Ses pieds s'enfoncent profondément dans la neige. L'eau cristallisée l'emprisonne jusqu'à la moitié du tibia. Il a encore neigé cette nuit. Rien de bien extraordinaire dans la Cité Nordique. Mais il est tombé suffisamment de neige pour bloquer l'entrée de la plupart des habitations. Peu seront les personnes à sortir de leur foyer avant 11h/midi, le temps que la matière blanche se ramollisse, ou même fonde. Il avance lentement vers la sortie de la propriété de ses parents. Il aurait du avoir du mal, il aurait du être ralentit, mais non. Il marche dans la neige avec la même aisance que si elle n'avait pas été là. Merci à sa force non compatible avec sa carrure. Des bruits de talons claquant sur un parquet trop bien ciré résonnent derrière lui et il accélère l'allure. Certainement pas assez. Une voix le rattrape.
« Monsieur! »
Il lève les yeux au ciel. Soupir agacé. A contre cœur, il se retourne vers l'entrée de la maison -que dis-je? Du manoir!- et fixe celui qui l'a interpellé avec un regard qui dit clairement "Quoi encore?". Mais celui-ci ne se démonte pas et fait face, visiblement habitué.
« Monsieur. Puis-je savoir où vous allez? »
Nouveau soupir. Un désagréable sentiment de lassitude l'étreint. Combien de fois encore lui posera-t-il cette question? 6 ans. 6 ans que chaque mercredi de chaque semaine, il se rend au même endroit. 6 ans qu'il lui pose cette même question, et 6 ans qui lui donne la même réponse.
« A l'hôpital. »
Et il continu sa route. Il n'écoute pas les réponses. Les ordres. Les conseils. Les recommandations. Ils n'ont plus de sens pour lui. Au début, il écoutait. Parce qu'il était un enfant docile au cœur brisé. Aujourd'hui... Son cœur est toujours brisé, il est toujours un enfant, au fond. Mais il n'est plus aussi docile. Pas avec eux. Il n'écoute plus. Il ignore. Parfois il fuit. Il se ferme au monde et se met à courir, à fuir. Fuir leurs paroles vénéneuses. Leur poison invisible, qui entre par ses oreilles et envahissent son cerveau, qui s'insinue dans son cœur et le fait douter. Douter de la seule certitude qui lui reste, de la seule certitude qui le fait tenir, qui lui maintient la tête hors de la folie, hors du désespoir. Qui le maintient en vie.
Pourquoi l'hôpital?
Parce qu'il y a une chance, aussi infime et ridicule soit-elle, que sa sœur s'y soit rendue. Pour une visite, pour des soins, sous son vrai nom ou sous un faux. Il existe cette chance, qu'il puisse retrouver sa trace là-bas. Six année après sa disparition, cela peut paraître ridicule. Insensé. Mais pour lui ça a du sens. Puisqu'il existe une chance, ça a du sens. Simplement. Stupidement. Il ne fait plus attention au chemin qu'il emprunte. Il l'a parcouru tant de fois, cette distance entre sa maison et l'hôpital. Ses jambes le portent seules. Elles connaissent le chemin par cœur. La silhouette de l'imposant bâtiment se rapproche de lui. Ou plutôt, c'est lui qui se rapproche d'elle. L’hôpital est grand. Très grand. Trop grand peut-être, pour lui. Un douloureux mélange de sensation l'envahisse quand il y entre finalement.
L'espoir. L'espoir d'avoir enfin des nouvelles de Freya, aussi infimes soient-elles. La peur. La peur d'être déçu, une fois de plus. Parce que son espoir se sera révélé vain. L'angoisse. L'angoisse inspiré par cet endroit où il a passé beaucoup trop de temps à son goût lorsqu'il était un enfant à la santé défaillante. Et où il doit revenir régulièrement à cause de ses yeux. Trop de chose dans sa poitrine. Comme un marteau qui frappe contre son thorax dans l'espoir qu'il se brise. Il prend une profonde inspiration, tente de calmer la crise d'angoisse qui pointe le bout de son nez. Ce n'est pas le moment de perdre le contrôle de lui-même. Et encore moins le lieu.
Ayant retrouvé un tant soit peu de contrôle sur ses émotions, il s'avance dans le hall en direction de l'accueil. Il aperçoit l’hôtesse, en pleine discussion avec un homme. L'hôtesse est une femme plutôt jolie, blonde -tout du moins le suppose-t-il d'après le gris de ses cheveux-, très sympathique et accueillante avec lui. Tout du moins au début. Sans doute que le fait de le voir venir toutes les semaines le même jour pour lui poser les mêmes questions concernant la même personne avait finit par l'effrayer. A ses yeux, il doit sans doute passer pour un malade obsessionnel à la recherche d'une malheureuse jeune fille dans le but de lui faire subir des choses obscures... Il soupire. Ouais...son comportement à l'égare de sa sœur est très proche de l'obsession, si ce n'en n'est pas. Quant à l'homme, il a l'impression de l'avoir déjà vu auparavant... Au moins deux fois, juste ce qu'il faut pour lui laisser le sentiment de le connaître au moins de vue. Mais dans l'immédiat, il n'arrive pas à mettre un nom sur son visage marqué par la fatigue et une proche dépression. Bah, ça lui reviendra sans doute plus tard...
Il voit la demoiselle -?- s’apercevoir de sa présence, devenir soudainement très pâle et s'en aller précipitamment. Il hausse un sourcil. Houla...il lui fait vraiment cet effet là? Effrayant. Ah mais du coup, y a plus personne à l'accueil.
« Mince... »
C'est embêtant.
« Some of us fall by the wayside, and some of us soar to the star »
Un autre jour, mais toujours la même routine. C'est drôle, la plupart des gens détestent leur routine. Métro-boulot-dodo....Ca les déprime, ça leur fait se poser un tas de questions sans réponses à propos du sens de leur vie. Mais pas moi. J'aime mon travail. C'est mon exutoire, ma façon de me rendre utile, peu importe à quel point il peut être épuisant et ingrat. Et quand je dis, ingrat, ce sont les gens qui le sont en général. Mais peu importe.
C'était un jour comme les autres à Froënbourg, on se réveille avec un demi mètre de neige sous la fenêtre, on se lève tôt, on prend sa douche rapidement - en se battant avec Logan qui pour une fois avait décidé de se bouger le cul pour le placer derrière un bureau - on déneige l'allée ( tout seul évidemment ) et puis on prend la route (prudemment évidemment ). Logan avait foutu son CD de métal hardcore ce qui n'avait rendu le trajet que plus long - et mon arrivée à l'hôpital plus plaisante.
J'avais échappé à mon frère en lui souhaitant une bonne journée et je m'étais rué dans le vestiaire pour me changer, endosser mon uniforme blanc, attacher mes cheveux et recommencer ma propre routine. Dossiers, toilettes, médicaments, soins, etc. Les heures défilèrent, et mon service pris fin. Laissant les patients à l’équipe suivante, je retournais me changer, récupérant mes affaires, hésitant entre retourner rapidement à la maison, faire quelques petites courses ou traîner dans l’hôpital en attendant que Logan ne termine sa journée.
Arrivé au rez-de-chaussée, je fus interpellé par l’hôtesse qui gérait l’accueil. Il s’agissait de Leslie, une jeune femme blonde et plutôt agréable à regarder. Elle avait l’habitude de saluer tout le monde dès son arrivée mais également lors de son départ. Elle me demanda d’approcher et commença à bavarder avec moi. C’était un peu bizarre...en fait après les premières secondes d’intérêt, elle commença à se plaindre de ses conditions de travail, battant des cils vers moi. J’hochais machinalement la tête, sans enthousiasme. Evidemment je n’étais pas idiot, la seule raison pour laquelle elle m’accordait un micron d’intérêt c’est parce qu’elle pensait pouvoir obtenir ce qu’elle voulait de la direction via mon intermédiaire.
Elle se trompait lourdement.
J’imagine que son petit manège n’avait pas fonctionné avec mon frère.
Cependant je restais planté là, prêtant l’oreille à ses terribles problèmes. La neige qui la faisait arriver en retard, le matériel manquant ou obsolète. Et blablabla et blablabla. Et blablablabla...je regardais ses lèvres roses et brillantes s’agiter, j’hochais la tête trop poli pour lui dire ce que je pensais.
Je devrais lui parler de mes problèmes, ça la fera relativiser…
Mais évidemment, ça n’intéresserait personne. Soudain, son regard brillant glissa sur le côté et l’expression de son visage changea radicalement. De douce manipulatrice, elle passait à une souris exaspérée. Un Oh non pas lui fut tout ce qu’elle souffla avant de se lever, bredouiller une excuse et quitter son poste, me plantant là comme un gros idiot.
Une partie de moi se disait que je ferai mieux de reporter ce manque cruel de professionnalisme à la direction, mais l’autre refusait. Elle n’était pas si méchante...et puis elle avait sûrement besoin de son travail, sinon comment pourrait-elle se permettre autant de maquillage, et autre ornementations que je trouvais totalement inutile pour une femme. Peu importe. De l’autre côté du comptoir, mon regard curieux se posa sur l’élément qui l’avait fait fuir.
