'autre jour. Il ne chercha pas à en savoir plus sur ce qu'il allait devenir, pas inquiet en apparence. Je soupire et me redresse avant de continuer sur les explications quant à son devenir :



Ceci dit, je me levais, remis de mes propres émotions, mais il m'interrompit en me demandant mon prénom. Qu'est-ce que ça pouvait lui faire de connaître ce détail ? Je le scrutais d'un air méfiant, sans mot dire. J'aurais pu lui répondre froidement qu'ici j'étais le directeur et qu'on me connaissait simplement sous le pseudonyme de M. le Directeur ou M. Blackwood, pas autrement. Je me retournais, hésitant, avant d'articuler :



Tout simplement. Je ne lui retournais pas la question, je connaissais toute sa vie, dans son dossier, et ses tourments et je n'avais pas la curiosité d'en savoir plus. Me soucier d'un enfant ? D'un simple client ? J'avais déjà pas mal à gérer avec ma propre vie, mes frères et soeurs, mes calices... Une petite pensée pour Bertram qui avait été adopté par mes parents... Non, je pouvais pas demander à mes vieux d'adopter un deadline, il en baverait le pauvre gosse... C'était pas le but.

La porte se referma sur mon ombre, je le laissais de nouveau seul, j'avais d'autres chats à fouetter, encore aujourd'hui. Mais au moins, il était apaisé pour un moment avec mon don... Tsssk, qu'est-ce qu'il faut pas faire, parfois...