La clé glissa dans la serrure et la porte s’ouvrit. De retour à la maison. Mais pouvait-on vraiment parler de maison ? A travers les grandes vitres qui bordaient la pièce principale, comme un bureau, la lumière orangée des début de soirée de printemps glissait sur les murs, le sol, les quelques meubles. Malgré les changements, cet appartement gardait quand même une vague ressemblance avec un bureau. J’enlevais ma veste et je la posais sur le porte-manteau, balayant la pièce du regard.

Non ça ne ressemblait pas à un foyer. Ce n’était qu’un rassemblement de meubles, certains récupérés de mon ancienne vie, d’autres rapidement achetés, bon marché dans une grande surface. Mais cela ne ressemblait à rien au foyer que j’avais imaginé. J’aurai aimé une maison, avec un jardin, de type oriental. Une maison avec de la vie. Avec un carillon, un chien et des enfants. Mais je ne pouvais plus avoir ça. Alors je devais me contenter d’un triste appartement meublé avec les ruines de mon ancienne vie.

C’était mieux que rien après tout. Et c’était certainement temporaire.

C’est alors que je les remarquais. En récupérant quelques affaires dans le garage où j’avais entreposé mes biens le temps de la cohabitation avec Ludwig, j’avais également récupéré quelques affaires qui appartenaient à mon frère. C’était des choses que je n’avais pas pu me résigner à jeter ou à donner. Mon père n’en voulait pas de toute façon. Alors j’en avais sauvé quelques unes, avec la permission de mon frère. Et avec tout ce qui s’était passé je n’avais trouvé ni le temps, ni le courage de les déballer.

Pourquoi pas aujourd’hui ? L’idée avait germé quelque part dans mon esprit et avait fini par tout envahir. Pourquoi encore repousser ce moment ? Je n’allais pas tout laisser dans ces cartons jusqu’à mon prochaine déménagement.

Alors j’ai retroussé les manches de ma chemise, j’ai desserré un peu ma cravate et j’ai commencé à ouvrir les cartons. J’avais oublié tout ce que j’avais réussi à récupérer. Alors que je commençais à sortir ces trésors de leur prison de carton, une présence se fit sentir près de moi. Ryou , évidemment. Curieux, il restait penché au dessus de moi. Il tombait bien.

J’extrayais pas mal de trucs. Quelques cadres avec des photos, quelques livres, pas mal de CD, sa platine à vinyles - car oui mon frère était une sorte de hippie et de hipster. D’ailleurs il me disait de bien faire attention. Il était étrangement attaché à ces objets pour un fantôme. Je trouvais une place à tout ça.

« Je suis content que tu les récupères. Ca m’aurait fendu le coeur de les voir mis à la poubelle !  Aaaah ! ma collection de vinyles de Queen ♥»

Il m’arrachait un sourire. Cela faisait un moment que son spectre n’était pas venu me rendre visite. Et à vrai dire, j’étais surpris qu’il traîne toujours dans le coin. Quoi qu’il en soit je poursuivais mes recherches.

«Oh. Mon. Dieu. J’arrive pas à croire que tu ais gardé ça !.»

Mes longues mains sortirent une collection de jouets du carton. Une série de figurines de notre sentai préféré. Je m’en souviens, nous jouions sans cesse avec ça. Ryou était le rouge bien sûr, parce qu’il était le plus vieux. Moi j’étais le vert. Je regardais les jouets avec une tendresse nostalgique. Les souvenirs affluaient et je me mordais la lèvre inférieure avec un sourire.

« Qu’est ce que tu crois  ? Je gardais tout. Je te parie que ces trucs valent chers aujourd’hui.»

Je les gardais près jalousement près de moi, lui répondant avec un air choqué.

«Comme si j’allais les vendre ! Non, je vais les exposer ici..»

Et avec une certaine fierté je les disposais sur un des meubles du salon. Le genre de long meuble où l’on expose des choses, sauf que je n’avais rien à exposer.

Je n’étais pas obligé de parler à Ryou à voix haute. Il n’avait pas d’oreilles physiques, il était donc incapable d’entendre les vibrations de l’air. Il percevait les pensées que je lui envoyais. Mais puisque nous étions seuls, je me permettais de lui parler de cette façon.