Un gamin. Enfin...un adolescent. Je ne lui donnais pas 18 ans. Il n’était pas grand et pas très large. En revanche ses cheveux d’un blond pâle et ses yeux clairs faisaient de lui un parfait représentant de la race nordique, contrairement à moi. La pâleur laiteuse de sa peau, tout comme sa frêle carrure lui donnait un air malade. Son regard dépourvu d’étincelle se posa sur moi alors qu’il soupira la fuite de la secrétaire.
Tout comme moi, il avait cet air mélancolique...comme s’il était au bout du rouleau. Pour un adolescent qui devait déborder d’hormone et de vie ...il semblait plutôt...froid.
Il me semblait l’avoir déjà croisé dans les couloirs, mais je n’en n’étais pas certain.
Je réalisais alors brutalement l’étrangeté de la situation. Je me tenais de l’autre côté du comptoir, face à son visage impassible juste après la fuite carrément évidente de miss Leslie. Je devais faire quelque chose, je ne pouvais décemment par fuir à mon tour, ça serait trop bizarre...Et la situation était suffisamment embarrassante comme ça.
Horriblement mal à l’aise, je tentais de reprendre les choses en main.
«Euhm....Est-ce que...Est-ce que je peux vous aider, jeune homme ?»
Ce n'était pas à moi de faire ça, pas à moi de réparer les erreurs de Leslie. Et surtout mon état d'anxiété sociale faisait de moi un piètre secrétaire. Mais j'étais censé faire quoi, laisser tomber ce gamin ? Quand même pas, depuis quand on refuse d'aider quelqu'un dans un hôpital ? Ce gamin ne pouvait pas être si terrible.
Actuellement, il est ennuyé. Très ennuyé. L'hôtesse de l'accueil, celle qui est sensé guider les visiteurs pour les empêcher de se perdre et leur permettre de trouver ce pour quoi ils sont venus...n'est plus là. Elle est partie. Une fuite, très clairement. Une fuite dont il est la cause. Il se mord la lèvre. Qu'est-il sensé faire maintenant? Qui va pouvoir le renseigner? Il passe une main dans ses cheveux, tire sur quelques mèches.
C'est de sa faute, bien sûr. A lui et son comportement étrange. Ça lui apprendra, à toujours aller directement au but, sans jamais donner d'explications. C'est une mauvaise, très mauvaise habitude. Il devrait s'expliquer plus souvent, ça éviterait bien des confusions ou bien qu'on le prenne pour un fou. D'ailleurs, en y repensant, il est étonné que la demoiselle ne soit jamais allé voir la section psychiatrie pour leur dire qu'un jeune adolescent étrange venait régulièrement pour des raisons inexpliquée. A moins qu'il n'y est pas de section dédiée à la psychiatrie... Il en sait rien.
Il n'aime pas les hôpitaux. Chaque fois qu'il se retrouve obligé d'y venir, que ce soit pour ses yeux ou à cause de sa santé qui part en couille de temps en temps, il fait tout pour ne pas s'attarder. Les hôpitaux le rendent malade. Conséquence de ses nombreux souvenirs peu agréable lié à cet endroit quand il était gosse. Il n'y a vraiment que pour sa sœur qu'il accepte de passer de temps ici.
Relevant la tête, son regard se pose sur l'homme resté seul derrière le comptoir. S'il se souvient bien, il était en plein discussion avec la demoiselle. Ah... Donc non contente de déserté son poste, elle laissait son collègue en plan. Certes, il peut comprendre qu'il lui faisait peur, mais quand même. Il soupire. Bah, peu importe maintenant. Ce qui est fait est fait.
Dixit celui incapable de passer l'éponge sur son passé et ses actes... Bref. Tout ça pour arriver à la question suivante.
Que doit-il faire maintenant?
Rester ici, à attendre que la demoiselle daigne revenir? Ou bien repartir chez lui, sans interroger, comme à son habitude, à propos de Freya? Il ne sait pas. Il se doute bien que rester serait inutile. Mais partir sans pouvoir savoir si quelqu'un à vu sa sœur en ces lieux...il ne peut pas s'y résigner. Alors plongé en plein dilemme, il reste stupidement planter devant l'accueil vide. Enfin, presque vide.
« Euhm....Est-ce que...Est-ce que je peux vous aider, jeune homme ? »
Surprit, il lève les yeux vers l'homme resté derrière le comptoir. Une nouvelle fois, il est agressé par cette impression de déjà vu. Ouais, il l'a déjà rencontré avant, c'est clair et net. Décidant de saisir la perche qui lui est tendue, il sourit timidement.
« Peut-être. »
Il se rapproche un peu du comptoir, de façon à être en face de son aîné.
« Je cherche quelqu'un. Ma sœur, plus précisément. Mais...j'ignore si elle est ici. »
Diantre! Il a soudain l'impression que, même en précisant ses dires, il a toujours l'air étrange...
« Some of us fall by the wayside, and some of us soar to the star »
Oui, bon. Je vous résumé la situation. Je venais de finir mon service et paf voilà que la gentille-mais-pas-si-désintéressée demoiselle de l'accueil m'adresser la parole et commence à papoter avec moi. Rien de bien anormal jusqu'ici - vous me suivez. Et puis ce gamin apparaît et elle s'enfuit limite en courant. Qu'est ce que ça peut bien vouloir dire ?
Alors là on a différentes options et je sens mon imagination travailler à trois mille à l'heure. Peut-être que c'est un criminel super dangereux. Peut-être que c'est un magnat de la drogue ou un violeur en série. Je le dévisage discrètement. Naaan, ce n'est pas possible, c'est juste un gamin...Peut-être que c'est son ex petit ami et oh mon dieu elle ne veut pas le croiser. Peut-être que c'est son fils caché - ah non elle est trop jeune, ça ne colle pas. Peut-être que c'est simplement quelqu'un qui a l'habitude de venir ici pour l'ennuyer ou la harceler.
Oui j'avais devant moi un monde entier de possibilités plus farfelues les unes que les autres.
Peut-être que comme elle,j'aurai dû prendre mes jambes à mon cou et quitter le navire. En levant les bras en l'air pour plus de drama. Mais non, je restais planté là comme un idiot, et il en allait de l'image de cet hôpital créé par mon père adoptif et dirigé par mon frère. Et puis ça aurait été tellement bizarre, et je me serai senti tellement coupable en rentrant chez moi que j'en aurai pas dormi de la nuit. Alors, le traitant avec toute la neutralité possible du monde, je demandais à ce jeune homme ce qu'il cherchait.
Il s'approcha timidement du comptoir. Il avait un ton de voix plutôt neutre et froid ce qui contrastait avec son jeune âge mais pas avec son apparence. Oui, quelque chose clochait dans son comportement, dans sa voix, dans son attitude. Ce n'était pas de la timidité. Son regard ne me fuyait pas. Je n'arrivais simplement pas à mettre le doigt dessus. Ce gamin me donnait une impression bizarre... « Je cherche quelqu'un. Ma sœur, plus précisément. Mais...j'ignore si elle est ici. »
Donc, c'était ça. Honnêtement, je ne savais pas pourquoi Leslie était partie en courant. En dehors de son ait bizarre, ce gamin me semblait parfaitement normal. Et même pas malpoli avec ça. Donc il cherchait sa soeur mais il n'était pas sûr qu'elle soit ici ? Bon...je devrais pouvoir l'aider, ce n'était pas au dessus de mes forces, il suffisait de vérifier ça dans le listing... D'un geste, je m'emparais de la chaise de l'hôtesse et j'usurpais sa place devant l'écran de l'ordinateur.
«Ce n'est pas grave, je devrais être capable de la retrouver...»
Je rompais le contact visuel avec le blondinet et je baissais les yeux vers l'écran. Une fenêtre d'agenda de consultations. Non...ce n'était pas le bon programme...Je réduisais la fenêtre. Facebook. Evidemment. Je réduisais la fenêtre également, évitant de jeter un oeil à l'album des photos de vacances des grands-parents de Leslie et je trouvais l'outil de recherche.
«Donc... J'aurai besoin de son nom, vous pouvez me l'épeler s'il vous plaît ? »
Voilà ça ne devait pas être si difficile. Juste un gamin qui vient rendre visite à sa soeur. Quoi de plus normal ?
Il regarde l'hôte d'accueil improvisé avec espoir. Peut-être, oui, peut-être que cette fois, il la trouvera. Pourtant une voix lointaine, étouffée, dans sa tête que non, qu'il ne la trouvera pas ici. Mais il l'ignore. Il ne devrait pas. Plus il espère, et plus douloureuse sera la chute s'il s'avère que Freya n'est pas dans l'hôpital. Il devrait ralentir l'allure, relativiser, raisonner. Qu'est-ce qui rendrait cette visite différente de toutes celles qui l'ont précédées ? Le fait que la personne à l'accueil soit différente ? Stupide. Ce n'est pas ce genre de chose qui modifiera le résultat. Mais il espère. Dans l'immédiat de la situation, c'est tout ce qu'il peut faire. Espérer.
