Comme t’es toujours à la ramasse au niveau actualité, tout s’était passé très vite. Au début, y’a eu les bribes d’infos qu’Ahmad laissait passer, sans se douter de rien. Genre cette fois-là où il n’avait écouté les infos que d’une oreille, trop occupé qu’il était à tambouriner sur le poste de télé, sous les ricanements d’Aydin. Puis y’a eu la voisine qui se sentait pas bien. Puis Ahmad qui fait genre, il ne veut plus sortir. Et qui se met à tousser. T’as bien cru au départ que, s’il devait crever à cause de la toxicité de l’air, même pas besoin de Mad : la puanteur de sa piaule suffisait.
C’est quand il a commencé à gerber en pleine nuit que t’as décidé de prendre les devants. Ça n’a pas été bien compliqué, tellement ton hôte était faible, et tu n’as pas été surpris d’avoir presque l’impression qu’il te laissait faire. S’informer plus en profondeur a été tout aussi facile car on ne parlait plus que de ça. Toutefois, tu n’as pas pu jouer les grands chercheurs car, d’après tes sources affolées, votre temps était compté à tous les deux.

T’as donc imité votre petit(e) colocataire et empaqueté trois affaires, avant de chevaucher la grosse moto de compèt’, histoire d’aller plus vite, pour te rendre fissa à Terraria. Là-bas se trouvait la source du problème. Arrivé sur place, ce ne fut pas bien compliqué de trouver davantage d’infos. Ce qui le fut plus, en revanche, c’était de trier lesdites infos. Parce que ça parlait de tout. Et surtout de n’importe quoi. Comme quoi certains allaient en découdre direct avec le cinglé de la télé. Ou d’autres qui jouaient aux petits chimistes pour essayer de se bricoler un antidote tout seul. Sans compter ceux qui, en fait, n’étaient pas vraiment malades… T’as bien vite tranché. Et as tourné le dos à cette gigantesque montagne sur laquelle tout le monde s’était perché. Une ascension dans ton état, très peu pour toi. Surtout s’il s’agissait de coller ton poing dans la figure visqueuse du scientifique fou.

Non, toi, t’étais pas un dieu très sympatoch. Alors t’as réfléchi autrement : et, quitte à ne plus avoir de dignité en pactisant avec votre malfaiteur, autant que ça puisse te sauver la vie. Parce que, pour le peu que tu avais vu de lui, ‘fallait vraiment être naïf pour penser que la menace lui ferait cracher le morceau sur l’antidote.
Pactiser, donc. Ce qui consistait à se mettre en chasse des Créatures. Ok, ok. T’avais rien sur toi que tes petits pouvoirs et un goût de bile dans la gorge. Par-fait.
Mais au fait… ça ressemblait à quoi une Créature ?
T’as pas l’air fin, avec ton look de motard, tout en cuir, et le visage tellement blafard qu’il tirait sur le vert. Tu te surprends même à espérer tomber sur une figure familière… Allez savoir si c’était pour te réjouir de pas être le seul dans la mouise.

Tu fends la foule comme un Messie douteux, et toques sur une épaule au hasard, sans plus de ménagement. Bah tiens, il a bien une tronche d’intello qui suit toute l’actualité, celui-là, avec ses p’tites lunettes, sa raie sur le côté et ses yeux de merlan frit.
« ‘Scusez, y’a l’type qui cherchait des Créatures, là » pour ne pas dire « traquer, chasser, décimer », hein « vous en savez plus, vous ? » Une quinte de toux, t’as les larmes au coin des yeux, ça te donne un air de chien sale « nan parce que j’passerai pas la nuit à c’rythme-là… »

Il semble un peu paumé, du moins, pas autant que toi, le nez en l’air et la buée de tous ces souffles malades collés aux lunettes. Tu t’impatienterais presque, toi qui n’es pas de nature patiente. Mais t’étais définitivement trop mal fichu pour élever la voix contre un mec random. Tu suis même ses instructions, lorsqu’il désigne l’une de ces « Créatures » dans la foule. Tu plisses les yeux, la sueur de la fièvre perlant sur tes sourcils bruns. Il est bien gentil, mais de qui diable parle-t-il… Tu sauras jamais si c’était effectivement cette fille qui galope dans la foule qu’il pointait du doigt, mais tant pis ; de toute façon, il fallait que tu te bouges, au risque que tes jambes fléchissent et que tu t’écrases par terre, sans garantie de te relever.

Ta course est compliquée, claudicante, au milieu de cette cohue qui va parfois dans le sens inverse. Tu manques de gerber sur plusieurs passants. Et, à mesure que tu progresses, sommant la fugitive de s’arrêter dans des grognements assez inaudibles, tu te demandes si c’était juste pas une très. Mauvaise. Idée. Bien sûr, tu as foncé la tête la première. Mais d’accoutumée, ça t’aurait pas dérangé plus que ça. Sauf que là, les failles de ton superbe plan se révélaient à ta tronche comme autant de vertiges. T’étais affaibli. Vous aviez pas tous pigé de qui il parlait. T’étais armé uniquement de ton casque de moto. Et tu te sentais pas trop d’utiliser tes pouvoirs, au risque de ne pas pouvoir les maîtriser… D’un autre côté, un bon coup de sécheresse t’empêcherait certainement de vomir pendant un moment.

Mais t’es lancé. Et, comme un qunari déchaîné, on pouvait pas t’arrêter. Tu bousculais un peu tout le monde –même cette nénette qui aurait pu être jolie si pas malade, ne tenant même plus compte des possibles conquêtes que tous ces inconnus auraient pu représenter.
« Ramène-toi, sale bête ! Allez quoi ! » T’as le souffle coupé, crachant par à-coups, comme si t’avais des boules de poils dans le gosier. « Un p’tit sacrifice pour la bonne cause ! On r’vaudra ça à tes p’tits ! »
Ouais bah, l’humour, ça t’était pas venu avec la fièvre, hein…