Je continuais mes recherches :

«C’est dingue le nombre de merde que tu gardais effectivement....»

Certains de ses trucs devaient finir à la poubelle. Des portes clés, des fleurs en papier, des cendriers bizarres, ce qui semblait être des objets de décoration d’un goût douteux et d’autres trucs. Mais puisqu’il souhaitait que je les garde, du moins pour le moment, je les rangeais à l’abri dans des  tiroirs.

Au fur et à mesure nous vidions les cartons. Certains objets insolites avaient leur petite histoire que mon frère ne se faisait pas prier pour me raconter. Certaines étaient ridicules, d’autres drôles, certaines un peu tristes aussi. Mais j’étais content. Content qu’il soit là. D’une certaine façon je retrouvais mon frère, même dans la mort. Et cela faisait longtemps que je n’avais pas eu quelqu’un avec qui partager quelque chose.

Après tout cela, il ne restait qu’une chose, une chose très importante. En plus des cartons, j’avais récupéré l’étui à guitare de Ryou. Il avait toujours été quelqu’un de très… artistique. Ca a toujours été dans sa nature.  Il était toujours dans un autre monde. Et c’est ce qui avait toujours déçu mon père. Son fils ainé était un hippie, un bon à rien qui voulait devenir musicien mais qui selon lui, manquait de talent. Ca n’a jamais été une grande histoire d’amour entre eux deux. Ryou refusait de devenir...conventionnel. Malheureusement, même s’il était assez bon musicien, il n’a jamais eu de chance. D’abord il ne savait pas chanter. Non mais vraiment. Même s’il savait rapper. Les groupes qu’il a tenté de monter ont toujours fini par se casser la gueule. Alors il a fini par devenir ingénieur du son. Mais il n’a jamais vraiment abandonné son rêve…Mon frère, contrairement à moi, n’a jamais été quelqu’un de raisonnable.

Sa guitare, je ne pouvais pas l’abandonner. Je ne pouvais pas la donner à quelqu’un et encore moins la vendre. C’était trop...personnel. J’étais en train de me demander où j’allais la ranger quand il me taquina :


« Allez vas-y...ouvre-le.» J’étais surpris.« Pardon ?? Pour quoi faire ?.»

« Allez… je veux voir dans quel état elle est ! C’est mon bébé tu sais. Sois pas un connard. Steuplaîîîîîît. »  

J’ignorais pourquoi il insistait, mais bon, j’ai rarement pu dire non à mon frère.

« Okay c’est bon.»

J’ouvrais l’étui pour découvrir une guitare folk.

« Tu vois ? Elle est intacte ! »  Je caressais le bois et j’ajoutais d’un ton moqueur : « ton bébé va bien. »

Dans l’étui il y avait pas mal de choses. Des feuilles et d’autres trucs. Des cordes et d’autres accessoires que je n’avais jamais vu.

« Je parie qu’elle est désaccordée. Vas-y essaie. »  

En lui lançant un regard excédé je passais le pouce sur les cordes.

« Je le savais !»  

Je poussais un soupir excédé. « On s’en fout Ryou. Personne ne va en jouer de toute façon. »

«  Et alors ?! Je ne peux pas la laisser comme ça. Et puis je pourrais t’apprendre si tu voulais.»  

« Ouais bien sûr ~»

Mais mon frère était immunisé à mon ironie et mon sarcasme. Il demanda de faire sonner chaque corde séparément  pour l’accorder. Je suivais docilement ses indications en murmurant :

« Qui aurait cru que tu serais encore plus chiant une fois mort ?»

« J’suis même pas à moitié aussi chiant que toi, Monsieur rabat-joie.»  

Après de longues minutes à appliquer les pointilleuses explications de mon frère, il parut enfin satisfait.

« Alors… tu ne veux pas essayer un peu ?»  

Je regardais l’instrument hésitant un instant avant de répondre

«...Naaaan. Tu me connais, je suis pas doué avec ce genre de chose.»

J’étais doué pour les équations, pour les recherches, pour payer mes factures et vivre dans le monde réel. J’aimais la musique, comme tout le monde, mais j’étais loin d’être un artiste. Et ça Ryou devait le savoir.