Son regard suit l'homme tandis que celui-ci s'installe au bureau de l'hôtesse attitré dans le but évident de fouiller le registre. A force de venir ici chaque semaine, il avait finit par comprendre le fonctionnement de l'accueil.
« Ce n'est pas grave, je devrais être capable de la retrouver... »
Il hoche simplement la tête, attendant patiemment. Il sent son cœur qui cogne contre dans sa poitrine. Il espère. Il espère trop. Il va tomber. Il va chuter. De haut, de si haut. Il monte encore, continue son ascension sans se soucier de la façon dont il redescendra. Un long saut dans le vide, sans doute. Encore une fois. Ça finira par le briser. Il en a conscience. Mais il ne peut pas arrêter. Il ne peut plus. Il s'est jeté à corps perdu dans ses recherches. Il est trop tard pour lui, pour qu'il renonce et rebrousse chemin. « Donc... J'aurai besoin de son nom, vous pouvez me l'épeler s'il vous plaît ? »
« Bien sûr. »
Sortant de ses pensées, il s'appuie légèrement contre le comptoir, suffisamment pour percevoir clairement l'hôte improvisé. Qui de toute évidence travaille ici. Il doute qu'un simple usager n'ose se servir du registre de l'hôpital. Et même si quelqu'un osait, combien de chance y aurait-il qu'il arrive à comprendre l'outil de recherche ? Oui, cet homme doit travailler dans l'hôpital. Il en est sûr tandis que cet horripilant sentiment de déjà vue s'amplifie. A n'en point douter, il ne partira que lorsqu'il aura réussit à se souvenir pleinement de cet homme.
« Son nom est Freya Ada Torbjorn. F.R.E.Y.A A.D.A T.O.R.B.J.O.R.N. Mais il est possible qu'elle est prit un nom d'emprunt...ou même qu'elle ne soit déjà plus dans l'hôpital... »
Il se sent abattu. Et voila. Il a commencé à dévaler la pente. Sa longue chute commence. Oui, il est possible qu'elle soit là, mais qu'il ne puisse jamais le savoir. Il est possible qu'elle soit venue, mais qu'elle ne soit déjà plus là. Aveuglé par son espoir, il avait occulté ces possibilités. Et maintenant, alors qu'il les prononce, il voit se réduir ses espoirs. Il a mal. Machinalement, il porte sa main à sa poitrine. La douleur n'est pas uniquement morale. Elle est physique. Il y a quelque chose qui appuie contre son thorax. Une douleur par pointe, qui s'en va et qui revient. Qui appuie avec force contre le milieu de sa poitrine. S'en va et revient.
Symptôme d'une crise due à la panique, à la peur.
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Sujet: Re: Visite ordinaire (ou pas?) Sam 1 Mar 2014 - 19:04
Call off the search
Putain...J'arrive pas à croire que ce soit à moi de faire ça...alors que j'ai déjà terminé mon service. Et je n'arrive pas à croire que Leslie ait tourné le dos à un client. Et c'est moi qui me retrouve à faire du travail de secrétaire, à sa place. Je poussais un soupir, et écoutant les indications du jeune homme, je tapais avec lenteur sur les touches pour effectuer la recherche. Cependant il y avait quelque chose de louche dans ce qu'il avait dit. A propos du nom d'emprunt. L'admission à l'hôpital demandait impérativement un document d'identité, donc à moins qu'elle n'ait une fausse carte, il nous aurait été impossible de l'admettre avec un faux nom. Je tapais rapidement sur enter pour que la recherche s'effectue.
Et le résultat apparut clairement sur mon écran.
«Je n'obtiens aucune correspondance... elle n'est pas admise ici en ce moment. Par contre, c'est quoi cette histoire de nom d'emprunt ? Nous demandons toujours une preuve d'identité à nos...»
Je relevais la tête vers le jeune adolescent. Quelque chose avait changé. L'expression de son visage restait plus ou moins figée mais quelque chose clochait. Je m'interrompais au milieu de ma phrase pour lui demander, l'air inquiet :
«Est-ce que tout va bien, monsieur ?»
Donc...il cherchait sa soeur qui n'était pas ici mais qui aurait pu et qui aurait pu également être sous un nom d'emprunt. C'était quoi tout cette histoire ? Je n'étais pas sûr de bien comprendre...Ce n'était pas aussi normal que je le pensais.
«Qu'est ce qui se passe exactement avec votre soeur ? » osais-je demander, par la plus simple des curiosité.
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Sujet: Re: Visite ordinaire (ou pas?) Dim 2 Mar 2014 - 13:13
❝ Visite ordinaire (ou pas?)
La réponse tombe, tranchante comme une guillotine, toute aussi mortelle pour son espoir. Elle résonne comme le glas à ses oreilles. Implacable.
« Je n'obtiens aucune correspondance... elle n'est pas admise ici en ce moment. »
Il le savait. Ou du moins, s'en doutait. Il aurait du s'y attendre pourtant. Rien ne disait que les choses seraient différentes cette fois. Il s'était pourtant accroché. Avec toute sa naïveté, toute son innocence, tout son espoir fou. Mais tout a éclaté. Boom. Explosé en mille morceaux. Brisé en éclats de verre. La pression sur sa poitrine se fait plus forte. Il n'entends plus ce que lui dit le jeune homme. Son esprit s'est figé, bloqué sur ces quelques mots. Elle n'est...pas là.
Pourquoi? Pourquoi réagit-il ainsi? Ce n'est pas la première fois qu'il tombe. Loin de là. Ça fait six ans. Six ans que chaque semaine, il tombe. Mais rarement d'aussi haut. C'est déjà arriver. Espérer plus qu'un autre jour, pour une mystérieuse raison, et s'en retrouver plus brisé que jamais. C'est déjà arrivé. Son thorax se fait broyer, sa poitrine écraser, son cœur lacérer. Il tombe. Il sombre et n'arrive plus à respirer. Pourquoi cette fois? Parce que ce n'est pas cette femme devenue froide qui la accueillie? Parce que c'est cet homme qu'il a l'impression de connaître? Parce qu'il semble vouloir l'aider sincèrement et s'implique? Il ne sait pas, n'arrive pas à savoir, ne sait plus. Peut-être que c'est du à quelque chose d'autre. Il ne se rappelle pas.
« Qu'est ce qui se passe exactement avec votre sœur ? »
Sa sœur. Ce simple mot semble le réveiller. Un peu. Il revient dans le monde réel. Mais il a toujours mal. L'aiguille qui s'amuse à s'enfoncer et ressortir de son thorax est toujours là. Et plus présente. Il lève les yeux vers cet homme, des yeux perdus, qui ne savent plus quoi faire. Les yeux d'une personne plongeant dans le désespoir. Il est en souffrance. Et là seule chose à laquelle il peut se raccrocher, là, dans l'immédiat, c'est lui.
« Elle... »
Il va craquer. Il le sent. Il est arrivé à sa limite. Trop. Il a gardé trop de chose en lui trop longtemps. Il faut qu'il relâche la pression de lui-même. Ou bien il va se briser. L'un des meilleurs moyens d'alléger ses peines est de les formuler n'est-ce pas? Dire ces mots. Ce quelques mots et relâcher la pression. Peut-être faire fuir cette pression insoutenable au niveau de la poitrine.
« Elle a disparue...il y a six ans. »
Il a craqué. Définitivement craqué. C'est la seule chose qu'il constate lorsque ses larmes commencent à couler. Il a atteint sa limite, son instabilité émotionnelle refait surface. Il pleure, et dehors, il tombe des cordes.
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Sujet: Re: Visite ordinaire (ou pas?) Mer 5 Mar 2014 - 11:07
Let the water come
Je n'arrivais pas à comprendre ce qui se passait. Ce qui aurait dû être une simple requête hospitalière rapidement complétée, se transformait soudainement. D'abord Leslie aurait dû s'en occuper, pas moi. Je n'y connaissais rien en procédure, de ce qu'on pouvait divulguer ou pas et de ce que l'on pouvait faire avec les moyens à notre disposition. Mais le terminal ne mentait pas, et le jeune homme non plus. Il y avait quelque chose de fiévreux dans son regard pendant que je cherchais le nom de sa soeur, et quelque chose de cassé, quand je lui avais dévoilé ma réponse.
Mais comment pouvais-je en être sûr ? Je le regardais, j'observais la peau pâle de son visage et ses yeux bleus comme l'eau d'un fjord suédois - un air dur et impassible gravé sur son visage.
Et ça me perturbait.
Pourquoi était-il venu chercher après quelqu'un qui ne se trouvait pas ici. Que se passait-il avec cette fameuse Freya pour que son frère vienne la chercher ici alors qu'elle n'y était pas ? Alors je lui posais la question, parce que j'étais curieux, parce que c'était louche, et parce que peut-être que si on m'expliquait de quoi il en retournait je serai peut-être capable de l'aider...ou pas.
Il lève ses yeux abattus vers moi. Et ses yeux d'un bleus cristallins se ressemblent plus à cette majestueuse eau bleu glaciale, il se transforment en piscine de larmes, qui n'attend qu'un mot, un geste pour faire céder le barrage. Et qui sait, peut-être que le bleu de ses yeux en coulerait pour devenir les yeux gris et mornes d'une personne sans espoir.
Avec difficulté il commence à parler, la gorge serrée par cette seule syllabe : elle Il y a toute la tristesse du monde dans cette syllabe. Je ne sais pas quel âge il a ce gamin. Mais d'un seul coup il me paraît plus jeune, avec ses grands yeux humides, et ses lèvres pincées presque tremblantes. Comme un enfant perdu .
Et puis avec du courage, vient la délivrance des mots, entre deux souffles serrés.
« Elle a disparue...il y a six ans. »
Et les vannes s'ouvrent, il ne peut plus les contenir, ces grosses perles d'eau qui coulent le long de ses joues pâles. En fond, j'entends le claquement de cette pluie violente et impromptue sur les portes vitrées de l'hôpital. Tiens, je n'avais pas remarqué qu'il faisait si mauvais...Mais ce n'est pas important. Je suis au milieu de l'accueil avec ce jeune homme qui pleure et j'essaie de comprendre.
"Elle a disparu il y a 6 ans". Ils ont tous sûrement abandonnés, mais lui ne peut pas. S'il avait un corps pour faire son deuil, les choses seraient plus faciles. Mais il choisit de ne pas abandonner, il choisit d'entreprendre une quête....
Et je peux comprendre ça. Si mon frère disparaissait , je remuerai ciel et terre pour le retrouver. J'y consacrerai toute mon énergie , tout ce que j'ai. Mon coeur se remplit de compassion.
Pauvre gamin...
Je ne sais pas quoi lui dire, en position de secrétaire à la con. Est-ce pour ça que Leslie est partie ? Elle avait peur de le décevoir ? Elle craignait de le voir pleurer ? Quelle cruauté. Je trouve un paquet de mouchoir sur mon bureau et je quitte mon poste pour lui en tendre un. Et je n'ai aucune idée de ce qu'il serait approprié de dire dans ses circonstances. Alors je le laisse pleurer un peu, en le regardant d'un air désolé, le temps que ça se calme un peu. J'aimerai poser une mains compatissante sur son épaule, ou soulager la pression de son crâne à l'aide de mes mains mais je ne peux pas. Je ne le connais pas. Et puis en tant qu'adolescent, il n'apprécierait sûrement pas d'être touché par un parfait inconnu.
Mais sa détresse est terriblement évidente, et les gens commencent à y prêter attention, et à lui jeter des regards curieux.
«....Allez...viens..»
Alors je l'entraîne à l'abris des regards, là où il peut déployer tout son chagrin en toute pudeur : c'est à dire dans les toilettes des hommes. Tant pis pour ce poste qui n'est pas le mien, si quelqu'un le remarque, mon frère engueulera Leslie et pas moi. Je le regarde désolé et je soupire :
«Je suis désolé....Ca doit être difficile...»
Mais aussitôt prononcées, ces paroles me semblent déjà dérisoires. Il n'a pas besoin de pitié, il n'a pas besoin de compassion. La tout de suite, la pression doit s'être accumulée dans tout son être et s'être relâchée d'un coup. Et ça je le sais ça fait mal. Ca vous vrille les tempes, c'est comme un marteau l'arrière du crâne.
Et moi au milieu de tout ça, je suis complètement inutile.
Je m'appuie, dos contre le lavabo, les bras croisés et je réfléchis. Qu'est-ce que je peux faire pour lui, pour l'aider ? Si j'étais à sa place, j'aimerai tellement qu'on m'aide...qu'on me guide... Et une idée folle germe dans mon esprit.
«...Hm....Je ne sais pas si ça pourrait t'aider mais...On pourrait demander au directeur de chercher dans sa base de données. Elle contient toutes les informations sur les personnes qui ont jamais été admises depuis la construction de l'hôpital...»
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Sujet: Re: Visite ordinaire (ou pas?) Jeu 27 Mar 2014 - 11:11
❝ Visite ordinaire (ou pas ?)
• feat. Bertie •
Connaissez-vous la sensation de chute ? Cette désagréable impression de tomber, tomber sans fin dans un monde aveugle sans fond ? Sven la connait. Trop bien même. Sa vie est une chute sans fin. Ça fait longtemps qu’il ne fait que tomber, mais qu’il s’obstine pourtant à garder les yeux ouverts, à se regarder chuter sans effort et tout en même temps à chercher une quelconque prise à laquelle se raccrocher. De temps en temps il en trouve une, la saisi de toutes ses forces pour ne plus tomber. Mais à chaque fois, c’est comme si cette prise était recouverte d’huile. Elle lui glisse entre les doigts sans qu’il ne puisse rien y faire et sa chute se poursuit.
Il n’a pas encore abandonné. Parfois il y pense. Mais ce n’est que ça, une pensée. Elle lui traverse l’esprit, apparait pour disparaître aussitôt. Il se refuse à y réfléchir sérieusement. Ce n’est qu’un songe, une idée rapide qui n’a pas sa place dans son esprit. Une image furtive, celle qui nous paraît être la solution mais que nous refusons de toutes nos forces. Comme laisser tomber lorsque l’on n’arrive pas quelque chose, mais que nous continuons parce que c’est vital. Comme se donner la mort lorsque tout devient insupportable, mais que nous vivons car mourir nous fait peur.
Abandonner serait mourir.
Sa chute se terminerait, il toucherait le fond.
Cela arriverait un jour, mais il refuse que ce soit de son fait. Il ne veut pas, il ne peut pas abandonner. Si sa chute doit finir et qu’il s’écrase, les responsables seront ses blessures. Quand il sera complètement cassé de ses recherches inutiles. Quand il sera entièrement brisé de ses espoirs déçus. Comme celui-ci.
Sa vision est floue de larmes. Il ne distingue que des formes grises, diffuses. Rien de clair, rien de net. Un monde flou couleur ciel d’orage. Ça bouge, s’avance vers lui mais il ne voit rien. Il n’entend rien de plus, uniquement ses propres sanglots. Puis un carré blanc en papier se dessine sous ses yeux. Mouchoir salvateur. Il s’en saisi d’une main tremblante, sanglotant un vague « merci » étouffé, avant de se moucher à grand bruit. Pourquoi les pleurs sont-ils à ce point accompagné de morve ? Ca enlève toute la beauté des larmes… Bref.
Il sent que quelqu’un le pousse doucement vers une autre direction. Les oreilles bourdonnantes, il distingue une lointaine directive. «....Allez...viens..» Reconnaissant la voix de l’hôte improvisé, il se laisse guider docilement. Il n’a de toute façon ni la force, ni l’envie de s’opposer à quoi que ce soit à l’instant. Et puis il est plus occupé à tremper son mouchoir qu’autre chose. Il ne fait pas attention à ce qui l’entour. Il se laisse emmener, comme un mouton suit son berger sans se poser de question. Ce n’est pas une question de confiance, loin de là. Il a trop de mauvais souvenirs d’employés d’hôpital pour ça. Il s’agit plutôt d’un abandon pur et simple. Plus de force pour lutter. Plus d’envie non plus.
Son guide s’arrête finalement et lui va se laisser choir contre un mur. Il ne se sent même plus la force de tenir debout tout seul. « Je suis désolé... Ça doit être difficile... » Sourire amer. De quoi ? Difficile ? Oh non voyons ! Il va parfaitement bien. Le soleil brille, les oiseaux chantent et lui se sent d’humeur à aller batifoler dans un champ de fleurs en dansant la macarena. Hééééééééé macarena !! Bah… il a l’habitude. C’est de circonstance non ? De s’excuser lorsque l’on apprend que quelqu’un de l’entourage d’une autre personne est mort ou a disparu. C’est dans les normes, la règle, la tradition presque. Même si ça ne sert strictement à rien. Tous les pardons du monde ne ramèneront pas les absents. Ca se saurait sinon.
« C’est bon. C’est rien… » Il n’a rien de convainquant comme ça, affalé contre un mur, le visage mouillé et la voix terriblement enrouée d’avoir trop pleurée. C’est un loque. Un miroir brisé. Un vieux chiffon déchiré. Ce que vous voulez de tout simplement pitoyable. Le mur froid contre son front lui fait du bien, soulageant un peu la douleur qui lui vrille la tête. Pleurer fatigue et donne mal au crâne. Il entend l’homme avec lui bouger et il tourne la tête vers lui, les yeux rouges et les traits tirés. Il se rend compte alors de l’endroit où il se trouve et de l’absence de toute personne. Oh…pas de questions inutiles et vides de sens en vue. Tant mieux. Il n’aurait sans doute pas supporter la condescendance hypocrite qu’implique les circonstances et l’incompréhension. « Merci… » Un murmure essoufflé. Sincère. Son vis-à-vis n’a sans doute pas conscience de l’enfer duquel il l’a sauvé en l’éloignant.