« Poule mouillée. Tu ne le sauras jamais si tu n’essaies pas. Je peux te guider, tu sais.»

Alors j’ai fini par me rendre. Je ne sais pas pourquoi mais j’avais l’impression que c’était important que j’essaie.

« okay.»

L’instrument paraissait étrange entre mes mains. Je n’étais pas à l’aise quant à la pose. Ryou m’enseigna quelques accords. Je me plaignais de la douleur, presser les cordes en métal avec le bout de mes doigts… ça faisait fichtrement mal. Mais Ryou était plutôt content.

« Tu vois ? Maintenant prends une des feuilles là. Je choisis.»

Je faisais donc tourner les feuilles - qui se révélaient être des tablatures de chansons jusqu’à ce qu’il choisissent une pas trop difficile pour moi. Il m’a fait répéter les accords. Il n’y en avait que trois. Pour lui faire plaisir j’essayais de m’appliquer. Mais les paroles écrites avaient tendance à me déstabiliser. Qu’est-ce que c’était ? Une chanson qu’il avait trouvé où qu’il avait écrite ? En tout cas je ne l’avais jamais entendu avant. J’essayais de m’appliquer mais des questions revenaient sans cesse. Je m’arrêtais brutalement, posant la guitare sur le côté du canapé.

« Ryou. Le jour de ta mort. Pourquoi on t’as retrouvé dans cette rue ? Qu’est ce que tu faisais là-bas ?.»

Je savais qu’il refusait de divulguer l’identité de son assassin. Je pensais que c’était parce qu’il voulait m’empêcher de faire des bêtises, mais et si c’était autre chose ? Là où il a été retrouvé, ce n’était ni près de chez lui, ni près de son travail. Je sentis son énergie réagir, comme frissonner. Il ne disait rien. Je le regardais sans rien dire non plus. Jusqu’à ce que je trouvais le courage de lui poser la question qui me trottait dans la tête.

« …. Tu avais rechuté c’est ça ? »

« …. Takehiro…. »

J’étais en colère. J’avais envie de prendre sa guitare et de l’écraser contre le sol. Des mensonges. Des mensonges. Nous, les Hamada, nous avons toujours eu des problèmes d’addictions. C’est notre malédiction. Mais celle de mon frère, qui évoluait dans un milieu artistique était bien plus dangereuse que quelques verres d’alcool ou quelques cigarettes. Je n’ai jamais su ce qu’il prenait exactement pour booster sa créativité ou encore pour faire disparaître la douleur. Parce que oui Ryou avait souffert. Il avait souffert du départ de maman plus que moi et de son remplacement par ces belles-mères. Il avait souffert à cause de ses relations toxiques avec des femmes qui n’avaient mené à rien.

Il avait été chercher de l’aide. Il avait été en désintox. C’est pas le genre de choses dont on se vante, c’est plutôt un secret de famille. Mais surtout il nous avait promis. Il m’avait promis. Pas qu’il n’y toucherait plus mais que s’il se sentait tenté...il nous appellerait. Mais il ne l’a pas fait.

Je me levais, incapable de contenir ma colère. C’était clair maintenant oui, tout son petit cinéma. Ma langue claqua avec amertume :

« Ah ! Alors c’est pour ça que tu restes ici. Pas parce que tu t’inquiètes pour moi mais parce que tu as besoin que je te pardonne !»

Oui. La seule raison pour laquelle mon frère restait ici, dans ce monde, dans ce plan astral peu importe, la seule raison pour laquelle il ne pouvait pas passer à autre chose c’était ça. Sa culpabilité. Il voulait que je le pardonne. Ca ne risquait pas d’arriver. Je me sentais trahi par la seule personne qui restait à mes côtés. La seule personne à qui je pouvais parler sans craindre d’être jugé. Mais tout ça ne valait plus rien. Il n’avait même pas eu le courage de me dire la vérité en face. Il m’avait menti.

«Va en enfer ! » murmurais-je d’un air sombre.

Je l’ai envoyé balader. J’ai récupéré ma veste et je suis parti en claquant la porte. Je ne pouvais pas rester dans cette pièce qui était désormais remplie de souvenirs de lui.

Crédits de Tic Tac Frey