«...Hm....Je ne sais pas si ça pourrait t'aider mais... » Il tend l’oreille, intrigué et curieux. « On pourrait demander au directeur de chercher dans sa base de données. Elle contient toutes les informations sur les personnes qui ont jamais été admises depuis la construction de l'hôpital... » Bug. Error system. Son cerveau met un temps à analyser l’information. Une fois. Il n’est pas sûr d’avoir bien compris. Deux fois. Il n’y croit pas. Trois fois. Son regard s’attarde sur le visage de l’homme. Il doute. Quatre fois. Il ne semble pas plaisanter. Alors il a bien compris… ? Rebug. Les yeux ronds, la bouche ouverte, Sven fait un beau poisson rouge incrédule. Et c’est ce qu’il est. Incrédule, pas poisson rouge. Après six ans de visite hebdomadaire dans cet hôpital, on lui propose enfin un espoir véritablement tangible.
« Est-ce que ça te conviendrait ? » Sven, transformation mode boulet de canon. Manquant de trébucher sur le carrelage, il se précipite vers son espoir, lui attrapant le bras, dans un réflexe de peur. Peur de le voir s’envoler. « Evidemment !! » Son cri résonne dans la petite pièce. Parce qu’il a crié, un cri du cœur, incontrôlé, enrayé. « Evidemment. S’il vous plait… ! » Il se recule lentement, relâchant le bras qu’il aurait pu briser net. « Excusez-moi. Bien sûr, ça me convient. » Il se calme, essaye de reprendre contenance. Même si, définitivement, il est grillé. Enfant impatient et instable.
Je le vois cassé, détruit, dévasté. Le regard rouge de ses larmes qui ont déjà coulé mille fois au moins et ont creusé des sillons sur ses joues. Je le vois, abattu, sans espoir. Et quand je le vois comme ça, je ne peux pas m'empêcher de penser.
Et si j'étais à sa place ? De quoi j'aurai l'air ?
Si j'étais à sa place, j'aimerai que quelqu'un, n'importe quoi me croie. J'aurai besoin de soutient. J'aurai besoin de croire, de chercher de faire quelque chose. Je sais. Ca ne me regarde pas. Normalement j'aurai dû juste être désolé pour lui, j'aurai dû lui montrer la porte gentiment ou lui donner le numéro d'un bon psychologue. Mais si j'étais à sa place, si j'étais au fond de l'abîme, les bras tendus, n'aimerais-je pas qu'une main, même inutile soit tendue vers moi ?
Cette idée avait germé dans ma tête. J'ignorais si ça pouvait vraiment l'aider, peut-être que cela ne mènerait qu'à une autre déception mais dans le doute...il fallait bien essayer. Il fallait que je lui en parle. Prudemment je lui expliquais qu'on pouvait toujours demander au directeur de vérifier ses fichiers. Son regard s'alluma et son comportement changea du tout au tout. Il agrippa fermement mon bras. J'étais pris comme un étau. La vache, pour quelqu'un qui avait l'air frêle et même malade, il en avait sous le capot le gamin. On leur mettait quoi dans leur jus d'orange aux jeunes d'aujourd'hui ? Des amphétamines ?
Il a dû remarquer que je m'étais raidi, surpris par ce tour de force. Il recula et baissa le volume, me confirmant que oui, il voulait bien essayer. Je me frottais nerveusement la manche, esquissait un faible sourire. Le moins qu'on pouvait dire c'est qu'il était enthousiaste.
« Okay..okay...juste calme-toi, hm ? Suis-moi. »
Je sortais des toilettes des hommes avec la sensation qu'une enclume m'était tombée sur les épaules. Et si ça foirait. Et si Chris refusait ? Oh mince, maintenant que je lui avais donné de l'espoir, ça allait être pire, encore plus cruel de voir son enthousiasme dégonfler comme un ballon de baudruche et redevenir l'individu en ruine que j'avais aperçu tout à l'heure...
Malheureusement il était trop tard pour se taire et reprendre ce que j'avais dis. Je m'étais mis cette responsabilité sur le dos, et bien maintenant je devais la porter. J'emmenais le jeune homme jusqu'aux ascenseurs où nous montions jusqu'au dernier étage.
J'étais toujours un peu nerveux dans cette cage métallique peu importe si je l'empruntais 300 fois par jour. Mais ce qui me rendait particulièrement nerveux aujourd'hui, c'était que je devais déranger mon frère pendant son travail pour une demande relativement triviale. Et s'il disait non ? J'aurai amené ce gamin jusque là pour rien ? Ah bon sang. Je devais trouver les mots pour le convaincre, espérer qu'il était de bonne humeur... Hmm... Mes doigts s'agitaient nerveusement, j'appréhendais. Je ne pouvais pas rater si près du but, non ?
Les portes métalliques finirent par s'ouvrir avec ce petit " ding" distinct, nous pénétrions au dernier étage. Une salle d'attente familière se tenait devant nous. Une plante verte dans le coin, des chaises, mais surtout un grand bureau avec la secrétaire personnelle de mon frère. Elle nous lança un regard assassin derrière ses lunettes, j'ai eu l'impression d'être gelé momentanément sur place comme d'habitude. Elle avait l'art de vous faire sentir comment dire... petit ? Comme si vous n'étiez pas le bienvenu, comme un cheveux dans la soupe, comme un nuisible qui venait embêter le patron. Et pourtant, malgré son air sévère et ses cheveux attaché, je lui trouvais une sorte d'attrait, un attrait timide bien sûr. Je déglutissais et je prenais mon courage à deux mains.
« Bonjour, je viens rendre une petite visite au directeur » annonçais-je avec un léger sourire.
Un éclat de lunette, un regard sévère et un ton glacial.
C'est pour quoi ?
Je me sentais rétrécir dans mes chaussettes. Je sais que Chris ne vient pas souvent travailler, mais quand même, il m'arrive assez souvent de passer, elle sait qui je suis. Un peu désarçonné par sa question je répondais en balbutiant :
Les pierres glacées de ses yeux en amandes me jugèrent et me paralysèrent sur place avant qu'ils ne glissent vers le jeune garçon qui m'accompagnait. D'un geste rapide, elle prit le téléphone et composa le bon numéro, annonçant à Chris que " son frère et un gamin sont là pour le voir." Apparemment il accepta puisqu'elle ouvra la porte sécurisé pour nous laisser entrer. Devant la porte du bureau de mon frère, je poussais un soupir.
«Attends ici un moment.»
Pas question de le jeter directement dans la gueule du loup. Ca pourrait tout faire foirer. Que ce soit de la faute de mon frère, ou à cause de l'impatience de mon jeune compagnon. Je frappais un léger coup sur la porte pour annoncer mon arrivée et j'attendais le feu vert de Monsieur le directeur qui ne tarda pas à arriver. J'entrais, refermant la porte derrière moi. Chris était en train de signer une pile de documents, l'air très appliqué, la main sûre, ses cheveux également attachés pour plus de confort.
«Oh...je vois que tu travailles dur. Excuse-moi de te déranger...»
Je sais que ça peut paraître sadique, mais j'aimais bien le voir travailler. Il avait l'air si sérieux, si appliqué...ça changeait du Chris de tous les jours. Je croisais mes mains dans mon dos, un peu gêné de venir l'embêter pendant qu'il travaillait et prudent quant à ce que j'avais à lui demander. Je passais quelques secondes à regarder à gauche et à droite les éléments du bureau de Chris, un peu intimidé par l'espace et le sérieux. Dire que c'était notre père qui s'asseyait là où il était assis avant. Ca me faisait toujours un peu bizarre.
Mais je ne pouvais pas retarder ce moment plus longtemps. D'une voix timide, je commençais :
« Dis...je...J'ai une faveur à te demander. Tu vois, il y a ce gamin je l'ai fait attendre dehors - il...comment dire... Il cherche sa soeur disparue depuis...heum...6 ans...Et ... je me demandais si..tu ne pouvais pas avoir l'immense gentillesse de..simplement faire une recherche dans tous les fichiers de l'hôpital....»
Je baissais les yeux, regardant la pointe de mes chaussures et je continuais tout bas :
« Je pense que ça pourrait l'aider... que ce soit à la retrouver ou... à faire son deuil... tu comprends ?»
Tant de travail en retard, ça valait bien la peine de payer des délégués, si on ne pouvait leur déléguer les tâches justement… A croire que Miss Burton, ma secrétaire, faisait tout pour me garder un peu de travail au chaud de craint que je ne devienne trop oisif… Quel dragon cette femme, mais quel charisme, elle avait son petite charme qui ne me déplaisait pas. Quoiqu’il en soit, elle me tenait prisonnier dans mon bureau pour que j’exerce mon boulot, tout comme elle exerçait le sien, en excès de zèle. Et le pire, c’est qu’elle trouvait toujours les arguments pour me faire culpabiliser sur mon taff en retard. Elle devait avoir l’habitude avec mon père, mais d’un autre côté, elle était l’un de ses calices, donc, elle possédait un certain pouvoir sur la famille, d’une certaine manière.
Plongé dans la paperasse, le téléphone sonna brusquement, me dérangeant dans ma concentration et sans vraiment faire attention aux noms des personnes qui désiraient me voir, je baragouinais un “oui, oui, faites entrer”, tandis que je raccrochais en ne quittant pas des yeux la lecture que j’avais entreprise. Je ne levais même pas le regard lorsqu’on frappa à la porte, sachant parfaitement de qui il s’agissait et j’eus pour toute invitation à entrer un grognement qu’il comprendrait parfaitement puisqu’il s’agissait de mon frère. Seul. Contrairement à ce qu’on m’avait indiqué. Sentant qu’on m’avait “menti” ou qu’on me cachait quelque chose, je reportais mon regard sur lui, écoutant ce qu’il avait à me dire, ne prenant pas note de ses excuses, malgré le constat qu’en effet, je travaillais dur.
Une faveur, mon frère en demandait rarement, et cela capta mon attention. Ca semblait plutôt important, sinon il ne serait pas venu jusqu’ici pour me la demander. Il était plutôt du genre à éviter de me demander quoi que ce soit, comme je n’étais pas particulièrement digne de confiance sur ce sujet. Je le laissais enchaîner, en le scrutant de mon oeil, posant ma tête dans ma main d’un air las, en restant néanmoins attentif. Mon stylo tournait entre mes doigts d’un geste machinal, d’un signe d’impatience, et mon regard, au bout d’un moment semblait particulièrement intéressé par la danse de l’objet.
Au final, j’accordais une minute de silence, achevant cette pause par un profond soupir, tandis que je me levais de mon bureau en m’appuyant dessus. Je déclarais alors :
« 6 ans et il a encore de l’espoir le gamin ? Chapeau. J’ai même du mal à croire que tu acceptes de l’aider de cette façon... »
Un sourire sarcastique souligna ma phrase, pointant le doigt sur sa gentillesse que je lui répétais sans cesse que cela le perdrait un jour avec un “trop bon trop con” pour bien exagérer la chose. Cependant, puisqu’il s’agissait de lui et d’une des rares faveurs qu’il me demandait, et comme j’étais d’humeur à esquiver mon travail un instant, il m’accordait donc au passage une pause.
« Les archives, d’il y a 6 ans… C’était Père qui s’en chargeait encore à l’époque… J’accepte ta requête. Par contre, promets-moi d’arrêter de recueillir tous les clodos du coin… »
Je sortais l’ordinateur portable de l’armoire où je rangeais le matériel pour l’ouvrir une fois réinstallé à ma place de directeur, et l’allumer afin d’accéder au réseau de l’hôpital et par conséquent aux archives. Je tapais rapidement le login et le password pour accéder à mon compte et afficher la page de recherche avancée pour consulter les archives. Là, je me tournais vers mon frère et lui demanda davantage de détails
L'espoir. Cet oiseau qui va et vient, vous glisse entre les doigts lorsque l'on tente de l'attraper, se pose sur notre épaule quand on s'y attend le moins. Comme une soudaine échelle qu'il n'attendait plus et qui lui tombe dans les bras, au fond de son puits, et qu'il s'empresse de remonter. S'y attendait-il, à cette main tendue vers lui ? Non. Clairement, non, à aucun moment. Pas après être retomber. C'était pour ça que lorsque cette échelle lui était tombé dessus, la proposition de cet homme, il l'avait saisi, dans le premier sens du terme. Son brutal revirement de comportement avait surpris son vis-à-vis. Ce n'était pas vraiment étonnant. Sven vivait l'instant. Et lorsqu'on lui proposait un espoir qu'il avait longtemps attendu, il n'en vivait que plus.
« Okay...okay...juste calme-toi, hm ? Suis-moi. » Il s'excusa une fois de plus de son éclat. Pour un peu, il en rougirait. Mais il lui était impossible de rester de marbre quand cela concernait sa sœur. Docilement, il suivit l'adulte hors des toilettes jusqu'à l’ascenseur. Qu'est-ce qu'il allait se passer ? Allait-il enfin trouver quelque chose à propos de sa sœur ? Même si cela datait de plusieurs mois, plusieurs années même, il s'en moquait un peu. Plus cela serait récent, mieux ce serait, c'est certain. Mais après six ans sans rien, juste une trace, aussi minuscule, aussi vieille soit-elle valait mieux que le néant.
Mais... Et s'il n'y avait rien ? Pas de trace, pas d'archive. Rien. Que ferait-il ? Il tomberait de l'échelle. Et l'atterrissage serait sans doute plus douloureux que tout ce qu'il avait put vivre comme espoir déçu. Il était excité, fébrile. Et en même temps terrifié. Est-ce qu'il y survivrait cette fois ?
Tout ira bien...
Il sursauta. Qu'est-ce que c'était ? Il regardait autour de lui, mais rien. Juste lui et l'autre dans une cage d'ascenseur. Personne d'autre. Personne d'autre qui aurait pu lui parler, et ce n'était pas la voix de son guide, il en était certain. Alors à qui...?
La sonnerie de l'ascenseur le réveilla. Ils étaient visiblement arrivé. Il suivait son guide, ratatiné sur lui-même. Intimidé. A cause de la solennité de l'endroit ? Parce que les hôpitaux lui avaient toujours fait plus ou moins peur ? Ou bien à cause du regard de la secrétaire dont l'effet était un mixte entre les attaques Cage-éclaire et Groz'Yeux. Bref, elle faisait peur, entre son air austère et sévère et son regard qui disait "qu'est-ce-que-tu-fais-là-tu-vois-pas-que-tu-déranges-?". Prudemment, il alla se réfugier derrière l'adulte, un peu en retrait. Il détestait les hôpitaux.
« Bonjour, je viens rendre une petite visite au directeur. » « C'est pour quoi ? » Bonjour, je suis aussi aimable qu'une porte de prison. C'était rassurant. Même son guide n'était pas à l'aise devant ce dragon. Elle cachait quoi derrière cette porte ? Un trésor ? Une princesse ? -oui oui, Logan la princesse en détresse, bien sûr- « Euh...et bien...c-c'est une... requête personnelle... » Les yeux du dragon les analysèrent de bas en haut, avec la précision d'un radar militaire. Il était mal à l'aise. Terriblement mal à l'aise. Il se balançait d'un pied sur l'autre, le visage baissé. Là maintenant, il aurait aimé être capable de se rendre invisible.
Mais finalement, ils furent autorisés à pénétrer dans la chambre de la princesse. Euh, pardon, dans le bureau du directeur. L'adulte ne fut pas le seul à soupirer de soulagement. Sven était heureux de ne plus faire face à la femme. « Attends ici un moment. » Lui fut-il demandé. Il fronça les sourcils. Mais obtempéra. L'autre était mieux placé que lui pour savoir comment il fallait agir. Et pour retrouver Freya, il était prêt à faire de nombreuses concessions, qu'importe qu'elles ne lui plaisent pas. Il hocha simplement la tête, allant se poster contre un mur tandis que son guide entrait dans le fameux bureau.
Le dos contre un mur, il attendait. Encore. Au final, il ne fait réellement que ça. Attendre. Il laissa ses jambes se plier, finissant a croupis au sol, appuyé contre un mur, la tête dans les bras. A attendre. Il ne savait pas ce qu'il se passait de l'autre côté de la porte. Est-ce que le directeur accepterais de fouiller dans les archives ? Ou bien devrait-il se résigner au néant qu'il obtenait toujours à l'accueil ? Il ne savait pas. Il ne savait rien au fond, et ça le rendait malade. Plus encore que l'odeur de médicament qui flottait dans l'air.
J'avais quelques réserves en entrant dans le bureau de mon frère. L'accueil chaleureux de Miss Burton avait fait l'effet d'un seau d'eau glacé sur mon enthousiasme déjà bien terni par la perspective de me faire rejeter comme un malpropre par mon frère. J'étais déjà un peu mal à l'aise mais alors le déranger alors qu'il travaillait et avait l'air si sérieux... Je n'étais pas vraiment dûr de l'accueil que j'allais recevoir. Cela dépendrait de son humeur sans doute. A demi-mot je lui avouais les raisons de ma venue. J'espérais sincèrement qu'il daignerait m'accorder cette faveur.
J'attendais impatiemment les premiers mots qui sortiraient de sa bouche quand ils vinrent enfin. 6 ans souligna-t-il. Oui 6 ans, c'est long. 6 ans à attendre, 6 ans à espérer. La gamine était probablement morte, je ne me faisais pas d'illusion, mais sans la confirmation de ce décès, ce gamin allait continuer à attendre et espérer. Et ça ce n'était pas une vie saine pour quelqu'un de son âge. Ses mots me menèrent à penser qu'il ne comptait pas accepter. Que je me faisais des idées et que je ne parviendrais certainement pas à l'aider. Les yeux baissés, j'accusais le coup, m'attendant à un refus catégorique par la suite.
Une refus qui ne vint pas. Il déposa son stylo sur la table et alla chercher l'ordinateur planqué dans une armoire. Donc il acceptait ! Fantastique !
« ah merci ! » m'exclamais-je en souriant.
Craignant de crier victoire trop vite, je me reprenais et mon visage pris la même expression de d'habitude. Il me demanda son nom et je fixais l'espace en silence. Erreur 404. Son prénom était Freya ou quelque chose comme ça, mais son nom...je ne l'avais pas retenu. Clairement embêté, je balbutiais à nouveau, pris au piège.
« Euh... je ne me souviens plus de l'orthographe.. en fait son frère attend dans le couloir... Il pourra te le dire lui-même...Je peux le faire entrer ? »
J'attendais son feu vert avec appréhension avant d'aller ouvrir la porte et de retrouver le blondinet qui attendait toujours. Il leva ses yeux plein d'espoir vers moi et je l'invitais à entrer avec un sourire.
L’air concentré, j’attendais la réponse à ma question, mais sans l’aide du frère de la disparue, il semblait improbable que mon frère me l’offre. D’un hochement de tête impatient, je lui indiquais mon approbation à ramener la tête blonde que je découvris être l’insupportable gamin du labyrinthe. Ah super. Mon regard se bloque sur lui pour être sûr que je n’étais pas en train de divaguer, mais ce gamin aux yeux rougis par les larmes à cet instant, les cheveux en pétard, comme s’il venait de faire un caprice, n’était autre que le jeune homme qui m’avait remis à ma place par la force dans le labyrinthe, jouant au plus malin. Il n’en menait pas long à ce moment, et j’étais étonné que Bertram ne se souvienne pas de lui, mais d’un autre côté, nous avions été séparés, donc c’était tout à fait normal.
Irrépressiblement, je lui envoyais un éclair, à Sven, pour lui intimer de se taire, me replongeant dans la recherche de sa soeur disparue, dans un grognement et un froncement de sourcils. Que le monde est petit quand même… mais possible qu’il ne me reconnaisse pas, vu ma dégaine, qui n’avait rien à voir avec mes habits habituels. Rien que les cheveux attachés me donnaient une autre allure, celui d’un jeune PDG, me rajeunissant en réalité tout en me donnant un air de businessman, rehaussé par le costume noir. Rien à voir avec l’homme qu’on surnommait de cro-magnon. Par contre, mon caractère, quoiqu’un peu plus conciliant, n’en changeait pas vraiment et ce fut avec mauvaise volonté que je m’engageais à respecter ma parole envers mon frère.
Je me souvenais qu’il s’appelait Sven, après s’être présenté lors d’une de mes remarques désobligeantes. Cependant je n’avais aucun souvenir sur l’énonciation de son nom de famille. Aussi, si je voulais respecter mes engagements, je devais l’interroger directement. et ce fut dans un soupir et un regard transcendant que je lui demandais :
« Bon alors, c’est quoi le nom de ta soeur ? Tu as d’autres détails à me donner ? Par exemple les raisons de son hospitalisation, ce genre de choses, tu vois ? »
Rester courtois et bienveillant, pour ne pas faire fuir la clientèle… C’était un sacré effort, surtout face à ce sale gamin. Pourtant il ne m’avait pas particulièrement fait de mal, je ne supportais juste pas les têtes brûlés. Et puis, vu sa tête à l’heure actuelle, j’avais peur qu’il inonde ma moquette en pleurnichant lorsque je devrais annoncer le décès de celle qu’il recherchait, si encore on la retrouvait, ce n’était pas dit. Parce que si elle est sortie de l’hôpital seule, et disparue peu après, nous ne pouvions rien y faire…
Assit par terre contre un mur, il attendait. Une attente angoissée, ponctuée de multiple "et si...?" qui lui donnaient des vertiges. Heureusement pour lui, ce calvaire ne dura pas très longtemps, et très vite, la tête de son guide dépassa de la porte pour l'enjoindre à entrer à son tour. L'heure de vérité était enfin arrivée *roulement de tambour!*
Stressé d'un espoir trop attendu pour être vrai, il entra dans le fameux bureau, sans s'éloigner de l'adulte, sait-on jamais. Posant un regard rouge sur le directeur, il sentit ce désagréable sentiment de déjà-vu revenir au galop et s'installer dans sa tête. Mais cette fois, ce n'était pas à l'égard de l'hôte de passage -dont il ne se souvenait toujours pas, soit dit en passant-, mais plutôt à celui de l'homme assit derrière le bureau. Il le connaissait, là, il en était sûr. Il n'était pas rattaché à un souvenir particulièrement agréable -mais pas atroce non plus-, mais il n'arrivait pas à se souvenir du où, du quand, du pourquoi et du qui. Pourtant on ne pouvait pas dire que l'homme avait un physique...oubliable. Mais Sven n'avait pas la mémoire des visages. Il lui fallait côtoyer la personne un moment pour bien mémoriser ce à quoi elle ressemblait.
Il se prit d'ailleurs un regard des plus foudroyant et baissa les yeux. Apparemment, ce n'était pas l'amour qui primait entre eux deux. Sa poitrine lui parut brusquement s'écraser sur elle-même. Et si finalement il refusait de l'aider ? S'il refusait de rechercher dans les archives ? Et si...?
« Bon alors, c’est quoi le nom de ta sœur ? Tu as d’autres détails à me donner ? Par exemple les raisons de son hospitalisation, ce genre de choses, tu vois ? » Il releva brusquement la tête, la bouche à moitié ouverte dans une exclamation silencieuse. Il connaissait cette voix. Il la connaissait même très bien pour l'avoir entendu pendant ce qui fut pour lui un loooooong moment. L'homme de Cro-magnon, celui attaché à son pied gauche pendant leur petite aventure dans un certain labyrinthe. Ohmondieu.
Préférant finalement se concentrer sur les mots et non sur la voix, il quitta son air abruti de poisson mort pour lui répondre. « F-Freya Torbjorn. Elle venait souvent il y a plus de 6 ans pour des blessures en tous genres...après des bagarres. Après ça, je ne sais pas si elle est revenue... Elle devrait avoir 18 ans maintenant. Une fille avec deux grandes couettes. Si elle devait venir ici, ce serait sans doute toujours parce qu'elle se bat encore... » Il ne savait pas vraiment quoi dire de plus et qui pourrait être utile. Qu'est-ce qu'il pouvait dire de plus ? Six années s'étaient écoulées, sa sœur devait avoir bien changée. Tant mentalement que physiquement. Sauf pour les cheveux, ça il en était pratiquement certain. Le jour où Freya se débarrasserait de ses cheveux trop long et de ses couettes, l'argent pousserait sur les arbres.
Je laissais le petit blondinet entrer dans le bureau de mon frère. J'étais plutôt content qu'il accepte d'aider un parfait inconnu. C'était si rare... Je pensais qu'il m'aurait envoyé dehors en me disant que c'était pas son problème. Mais malgré sa petite remarque concernant mon habitude de ramasser les chats errants - ce que je ne pouvais pas nier, il avait quand même accepté. Ca aurait été vraiment cruel si j'avais dû retourner en arrière et annoncer au blondinet que Monsieur le directeur pouvait nous aider mais qu'il n'en avait simplement pas envie.
Mais dès qu'il entra dans la pièce et que son regard croisa celui de mon frère, une drôle de tension s'installa. Est-ce qu'ils se connaissaient ? J'étais un peu surpris. Ils devaient se connaître, sinon Chris ne lui aurait jamais lancé son regard assassin. Pris entre deux feux, je commençais alors à m'inquiéter. Est-ce qu'il accepterait quand même de l'aider, même s''il semblait éprouver une sorte de ressentiment envers lui ? Mais dieu merci, cela ne semblait pas être le cas. Quoi qu'il se soit passé entre eux, mon frère passait au dessus et lui demandait plus d'informations sur sa soeur disparue.
Je ne me sentais pas tout à fait concerné par es explications, après tout je pensais comme tout le monde que sa soeur devait être morte depuis longtemps. Et pourtant quelque chose attira mon attention. Elle devrait avoir 18 ans. Et deux grandes couettes. Quelque chose là-dedans me rappelait vaguement quelqu'un, quelqu'un que je n'aurai jamais dû avoir rencontré. Pendant une seconde j'ai eu un doute. Et puis je me rappelais le nom de cette personne, qui n'avait rien à voir avec celui de sa soeur. Un nom que j'aurai eu du mal à oublier. Oksana.
Donc je restais silencieux pendant un instant, le laissant taper les informations nécessaires. Mais le doute revenait me harceler sans cesse. Autant en avoir le coeur net.
Tu n'aurais pas une photo par hasard ? demandais-je à voix basse.
Je tapais le nom sans regarder son visage qui avait tendance à m’exaspérer, surtout qu’il avait l’air d’avoir dû mal à capter. En fait, ça ne m’étonnait pas qu’il eut une force surhumaine pour un humain, car, comme on dit, “pas de tête, de bonnes jambes”, et sur ce point, il me dépassait largement, que ce soit en force comme en conneries, et pourtant, je les collectionnais quand même ces dernières. Il y a 6 ans, j’étais encore en train “d’apprendre” la vie, la gestion de l’hôpital avec mon père, donc c’était lui qui était à la tête de l’entreprise, peu de chance que je ne me souvienne de cette fille, à moins qu’elle n’ait pris un abonnement ici, mais bon, je le saurais, avec un prénom pareil. Mais étrangement, en écoutant la description qu’il me donna… Un visage apparut dans ma mémoire, correspondant à l’image qu’il me donnait. Mais le nom ne coïncidait pas. Mais dans notre milieu, il n’était pas rare d’avoir des surnoms. Oksana ne me connaissait que sous le nom de Fenrir, d’ailleurs.
Mes doigts se soulevèrent un instant du clavier, je bloquais dessus et mon regard se tourna vers Bertram qui n’avait rien dit depuis un moment. Peu probable qu’il l’ait rencontré et pourtant… Je sentais le doute s’insinuer en lui au même moment où je me suis souvenu de cela. Pourtant… Lorsqu’il demanda une photo, je restais curieux, nerveux d’entendre la réponse du gamin. Et si c’était la même personne ? Elle avait disparu depuis 6 ans… Noooon, ce serait complètement ridicule et improbable. J’effaçais cette idée de mon esprit et continua mes recherches en déclarant, après avoir cliquer sur “search” :
« Il y a en effet un dossier à son nom. Mais rien de bien… Multiples contusions, points de suture… Rien de bien méchant mis à part la fréquence de ses entrées ici. Je ne pense pas que cela puisse t’aider à la retrouver, à moins que tu n'ai omis de me donner d’autres détails capitaux. Pourquoi la cherches-tu ici ? Est-ce qu’elle serait entrée ici une dernière fois avant sa disparition avec une autre raison que des bagarres ? Ou alors quelque chose de suffisamment violent ? »
En réalité, je perdais patience. Ce service que je rendais en premier lieu à Bertram ne menait à rien de constructif. Je perdais mon temps pour rien, et ça, ça m’énervait, surtout en sachant que c’était pour ce gosse. Je ne comprenais pas sa démarche, ce désespoir qui l’amenait à venir nous harceler. Mon ton tendait vers l’agressivité, sans perdre le contrôle, juste on pouvait sentir la pointe d’agacement, et ce regard qui transperçait l’âme de part en part.
« Non mais en fait… Quel rapport avec nous ? Pourquoi tu la cherches ici depuis tout ce temps ? T’es allé voir les flics au moins ? »
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Sujet: Re: Visite ordinaire (ou pas?) Sam 24 Mai 2014 - 12:18
❝ Visite ordinaire (ou pas ?)
• feat. Bertram & Logan •
Il attendait les résultats avec une impatience tenant de la trépignation. Si Sven n'avait un contrôle de ses émotions que très relatif, il arrivait encore à maîtriser son corps un minimum. C'était ce qui l'empêchait de se balancer d'un pied sur l'autre d'impatience, mais aussi d'angoisse.
Mélange peu agréable qui fut interrompu le temps d'un instant par une question. Une question rapidement chuchoté par celui qui l'avait guidé là. Il le regarda sans comprendre avant de hocher simplement la tête et de plonger sa main dans l'une de ses poches. Il en sortit un portefeuille abîmé qu'il ouvrit avant d'en sortir une vieille photo, plus abîmée encore, aux coins cornés à force d'avoir été manipulé encore et encore.
" Elle date d'il y a 6 ans alors je ne sais si ça sera vraiment utile..." murmura-t-il doucement en tendant la photo au jeune homme. Il n'eut cependant pas le loisir d'observer sa réaction, ce fut au tour du directeur de se manifester.
La première partie de son discours ne lui apprit rien de nouveau. Il les connaissait bien, les frasques de sa sœur qui lui avaient presque valus une carte de fidélité. Mais après venaient les questions. C'était ce qu'il redoutait toujours, les pourquoi. Parce qu'il devait alors se souvenir de tout ce qu'il voulait oublier. Il était obligé de se rappeler. Il était le seul coupable. Il avait espéré qu'elles ne tomberaient pas, ces questions, mais c'était un espoir vain.
Il pouvait sentir doucement l'agacement monter dans la voix de son interlocuteur, et lui se rétrécissait lentement mais sûrement sur place. Où était-il donc, cet adolescent insolent qui s'était amusé à l'énerver dans le labyrinthe ? Il était partie. Il était partie lorsque le sujet Freya était arrivé. Sven pouvait bien faire croire, à lui-même ou aux autres, qu'il était un adolescent relativement normal, juste un peu maladif et dépressif. Mais lorsqu'il s'agissait de sa sœur, il redevenait un enfant. Un pauvre enfant impuissant, totalement passif, qui subissait, terrorisé par les disputes et les conflits, paralysé par l'agacement et la colère des adultes.
En fait Sven n'avait pas grandit.
Si la voix pouvait avoir une couleur, la sienne aurait été blanche, presque transparente, lorsqu'il répondit aux questions, une après l'autre. " C'est bien dans les hôpitaux que l'on ramène les personnes blessées ou...mortes non ? Je me disais qu'elle aurait pu venir ou être emmené ici. " Tu étais naïf Sven. " Je ne sais pas pourquoi elle aurait pu venir ici. Elle a quittée la maison un jour et elle n'est jamais revenue. Je n'ai aucune idée de ce qui aurait pu lui arriver..." Tu étais faible, lâche, impuissant Sven. " Ça n'aurait servit à rien d'aller voir la police. Personne ne chercher une personne morte. Nos parents l'ont officiellement déclarés morte quand ils ont appris qu'elle avait fuguée. Je suis le seul à l'avoir chercher. " Et à la chercher encore. Tu étais pitoyable Sven. Ridiculement pitoyable, sans courage, sans force. Tu le savais. Tu haïssais ce fait, mais tu ne pouvais rien y faire. Ou plutôt, tu n'essayais pas de changer, jugeant que c'était impossible.
Il était passé en pilote automatique. Il ne voulait pas se souvenir. Il refusait de se rappeler que c'était de sa faute. Entièrement de sa faute s'il se trouvait là, sans Freya, à la chercher, à subir l'agacement montant de celui qui pouvait ou non l'aider. Son esprit s'était endormit le temps de répondre. Et il s'était réveillé plus angoissé que jamais pour connaître les résultats de sa recherche.
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Sujet: Re: Visite ordinaire (ou pas?) Mar 27 Mai 2014 - 9:46
Get lost
Avec Sven & Bertram
Je laissais à Bertram le soin de consulter la photo, sans remarquer de réaction de sa part, puisque je m’occupais davantage du gamin qui faisait moins le fier ici que dans le labyrinthe. Il devait pas imaginer une seconde que le type qu’il avait rencontré la première fois était en réalité le PDG d’une société hospitalière aussi importante que la clinique Blackwood, s’il m’avait reconnu. D’un autre côté pour obtenir une aide d’un haut responsable, il fallait forcément se faire petit et jouer les lèche-bottes, on avait rien sans rien.
La photo passa entre mes mains, pendant que le blondinet tentait de se justifier, des justifications insuffisantes à mes yeux, car fausses. Le visage de la gamine, bien que datante, me rappelait une autre demoiselle qui correspondait à peu de choses près à la description, la même que celle que je pensais justement, mais l’identité n’était pas la même. Remarquez, dans le milieu qu’elle fréquente, il ne serait pas étonnant qu’elle possède un faux nom, c’était courant, moi-même, on ne me connaissait pas sous mon vrai nom dans l’ombre, ma réputation était en jeu. Mais qu’importe, même si je la connaissais un peu, je ne pouvais rien faire pour ce gosse. Il était temps d’en finir et de lui casser ses illusions pour qu’il foute la paix à mon personnel :
« Un hôpital, c’est un lieu pour les personnes malades, pas mortes. Ici on soigne pas les morts. Si ta soeur est effectivement décédée, c’est à la morgue ou au cimetière qu’il faut que t’ailles voir. Et dans le cas où tu aurais raison, qu’elle soit encore en vie, si elle se cache aujourd’hui, c’est peut-être qu’elle a de bonnes raisons et si un jour l’envie lui prenait, elle reviendrait te voir. D’un autre côté, vu que vos parents l’ont déclaré morte, la relation devait être bien colorée entre vous. »
Je ne mâchais pas mes mots, mais il m’agaçait profondément. Comment peut-on s’amuser à chercher de la sorte, à compter autant sur les autres, depuis tout ce temps, alors qu’on ne pouvait compter sur personne. Par contre, je pouvais toujours lui donner un indice…
« Allez, gamin, retourne chez tes parents, on peut rien faire pour toi. Par contre, je te conseille d’aller rencontrer une certaine Oksana Bouravtchikova, tu la trouveras dans les bas-fonds de Froënbourg. C’est tout ce que je peux te dire. Allez, dégage et laisse mon personnel tranquille. »
D’un geste de la main, je lui indiquais la sortie, indiquant aussi à Bertram de ne plus s’occuper de lui, qu’il avait mieux à faire que de récupérer les chiots perdus dans la rue. C’est pas une oeuvre de charité ici. Je me replongeais dans mes papiers, indiquant que la conversation était achevée.
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